Dracula

Dracula n'est pas le premier roman fantastique à exploiter le thème du vampire : dès 1819, John Polidori publie The Vampyre inspiré d'une idée originale de Lord Byron. Le roman Dracula marqua pourtant une étape cruciale dans la littérature fantastique et en particulier celle abordant le thème des vampires. Le succès du livre Dracula écrit par l’irlandais Stoker et la popularité du personnage en attestent encore aujourd'hui. Plus que le sens du récit et la maîtrise du suspense de Stoker, c'est la personnalité de son personnage principal qui fait le mythe. Le comte Dracula, au-delà de la créature d'épouvante aux pouvoirs surnaturels, est avant tout un être humain damné, un non-mort. En effet, Dracula est un monstre mais est aussi un réprouvé, un rejeté de Dieu, une personne à craindre mais aussi à plaindre. Cette complexité du personnage de Dracula renouvelée par des thèmes modernes chers à la psychanalyse comme l'association d'Eros et de Thanatos - du désir sexuel et de la mort - ou le questionnement des limites (entre la bête et l'homme, entre la vie et la mort ou entre le Bien et le Mal...) en feront un mythe moderne que le cinéma contribuera à amplifier comme toujours.

Mon propos n’est pas de faire une énième psychanalyse de Dracula (la charge sexuelle du vampire plantant ses crocs dans le cou des vierges effarouchées est évidente) mais de le mettre en perspective comme mythe au regard des maux qui rongent notre civilisation et en particulier de l’énorme dette que nous léguons à nos enfants. En inter-changeant le sang pour de l’argent Dracula nous plonge dans une vue marxiste du monde. Non seulement le petit Karl est né le même jour que l’idée du roman The Vampyre mais de plus à ma grande surprise Marx lui même avait fait dans Le Capital le rapprochement que je trouve évident entre le capitalisme et le vampirisme.

« Le capital est du travail mort, qui ne s'anime qu'en suçant tel un vampire du travail vivant, et qui est d'autant plus vivant qu'il en suce davantage. »

Le Capital, Karl Marx (trad. Jean-Pierre Lefebvre (dir.), éd. Quadrige / PUF, 1993 (ISBN 2-13-045124-1), chap. VIII (« La Journée de travail »), Les limites de la journée de travail, p. 261 (voir la fiche de référence de l'œuvre) (texte intégral sur Wikisource)

Le vampi-capitalisme

Les vampires ne sont autres que des financiers. En plantant le premier pieu dans une terre qui ne nous appartient pas personnellement pour signifier la propriété privée nous les avons réveillés. Mais il faudra attendre le 19ème siècle et l’instauration du capitalisme pour qu’ils prennent pleinement leur essordans notre imaginaire tels que nous les connaissons aujourd’hui. Le financier fait travailler à la fois les autres et le temps pour lui. En s’arrogeant ce droit il est rejeté par Dieu. A l’instar de Dracula, le financier est l’homme de l’ombre comme le comte il vous enferme dans son château. Celui du travail sans fin pour le servir .

Un mal viral

L’histoire de Dracula commence ainsi. Jonathan Harker est un jeune avocat qui travaille pour le compte de M Hawkins. Il est fiancé à Mina Murray. Il se rend en Transylvanie auprès du comte Dracula pour affaires. La chose est entendue, sans affaires point de vampires . C’est notre affairisme qui nous jeté dans la gueule des vampires qui n’ont qu’à se baisser pour nous planter leur canines dans nos cous tendus. Mais ce qui pourrait n’être qu’une sordide histoire de meurtre au fin fond des Carpates prend une dimension tout autre quand on réalise que le vampirisme comme le capitalisme ne vous tue pas totalement mais fait de vous un prédateur auprès de ceux qui n’y auraient pas goûté.

Quand il n'y aura plus de sang frais

Le capitalisme est viral, le communisme ne l'est pas, il n’avait aucune chance contre un prédateur aussi féroce et ne renaîtra que le jour où notre monde sera exsangue. Le vampirisme n’est pas une histoire sans fin. Un monde peuplé que de vampires ne peut survivre et nous n’en sommes pas loin. Pour faire simple disons que le stock de sang disponible est directement proportionnel à notre capacité d’endettement au niveau mondial .On peut lire dans le manifeste du parti communiste les phrases suivantes : « La condition essentielle d’existence et de suprématie pour la classe bourgeoise est l’accumulation de la richesse dans des mains privées, la formation et l’accroissement du capital ; la condition du capital est le salariat. …Poussée par le besoin de débouchés toujours nouveaux, la bourgeoisie envahit le globe entier. Il lui faut pénétrer partout, s'établir partout, créer partout des moyens de communication. La bourgeoisie produit avant tout ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables. »

C’est le capitalisme par sa propre autodestruction qui amènera la victoire des hommes enfin libre du salariat et imposera la nécessité de l’usufruit plutôt que de la propriété pour créer un monde plus égalitaire.

