Les choix de lecture des invités de la saison 2013-2014

Julien Alleau recommande :

Andrew Christian Isenberg, The Destruction of the Bison : an Environmental History, 1750-1920, Cambridge, Cambridge University Press, 2000. Voir le site de l’éditeur.

« C’est un exemple important de ce qu’est l’histoire, une investigation qui révèle une diversité des sources, croisement, complémentarité, etc. C’est en même temps un livre qui tient compte de la complexité interelationnelle entre hommes et animaux : les Indiens, les différents colons (et les groupes sociaux), les bisons, l’environnement. Par ailleurs, l’auteur ne sépare pas ses approches. On voit apparaître l’économie, la sociologie, la culture, l’environnement, etc. Le tout est bien préparé et constitue un modèle d’histoire de l’environnement made in America. »

Sylvain Amic recommande :

Patrick Boucheron, Conjurer la peur, Sienne, 1338. Essai sur la force politique des images, Paris, Seuil, 2013. Voir le site de l’éditeur.

Cet ouvrage constitue une « remarquable étude [sur la fresque dite du « Bon gouvernement » d’Ambrogio Lorenzetti,] une œuvre qui marque l’histoire de l’art en Occident d’un jalon majeur. Le livre restitue à cette œuvre toute son actualité, en la replaçant dans l’histoire d’une lutte pour préserver un modèle de gouvernement, et la met en résonance avec l’actualité d’aujourd’hui. Il y a bien longtemps que l’art siennois n’avait paru si actuel. »

Yannick Bosc recommande :

Ludovic Frobert et George Sheridan, Le Solitaire du ravin. Pierre Charnier canut lyonnais et prud’homme tisseur, Lyon, ENS éditions, 2014. Voir le site de l’éditeur.

Pierre Charnier (1795-1857) était un ouvrier en soie de Lyon, un canut, il œuvra à la fondation du premier mutuellisme des tisseurs puis devint un de leurs représentants au conseil des prud'hommes où il siégea de 1832 à 1857. Il fut aussi un journaliste dans la petite presse ouvrière de l'époque, un journaliste signant du pseudonyme « Le Solitaire du ravin ». « L’ouvrage confirme que nous avons hérité de catégories historiographiques qui nous empêchent de penser (comme celle de "révolution bourgeoise"), que la grande chorégraphie libérale de la "modernité" porte atteinte à la liberté, ce que dénoncent les canuts qui opposent leur expertise à celle des "experts" officiels, se décrivent comme des "jardiniers libres" et veulent "moraliser les négociants". On peut s'en faire une idée en lisant aussi (et en ligne) leur journal : L’Écho de la Fabrique. »

Éric Durot recommande :

Michael W. Bruening, Le Premier champ de bataille du calvinisme. Conflits et Réforme dans le pays de Vaud, Lausanne, éditions Antipodes, 2011 [traduction]. Voir le site de l’éditeur.

« L’histoire de la Réforme en pays de Vaud est assez méconnue ; le territoire est un champ de bataille entre réforme calviniste et réforme bernoise (de type zwinglienne), en comptant encore avec une troisième force, la religion catholique, à laquelle sont attachés encore de nombreux vaudois. Synthétique mais riche, l’ouvrage démontre aussi une problématique importante pour le cas français (p. 255) : "avec l’antipathie croissante de Berne pour Genève et surtout pour Calvin, il n’était pas opportun que les pasteurs poussent à adopter une forme calviniste de discipline ecclésiastique dans le pays de Vaud. Mais c’est précisément ce qu’ils firent. Leur échec tua le calvinisme dans la région ; les pasteurs bannis allaient rejoindre les rangs des missionnaires genevois et renforcer ainsi l’idée que l’avenir du calvinisme résidait en France". »

Hélène Frébourg recommande :

Michel Pastoureau avec Dominique Simonnet, Le petit livre des couleurs, Paris, Seuil, 2014 [réédition].Voir le site de l’éditeur.

