Le Rouge et le Noir, Stendhal

Le Rouge et le Noir est un roman écrit en 1830, par l’écrivain français Henri Beyle, mieux connu sous le nom de Stendhal. Œuvre écrite en 6 mois, elle demeure un classique et un des romans emblématiques de son époque. Elle présente la trajectoire de Julien Sorel, jeune homme marginal, fils d’un paysan. Il étudie le latin et la religion, devient précepteur et acquiert une réputation dans la haute société. Il séjourne par la suite dans la maison d’un grand aristocrate parisien, dans laquelle un incident majeur déclenchera des réactions qui le mèneront à sa mort.

Entre réalisme et romantisme

L’œuvre est contemporaine de l’époque à laquelle elle est écrite (au départ elle s’intitulait Chroniques de 1830), ce qui peut être positif puisque nous avons l’image de la France de l’époque mais aussi négatif car l’auteur ne peut pas avoir de recul par rapport à ce qu’il écrit, étant donné la complexité du moment historique, susceptible d'influencer l’auteur.

L’histoire commence en 1830 (année de son écriture). La France est alors sous la Restauration et le règne de Charles X. L’intrigue se déroule jusqu’au début de la monarchie de juillet. Le contexte historique et social est donc « réel » et occupe une place importante au sein du roman. On pourrait ainsi qualifier cette œuvre de roman historique. Pour le lecteur actuel ce statut n’est pas sans poser problème : il est préférable d’avoir des bases sur le contexte historique de l’époque au risque de perdre le fil de l’intrigue et la compréhension des idées mentionnées.

En plus d’incarner son époque, l’intrigue du Rouge et le Noir s’inspire d’une histoire réelle : l’Affaire Berthet de 1827, racontant la tentative d’assassinat d’un jeune séminariste modeste (Antoine Berthet) qui devint l’amant de la femme d’un maire tandis qu’il était le précepteur de ses fils.

Il tira sur cette femme dans une église et fut exécuté.

On pourrait dès lors considérer le roman comme un roman réaliste, mais il ne faut tout de même pas négliger le fait que le livre est écrit par un libéral, qui expose les faits de son point de vue, donc cette réalité est la sienne ; elle est non objective, incertaine, et, de ce fait, elle peut être remise en question. Il faut donc, au moment de lire ce roman, prendre un certain recul. En effet, on peut également le juger comme un roman romantique puisqu’il se centre sur les sentiments et la psychologie des personnages. Stendhal est passionné par cette dernière, et ayant une grande sensibilité, il réussit à créer des personnalités profondes merveilleuses, mais aussi détestables et bipolaires, ce qui enrichit le roman.

Des personnages complexes

Certaines attitudes des personnages dans le roman semblent illogiques pour le lecteur. Ceci pourrait être un défaut du livre. Pourtant, l’écriture de Stendhal permet progressivement au lecteur d'accepter ce qui lui semblait inconcevable, témoignant ainsi de la maîtrise de l’auteur pour peindre la complexité de la nature humaine. Il forme ainsi des personnages assez exceptionnels dont les caractères sont parfois à mon sens exagérés et dépeints de manière plus négative que positive.

Mathilde, par exemple, bien qu’elle soit noble et orgueilleuse comme toute femme de sa condition, a un esprit libéral. Elle lit Voltaire et souhaite la liberté d’expression rétablie. Elle incarne l’ennui causé par la perfection, celui dont souffrent ceux qui possèdent tout et n’ont rien à désirer hormis la liberté.

Le personnage le plus approfondi est Julien. Son ambition le guide toute sa vie. Il est l’image de l’hypocrisie des hommes. Il vit dans le mensonge et dissimule son goût pour Rousseau, Voltaire et Bonaparte, sa vision libérale, pour éviter de se faire rejeter de la haute société. C’est un vrai calculateur et il utilise les femmes pour monter les échelons sociaux. Il possède un côté monstrueux dans sa personnalité, et cependant il est difficile de résister à ce personnage et donc à ne pas l’apprécier.

Le traitement des personnages par Stendhal montre qu’il est un bon manipulateur et un expert en sentiments. Il parvient à nous faire nous reconnaitre en eux, et souvent pour de mauvaises raisons. Ce roman ressort ce qui est corrompu en nous et nous invite à prendre du recul sur nos attitudes et celles des autres. Il montre également que plus on découvre la personnalité des gens, plus on est susceptibles de les détester mais aussi de les comprendre.


Des relations plus complexes encore !

Les relations des personnages sont encore plus nébuleuses que leur personnalité. Ainsi, Stendhal montre des relations amoureuses non acceptées à l’époque : les rapports adultères de Louise et Julien, l’amour secret aux yeux de la société (Mathilde et Julien), l’initiative des femmes dans les questions d’amour (Mathilde qui écrit à Julien en premier, Eliza qui courtise Julien). Les femmes occupent d’ailleurs une place importante dans le roman. On est plongé au cœur de leurs pensées -il faut admettre que Stendhal parvient à comprendre la mentalité féminine en profondeur. Elles sont montrées comme intelligentes et assez uniques, bien que manipulatrices.

Ainsi, les relations amoureuses s’accompagnent de haine, de doute, de folie, de supériorité. Par moments, Julien voit ses maîtresses comme supérieures, par moments, il se sent supérieur.

Cette domination instable est rattachée à la dépendance, imagée par Mathilde qui se dit être l’esclave de son maître (Julien) et en même temps arrive à le contrôler. Toutefois, bien qu’il ait des moments de doute et de faiblesse, Julien qui associe les conquêtes amoureuses à des conquêtes militaires, obtient ce qu’il souhaite grâce à ses plans. Il réfléchit beaucoup et prépare soigneusement ses actions pour séduire.

