Ciseaux génétiques : un outil pour réécrire le code de la vie

Imaginez que vous étiez en vie pendant les années 1980, et que l’on vous aurait dit que les ordinateurs prendraient bientôt tout en charge. Que des milliards d’individus seraient connectés via un ensemble de données reliées par des liens hypertextes, et que vous posséderiez un appareil portable plus puissant qu’un supercalculateur, grâce auquel vous pourriez disposer de toutes sortes d’informations. Cela semblerait absurde. Mais aujourd’hui, c’est le cas. Avec l’ingénierie génétique, la réalité rattrape la science-fiction et nous n'y songeons même pas. Alors parlons-en: d'où cela vient-il? Où en sommes-nous réellement ?

LE CODE DE LA VIE ?

Les humains créent la vie depuis des milliers d'années grâce à la reproduction sélective; nous avons renforcé les traits et les aspects utiles des plantes et des animaux et nous sommes devenus très bons dans ce domaine. Cependant, nous n'avions jamais vraiment compris comment cela fonctionnait jusqu'à ce que nous découvrions le code de la vie, l'ADN, une molécule complexe qui guide le développement et la reproduction de tous les êtres vivants. La molécule a une structure dans laquelle l’information est codée, à travers quatre nucléotides qui se joignent et composent un code portant des instructions. Alors si vous changez les instructions, vous changez l'être qui porte cette information.

Mais jusqu'à récemment, l'édition génomique était extrêmement coûteuse, compliquée et demandait beaucoup de temps. Néanmoins, avec l’arrivée de cette nouvelle technologie révolutionnaire, le CRISPR - Clustered Regularly Interspaced Short Palindromic Repeats - cela a changé: du jour au lendemain, les coûts d'ingénierie génétique ont diminué de 99%. Au lieu d'un an, il ne faut que quelques semaines pour mener les expériences et pratiquement quiconque possédant un laboratoire peut le faire. Dans la vie de tous les jours, nous ne percevons pas la portée de cette technique, mais dans le domaine scientifique c’est une avancée sans précédent, qui a littéralement le potentiel pour changer l'humanité à jamais; cela pourrait changer notre vie et notre vision des choses pour toujours.

CRISPR, L’OUTIL DU FUTUR

Comme souvent en science, la découverte des ciseaux génétiques était inattendue. Au cours de ses études sur l'une des bactéries les plus nocives pour l'humanité, Emmanuelle Charpentier a découvert une molécule inconnue, le tracrARN. Ses travaux ont montré que le tracrARN faisait partie de l’ancien système immunitaire des bactéries, CRISPR / Cas, qui désarme les virus en séparant leur ADN.

Après avoir publié sa découverte en 2011, elle a entamé une collaboration avec Jennifer Doudna, une biochimiste américaine expérimentée possédant une vaste connaissance de l'ARN. Ensemble, elles ont réussi à recréer les ciseaux génétiques de la bactérie dans un tube à essai et à simplifier les composants moléculaires des ciseaux afin qu'ils soient plus faciles à utiliser. Dans leur forme naturelle, les ciseaux reconnaissent l'ADN des virus, mais Charpentier et Doudna ont prouvé qu'ils pouvaient être contrôlés afin de pouvoir couper n'importe quelle molécule d'ADN à un endroit prédéterminé. Là où l'ADN est coupé, il est alors facile de réécrire le code de la vie. Cette technologie a un impact important sur les sciences de la vie, contribue à l'avancée thérapeutique contre le cancer et pourrait concrétiser le rêve de soigner les maladies héréditaires.

LE FUTUR EST MAINTENANT

Dès que Charpentier et Doudna ont découvert les ciseaux génétiques CRISPR/Cas9 en 2012, leur utilisation a explosé et cet outil a contribué à de nombreuses découvertes importantes en recherche fondamentale. Ces ciseaux génétiques ont fait entrer les sciences de la vie dans une nouvelle ère et apportent un grand bénéfice à l'humanité.

Ainsi le 7 octobre 2020, le Comité Nobel a attribué à Emmanuelle Charpentier et à Jennifer Doudna le plus prestigieux de tous les prix. Ce prix Nobel de chimie remporté par le duo féminin est « un message très fort » pour les jeunes filles qui souhaitent devenir des scientifiques. D’ailleurs c'est la première fois dans l'histoire qu’un prix récompense un duo féminin, faisant ainsi de la Française et de l’Américaine les 6ème et 7ème femmes de l'histoire lauréates du prix Nobel de chimie. Jusqu’à présent, seulement cinq femmes – sur 183 lauréats depuis 1901 – avaient été récompensées par un prix Nobel de chimie.

« J’espère que cela enverra un message positif et fort aux jeunes femmes qui envisagent une carrière scientifique » -Emmanuelle Charpentier.


Julia Baus

Octobre 2020