Ecouter parler le bois !

Depuis l'existence de cette rubrique, lancée dans le prolongement des manifestations du 135e anniversaire de l'Institut Saint-Boniface-Parnasse, nous avons déjà renoué le contact avec plusieurs anciens et anciennes. Au moment d'écrire ces lignes, j'ai effectué un petit retour en arrière et en relisant les articles précé­dents, j'ai été frappée par un constat.

Si le parcours artistique de nos anciens et anciennes se décline dif­féremment selon les choix, le style et la personnalité de chacun, plusieurs points communs les rapprochent et les guident tel un fil rouge. En plus du talent, il y a la passion pour leur activité, un ent­housiasme communicatif, l'ouverture aux autres, la sincérité et le naturel, le sens de l'humour allié au plaisir tout simple d'évoquer des souvenirs. Toutes choses qui font de ces rencontres des moments privilégiés de bonheur, d'échange et de partage.

Anne-Marie Magils (P.LSc. 63)

Écouter parler le bois ! - Jacques Renders

Un regard profond et un sourire énigmatique ! Des sculptures lisses aux formes épurées et aux lignes harmonieuses!

Je vous invite à suivre l'itinéraire d'une personnalité aux multiples facettes, qui se révèle par petites touches aux détours du chemin, pour finalement découvrir la démarche originale d'un artiste inspiré.


Anne-Marie Magils : Lors de l'exposition Bonifalia, nous avons ren­contré l'artiste et nous avons pu apprécier le style personnel de vos sculptures sur bois. Vous êtes prêtre également. Quand et comment ces deux vocations sont-elles nées ? Quelle fut la première ?

Jacques Renders : Au sortir des Humanités, j'ai entrepris les études de Régent scientifique et mon premier métier a été celui d'ensei­gnant. J'ai découvert et ressenti l'appel de Dieu grâce, je pourrais dire, à Saint-Boniface. C'était au cours de la retraite de Poésie (actuellement la 5e) qui s'est faite à Thy-le-Château, chez les Pères Blancs. Cette vocation a progressé mais je ne suis pas entré directement au noviciat. J'ai d'abord enseigné pendant deux ans, j'ai fait le service militaire et puis j'ai eu la chance d'être engagé à l'Institut Sainte-Marie, chaussée de Haecht à Schaerbeek, un Institut assez semblable, à l'époque, à Saint-Boniface. Ensuite, j'enseignais déjà comme professeur laïc depuis huit ans, quand j'ai demandé au sémi­naire si ma vocation était reconnue par l'Eglise. J'ai suivi les études de théologie pendant quatre ans, tout en continuant à enseigner à mi-temps. J'ai été ordonné prêtre dans la chapelle de l'Institut Sainte—Marie, par un ancien de cet établissement... le Cardinal Suenens. II m'a nommé officiellement dans cette école; étant deve­nu prêtre, cela n'a rien modifié dans le concret des cours, mais dans l'animation que je pouvais exercer en tant que titulaire ou avec d'autres groupes d'élèves, quelque chose a changé.

Une respiration accompagnée d'un léger sourire vient ponctuer cette première étape.

J.R.: Alors, le côté artistique ! J'ai commencé à travailler le bois en 1980, j'allais bientôt avoir 40 ans. Ce n'est donc pas quelque chose qui a hanté mes rêves d'enfant. Disons que j'étais doué pour le dessin, pas celui d'invention mais plutôt celui de copie. Cela m'a certai­nement aidé un peu. J'ai aussi développé une certaine capacité d'imagination, élément indispensable en pédagogie. Je n'ai pas suivi de cours à l'académie, je suis un autodidacte et pendant quinze ans, j'ai réalisé certaines années une oeuvre, d'autres deux ou trois, ou rien du tout.

Parallèlement, Jacques Renders poursuit sa carrière d'enseignant à temps plein jusqu'en 1990. Il est ensuite appelé par l'évêché pour un travail au service de la Pastorale des jeunes et comme vicaire dans la paroisse du Christ-Roi à Laeken. En 96-97, il passe à la vitesse supérieure au niveau de la production artistique; il réalise jusqu'à 25 objets différents, à la faveur... d'une incapacité de travail !

Comment expliquer ce paradoxe ?

J.R.: Dans le cadre de la Pastorale des jeunes, on m'avait demandé de coordonner, pour toute la Belgique francophone, la participation des jeunes aux Journées mondiales de la Jeunesse à Paris en 1997. Cela, non pas à la place de..., mais en plus de... ! Deux ans et demi de préparation, de rencontres, de mise en place des équipes; ce fut un enrichissement, j'y ai participé, mais au retour, j'ai craqué et cela a été favorable au développement du domaine artistique.