Julien, porte-parole de Stendhal

L’assimilation des conquêtes amoureuses et militaires rappelle la passion de Julien pour l’armée napoléonienne. Une passion qui n’est pas un hasard puisque Stendhal était engagé lors de sa jeunesse dans cette armée, qu’il a dû quitter à la Restauration.

Selon moi, le lien entre Stendhal et Julien est fort. L’auteur mêle des éléments de sa vie à celle de Julien et l’utilise comme porte-parole. Il y a là un manque d’originalité, mais moindre face à l’observation et à la réflexion de l’écrivain. On perçoit dans ses mots une profonde étude de la situation en France, qui lui a permis de critiquer la société de l’époque dans son œuvre. Les critiques concernent les valeurs et les pensées humaines, ainsi que la politique et le manque de libertés individuelles, surtout d’expression. La société se compose dans sa vision d’êtres trop ambitieux, inconscients de la nature et de beauté de la vie. Ce sont des êtres calculateurs, artificiels, corrompus par la jalousie, l’égoïsme et surtout par l’hypocrisie, qui règne afin de conserver une bonne image.

La prédominance de l’image s’oppose à la réalité: «Vous êtes accoutumé […] à des visages riants, véritables théâtres de mensonge. La vérité est austère ». Le pouvoir et l’argent s’avèrent être les grands désirs de l’homme. On ne veille qu’à ce qui peut « rapporter du revenu » et à conserver ou atteindre le pouvoir, permettant de se protéger des autres, de se servir d’eux et d’avoir une influence. La critique est globale. Toutes les sphères sociales auxquelles doit s’adapter Julien sont en effet jugées. La classe paysanne (d'où provient Julien) est accusée d’être ignorante et de ne porter d’intérêt qu’au travail physique lui permettant de subsister. Le clergé et plus largement la religion sont montrés comme impuissants et faux. L’épisode du séminaire est une satire de ceux-ci, puisqu’elle présente les religieux comme des désespérés suivant la religion juste pour ne pas mourir de faim.

"La critique est globale. Toutes les sphères sociales auxquelles doit s’adapter Julien sont en effet jugées "

L’Eglise est en plus affaiblie par la division entre jésuites et jansénistes. C’est une situation pathétique. La haute société de province, représentée par M. Rênal et M. Valenod s’oppose à l’aristocratie parisienne incarnée par le Marquis de la Mole. Entre les deux, il existe une rivalité, un jeu de pouvoir générant des complots. Les deux milieux sont aussi opposés spatialement entre ville et province. Il y a une lutte régionale.

Pour Julien, Verrières est le petit village duquel il veut échapper. Paris, par contre, l’attire. C’est son rêve. C’est un endroit qui semble parfait mais l’idéalisation de la capitale, cause une forte désillusion à Julien, notamment causée par les Parisiens, car la ville, en fait, n’est matériellement presque pas décrite. En effet, peu de descriptions des lieux ou de portraits physiques des personnages dans Le Rouge et Le Noir : l’auteur se concentre sur l’étude des sentiments, desquels la pureté est pratiquement bannie.

"À travers les personnages, on parvient à comprendre notre comportement et celui de notre entourage. "

Un titre polysémique

Vous l’aurez compris, l’œuvre est accompagnée d’une dualité récurrente, quasi omniprésente, incarnée dans les personnages, mais en premier lieu dans le titre « Le rouge et le noir » ; ce titre attirant et étonnant, est polysémique, c’est-à-dire qu’il prend plusieurs sens. Un premier sens est celui de la lutte interne de Julien, qui rêve d'appartenir à une armée, à une armée comme celle de l’époque de Napoléon pour combler son ambition et être reconnu et se retrouve finalement, pour les mêmes causes sur la voie de la religion. Ici, le rouge représente l’armée et le noir évoque le clergé. On peut également percevoir le rouge comme la passion et le noir comme la fatalité, puisque Julien, par ses aventures amoureuses, ira à l’encontre de sa mort. Finalement, selon une autre interprétation, le rouge incarnerait le désir de puissance et le noir la couleur d’une société dont les mœurs se détériorent. Un des passages les plus célèbres de l’œuvre est en effet révélateur:

« Un roman est un miroir qui se promène sur une grande route. Tantôt il reflète à vos yeux l’azur des cieux, tantôt la fange des bourbiers de la route. Et l’homme qui porte le miroir dans sa hotte sera par vous accusé d’être immoral ! Son miroir montre la fange et vous accusez le miroir ! Accusez bien plutôt le grand chemin où est le bourbier, et plus encore l’inspecteur des routes qui laisse l’eau croupir et le bourbier se former. »


Des enseignements intemporels

Le Rouge et le Noir n’est certes pas le livre le plus court et peut sembler décourageant et ennuyeux au début. Mais plus on avance dans la lecture, plus l'intensité est présente. Les événements sont de plus en plus intéressants et s’enchainent chaque fois plus vite. Les critiques et l’analyse des mentalités s’approfondissent. L’œuvre nous parle d’Histoire, de politique et d’amour mais surtout nous offre une analyse psychologique prodigieusement profonde.

Le livre peut dater d’il y a deux siècles et pourtant, il est un clair exemple du fonctionnement de nos vies. Il montre que leur fil directeur est constitué de nos désirs. Que ce soit le désir de pouvoir, d’argent, de vengeance, de savoir, d’amour ou tout autre désir, chacun d’entre nous tente de l’emplir grâce à des moyens plus ou moins terribles selon nos valeurs et notre état d’esprit. Le livre est l’image d’une société qui, après deux cents ans, n’a pas tellement changé. Regardez le miroir… vous verrez.


Elyse Chaves

Novembre 2019