L’Amérique Latine, scène de crises politiques et sociales


Depuis quelques mois, l’Amérique Latine est la scène de manifestations et de revendications à l’encontre des gouvernements au pouvoir. À première vue, cette agitation généralisée est générée par des causes précises comme l’augmentation du prix de l’essence et des tickets de métro. Toutefois, ce ne sont pas nécessairement ces augmentations qui sont derrière ces soulèvements. On peut en effet considérer celles-ci comme la goutte qui fait déborder le vase.


Haïti et le Chili en crise

Depuis plus d'un an, Haïti subit de violentes manifestations qui se sont aggravées depuis les deux derniers mois par manque de nourriture et d’essence. Les Haïtiens souhaitent la destitution de Jovenel Moïse, qui accède pour la 4ème fois à la présidence et qui est accusé de corruption, en plus d’une mauvaise gestion. Son départ serait un premier pas pour améliorer l’économie, qui est en déclin depuis un certain temps. Celui-ci se constate par l’inflation qui atteint les 22,6%, un nombre assez haut. Les manifestations sont régulières et violentes, accompagnées d’incendies et de barricades, et la situation continue de se dégrader.

La violence perceptible en Haïti l’est aussi au Chili. Considéré comme un des pays les plus stables politiquement et économiquement, le Chili fait face à des manifestations qui ont démarré le 18 octobre à Santiago, à cause de la hausse du prix des tickets de métro. Le président Sebastian Piñera, s’étant excusé envers le peuple pour les mesures prises, a condamné les violences des forces de l’ordre dimanche 17 novembre. En effet, les affrontements ont causé depuis le 18 octobre 22 morts (dont 5 victimes des forces de l’ordre), plus de 2000 blessés et 200 lésions.

D’après son discours, ni les violences des manifestants les plus radicaux, ni celles des forces de l’ordre ne seront tolérées et un référendum sera organisé en avril 2020 pour former démocratiquement une nouvelle Constitution. L’objectif est qu’elle remplace la Constitution actuelle, héritée de la dictature d’Augusto Pinochet (1973-1990), qui selon les revendications des manifestants, maintient de fortes inégalités entre les Chiliens.

En effet, les protestataires recherchent de vraies réformes de la structure du modèle économique ultralibéral du pays, dans lequel la santé, l’éducation et la retraite sont gérées par le secteur privé.

Changements politiques en Argentine et en Bolivie

Dans d’autres pays, déjà en profonde crise économique, la population teste différents gouvernements. En Argentine, le 10 novembre, lors des élections présidentielles, la victoire des péronistes Alberto Fernandez et sa vice-présidente Cristina Fernandez de Kirchner a été annoncée au 1er tour. Cette élection peut s’expliquer par l’échec du gouvernement de centre-droite de Mauricio Macri, qui a perdu l’appui des citoyens, à cause de la mauvaise situation économique du pays. Pourtant, Cristina de Kirchner a été accusée de corruption (comme de nombreux politiciens de la région); cependant les citoyens lui ont à nouveau donné une place dans le gouvernement, ce qui montre bien la difficile situation en Argentine.

En Bolivie, des soulèvements ont eu lieu à l’encontre de la réélection du président Evo Morales, qui le 20 octobre a été réélu président jusqu’en 2025, au premier tour, par une probable fraude électorale.

Cependant, après une déclaration des militaires et un rapport de L’organisation des états américains, Evo Morales, qui était au pouvoir depuis 2006, a démissionné dimanche 10 novembre et s’est exilé au Mexique en dénonçant un coup d’Etat. Il est accusé de corruption par certains de ses anciens alliés, comme le député indigène Rafael Quispe. La situation reste très tendue. Les manifestants toujours dans les rues, s’opposent aux forces de l’ordre, et Morales en profite pour évoquer des « crimes contre l’humanité », notamment dans la région centrale de Cochabamba, son fief.


