Fleurs et pleurs / Flowers and Tears

Charles Séguy-Villevaleix 

Fleurs et pleurs

Père, voici quatre ans que tu dors dans la couche

Que la commune aïeule offre à tous ses enfants,

Et depuis quatre ans,père,en vain j'ouvre ma bouche

Car mon âme toujours, en sa douleur farouche,

Pour te pleurer me refusait des chants.

 

Comme jadis, avril de sa molle verdure

Encadre les étangs qui dorment sous les bois,

L'azur du ciel sourit, et toute la nature.

Aux rayons,aux parfums mêle le doux murmure

Des souvenirs si charmants d'autrefois.

 

Je me vois, jeune enfant, dans ma gaîté profonde

Courir la joue en feu sous les marronniers verts,

'Tandis que tout pensif tu regardais dans l'onde,

Au liquide cristal qui réfléchit leur ronde,

S'entre-croiser les ailes des piverts.

 

A l'âge où dans les yeux la passion s'allume,

J'allais, t'en souvient-il ? cueillant les fleurs des prés,

Vers le bonheur ravi, comme dans l'air la plume;

Mon cœur naif encore ignorait que la brume

Ote au soleil ses reflets empourprés.

 

Maintenant sur mon front se prolongent les ombres;

Mes jours, maigre filet, rampent sur les cailloux,

Et l'astre du passé n'a que des lueurs sombres

Qui tombent tristement sur le temple en décombres

Où je pliais jadis les deux genoux.

 

O confiance, amour, anges du sanctuaire,

Vous êtes remontés près du trône de Dieu !

Jeunes illusions, dans l'affreux ossuaire

Dormez, les bras croisés, sur les plis du suaire:

La cendre est tout ce que laisse le feu !


Poem by Charles Séguy-Villevaleix 

Anthologized in Morpeau, pp. 97-98


Flowers and Tears