PUBLICATION DU 19 NOVEMBRE 2023

Ploc-ploc-ploc 

10 minutes

Papa était chercheur d'eau, celui-là chercheur d'or. Il n'aura peut-être pas plus de chance, mais en tout cas, il cherche quelque chose. Je regarde ses grosses mains creuser la terre. Sa peau claire si lisse et qui rougit au soleil. Ses yeux plissés et baissés vers le trou qu'il créait. Des trous, moi aussi je sais en faire, comme Papa. À vrai dire, toute ma famille en fait, en quête de la moindre goutte pouvant nous abreuver. 

Le chercheur d'or sort un rocher, le regarde sur tous les côtés, puis l'envoie derrière lui. Papa m'a dit un jour qu'auparavant, les chercheurs d'or cherchaient leurs biens dans les rivières traversant et nourrissant les forêts. Mais leur cupidité est allée trop loin, et ils finirent par toutes les assécher. À présent, les voilà qu'ils creusent, leurs mains qui autrefois touchaient cette liqueur aussi inaccessible et brillante qu'un filet d'étoile, sont à présent recouvertes de boue et de terre. Et ça, y avaient-ils pensé ? Avaient-ils percuté que l'eau était douce et ne blessait pas ? Contrairement à la terre qui elle, cassait leurs ongles, égratignait leurs doigts et, lorsqu'elle était mécontente, grondait et rebouchait le trou qui fut creusé. Y avaient-ils songé ? Puisqu'ils ne songeaient pas à nous qui avons pourtant besoin de cette eau, ils auraient pu penser à leurs propres malheurs qui les rattraperont comme un oiseau de proie, les piégeant dans leurs serres acérées jusqu'à ce que toute vie s'évapore. 

Mais les chercheurs d'or sont loin d'être faibles, et pour tout dire, ils sont assez têtus. Celui-là cherche depuis des heures déjà. Je suis partie un moment pour me mettre quelque chose sous la dent, et quand je suis revenue, au même endroit, il était encore là. 

Je me souviens des conseils de Papa me disant de ne pas approcher de ce que je ne connais pas, et en particulier des chercheurs d'or. Ces derniers sont dangereux, la folie de l'or les aveuglant. Il me disait de me méfier d'eux, et je peux comprendre. Quand il était petit, sa plus jeune sœur fut enlevée par un chercheur d'or alors qu'elle était distraite. Papa m'a dit que c'était des choses qui arrivaient. Trop souvent au temps de son père, souvent en son temps à lui, mais moins souvent en mon temps. Nous sommes les miséreux, les laissés de côté, ceux dont la vie ne vaut rien comparé à quelques miettes d'or. 

Et ça nous va très bien comme ça. 

Papa était un aventurier. Il me racontait quand j'étais petite l'histoire de la forêt et de ses cachettes secrètes. C'était amusant de s'imaginer redécouvrir tous ces endroits, un mélange d'excitation et d'impatience dansait alors dans mon corps avant que je ne m'endorme. Aujourd'hui, il n'y a plus de cachette secrète. Mais c'est peut-être parce que la forêt ne ressemble plus à une forêt. 

Le sol est dur et ne possède plus l'odeur de la terre moelleuse. Les arbres se font de plus en plus rares. Où va bien pouvoir habiter Mlle rossignol et son compagnon le pic-vert ? À quelques endroits, le sol est noir et sent les cendres, à un point où s'en est étouffant. Cet environnement ne semble pas déranger le chercheur d'or qui continue de creuser. Quelle détermination ! C'en est presque admirable. 

Papa m'a dit un jour que si les arbres perdaient leur couronne feuillue et étaient coupés jusqu'aux pieds, ou bien si la terre était fissurée au lieu d'être verte, c'était à cause des chercheurs d'or. Parce qu'ils cherchaient et continuaient à chercher un trésor entre les racines qui n'existe pas. Les chercheurs d'or sont impatients, et bien ignorants. Ils ignorent tout de cet endroit ou bien de la véritable valeur des choses. Un arbre ne sert pas qu'à accueillir les oiseaux et protéger les insectes. Un buisson ne permet pas qu'à produire des baies pour nourrir l'ours de mauvaise humeur. Une rivière n'est pas seulement là pour nous abreuver. Tous, ce sont nos repères. 

