Auteur : Trotmany
Première publication : 2 Mars 2014
Dernière mise-à-jour : 19 août 2018
Le corps humain a besoin d'ingérer de la nourriture pour fonctionner. Il mange, broie divers aliments, les dissout, les digère. Qu'elle soit d'origine animale ou végétale, la nourriture ingérée est ensuite réduite à l'état d'éléments primordiaux : fibres, nutriments, apport énergétique, etc. La réduction de leur corps en éléments nutritifs simples - leur explosion en particules élémentaires - permet leur digestion et leur intégration future dans l'organisme.
Pour fabriquer leur propre matière organique, les animaux sont obligés de se nourrir d'autres êtres vivants. Sans cet apport extérieur, l'activité du corps se dégrade jusqu'à s'arrêter. Manger, c'est s'approprier la substance vitale d'un autre.
Une cellule macrophage qui phagocyte des bactéries
Manger, c'est dissoudre, désagréger les éléments constitutifs d'un individu pour se les approprier. À la suite du processus de digestion, la chair de l'animal n'existe plus. Elle a été transformée, ingérée et intégrée par l'organisme hôte. Il s'agit d'un cycle de destruction - recréation. Une œuvre alchimique par laquelle le corps transmute une substance vulgaire, morte, inerte pour la vivifier.
En alchimie, la phase de l’œuvre appelée digestio est représentée par le soleil et le lion vert. C'est au lion que la matière est donnée en pâture. Il représente le vitriol vert, un acide sulfurique extrêmement caustique. Le lion vert qui dévore le soleil est, selon le Rosarium, le Mercure alchimique. "Lui seul agit en profondeur dans tous les corps et les élève. C'est ainsi que, si on le mêle à un autre corps, il l'anime et l'illumine et en transmue la substance en une autre." (Rosarium philosophorum, éd. Telle, Weinheim, 1992)
Dans les sociétés primitives, le cannibalisme était un élément central de la structure sociale et religieuse. On pensait que l'absorption de chair humaine permettait de l'incorporer à celui du mangeur. L’idée que les sorciers obtenaient ainsi leurs pouvoirs était très répandue. Chez certaines tribus, les parents âgés cherchaient à être mangés par leurs enfants. Chez d’autres, on considérait comme un honneur pour l’âme d’un ami de manger son corps.
Les peuples animistes pensaient également que manger la chair s'assimile à ingérer son principe vital. L'animal offert en sacrifice ne disparait pas entièrement, une part de son esprit, de sa force, subsiste à travers eux. Ainsi, une expression inuite affirme que : "Le grand danger de notre existence réside dans le fait que notre régime alimentaire est entièrement constitué d'esprits ."
Pour le peuple hébraïque, c'est le sang qui est le véhicule de l'âme. Puisque le principe vital n'appartient qu'à DIEU, les Hébreux édicteront des règles alimentaires qui interdisent la consommation de viande animale avec son sang (Lv 7, 26-27). Le sang, dans l'Ancien Testament, revête un caractère sacré.
C'est sans doute ce principe archaïque qu'il faut assimiler au mystère de l'Eucharistie. Jésus-Christ fractionne un pain et le partage à ses disciples les plus dévoués en leur demandant de l'ingérer. Ce faisant, il le désigne comme son propre corps, établissant un lien symbolique entre ce pain et sa substance corporelle. De même, il distribue une coupe remplie de vin et demande à ce que chacun en boive. Jésus l'assimile à son propre sang, véhicule du principe vital, qu'il entend partager.
La Cène préfigure donc la Pentecôte : Jésus, se sachant condamné, ritualise symboliquement la passation de son esprit à ceux qui suivent son enseignement. "Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi, et moi, je demeure en lui" (Jn 6,56)
Dans de nombreuses cosmogonies, l'univers avant son apparition était tout entier contenu dans un espace fini : l'œuf cosmique. Avant d'être le tumulte de diversité et de vie que nous connaissons, le monde aurait ainsi été UN, une unité complète. Cette unité primordiale est représentée sous forme sphérique pour symboliser sa perfection. Elle ne contient aucune aspérité et son état est stable, équilibré et donc éternel.
