« La guerre, c'est la paix. La liberté, c'est l'esclavage. L'ignorance, c'est la force.» *George Orwell, 1984
Lorsque George Orwell écrit 1984 en 1949, il imagine un monde où le langage, manipulé et appauvri par le pouvoir, devient un outil de contrôle absolu. Il invente alors le concept de la novlangue, une langue réduite à sa plus simple expression, où les mots et les idées sont vidés de leur sens. Le but ? Empêcher toute réflexion critique et toute contestation.
Si 1984 reste une fiction, la novlangue, elle, est bien réelle. Aujourd’hui, elle prospère sous d'autres formes, particulièrement dans notre système capitaliste et nos entreprises. Manipulation du langage, détournement des mots, euphémismes à outrance… La novlangue moderne est devenue un outil redoutable pour désamorcer toute critique sociale et masquer les réalités brutales du monde du travail.
Le système capitaliste a tout intérêt à maîtriser le langage pour orienter les comportements, limiter les contestations et invisibiliser les inégalités. En travestissant la réalité, il rend acceptable ce qui ne devrait pas l’être. Quelques exemples :
« Plan social » devient « plan de sauvegarde de l’emploi » : Un licenciement massif est présenté comme une mesure pour «sauver» l’emploi. Le drame humain est écrasé par la réthorique d’une prétention de solidarité.
« Flexibilité » cache précarité : Derrière la promesse de souplesse pour les employés, c’est surtout une variable d'ajustement pour les employeurs, qui imposent des horaires déréglés et des contrats jetables.
« Temps partiel choisi » masque temps partiel subi : L’employé est présenté comme acteur de son sort, alors qu’il subit une réduction de ses heures pour servir la rentabilité.
« Talent », « collaborateur », « ressource humaine » : Autant de termes qui aseptisent la relation de travail et occultent les rapports de domination. Le salariat n’est plus reconnu comme un rapport d’exploitation, mais comme une collaboration harmonieuse.
Le langage managérial, en s’imposant dans le vocabulaire courant, impose une vision du monde où le travailleur doit être positif, engagé et surtout adaptable. La critique devient un « manque de motivation », la fatigue un « manque de résilience ». Les mots tuent l’analyse.
Les entreprises modernes ne se contentent plus de régner sur le temps et l’énergie des salariés. Elles investissent également leur langage pour façonner leurs pensées. La novlangue managériale repose sur des objectifs clairs :
Dédramatiser les réalités du travail : L’« optimisation des effectifs » remplace les licenciements. La « montée en compétence » signifie souvent davantage de charge de travail sans augmentation de salaire.
Neutraliser la pensée critique : Le langage managérial utilise des termes flous ou positifs (« challenge », « défi », « projet innovant ») pour cacher des réalités difficiles (pression, objectifs inatteignables, risques psychosociaux).
Individualiser les problèmes collectifs : Le mal-être au travail devient une « faiblesse personnelle ». L’employé doit être « agile », « positif », sous peine d’être pointé comme résistant au changement.
L’usage de la novlangue participe à un double mouvement : masquer les oppressions systémiques et culpabiliser individuellement chaque travailleur. Le langage n’est pas anodin : il transforme notre perception du monde et nous enferme dans un récit préécrit par la hiérarchie.
La novlangue n’est pas seulement un outil de langage : c’est une arme de contrôle au service des puissants, un moyen de travestir les réalités pour mieux exploiter les travailleurs. En réduisant les mots à des coquilles vides et en imposant un vocabulaire aseptisé, le capitalisme cherche à nous désarmer et à invisibiliser les luttes.
En tant que syndicat de lutte, notre mission est claire : refuser le détournement des mots, redonner aux faits leur vérité et aux travailleurs leur voix. Dénoncer la novlangue, c’est refuser de laisser le patronat dicter notre perception du monde. C’est un acte de résistance collective. Ensemble, faisons tomber les masques et reconquérons le langage pour reconquérir nos droits.
Quelques exemples et
pour aller plus loin dans la Novlangue :
George Orwell – 1984 (1949) : La novlangue est le pilier du totalitarisme, où le vocabulaire est réduit pour empêcher toute pensée critique. Le « Ministère de la Vérité » ment, la « guerre » est appelée « paix ». Le pouvoir contrôle les mots pour contrôler les esprits.
Aldous Huxley – Le Meilleur des mondes (1932) : Une société où les euphémismes et la positivité obligatoire (« tout va bien ») empêchent de voir la domination et l'aliénation.
Ray Bradbury – Fahrenheit 451 (1953) : L’incendie des livres vise à détruire la réflexion et à créer une société soumise où le langage perd son sens.
« Dommages collatéraux » : Utilisé par les gouvernements pour parler des victimes civiles lors de frappes militaires. Un euphémisme qui déshumanise les tragédies.
« Opération spéciale » : Terme employé pour masquer la réalité d’une guerre, comme dans les discours russes récents.
« Plans d’ajustement structurel » (FMI) : Derrière ce langage technocratique, des coupes budgétaires drastiques qui appauvrissent les populations.
En politique, la novlangue sert à adoucir ou maquiller les réalités violentes pour manipuler l’opinion publique.
« Plans sociaux » : Terminologie relayée par certains médias pour éviter de parler de « licenciements massifs ».
« Réformes nécessaires » : Un langage médiatique souvent utilisé pour présenter des reculs sociaux (réformes des retraites, du chômage) comme inévitables et positifs.
« Chômeurs fainéants » ou « assistanat » : Une novlangue médiatique qui culpabilise les plus précaires et invisibilise les responsabilités des politiques économiques.
Dans les médias, la novlangue est un instrument pour construire un récit favorable aux dominants et orienter l’opinion.
Le langage est une lutte. Gagnons-la ensemble !
Voici quelques sites et ressources pour développer votre sens critique face à la novlangue :
### **Sites et médias critiques :**
1. **Le Monde Diplomatique** : Analyse des discours politiques, économiques et médiatiques. Un excellent média pour décrypter les manipulations du langage.
(https://www.monde-diplomatique.fr
2. **Acrimed (Action Critique Médias)** : Ce site analyse les biais médiatiques, les termes trompeurs et la novlangue journalistique.
3. **Basta!** : Média indépendant engagé qui dénonce les abus économiques, sociaux et environnementaux, tout en décryptant les discours dominants.
4. **Frustration Magazine** : Un média qui questionne les discours capitalistes, managériaux et politiques avec un ton accessible et critique.
https://www.frustrationmagazine.fr
### **Ressources éducatives et critiques :**
5. **Les vidéos de "Thinkerview"** : Entretiens longs et critiques avec des intellectuels, économistes et journalistes qui décryptent le langage du pouvoir.
6. **La Quadrature du Net** : Pour comprendre comment le langage et les discours influencent nos libertés numériques et individuelles.
7. **Attac France** : Organisation qui lutte contre les discours économiques néolibéraux et la manipulation des réalités sociales.
8. **Les travaux de l’Université populaire de Michel Onfray** : Des réflexions philosophiques pour décortiquer les mécanismes du langage et de la domination.
Pour aller encore plus loin, c'est ICI