Promenade en forêt la nuit

Je vais vous raconter une histoire qui m’est arrivée pas plus tard que la semaine dernière.

Si vous ne le savez pas déjà, je dois vous dire que certains me traitent d’original, d’autres de farfelu, peu m’importe, ça me convient.

C’est plutôt sympathique un farfelu, ça peint la grisaille quotidienne en rose, en vert, en arc-en-ciel et puis le mot ressemble à farfadet.

Mon histoire, d’ailleurs, est farfelue : en tant qu’original, j’aimais me promener la nuit, dans les églises silencieuses, c’est magique, elles sont vides et pourtant si habitées, on a l’impression qu’à tout instants tout peut arriver. Malheureusement, les églises, actuellement sont fermées la nuit et parfois même le jour.

En tant que farfelu, j’aime aussi me promener en forêt, la nuit, la similitude avec les églises est troublante et on ne peut pas fermer les forêts. Dans les grandes forêts gothiques, si Dieu il y a, c’est certainement là qu’il se tient.

En cette saison, la forêt de Chizé, la nuit, c’est magique, le silence est complet, les grands fûts lisses et grisâtres des hêtres s’élancent à l’assaut de la lumière, la ramure d’or et de sang matérialise une voûte bruissante et fragile et de lieu en lieu on aperçoit les étoiles et la lune ;

Cette nuit là, la lune était telle un gros potiron orange que l’on aurait facétieusement catapulté dans le ciel.

Quand on dit que la forêt est silencieuse, c’est faux, il suffit d’y faire quelques pas pour se sentir entouré, c’est comme les églises, c’est habité. On se sent entouré par mille vies invisibles aux mille bruits rassurants ou inquiétants.

Quand je fais ces balades nocturnes, je ne sais plus où donner de la tête, je suis fou comme un jeune chien, mes sens ne sont plus assez nombreux, j’emplis mes poumons de l’odeur de la forêt, une odeur de feuilles en décomposition, de mousse, de terre mouillée. On dit que ça sent « le champignon » et j’aime ça.

Parfois, je traverse les taillis ou je suis les sentiers, à l’affût de voir un chevreuil, souvent déçu, mais je sais qu’ils sont là, pas loin. J’entends leurs petits bonds sonores, les feuilles qui, font cra-cra, une branche morte brisée.

Au loin, un mâle brame, lugubre, inquiétant, dans la plaine, au loin très loin, un chien aboie, un autre lui fait écho.

Eh bien, cette nuit là, figurez vous que je me suis perdu ! Pourtant, je le connais bien ce coin de forêt. Plus j’avançais et plus j’avais l’impression que l’aspect des choses changeait. Je ne savais plus où j’étais. J’eus la certitude qu’un fait pas naturel se passait, un enchantement fait être ; je m’attendais à voir Merlin sortir d’un buisson.

Soudain ,surgi de nulle part, apparut une espèce de petit homme , habillé comme un père noél, de vêtements trop grands et de couleurs criardes et chaussés de croquenots énormes. Un bon gros visage fendu d'un grand sourire malicieux et deux gros yeux ronds étonnés aussi lumineux qu'un ciel d'été. J'étais ébahi.

-Qui..qui es tu ? Lui demandais -je en bredouillant.

-Je suis le farfadet de service et je fais ma ronde comme tous les soirs, me répondit-il d'une grosse voix douce.

    • Comme tous les soirs! ...Pourquoi je ne t'ai jamais vu ?...Pourquoi la forêt n'est plus la même ?... Pourquoi cette sensation de bien -être ? ...Pourquoi ?...Pourquoi ? ...

Je l'assommai à coups de pourquoi.

Il partit d'un petit rire sonore et agréable comme le bruit d'une source jaillissante.

    • Je ne sais pas pourquoi moi non plus ! Mais je sais que, dans l'autre monde, il y a des gens comme toi et que, de temps en temps, il y en a un qui s'égare parmi nous.

    • Comment on fait pour changer de monde ?

    • Il suffit de pas grand chose : un moment de bonheur enfantin, un regard innocent porté sur les chose, l'enfance retrouvée et acceptée.

    • Comment fait-on pour retourner dans l'autre monde ?

    • En principe, ça se fait tout seul. Avec l'aube; les réalités quotidiennes vous agressent , vous chassent et vous font retourner chez vous. Il arrive parfois que la force de l'enchantement soit si grande que la personne retourne chez vous et oublie son esprit parmi nous. Et ce sont ces esprits perdus qui siècle après siècle, se transforment et créent ce que je suis : une vue de l'esprit.

    • Comment se fait-il que j'en ai jamais vu ?

    • Oh si ! Tu en as vu beaucoup! Chez vous, on les appelle les simplets, les idiots, les illuminés....

    • Et tu veux me faire croire que...

    • C'est la vérité, il faut me croire.

    • C'est pas possible, et d'ailleurs, scientifiquement...

A ce mot, ses traits se figèrent et, d'une voix très triste , il me dit :

    • Tu ne seras pas resté longtemps parmi nous. Adieu l'ami ! Et surtout n'oublie rien en partant.

Et sur le champ il disparut comme il était venu.

La forêt était bien celle que je connaissais; le sentier était là, droit devant; sur un cornouiller une Hulotte hulula. Tout me semblait si triste.

    • J'ai du rêver, trop d'odeurs m'auront grisé.

J'allais partir, mal à l'aise, quand mon pied se prit dans un chiffon de laine rouge....un bonnet. Il me semblait l'avoir vu sur la tête du farfadet. Je le glissai distraitement dans ma poche.

    • Sans doute un gamin qui l'aura perdu en jouant, hier Mercredi.

Christian VIVIER La Garde le 6 novembre 1990.