Ils ne remarquent pas que chaque arbre, chaque buisson ou chaque rivière est si différent des autres. Moi je sais le remarquer. Papa aussi le savait, et toute ma famille le sait

également. En nous les arrachant, ce sont nos repères qu'ils nous retirent. Alors on finit par se perdre, et certains ne retrouvent plus jamais le chemin pour rentrer chez eux. On avait un voisin auparavant, mais un jour, celui-ci n'était jamais revenu. On a pensé à un déménagement, à un accident, mais Papa m'a dit qu'il s'était juste trompé de chemin. Là encore, je regarde l'horizon à l'entrée de chez moi, alors que le ciel est tâché d'orange et de jaune, vérifiant si je ne le vois pas revenir. Ce soir aussi, j'attendrai un peu avant de me coucher. Il faut bien que quelqu'un soit là pour l’accueillir. 

cric-crac-croc 

Moi qui me prélasse au soleil, j'ouvre subitement les yeux avant de me redresser. Je m'aplatis contre le sol et commence à avancer doucement. Les herbes hautes et les branches qui se déploient au niveau de la terre sont ternes et flétries, comme si un rien peut les réduire en poussière, mais elles me cachent toujours aussi bien. 

Un lièvre. 


Lui aussi il creuse à la recherche d'eau ou de nourriture. Je le vois sauter sur les brindilles qui se brisent aussitôt, d'où les craquements. Les chercheurs d'or l'ignorent aussi, ou bien alors ils ne savent juste pas écouter. Il existe des sons qui marquent le début d'une danse et d'un chant. Pour celui-ci, il ouvre à une danse endiablée, à un chant enflammé, où ce lièvre et moi courons, sautons et grimpons, l'air violent pénétrant dans nos poumons, l'adrénaline nous empêchant de suffoquer et d'étouffer. Nous courons jusqu'à épuisement sans ressentir la moindre fatigue. Une musique seulement perçue par nos oreilles nous force à continuer. Car si jamais l'un de nous s'arrête, c'est la Mort qui risque de nous prendre dans ses griffes. C'est donc le plus rapide, endurant et malin qui gagne. La danse ne s'arrête que si l'un abandonne ou si l'autre se fait attraper. Nous courons, nous dansons, nous chantons. Et alors que je m'apprête enfin à utiliser les armes qui sont à ma disposition, certaine de l'attraper... 

 PAN ! 

  Un coup de tonnerre, mêlé à la fumée, la cendre et bientôt, le sang. 

Sans que je ne m'en rende compte, je m'empresse de reculer en me couchant sur le sol parmi les herbes hautes tout en priant pour ne pas qu'on me remarque. Un peu plus loin, le cœur battant mais les sens toujours en alerte, je regarde le chercheur d'or, toujours le même, apparaître et s'emparer du lièvre qui était tombé au sol. Après tout, lui aussi a faim, mais je sens malgré tout la colère bouillir en moi. Un fauve gronde dans ma poitrine, mais je suis bien trop épuisée et apeurée pour tenter de lui reprendre le lièvre. De toute manière, je ne peux plus le poursuivre ou le rattraper. 

Il existe aussi ce genre de son, celui marquant la fin d'une danse ou d'un chant. 

Et qui marque en même temps la fin d'une vie. 

Je l'observe toujours, moi-même ignorant pourquoi. 