Ce que je cherche à faire en général est un peu lié à ma fibre péda­gogique. II s'agit de créer un objet symbolique qui peut être inter­prété de plusieurs manières différentes et qui pose question. Quand on me demande: Qu'est-ce que vous avez voulu faire ?”, je réponds: “Un objet qui vous parle. En fait, je ne réponds pas à la question souvent sous-jacente, qui est: “Dites-nous quelle est la bonne interprétation.. Pour moi, c'est celle découverte par la personne qui regarde, même si elle me paraît farfelue ou si je ne la com­prends pas.

A.-M.M. : Avant de poursuivre l'analyse du regard que l'on pose sur vos sculptures, revenons plusieurs années en arrière, à Saint-Boniface. Après le cycle inférieur en Latin-Grec, vous bifurquez vers la section Latin-Sciences et vous terminez en 1961. Avez-vous été plus particulièrement marqué par certains professeurs, par des ren­contres ? Quels sont vos souvenirs ?

J.R.: J'étais un élève assez studieux, j'aimais bien la plupart des cours, j'ai plus apprécié certains professeurs et moins d'autres, comme tout le monde. Celui qui m'a peut-être le plus interpellé, c'est l'Abbé Nepper. Il était inspecteur de sciences et comme c'était la pre­mière année de la section Latin-Sciences, il fallait obtenir l'homolo­gation. Il a donc assuré les cours de physique et de chimie en rhéto. Je me souviens encore de son exemple concret pour nous faire découvrir ce qu'était une onde: disposés sur une rangée, les élèves se levaient et s'asseyaient au fur et à mesure selon des séquences numérotées. Il voulait nous montrer qu'en fait rien ne se déplaçait dans l'espace; il y avait seulement des déplacements verticaux.

Comme la plupart des anciens d'une certaine époque, Jacques Renders ne manque pas d'évoquer, avec un certain sourire, le pré­fet de discipline.

J.R. :J'aimais beaucoup le préfet de discipline, Monsieur l'abbé Van In. Il nous a aussi donné cours de mathématiques en 3' et cela a été le cours le plus clair et le plus lumineux que nous ayons eu. C'était un bon pédagogue doublé d'un fin psychologue; mais je n'ai jamais eu affaire à lui pour des questions de discipline. Je me souviens éga­lement du championnat inter classes de handball qui se déroulait après 4h dans la cour de récréation.

Durant le voyage de rhéto., Jacques Renders fait plus ample connaissance avec un autre élève de Saint-Boni, Jacques t'Serstevens. Les deux Jacques se lient d'amitié et encore actuel­lement, ils essayent, chaque année, de fêter ensemble leur Saint Patron..

A.-M. M : Retrouvons à présent l'artiste, une part importante de vous même. Exception faite pour Bonifalia, vous ne participez pas à des expositions. Pour qui réalisez-vous ces sculptures ?A quoi servent-elles ?

J.R. : Je ne dois pas vivre de cet art, ce qui est une grande chance. Je ne vends pas les objets que je réalise, je serais incapable de reproduire deux fois le même. Par ailleurs, en prolongement à ceux-ci, depuis 4 ou 5 ans, j'ai développé des animations d'initiation au langage symbolique, animations destinées à des groupes de tous âges et de tous milieux

A.-M.M.: Quelle est à ce moment la démarche, de part et d'autre ?

J.R.: Comment, en posant un certain regard sur les sculptures que je présente, réagir, distinguer le langage simplement descriptif et technique du langage symbolique; découvrir ses avantages et ses risques, ce à quoi il peut servir, et, à partir de là, un peu mieux se connaître, rencontrer les autres membres du groupe dans leur diver­sité et dans le respect, ou bien alors, illustrer des cours. Celui de reli­gion par exemple pour lequel j'ai réalisé une animation à Saint-Boniface avec des élèves de 2" secondaire.

A.-M.M. : Au début de notre conversation, nous avons évoqué vos différentes vocations, c'est peut-être le moment de montrer leur convergence.

J.R.: C'est vraiment un travail qui me passionne et tout cela fait très bon ménage. Je garde ma fibre pédagogique d'enseignant. Côté artistique, j'ai conçu l'objet, je l'ai artisanalement façonné, je suis donc dans le cadre symbolique inhérent à tout art et puis, il y a ma fibre pastorale, celle du prêtre, tout cela dans un mélange dont je ne distingue pas toujours les frontières mais qui dépend aussi des par­ticipants. Il y a de ces animations où ne ressort rien de religieux, parce que ceux-ci n'en parlent pas et, avec les mêmes objets, dans d'autres cadres, on est dans le religieux tout le temps. Tout dépend donc de l'orientation du groupe.