Le capitalisme nous a conduit à toute vapeur dans un monde utilitariste, où le beau et l’harmonie ont peu de place, où ce qui est bien c’est ce qui marche. Si ce monde de Dracula qui est le nôtre et des hordes de vampires nichant dans les banques d’affaires qui en découlent nous conduit à des inégalités épouvantables (on peut noter que le monde des vampires est extrêmement aristocratique et hiérarchisé tout comme la haute finance), il a l’immense mérite de démultiplier nos capacités d’innovations technologiques (représentées par les pouvoirs surnaturels dont jouissent les vampires face aux humains). Par le truchement de la technologie, le capitalisme, comme le vampirisme, nous apporte des pouvoirs quasi surnaturels. Leur appétit est capable de faire imploser les état providences qui n’ont plus les moyens de soutenir la misère engendrée par le vampi-capitalisme mondialisé.

Mais entre repli nationaliste et implosion des états ne vaut-il pas mieux opter pour la seconde option et laisser les vampires accomplir leur destin afin que l’histoire de notre monde aille de l’avant pour nous laisser un monde certes initialement misérable mais enfin internationalisé comme le souhaitait notre bon aubergiste Karl Marx (qui nous avait prévenu il y a fort longtemps de ne pas monter au château voir le comte pour faire affaires). Ainsi nous pourrions envisager le devenir de l’humanité maître d’une technologie que nous aurons payé très cher (une déflation mondiale ça fait mal) mais dont les trésors de productivité nous éviterons le salariat au nom de la gratuité de vivre. Comment en serait-il autrement, la crise financière qui nous attend va faire perdre toute valeur à l’argent il faudra bien alors survivre gratuitement. Le travail spécialisé d’aujourd’hui deviendrait une pluri-activité et ne serait dictée que par notre envie de bien faire ou de mieux vivre. Par la faillite du monde financier et si notre civilisation en réchappe l’homme ne sera plus la chose du capitalisme le sérieux s’envolera avec les derniers vampires et nous retrouverons notre âme d’enfant. L’homme ne sera plus au service du capital, la technologie sera enfin au service de l’homme. Nous aurons finalement tourné la page du capitalisme sauvage, une ère Humaniste (le mot communisme ayant déjà trop servi) s’ouvrira. La propriété privée sera interdite pour que jamais les vampires ne se réveillent à nouveau. Notre valeur sera le temps et non plus l’argent. L’intelligence sera enfin vue comme une opportunité de donner plus, plutôt que l’occasion de demander d’avantage. Vivement demain.

Les vampires et leur attirails

L’ail

L’ail représente les paysans, le peuple, tout ce que la bourgeoisie citadine renie et que les vampires nés dans son rang exècrent. Le bas de laine est l’ennemi des vampires, la dette est leur plus sûr allié.

Le crucifix

Le crucifix est bien sûr une représentation du bien ou de dieu. Pour ma part je ne pense pas que les vampires eussent des comptes à rendre à dieu et ils se fichent pas mal du bien ou du mal puisque leur dessein est purement utilitaire. En revanche mon analyse de la crucifixion au-delà de l’idéologie chrétienne est de la voir comme un processus qui consiste à immobiliser sa victime afin qu’elle s’asphyxie doucement par son propre poids. J’assimile donc volontiers la crucifixion à la peur du ridicule qui conduit à l’immobilisme et finalement à notre propre asphyxie. Le monde des affaires comme celui des vampires ne supporte pas la vue du ridicule dont ils ont peur car ils sont sérieux. Peut-on imaginer plus triste et sérieux qu’un banquier ? Le capitalisme est une idéologie et il n y a pas d’idéologie sans sérieux. La banque mondial et le Vatican des vampires.

Le miroir

Le miroir qui ne réfléchit plus leur image me semble lui en revanche plus porteur de conscience morale que le crucifix. Les vampires n’ont que faire de dieu (puisqu’il ne sert à rien) mais sont tourmentés par leur propre mal il sont encore humain. On ne compte plus les histoires de vampires qui tentent de ne pas contaminer leur entourage pour leur épargner le mal dont ils souffrent. Bien que puissant, le peu d’estime qu’ils ont d’eux-mêmes est telle, qu’ils ne peuvent plus se voir dans une glace.

Le pieu

La seule manière de vaincre un vampire est de lui planter un pieu d’argent dans le cœur. Là encore la symbolique est simple et donne raison à Karl Marx. Le pieu symbole de la propriété et l’argent symbole de la spéculation foncière sont les seules choses que nous devons retourner contre eux pour abolir le temps des vampires.

La lumière du soleil

Enfin la lumière (allégorie de l’opinion publique) est inacceptable puisque l’enrichissement personnel qui est finalement et tristement la seule raison de leur aveuglement fasse au mal qui découle de leur affairisme. Ce mal doit se faire dans l’ombre pendant que les politiques et leurs marionnettes agitent les bras dans la lumière de l’opinion pour perdurer. Régulée et transparente la finance aurait pu être vertueuse, ce ne sera pas le cas.