Je lui en veux de m'avoir volé mon déjeuner, et les dernières effluves de l'odeur de la viande grillée semblent me narguer tout en me mettant l'eau à la bouche. Je me cache derrière une ligne de buissons. Comme quoi, il reste bien quelque chose à ces endroits désolés, et sûrement est-ce pour cela que lui, tout comme moi, on s'entête à continuer à chercher. Il doit avoir chaud, n'ayant aucun arbre pour le soulager des rayons du soleil. Moi, je me contente d'observer de loin. Je n'ai pas besoin d'être plus près de toute façon, mon but étant justement de ne pas être vue. 

Je déteste ce chercheur d'or. Non, je déteste tous les chercheurs d'or. Et pourtant, alors que ma tête se remplit peu à peu de pensées haineuses, mon cœur produit un rythme calme et harmonieux, comme si au fond, je ne suis pas vraiment en colère. Mais ça, c'est à cause de Papa. De lui et de ses conseils.  Nous avons déjà eu par le passé cette discussion à propos des chercheurs d'or. Il m'a dit doucement, alors que cette même colère grondait à l'intérieur de moi : « Tu dois te méfier car ils sont imprévisibles, mais tu ne dois surtout pas haïr. On ne doit jamais haïr, nous, nous sommes au-dessus de ça. On ne les connaît pas tous, mais on peut parvenir à les comprendre. Après tout, eux aussi cherchent quelque chose de précieux ». Cela me rappelle l'histoire qu'il m'a un jour raconté, à propos d'un chercheur d'or qu'il a rencontré avant que je naisse. 

Papa était la connaissance de quelqu'un. Celui d'un chercheur d'or. 

Comme moi, il l'observait seulement par curiosité, n'osant pas trop s'approcher. Puis, à force de le voir tous les jours, il finit par réduire cette distance qui les séparait. Ils étaient alors devenus collègues de trous, creusant tous les deux, et parfois côte-à-côte, afin de trouver ce que chacun convoitait. Ils ne parlaient pas la même langue, mais cela ne les dérangeait pas pour communiquer, Papa comprenant les signes que lui faisait le chercheur d'or et ce dernier interprétant ses gestes à lui. 

Papa m'a aussi révélé une chose qui m'a bien surprise ; les chercheurs d'or savent écouter.  tic-tac tic-tac 

Cet objet que le chercheur d'or emportait toujours avec lui et dont les différentes aiguilles filaient comme des lapins était devenu un son bien distinct pour Papa. Il s'agissait d'une montre. Nous, nous n'en avons pas besoin puisque le soleil est pour nous notre seul repère. Papa m'a expliqué que ce son ouvre à une danse répétée par cœur par tous ceux en possédant une. Le trottinement des aiguilles imitent le bruit des pas afin de les conduire à un lieu déjà défini. C'est un chant simple, monotone, parfois même ennuyant, mais qui quelquefois, se veut pressant et épuisant. Plus les aiguilles semblent s'affoler, plus on doit aller vite. Parce que ce tic-tac est un joli son tout de même. C'est le son qui nous prouve qu'on est toujours en train de danser. Cette danse, c'est la chorégraphie de la vie. C'est pourquoi tous sont pressés d'exécuter les pas qu'il faut. Car il y en a encore des centaines et des milliers qui attendent d'être fait, en plus de ceux qui ont été mal fait et qu'il faut recommencer correctement. Mais après tout, c'est ça la vie. Seulement une succession de pas ratés ou réussis et de notes harmonieuses ou odieuses. 

 Papa, lui, voyait les choses différemment et moi qui suis sa fille, je partagerai toujours son point de vue. Pour lui, ce son qu'il entendait n'était que l'appel d'un chant de rencontre et d'une danse de fête. Il se mettait à tendre l'oreille, attendant avec impatience le retour de ce chercheur d'or. Finalement, lui aussi a fini par comprendre, et s'est mis à faire balancer sa montre dans tous les sens à chaque fois qu'il venait afin de guider les pas de Papa. Ils riaient tous deux sans se parler, partageaient leur trouvaille sans marchander. Ils avaient arrêté de venir dans les bois pour chercher, et venaient seulement pour profiter de ce qu'ils avaient déjà trouvé. 