"Le rôle du Fond Monétaire International a été contesté par les manifestants. Il semble plus que jamais qu’il enfonce davantage les États dans la crise"


D’après la Commission interaméricaine des droits de l’homme, depuis le 20 octobre, les manifestations ont causé au moins 23 morts, dont 9 cultivateurs de coca près de Cochabamba. La route reliant La Paz aux régions agricoles du pays (centre et est) a été bloquée, en entraînant des pénuries. Le gouvernement de ce fait a envoyé plusieurs tonnes de viande par avion à la capitale, qui est aussi en manque de gaz et d’essence à cause du blocage de la raffinerie de Sanketa.

Le résultat a été la suppression du décret, l’incendie de bâtiments comme les bureaux du contrôleur, la dégradation des façades du centre historique, le blocage de routes, les pillages de nombreux commerces, et au moins 7 morts et 1 507 blessés.

De violentes manifestations

Le cas de figure de la Bolivie s’apparente à celui de l’Equateur il y a quelques semaines. La violence des affrontement entre les manifestants et les forces de l’ordre a en effet été forte en Equateur, du 2 au 13 octobre. Le gouvernement équatorien, ayant cherché à faire des économies permettant de soulager la dette externe de la nation, a voulu éliminer les subventions de l’essence, ce qui a généré des manifestations violentes. Le rôle du Fond Monétaire International a été contesté par les manifestants. Il semble plus que jamais qu’il enfonce les États dans la crise, plus qu’il ne les aide. Le prix des combustibles ayant augmenté, la population (surtout indigène) a rejoint les rues pour protester.

Les 1,3 millions de dollars par an que voulait économiser le président ont été perdus lors des manifestations à cause des dommages causés.

Les violences sont semblables dans plusieurs pays. Les ONG dénoncent la répression et la violence excessive des forces de l'ordre. En Bolivie et au Chili l’ONU et Amnesty International en sont même arrivées à envoyer une mission d’enquête.

En Equateur, le gouvernement a répondu aux dénonciations en disant qu’il s’agissait de se défendre contre la tentative d’influence du gouvernement vénézuelien sur le pays, appuyé par l’ex-président Rafael Correa (bien qu’il n’existe pas de preuves convaincantes de cela).


Un reflet de l’insatisfaction générale

De nombreuses théories se développent autour de la situation en Amérique Latine qui semble être victime d’une contagion de protestations d’un pays à l’autre. On suspecte notamment un rôle joué par Nicolas Maduro, qui aurait pour but d’influencer et de déséquilibrer les pays voisins pour détourner l’attention du Vénézuela et de son narco-gouvernement.

Rien n’est sûr mais en tout cas, ce qui est certain est que les crises politiques, économiques et sociales auxquelles fait face l’Amérique Latine sont généralisées ; depuis 2 ans, au moins 19 des 33 nations latino-américaines ont connu des violences et des répressions. Les manifestations révèlent l’exaspération des citoyens, cherchant de meilleures conditions de vie, dans des pays où la criminalité augmente. Cette amélioration est toutefois empêchée par les difficultés économiques.

D’après l’enquête de « Latin American Public Opinion Project », réalisée dans 20 pays de la région, 39% des personnes ayant répondu à l’enquête sont insatisfaits du fonctionnement de la démocratie dans leur pays. Nous vivons une crise politique, témoin du mécontentement de la population envers les gouvernements, qui semblent de plus en plus plus fragiles sur le continent.

Les économies latino-américaines vont en effet pour la plupart avoir une très faible croissance cette année. D’après l’ONU, la moyenne de la croissance du PIB prévue en Amérique Latine et dans les caraïbes pour 2019 est de 0,1% à 0,2%. Pour 2020, 1,4% de croissance est estimée. Les prévisions étant vérifiées, la croissance économique de la région restera basse pour la 7ème année consécutive. Elles montrent également la remise en question de la démocratie.


Elyse Chaves

Novembre 2019