Charles Ridel recommande :

Jacques Le Goff, Faut-il vraiment découper l’histoire en tranches ?, Paris, Seuil, 2014. Voir le site de l’éditeur.

« Au-delà de l’émotion que constitue la lecture d’un ouvrage publié quelques semaines avant la mort d’un historien qui aura marqué de son empreinte des générations d’étudiants, ce petit opuscule de Jacques le Goff constitue une leçon de clarté, de modestie et d’érudition sur un outil fondamental de la réflexion et du travail de l’historien : la périodisation historique. Comment en effet découper et périodiser le temps historique ? Sans remettre en cause la nécessité de « périodes historiques », l’auteur nous invite en effet à considérer leur caractère artificiel, culturel et provisoire. C’est également l’occasion pour le célèbre médiéviste de revenir sur l’un de ses combats historiographiques de toujours : non réductible aux "Temps obscurs" dans lesquels certains ont voulu l’emprisonner, le Moyen Âge fut à la fois une période plus étincelante et plus longue qu’on ne le croit. »

Jacques Le Goff, médiéviste, né en 1914, est mort le 1er avril 2014.

Bernard Roussel recommande :

Valentine Zuber, Le culte des droits de l’homme, Paris, Gallimard, 2014. Voir le site de l’éditeur.

« Qui s’arrête par 40° 15’ 19’ de latitude Nord, et 2° 18’ 04’ de longitude Est se retrouve au Champ-de-Mars, à Paris, devant le monument dédié aux Droits de l’homme, œuvre de Ivan Theimer placée là en 1989. Historienne et sociologue à l’École pratique des hautes études, Valentine Zuber s’est aussi placée devant cette inscription contemporaine, offerte à tous les regards, d’une Déclaration qui se voulait déjà universelle, rédigée en août 1789. Son propos est d’abord de s’interroger sur la "fabrique des déclarations des droits" de la Révolution à nos jours. Les pages érudites de la première partie de son livre informent donc sur les avatars de la rédaction, de la réception et des interprétations de la Déclaration des droits jusqu’au milieu du XXe siècle : c’est là un beau révélateur sur le temps long des divers modes politiques et intellectuels de recueil de l’héritage révolutionnaire. Jamais abolie, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 a, au contraire, été protégée et inculquée. Cette pérennité conduit Valentine Zuber à retrouver – c’est la seconde partie de son essai – dans "ces principes généraux (et généreux), philosophiques (et abstraits), les principes constitutifs d’une religion civile républicaine telle qu’elle a été définie par les sociologues américains : un ensemble de croyances, de symboles et de rites relatifs aux choses sacrées portées par une société et échappant au débat". L’école républicaine d’abord, puis récemment l’inscription de la Déclaration dans le "bloc de constitutionnalité" font des Françaises et des Français peu ou prou des fidèles de cette religion civique. On aimera en discuter avec Valentine Zuber ! Cette religion – jamais officiellement proclamée – a ses bigots, ses missionnaires, ses hérétiques, ses opposants, et Valentine Zuber le sait. Elle a, entre autres, le mérite de nous inviter à réfléchir sur notre propre manière d’être inclus dans cet héritage collectif. Implicitement, elle appelle aussi à faire nôtre la forte exigence, incluse dans la Déclaration, de parvenir à un "vivre-ensemble" que les politiques seuls ne peuvent produire. Une exigence que, bien entendu, la Ligue des droits de l’homme (mais quand même !) n’est de loin pas la seule à relayer ! »

Xavier Ryckelynck recommande :

Christophe Charle, Homo Historicus. Réflexions sur l’histoire, les historiens et les sciences sociales, Paris, Armand Colin, 2013, 209 p. Voir le site de l’éditeur.

Et je vous recommande :

Didier Eribon, Michel Foucault, Paris, Flammarion, 2011 [3e édition]. Voir le site de l’éditeur.