Une amitié. 

J'ignore pourquoi je m'obstine autant. Pourquoi je suis autant intéressée par lui. Est-ce parce cette façon de s'acharner qu'il a, de creuser encore et encore sans se décourager malgré la chaleur et la sueur, me fait-elle penser à Papa ? Est-ce parce que malgré tout, j'ai envie qu'il trouve quelque chose ? Parce que je sais à quel point c'est affligeant de rentrer les mains vides? De contempler les regards déçus de mes petits frères et sœurs et celui désolé de Maman ? Parce qu'on se lève tous le matin pour faire un pas de plus en avant et que remarquer qu'on a fait du surplace nous est insupportable. La nuit, c'est fait pour rêver, mais quand on travaille si dur et qu'on constate que ça n'a servi à rien, on est rongé par l'inquiétude à un point où on ne parvient pas à fermer l’œil jusqu'à l'aube. 

C'est pour ça, c'est seulement pour cette raison que je veux qu'il trouve, même si je pense que ses efforts sont vains. Je suis la mieux placée pour le savoir, cela fait des jours, des semaines et des mois que je creuse, ne découvrant que le nécessaire pour nous garder en vie, ma famille et moi. Mais après tout, l'eau est différente de l'or. Peut-être finira-t-il par tomber sur cette chose qui ne m'intéresse pas. Je n'ai jamais vu d'or de ma vie, Papa m'a dit que c'était de la même couleur que le soleil. Il est alors normal que la terre qui recouvre et assombrit tout empêche l'or de briller comme il le souhaite. On ne trouve de soleil que dans le ciel, il n'y a rien sous la terre. Finalement, peut-être qu'on ne trouve des trésors qu'à condition de lever les yeux, et non de les garder sans cesse sur le sol. 

Soudain, le chercheur d'or pousse un cri tout nouveau. Ce n'est pas de la frayeur, ni de la colère. Même si je suis loin, je suis suffisamment près pour sentir qu'il n'y a aucune émotion négative qui le recouvre. En plissant les yeux, je remarque que les pointes de sa bouche sont recourbées vers le haut tandis qu'il enfonce sa main plus profondément dans le trou. Je vois quelque chose luire sous les rayons du soleil dans le creux de sa main, parmi les traces de terre et de poussière. Lui, semble heureux, moi, je ne suis qu'intriguée. C'est vraiment petit, cette chose qu'il tient avec tant de ferveur. Mais d'un autre côté, je ne suis pas en position de critiquer, sachant que moi-même, je me contenterai de la moindre goutte d'eau si cela peut me permettre d'un peu étancher ma soif. 

Pour la première fois depuis des heures, je le vois se redresser de toute sa hauteur. Dans sa main, se trouve l'or tandis que dans une autre, il y a une grosse pierre. Le chercheur d'or cogne doucement les deux minéraux ensembles, comme pour vérifier la véracité de son trésor. Mais alors qu'il recommence une deuxième fois, le petit soleil se fissure avant de tomber en miettes. Finalement, ce n'était qu'une pierre qui ressemblait à de l'or à cause de sa couleur et de sa lumière, mais qui n'avait rien à voir avec ce qu'il recherchait. 

Le chercheur d'or jette la pierre avec violence et comme si ça ne suffit pas, il donne un coup de pied dans la terre et les graviers en poussant des cris de colère. Je pensais qu'il allait continuer à maltraiter le sol, mais c'était avant de ne le voir s'effondrer complètement. Ses jambes le lâchent soudainement, comme si elles ne pouvaient plus supporter le poids de tous ces échecs et de ces espoirs brisés en morceaux. Je le vois grelotter alors qu'il doit sûrement mourir de chaud, une main s'agrippant à ses cheveux comme pour se les arracher. C'est malheureux, mais c'était prévisible car au fond de moi, je savais qu'il ne trouverait rien. Exactement comme moi je n'ai rien trouvé. Pourtant, Papa me disait toujours qu'en tant que chercheur d'eau, il fallait persévérer. Que nous n'avions pas le choix car il en valait de notre survie. Que l'eau était la seule chose que toutes les créatures vivantes de ce monde recherchent, qu'elles soient petites, grandes, intelligentes, stupides, sociables, solitaires, nomades ou immobiles. Il me disait et me répétait : « un jour, l'eau viendra toute seule jusqu'à nous, et ce jour-là, c'est toute la forêt qui dansera, même les chercheurs d'or ». 