Le record en âge ... ! Ce sont des ateliers que j'ai animés en 3' maternelle. Je me suis retrouvé devant 30 ou 40 enfants et ces enfants vivent dans le symbolique; non seulement ils décrivent sans difficulté ce qu'ils voient mais également ce qu'ils ne voient pas.

Un aspect commun des sculptures de Jacques Renders sont les creux et les vides dont le bois délimite les contours tel un pointillé. Une partie du message qui pourrait passer se trouve justement dans ce vide qui résonne comme un appel ou qui pose question.

J.R.: A mes yeux, une des plus belles remarques que j'ai eue, c'est: “Je ne m'y attendais pas, mais certains de ces objets m'ont beaucoup appris sur moi-même.”

Je ne veux donc pas influencer le regard ou l'interprétation. Moi-même j'ai une idée et une inspiration au départ mais je suis content quand on me dit autre chose. Voici ce que je raconte parfois: “Les objets que je vous montre sont dans leur troisième vie; la première est celle d'un arbre que l'on a coupé un moment pour diverses raisons. Un morceau de cet arbre est arrivé chez moi, j'ai enlevé ce que j'estimais être de trop et c'est devenu une statuette: deuxième vie. Maintenant, cet objet vient s'exposer à vos regards, à vos réactions, il vous parle. A ce moment, il y a beaucoup d'interaction entre les personnes qui ne disent pas la même chose et qui cependant ont chacune raison. Cette troisième vie me permet de découvrir ce que j'ai mis dans ces œuvres à mon insu. Ce retour représente à chaque fois un cadeau que je reçois.

A.-M.M : Quel type de bois utilisez- vous ? D'où provient-il ?

J.R.: Je n'utilise que du bois qui me vient de la Providence: le chêne, le hêtre, le tilleul, le tulipier. Ce bois, je ne l'achète pas, je le reçois, sauf parfois quand il y a quelque chose de précis à faire au niveau de la dimension. Je dispose d'une grande réserve de bois et d'une grande réserve d'idées. Suite à la demande des personnes qui me connaissent, j'organise de temps en temps une exposition chez moi pour les tenir au courant de ma production et pour leur propo­ser des aspects interactifs leur permettant de réagir à ce qu'ils voient.

J'édite également un petit dépliant que j'envoie vers août—septembre à ma liste de correspondants susceptibles d'être intéressés, aux ani­mateurs et animatrices de tous niveaux. Je réalise ainsi entre 25 et 30 animations par année.

Lors des présentations, les objets proposés sont choisis selon le thème, selon la coloration du groupe, mais le résultat n'est pas gagné d'avance, tout dépend de la motivation des participants. Un exemple de réaction parmi d'autres: au terme d'une évaluation, un grand gaillard de 7` professionnelle d'une école de Saint-Gilles me dit: “Je ne savais pas qu'on pouvait regarder aussi longtemps un même objet. C'était peut-être la première fois que cela lui arrivait, de poser un regard, de se taire, de réagir à ce que disent les autres, dans un respect mutuel.

Autre exemple: “C'est vrai que ces objets nous parlent. Grâce à vous, j'ai mieux compris ce que veut dire: Dieu parle.

A.-M.M. : Etant donné votre vécu, quel message aimeriez-vous transmettre à nos élèves actuels ?

J.R.: Soyez vous-mêmes, décou­vrez qui vous êtes ! Découvrez vos capacités, vos compétences, toutes les potentialités qu'il y a en vous et si vous hésitez sur une voie ou l'autre, en attendant, cherchez l'une de celles qui vous permettra le plus de vous réaliser. Cherchez et écoutez les personnes capables de vous révéler qui vous êtes en vous permettant de découvrir suffisamment d'élé­ments pour faire des choix. Dites-vous aussi qu'il y a peu de choix irréversibles, tout peut encore changer. Voilà.

Parallèlement à l'exercice de son art et aux animations qu'il propose, Jacques Renders assume actuellement, en tant que prêtre, une char­ge de co-responsable dans une Unité Pastorale à Laeken-Est.

Merci à lui pour cette initiation au langage symbolique, nous permettant de conjuguer émotion esthétique et recherche spirituelle. Puisse cette rencontre enrichissante laisser une porte ouverte et inci­ter le lecteur à prolonger sa réflexion personnelle.

Paru dans "Revue de Saint Boniface-Parnasse", décembre 2005, page 45