La méritocratie : mensonge ou utopie ?

Nous vivons dans une société obnubilée par l’égalité et comme, par nature, nous sommes tous différents, l’Homme décida de proclamer l’égalité des chances. La première question qui surgit sur cette thématique, c’est si cette égalité s’applique aux hommes comme aux femmes de la même manière. Mais nous ne répondrons pas à cette question ici, le sujet méritant d’y consacrer un article entier. Non, ce dont je vais vous parler ici est la question de l’égalité des chances en fonction de la sphère sociale où l’on est né.

Qu’est-ce que la méritocratie ?

Par définition, c’est la « Hiérarchie sociale fondée sur le mérite individuel ». Tout le monde sait que c’est une vaste blague de la société moderne, mais nous verrons ici pourquoi, et s’il est possible de convertir cette utopie en réalité.

La méritocratie consisterait, si elle était appliquée, à ce que tout le monde ait la même opportunité d’avoir un bon emploi, et ce, sans que le milieu social d’origine n’ait d’influence. Un enfant d’ouvriers pourrait donc prétendre avoir un poste de cadre, tout autant qu’un fils d’enseignants, les deux ayant fourni les mêmes efforts pour accomplir leur souhait. C’est là qu’arrive le premier problème : dans le cas où les deux enfants ont été scolarisés, ils ont sûrement reçu une éducation différente, dans des systèmes différents ; l’enfant d’ouvriers sera sans doute mis dans une école publique, dans un quartier difficile, en raison de la situation économique précaire de ses parents, et et ceux-ci ne s’occuperont pas forcément de son éducation chez eux, du fait de leurs horaires de travail. En revanche, un enfant qui a un ou deux parents enseignants recevra probablement une éducation plus conduite, à la maison, qui lui permettra de mieux réussir scolairement. Ces deux enfants ne sont donc pas à égalité pour l’instant.

Et cette différence ne fait que s'accroître au fil des années. A l’université, les étudiants provenant d’une classe sociale plus aisée iront éventuellement dans des universités plus prestigieuses, grâce aux ressources de leurs parents, alors que ceux qui n’ont, pour ainsi dire, «pas un rond», se contenteront de l’université dans laquelle ils ont été admis (en supposant qu’ils l’aient été : par exemple en 2001, 19% des bacheliers généraux provenaient de la classe ouvrière, alors que 33% provenaient de classes sociales aisées) et qu’ils ont les moyens de payer.

Les emplois à responsabilité sont donc généralement donnés aux individus qui ont un haut niveau d’étude, ou qui proviennent d’universités de grande renommée. Leur scolarité étant souvent payée par leurs parents, ceux-ci ont également dû avoir des postes bien rémunérés pour pouvoir amasser autant de capital économique et culturel, et par conséquent, ont dû recevoir une bonne éducation. On peut donc conclure de manière simplifiée en disant que les familles riches le seront toujours (à moins de dilapider leur argent de manière irréfléchie), et les familles les plus modestes ont très peu de chances de grimper socialement.

La catégorie sociale la plus intéressante sur ce sujet est la « classe moyenne ». Celle-ci est essentiellement composée de petits et moyens fonctionnaires, au salaire suffisant pour vivre relativement bien, mais qui doivent tout de même faire preuve d’une certaine austérité. Ceux-ci vont généralement bien éduquer leurs enfants dans le but qu’ils évoluent socialement ou au moins qu’ils ne régressent pas. Si la méritocratie existe, elle n’existe presque que dans cette sphère sociale. Les parents cherchent à ce que leurs enfants aient de bons résultats scolaires pour qu’ils réussissent à obtenir une bourse, ce qui leur permettra de faire des études supérieures tout en ne payant que le minimum nécessaire. Et comme chacun commence plus ou moins sur les mêmes bases, seul l’effort détermine qui réussira et qui échouera.

Alors, pourquoi nous parler de méritocratie ? Nous avons vu que la société où nous vivons n’est pas égalitaire, alors à quoi bon essayer de nous le faire croire ? On peut en effet se dire que ceux qui ont de l’argent l’ont mérité, ou ont travaillé dur pour arriver à la place qu’ils occupent aujourd’hui. Cependant, il y a de nombreuses personnes qui ont travaillé davantage, qui ont même souffert davantage, et ces personnes n’ont rien. Pour qu’il existe cette hiérarchie où les paresseux sont en bas de la pyramide et les travailleurs sont en haut, il faudrait que tous soient socialisés de la même manière, et surtout que tous soient éduqués sans distinction de classe sociale. Mais à partir du moment où il y aura des « riches » et des « pauvres », peut-on vraiment penser que nous avons tous les mêmes chances ?


Pablo Chassier

Février 2020