Je n'ai donc pas à m'en faire, même si je ne trouve rien aujourd'hui je continuerai de persévérer, ainsi est ce mon quotidien. Et ça me va très bien comme ça. 

Mais lui qui est en train de sangloter, a-t-il toujours la force de persévérer ? 

Ce ne sont pas mes affaires, je n'ai donc pas à m'en mêler. S'il n'a plus envie de chercher, c'est tant mieux, au moins il ne viendra plus dans ma forêt. À vrai dire, cela ne me dérange pas qu'il vienne. Nous, ceux qui avons pour habitude de se cacher dans les bois, nous tolérons n'importe quelle présence, quelle qu'elle soit. Alors il est normal qu'en échange, nous désirons que tous respectent ce qui nous sert de foyer. Les chercheurs d'or n'ont jamais su le respecter comme il le fallait, c'est pourquoi je préférerai qu'ils partent tous. 

Mais bizarrement, lorsque je le vois comme ça, je me sens de plus en plus curieuse.  Alors qu'il me semblait effrayant il y a quelques instants, voilà que je le trouve vulnérable.

De plus, j'ai beaucoup de peine. Peut-être est-ce parce que cette image ne m'est pas inconnue. Les nuits d'hiver, j'avais souvent froid lorsque j'étais petite, si bien que je frissonnais autant que lui. Mais contrairement à lui, j'avais toujours quelqu'un qui venait se frotter à moi pour me réchauffer. Papa, Maman, mes aînés et aussi mes cadets, tous venaient parfois se blottir contre moi, me faisant oublier à quel point j'étais frigorifiée. 

Sans que je ne m'en aperçoive, je fais un pas en direction du chercheur d'or, puis un autre et encore un autre. Finalement, il n'y a plus rien pour me cacher, et je finis par me montrer complètement à ses yeux. Ce dernier me jette à peine un regard, comme s'il se doutait déjà de ma présence ici. Il ne fait rien d'agressif, et en réalité, je sens qu'il ne compte pas l'être. Alors je m'approche encore. Encore tout doucement. Et puisqu'il continue de grelotter, je décide de poser mon corps contre le sien. 

Au début, je le sens tressaillir à notre contact, comme si je l'avais mordu, mais il se détend rapidement sans s'éloigner de moi. Il pose une main sur ma tête et doucement, se mit à me la caresser. Je le laisse faire, je sens qu'il en a besoin. Il a besoin de faire passer ses doigts autre part que dans la terre. Il lui faut toucher quelque chose de plus doux et qui ne risque pas de le blesser. Nous ne nous parlons pas, nous n'en avons pas besoin et de toute manière, je doute que cela nous soit très utile. Tout ce dont nous avons besoin de comprendre, nous le comprenons sans qu'on n'ait besoin d'exprimer des mots. 

Je tourne la tête vers son visage, et c'est là que je la vis. 

Au coin de ses yeux, quelque chose est en train de briller, mais ce n'est ni le soleil, ni de l'or. C'est une goutte d'eau. 

Au final, il a vraiment fallu que je lève les yeux pour trouver ce que je cherchais avec acharnement.  Bien évidemment, ce n'est pas suffisant pour m'abreuver complètement, moi ainsi que toute ma famille. Toutefois, j'ai bien dit que je me contenterai de la moindre goutte d'eau. Celle-ci coule le long de la joue du chercheur d'or que j'approche avec envie. Là, tendrement afin de ne pas l'effrayer, je colle ma bouche contre sa joue, sortant un peu la langue pour y récupérer la perle d'eau. 

