De 1764 à 1769 : quelle affaire de Bretagne ?

Résumé

La querelle est d’abord fiscale. La déclaration du 21 novembre 1763, qui crée deux nouveaux sols pour livre sur tous les droits perçus au profit du roi, des États ou des villes, corps et communautés pour une durée de huit ans, est envoyée au parlement de Bretagne à la mi-mars 1764. Elle met le feu aux poudres. Dans le sillage de ce qui a été entrepris à Grenoble, à Rouen ou à Toulouse, le parlement de Rennes entame un bras de fer avec le pouvoir royal et son représentant, le duc d’Aiguillon, commandant en chef de la Bretagne. Commencée en juin, la querelle rebondit à la fin de l’année 1764. Elle se termine provisoirement en mai 1765. Le 22 de ce mois, 85 présidents et conseillers du parlement signent leur acte de démission. Seuls 12 refusent de suivre leurs collègues. Les démis affirment n’avoir d’autre parti « que de remettre à Sa Majesté les titres des offices dont ils ne pourroient remplir les fonctions sans les plus grands inconvéniens pour le roi et les sujets, et sans établir un conflit dangereux entre l’autorité légale et l’autorité arbitraire ».

La situation à l’été 1765 est chaotique. Une gravure insultante pour les conseillers non-démis circule à Rennes : c’est la fameuse gravure des Ifs, où sont entrelacés des J et des F, vite traduits par le mot « jean-f… ». Des billets insultants sont envoyés au comte de Saint-Florentin, secrétaire de la maison du roi, en charge de la Bretagne. À Versailles, on soupçonne le procureur général La Chalotais, dont la cour se méfie depuis 1764.

La réaction royale est tardive. Le « coup de majesté » date de novembre 1765. Dans la nuit du 10 au 11 de ce mois, cinq magistrats du parlement de Bretagne sont arrêtés, dont les procureurs généraux Caradeuc, père et fils. Trois conseillers d’État et douze maîtres des requêtes sont chargés de tenir le parlement. L’année 1766 est marquée par la reconstitution du parlement de Rennes et par le procès des magistrats arrêtés en novembre 1765, finalement exilés par décision royale en décembre 1766.

Les deux années suivantes sont scandées par une série de péripéties d’une rare complexité. C’est le temps des affaires dans l’Affaire. Un long procès se tient à Rennes en 1767-1768. Il y est question d’assemblées illicites de jésuites et de prétendues tentatives d’empoisonnement à l’encontre du procureur général. La justice a beaucoup de difficultés à se dépêtrer de ces affaires.

Le calme provisoire ne revient qu’en 1769. L’ancien parlement de Rennes est finalement rappelé en juillet, un an après la démission du duc d’Aiguillon du commandement de la Bretagne. Seuls les procureurs généraux, Caradeuc père et fils, ne sont pas autorisés à quitter Saintes, la ville où ils ont été exilés en 1766.

Chronologie détaillée

Mi-mars 1764 : transmission au parlement de Bretagne de la déclaration royale du 21 novembre 1763, laquelle crée deux nouveaux sols pour livre sur tous les droits perçus au profit du roi, des États ou des villes, corps et communautés, pour une durée de huit ans.

5 juin 1764 : enregistrement de la déclaration du 21 novembre 1763 par le parlement de Bretagne, avec des réserves qui suscitent le mécontentement du gouvernement.

9 juillet 1764 : convocation à Compiègne d’une députation du parlement de Bretagne.

16 juillet 1764 : arrêté dit de scission du parlement de Rennes, lequel décide de rompre ses relations avec le duc d’Aiguillon.

1er octobre 1764 : ouverture des États de Bretagne, à Nantes.

16 octobre 1764 : arrêt de la chambre des Vacations du parlement de Bretagne qui sursoit la perception des deux nouveaux sols pour livre.

7 novembre 1764 : Lettres patentes qui interdisent au parlement de Bretagne de « recevoir aucunes oppositions de la part des corps, communautés ou particuliers de quelque qualité qu’ils puissent être».

7 décembre 1764 : renvoi par les magistrats rennais des lettres patentes du 7 novembre précédent.

18 mars 1765 : séance à Versailles, où le parlement de Bretagne est « mandé » en son entier.

1er avril 1765 : clôture des États de Bretagne.

6 avril 1765 : arrêt du parlement de Bretagne. Les magistrats rennais abandonnent leurs charges, reprenant toutefois leurs fonctions « jusqu’à ce qu’il ait été « autrement pourvu par Sa Majesté à l’administration de la justice souveraine dans ladite province ».

22 mai 1765 : acte de démission signé par 85 présidents et conseillers du parlement de Bretagne (70 présents et 15 par procuration).

Mai-juin 1765 : remplacement, à l’intendance de Bretagne, de Cardin-François-Xavier Le Bret par Jacques de Flesselles.

Début juin 1765 : diffusion à Rennes d’une gravure intitulée Liste des présidents et conseillers à la grecque du parlement de Bretagne, commencée le 22 mai 1765, stigmatisant les 12 magistrats qui ont refusé de démissionner.

Juin 1765 : envoi à M. de Saint-Florentin d’une lettre et de deux billets insultants.

Début juillet 1765 : agitation à la cour et dans les ministères. M. de La Chalotais, procureur général du parlement de Bretagne, est soupçonné d’être l’auteur des billets anonymes.

6 juillet 1765 : arrestation de Pierre-Yves Bouquerel, soupçonné d’être l’auteur de la lettre injurieuse adressée au ministre Saint-Florentin.

