Réponse à un compte rendu

Contrairement à toutes les recensions publiées jusque-là, le compte rendu paru dans la revue Historische Zeitschrift (septembre 2013) et signé par Susanne Lachenicht, professeur à l’Université de Bayreuth, a mis en cause les conclusions présentées dans mon livre « Réduire les huguenots ». Protestants et pouvoirs en Normandie au xviie siècle, Honoré Champion, 2010. J’y réponds brièvement ici.

Le professeur Lachenicht me reproche d’abord de ne pas comparer le cas normand avec celui d’autres provinces françaises. Ce reproche me semble tout à fait infondé, puisque je consacre de nombreuses pages à étudier la situation qui prévaut hors de mon territoire d’étude. L’emboîtement des échelles, du national au local en passant par le régional, constitue d’ailleurs l’un des fils rouges de l’ouvrage. L’intermède (p. 285 et suivantes) de même que le chapitre 6 (p. 507 et suivantes) multiplient les comparaisons interrégionales, en s’appuyant non sur des travaux de seconde main mais sur des sources originales et méconnues que sont les arrêts du Conseil (dont j’ai dépouillé, sans doute laborieusement, des centaines d’arrêts).

Madame Lachenicht me reproche ensuite de ne pas évoquer le contexte international. Plusieurs passages de mon ouvrage lui ont sans doute échappé. Il suffira de renvoyer à l’intermède ou au chapitre 8 (p. 661 et suivantes), en particulier. Ce reproche est en fait lié au suivant : l’auteur de la recension ne semble pas comprendre que j’ai pu laisser de côté le Refuge et son histoire, objet de ses propres travaux. Il faut d’abord préciser qu’on trouvera dans l’index (p. 1094-1095) le détail des passages que je consacre à cette grande question, en fonction des sources et des travaux disponibles. Mon propos n’a jamais été de faire une monographie sur les protestants normands et sur leurs destins contrastés avant comme après la révocation de l’édit de Nantes. Cette manière de faire relève précisément pour moi d’une historiographie datée, celle que l’auteur me reproche aimablement d’incarner dans la suite de la recension. L’histoire du Refuge est passionnante, je m’y intéresse depuis longtemps. Mais mon livre traite d’un autre problème : la politique religieuse de Louis XIV, qui s’explique sans doute moins par les relations internationales au xviie siècle, même si elles comptent naturellement (voir par exemple, p. 294-296), que par l’idée, très fortement ancrée chez le Roi-Soleil et auprès de ses ministres, de la nécessaire unité religieuse du royaume. La présence calviniste défigure l’État, pour plagier les termes utilisés par Elie Benoist dans son Histoire de l’édit de Nantes. C’est bien une histoire politique que je propose, en m’appuyant sur la recherche la plus récente en cette matière.

Les dernières lignes de la recension classent mon travail, sans plus de formalités, au rang des vieilleries d’une historiographie régionale, incapable de comprendre les vertus de l’internationalisation de la recherche et des comparaisons. Je ne me suis pourtant jamais enfermé dans une histoire à caractère régional. J’ai vu au contraire la Normandie comme un laboratoire d’un processus d’abord national, qui met aux prises les réformés d’une part, le pouvoir royal et ses agents multiples d’autre part. J’ai cherché à sortir l’historiographie de ses errements monographiques habituels, participant ainsi à un effort de décloisonnement, en privilégiant l’approche politique aux dépens des logiques d’ordre confessionnel. Mon idée essentielle, qui s’exprime peut-être le mieux dans le chapitre 4 (p. 352 et suivantes), est que le processus qui conduit à la révocation de l’édit de Nantes passe d’abord par la voie de la justice et de la chicane, ce qui jusqu’ici n’avait pas été correctement mesuré. Les conséquences de ce processus, notamment la vague d’émigration vers les pays du Refuge, n’ont jamais constitué un objectif de mon travail. Pourquoi alors me reprocher de peu parler de ce qui est étranger à ma réflexion ?

Luc Daireaux