Il me regarde avec incompréhension, puis doucement, il enfouit son visage dans mon cou, continuant à sangloter. Je sens les gouttes d'eau qui partent de ses yeux me mouiller, encore et encore. C'est un peu différent de l'eau que j'ai l'habitude de boire, mais cela me permet de me rafraîchir un peu. Alors je ne bouge pas, pour ça, mais aussi parce qu'une partie de moi ne peut pas le laisser tout seul alors qu'il est si triste. Il finit au bout d'un moment par se détacher de moi, me caressant une dernière fois la tête comme pour me remercier. 

Sur son visage, il s'est affiché la même expression que lorsqu'il avait cru trouver de l'or. Il est heureux, et cela, parce qu'il a enfin trouvé quelque chose. 

Je pensais qu'il ne trouverait rien, mais lui continuait à chercher. Et finalement, ce qu'il trouva, il ne le chercha pas au départ. 

Mais c'est quelque chose dont il avait besoin. Plus essentiel que l'or. Aussi précieux que l'eau.  Ce qu'il trouva et ce que je lui offris, c'était de la gentillesse. 

Nous nous séparons au moment où j'aperçois un autre chercheur d'or venir à nous. Celui-ci aide le premier à se relever avant de me regarder. Les yeux brillants, il sort une montre de sa poche qu'il se met à balancer sous mes yeux. Une montre cassée. 

C'est alors que je me rends compte de quelque chose : malgré le soleil encore haut dans le ciel, il fait incroyablement sombre. 

ploc-ploc-ploc 


Un son, un seul. Un qui ouvre à une danse de joie partagée et à un chant d'espoir retrouvé. Ce son, qui pour nous est si mélodieux et qui précède de nombreuses gouttes d'eau qui nous tombent dessus, remplit mon cœur de bonheur. Car nous, les miséreux, les laissés de côté, ceux dont la vie ne vaut rien comparée à quelques miettes d'or, nous tous nous pourrons danser et chanter ce soir, profiter de ce simple bonheur, le cœur uni, et ce malgré nos différences. Et c'est pour cette raison que ça nous va très bien comme ça. 

De l'autre côté, je vois les deux chercheurs d'or en train de discuter dans une langue que je ne comprends pas. Puis le premier me pointe du doigt tout en parlant à celui à la montre cassé: 

 – Pourquoi le regardes-tu avec une telle tendresse ? 

Avant de lui répondre, celui à la montre se met à sauter et à courir sous la pluie, l'air d'un fou heureux.  « Un jour, l'eau viendra toute seule jusqu'à nous, et ce jour-là, c'est toute la forêt qui dansera, même les chercheurs d'or », avait dit Papa. 

Papa était un peu prophète. 

C'est juste, dit celui à la montre, qu'il me rappelle un autre renard que j'ai rencontré il y a quelques années. 

Mais surtout, Papa était sage.



Emma D. 



PUBLICATION DU 30 OCTOBRE 2023

Aujourd'hui le monde se meurt… et je n'ai pas les mots 

4 minutes

22 octobre 2023


Aujourd'hui le monde se meurt… et je n'ai pas les mots 


Pourtant je devrais, non ? Avoir les mots je veux dire. 

Je devrais avoir les mots puisque j'aspire à devenir journaliste et que c'est justement l'essence même de ce métier : poser des mots sur les maux du monde. 


Mais comment réussir cela ? 


Comment, tout d'abord, réussir à choisir sur quoi écrire ? 

Des sujets il n'en manque pas me diriez-vous ! Mais le problème est justement là ; il y en a trop. 

Trop parce qu'un rien me révolte. Trop parce que tout me révolte ces derniers temps. 

Il y a trop de choses à dire, que je ne sais par où commencer. 