Ainsi, la source première de vie, DIEU, a dû "mourir" afin d'engendrer la diversité de la vie. Son unité primordiale a dû disparaître pour laisser place à la pluralité. Mais, il ne faut pas comprendre la « mort » de la divinité unique comme son annihilation irrémédiable. La "mort" de DIEU, ce n'est pas la dislocation de son être, à l'instar d'Osiris. C'est un changement d'état, une transmutation.
L'unité incorruptible et parfaite qui emplissait tout de sa présence a fait place à la diversité de la matière. Dieu a engendré l'univers de sa propre substance. Il s'est diffusé dans la forme, la multitude instable et incertaine. C'est ainsi que la Création s'apparente aussi à la dissolution, à la corruption de l'unité divine.
Jésus-Christ nous enseigne ce principe fondamental à travers la parabole de la graine. "Il est véritable et très vrai que si le grain de blé tombé en terre ne meurt pas, il reste seul ; mais s'il meurt, il donne beaucoup de fruit." (Jean 12, 24) La graine doit disparaitre afin que naisse le plant. À son tour, celui-ci produira des fruits portant semences. Ainsi fallait-il que Jésus meurt sur la croix afin que l'Esprit-Saint -incarné en lui- puisse être distribué à ses disciples. C'est par cette métempsychose de l'Esprit divin que nous pouvons affirmer que Jésus était vrai Fils de DIEU et qu'en lui se trouve la vie éternelle.
Il était vrai Fils de DIEU parce qu'il s'est révélé comme sa représentation vivante parfaite, il était à son image et à sa ressemblance. Comme DIEU, Jésus s'est offert en sacrifice pour que son enseignement soit diffusé à travers les communautés des disciples de la voie. Sa parole a été maintenue, interprétée, complétée, lui donnant les ramifications profondes qu'on lui connait aujourd'hui. Ce faisant, ne peut-on pas affirmer avec lui que son Esprit est éternel ?!
Anaxagore nous enseigne que : "Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau". Depuis la Création jusqu'à nos jours, l'univers se compose de la même matière. Il n'y a ni production ni destruction ; seulement des états transitoires. Ce qui nous entoure, nous-mêmes, sommes constitués d'éléments présents depuis l'origine du cosmos. Nous sommes de la poussière d'éternité mise en mouvement.
Bien souvent, nous avons l'impression d'être hors du monde, de ne pas lui appartenir ou d'être tout simplement isolés. Il est vrai que la matière nous sépare ; notre corps est comme une frontière qui distingue notre personne du monde extérieur et des autres. Pourtant, nous participons tous à l'équilibre du système, au maintient de son unité. Pourtant, nous sommes faits des mêmes éléments sans cesse recyclés. En tant que créature, l'Homme doit accepter sa filiation avec la Source unique. Il porte en lui ses exigences qui l'appellent au changement, à la conversion. S'il est né dans la forme, l'Homme est voué à la dépasser en Esprit.
Il nous revient d’œuvrer pour faire advenir le Royaume de DIEU ; c'est-à-dire à rendre manifeste la cohésion et l'union sacrée qui nous affilie les uns aux autres. Il convient de reconquérir cette unité primordiale perdue. Cette recherche nécessite une démarche personnelle active afin de rendre efficiente notre nature divine.
"Mais à tous ceux qui l'ont reçue, à ceux qui croient en son nom, elle a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu, lesquels sont nés, non du sang, ni de la volonté de la chair, ni de la volonté de l'homme, mais de Dieu." (Jean 1, 12-13) C'est cette démarche qu'illustre le rite du baptême dans lequel l'homme meurt symboliquement pour renaitre à la vie en Esprit. Cette vie est éternelle ; puisqu'elle ne craint pas la corruption.
Voici le Chemin, c'est la Renaissance, la renovatio.
The ressurection, William Blake
Sources :