12 juillet 1765 : lettres patentes créant une commission dite de l’Arsenal, chargée d’enquêter sur les textes diffamatoires.

18 juillet 1765 : lettres patentes transférant la compétence de la commission de l’Arsenal au parlement de Paris.

11 novembre 1765 : arrestation de cinq magistrats du parlement de Bretagne, Louis-René de Caradeuc de La Chalotais et son fils Anne-Jacques-Raoul de Caradeuc, procureurs généraux, Louis Charette de La Gâcherie et Louis-Jacques Picquet de Montreuil, conseillers en la grand-chambre, Louis-François Charette de La Colinière, conseiller en la première chambre des enquêtes.

12 novembre 1765 : séance au palais, à Rennes. 78 présidents et conseillers du parlement de Bretagne, sur 86 présents, refusent d’enregistrer la déclaration royale (8 novembre) confirmant les deux sols pour livre sur les droits de traite et sur ceux des fermes générales.

26 novembre 1765 : installation à Rennes de la commission du Conseil, nommée, par lettres patentes du 16 de ce mois, pour tenir le parlement de Bretagne et pour instruire le procès contre les magistrats emprisonnés.

2 décembre 1765 : arrivée à Rennes de Charles-Alexandre de Calonne, promu procureur dans le procès instruit contre MM. de Caradeuc et leurs collègues.

9 janvier 1766 : lettres patentes reconstituant le parlement de Bretagne.

20 janvier 1766 : lettres patentes confiant l’instruction du procès contre les magistrats emprisonnés à la commission du Conseil envoyée en Bretagne.

22-23 janvier 1766 : arrivée des membres de la commission du Conseil à Saint-Malo, où sont détenus MM. de Caradeuc et leurs collègues.

28 janvier 1766 : décret de prise de corps à l’encontre des prévenus.

Janvier-février 1766 : interrogatoire des prévenus.

14 février 1766 : lettres patentes mettant fin aux pouvoirs de la Commission du Conseil. L’instruction est confiée au parlement de Bretagne.

3 mars 1766 : séance dite de la Flagellation.

Juin 1766 : parution des deux premiers Mémoires de M. de La Chalotais.

28 juin 1766 : présentation par MM. de Caradeuc d’une « cédule évocatoire » sollicitant l’évocation de l’instruction et son renvoi au parlement de Bordeaux.

5 juillet 1766 : lettres patentes ordonnant la disjonction de l’affaire des billets anonymes du reste de la procédure instruite contre MM. de Caradeuc et leurs collègues.

13 septembre 1766 : arrêt du Conseil par lequel le roi ordonne l’apport au greffe du Conseil de toutes les « charges, informations et procédures faites en conséquence des lettres patentes du 5 juillet 1766 ».

22 novembre 1766 : arrêt du Conseil par lequel le roi évoque à soi et à son Conseil la procédure instruite contre les magistrats emprisonnés.

22 décembre 1766 : double séance au Conseil privé et au Conseil des dépêches. Le roi ordonne de faire « expédier les lettres nécessaires pour éteindre tout délit et toutes accusations » contre les magistrats bretons emprisonnés depuis plus d’un an. La décision est signifiée au parlement de Paris, mandé à Versailles en son entier. Les prévenus sont exilés.

29 décembre 1766 : ouverture des États de Bretagne, à Rennes.

17-18 février 1767 : division au sein de l’ordre de la noblesse, aux États de Bretagne. 83 gentilshommes signent un acte de protestation contre les lettres en appelant aux princes du sang.

23 mai 1767 : clôture des États de Bretagne.

Fin mai 1767 : début du procès instruit à Rennes contre « les auteurs, complices et distributeurs » de l’ouvrage anonyme intitulé Tableau des assemblées secrettes et fréquentes des jésuites, et leurs affiliés à Rennes.

8 juillet 1767 : témoignage de Jean Canon, évoquant une tentative d’empoisonnement de M. de La Chalotais.

24 juillet 1767 : enregistrement par le parlement de Bretagne du nouveau règlement des États de la province.

Novembre-décembre 1767 : remplacement, à l’intendance de Bretagne, de Jacques de Flesselles par François-Marie-Bruno d’Agay.

18 février 1768 : ouverture des États extraordinaires de Bretagne, à Saint-Brieuc.

1er avril 1768 : clôture des États extraordinaires de Bretagne.

20 avril 1768 : révocation d’Audouard, subdélégué de l’intendant de Rennes.

5 mai 1768 : arrêt du parlement de Bretagne, statuant sur le chef des assemblées illicites présumées et sur celui de l’empoisonnement prétendu de M. de La Chalotais.

Août 1768 : démission du duc d’Aiguillon de la charge de commandant de la Bretagne.

Septembre 1768 : nomination du duc de Duras à la charge de commandant de la province.

12 décembre 1768 : ouverture des États de Bretagne, à Saint-Brieuc.

6 mars 1769 : clôture des États de Bretagne.

15 juillet 1769 : enregistrement de l’édit qui rétablit le parlement de Bretagne.

Juillet-août 1769 : fêtes données à l’occasion du retour des magistrats du parlement de Bretagne.

5 août 1769 : lettres patentes annulant la procédure qui a abouti au jugement du 5 mai 1768.

12 août 1769 : lettres patentes proclamant que les « magistrats [MM. de Caradeuc et leurs collègues] compris dans la procédure criminelle intentée contr’eux [en 1765-1766] n’ont pas besoin de justification ».