Chaque jour, des événements plus atroces les uns que les autres, se produisent, s'accumulent et se multiplient. 

Je suis prise de court dès qu'une nouvelle tombe, plus anxiogène que la précédente, je me sens prise au piège car à chaque fois je me fais avoir et suis estomaquée davantage par la bêtise humaine -quel stade d'estomaquement vais-je d'ailleurs atteindre ? Mes limites semblent être repoussées à l'infini.

Alors comment choisir le sujet dont je vais traiter ? Pourquoi l'un et pas l'autre ? 

Comme il m'est impossible de les hiérarchiser pour n'en sélectionner qu'un, il m'est donc également impossible de prendre la plume.


Mais, me direz-vous, pourquoi donc t'obstiner à vouloir parler d'actualité ?  

Certes, vous avez raison, rien ne m'y contraint mais aujourd'hui tout le reste me semble sans grand intérêt, futile oserai-je même dire. 


Alors si, je parlerais bien de l'actualité parce qu'il n’y a que ça qui m'importe en ce moment. 

Parce que contrairement à d'habitude, je n'arrive plus à prendre de la distance avec cette pluie de mauvaises nouvelles. C'est pourtant ce que nous devons faire pour protéger un minimum notre santé mentale, mais aujourd'hui, moi, je ne peux pas. Cela va au dela même de ma propre volonté, j'en suis tout simplement, tout bonnement, incapable. 

Alors j'ai décidé que c'était "ok". J’ai décidé que oui, pendant quelque temps je ne mettrais plus de côté tout cela et que non, je ne prendrais pas de distances avec toutes ces choses là. 

Parce que comment pourrais-je accepter de rester impassible face à ces horreurs et notre monde qui se meurt ? 



Bref, maintenant que je me résigne à "choisir" et à écrire sur une des problématiques actuelles. Comment trouver les mots ? 

Parfois, je crois que les mots ne suffisent pas ; pourtant je suis bel et bien une de ces personnes foncièrement convaincue que leur pouvoir est incommensurable. 

Cependant  aujourd'hui c'est une évidence, les mots ne suffisent plus. 

Parce que comment pourrait-on poser de si petits mots sur de si grandes souffrances ?
En effet, je crois que les 90 000 termes composant notre chère langue française ne peuvent décrire la barbarie de ce monde. Aucun mot n'est assez fort, n'est assez puissant, n'est assez juste pour évoquer la mort de 6000 personnes dont plus de 2400 enfants à Gaza. 

Pour évoquer l'assassinat du professeur Dominique Bernard à Arras, et ce, trois ans quasiment jour pour jour après celui de Samuel Paty qui enseignait la liberté. 

Pour évoquer le projet anachronique, écocidaire, lunaire de l'A69 qui semble se concrétiser malgré la mobilisation de dizaines de milliers de personnes dont des milliers de scientifiques. 

Pour évoquer les violences patriarcales systémiques qui font des centaines de victimes chaque année en France : dernière de la liste Séverine, victime du 100ème féminicide depuis le 1er janvier. 


Non, les mots ne suffisent plus à contenir cette colère qui bouillonne en moi, cette rage qui grandit chaque jour. La jeunesse me diriez-vous ? 

Oh si seulement on pouvait la tenir responsable de tout ce courroux.



Non, je crois que le monde se meurt et que les mots ne suffisent plus.




Mais attendez, je ne peux terminer sans une note d'espoir, cela ne me ressemblerait pas. 


En fait, peut-être que se sont seulement les mots couchés sur papier qui ne suffisent pas. 

Que se passerait-il si nous les hurlions ? Peut-être devrions nous essayer ? 

Hurler, hurler à s'époumoner et peut être que là, à ce moment-là, on nous regardera ?  



Aujourd'hui notre monde se meurt et je n'ai pas encore les mots . 

Mais je les trouverai et soyez en assuré, je les hurlerai. 



Clémentine Lagrave