Économie d’énergie

Relire ou ne pas relire Hamlet au XXIème siècle

Capitalisme culturel, burnout culturel, hygiène culturelle

Bonjour. Cet article n’est pas tant pour vous cultiver sur des bourdieuseries, même si c’est très intéressant, que pour partager un sentiment accompagné de pistes de solutions et de conseils pour ceux qui s’y retrouvent.


Bourdieuserie au XXIème siècle

A notre époque, la production culturelle disponible excède le temps dont nous disposons pour en prendre connaissance. C’est un état jugé de “surproduction” dans la mesure où notre éducation, basée sur des siècles d’un état de la culture qui était très différent - difficile d’accès et en sous-production - et un élitisme à deux axes, la culture légitime et la culture populaire, dont certains puristes ou certains milieux retirent des références pour se draper eux aussi dans une forme d’élitisme. 

La culture est une arme de distinction sociale pour tout le monde et être jugé inculte est une raison suffisante pour subir du mépris. Mais comme tout régulateur social, ce sentiment est avant tout intériorisé. La première police, c’est vous-même. Or, ACAB.


Syndrome de l'imposteur à l’ère de la surcharge informationnelle

Nous avons donc d’un côté une société qui hiérarchise arbitrairement les références culturelle, et de l’autre une industrie qui en produit toujours davantage. Et au milieu, il y a nous, dont la capacité de concentration diminue proportionnellement au temps de cerveau disponible, et qui subissons, dans le flux de conseils et de publicité, toujours davantage d’injonction à prêter notre temps et notre énergie. Car nous servons les ayants-droits de l’objet culturel par notre temps et notre argent. 

    Lorsque, comme moi, vous travaillez dans la culture, mais peut-être pas seulement dans ce cas, vous pouvez avoir une peur liée au (fameux) syndrome de l’imposteur, qui est que si vous ne partagez pas les références de celles et ceux qui sont plus expérimentés, alors vous n’avez peut-être pas les compétences pour marcher dans leurs pas.

Si c'est votre cas, oulàlà mon ami.e, vous filez un mauvais coton. Vous êtes en état de stress culturel, qui s'ajoute aux autres stress, tels que, au hasard, souci d’argent, vanité de l’existence et proche annihilation de l’espèce humaine. Peut-être qu’il serait temps de prendre de la hauteur sur ce mini point avant de finir en burnout.

Conseils d’hygiène

Pour rappel, un conseil n'est pas une injonction. C'est à vous de juger s'il vous est utile ou pas. Si je vous injonctais, je ne ferais que vous ajouter du poids là où j'essaye de vous en enlever.

A mon avis, il faut savoir inverser ce rapport de servitude à l’objet culturel, peut-être d’abord avec quelques mesure d’hygiène intellectuelle de base, telle que la protection du temps de cerveau disponible. 


Faire : rien

Sans rire, je me retrouve tout le temps en situation de regarder un dessin animé tout en écrivant et en répondant à des messages. Ces moment doivent à mon avis être rééquilibrés par d’autres, beaucoup plus méditatifs et contemplatifs. Ou des siestes. Ou rien du tout. Même un petit peu.


Renoncer à finir

Je pense aussi consacrer des moments à une seule activité à la fois. Par exemple, à la lecture d’un livre. Beaucoup d’entre-nous ont perdu ce rapport à l’objet culturel, parfois à cause des études qui nous forcent à livre des dizaines de livres et à les analyser. La méthode que j’ai trouvé pour que ça revienne, c’est de renoncer à toute pression de finir le moindre livre, et de laisser à ma disposition, dans différents coins de ma maison, des ouvrages de différentes sortes qui m’intéressent et que je peux ouvrir au lieu de faire quelque chose qui, au fond, va m'ennuyer, comme contempler indéfiniment mon fil sur Twitter.

Cela peut s'appliquer aux jeux ou à n'importe quoi d'autre. Inutile de se forcer à finir les choses si ça ne nous intéresse pas. Prendre connaissance d'un objet culturel peut se faire en un coup d'œil, en diagonale, ou en profondeur.


S'autoriser à y revenir

Vous avez une meilleure mémoire que ce que vous croyez et vous pouvez reprendre la plupart des expériences déjà entamées en cours si vous le souhaitez. Même si ça arrive de vous paumer, par exemple, dans les jeux sans tuto. Mais c'est leur faute. Hein, Terraria. (ಠ⌣ಠ)

Si vous vous prenez d’amour fou pour une œuvre en particulier, l’approfondir n’est pas non plus une perte de temps. Acquérir une connaissance exhaustive d’une œuvre est un exercice différent, qui vaut autant qu’une nouvelle découverte, et indispensable dans certains domaines. 

Distinguer le travail du reste

Bien sûr, le stress culturel est souvent spécifiquement lié au travail. Comme souvent dans la vie de créateur mais aussi dans d'autres types de métier, il faut distinguer le travail de la vie artificiellement, pour ne pas travailler en permanence. Sachez distinguer ce qui vous fait vraiment plaisir de ce qui vous sert au travail et sachez considérer que vous travaillez quand vous prenez connaissance d'un objet culturel qui vous sert de référence. La recherche documentaire est une grosse partie du travail, et si vous prenez accidentellement du plaisir à la faire, ça n'en fait pas un loisir pour autant. Le travail n'a pas à être synonyme de souffrance. On devrait pouvoir évoluer au-delà de ça.

Cette broutille réglée, il ne vous reste alors qu'à mesurer votre temps de travail pour ne pas vous épuiser, et ne pas réduire à une forme d'utilitarisme professionnel tout ce qui vous donne une raison de vivre à côté. L'art n'est pas qu'un métier, mais il faut savoir le faire descendre de son piédestal pour sa propre santé. Mais y parvenir est exigeant car ça va à l'encontre de ce qu'on nous apprend, donc n'hésitez pas à en parler à votre manager, psy, représentant syndicat, curé, caviste, ou maman pour vous aider.


Installer Adblock

Vous le savez déjà. Bloquez les pubs. Toutes les pubs. Aucune publicité n’est diffusée dans votre intérêt. Même celles des objets culturels, si ça vous embête. Par exemple, n’hésitez pas à bloquer des termes tels que “Cyberpunk” ou "2077" sur les réseaux.

Sortir

Jadis, jusqu’en 2020 environ, on sortait


Choisir

La “surproduction” culturelle, qui a ses propres démons côté créateur, n’est pas tant un gavage qu’une chance, côté spectateur, que nous n’avons pas été éduqués à saisir. L’école échoue indiscutablement à transmettre cette compétence simple pour l’écrasante majorité des gens. Et je pense que c’est à vous de décider de quoi vous souhaitez que votre culture soit faite, quand vous aurez réussi à prendre la mesure du champ des possibles et relativisé sur toute obligation.

Alors, l’omniprésence des recommandations des pairs prend tout son sens. Ce n’est pas une pression, mais des indices pour vous aider à vous repérer et décider de ce qui vous passionnera, au moment où vous le voudrez et vous faire gagner du temps. N'hésitez pas, de votre côté, à communiquer aussi sur vos expériences.


Par exemple, mon hygiène personnelle

Personnellement, je me concentre d'une part sur ce qui me semble m’aider à affiner ma spécialité, avec les classiques, mais aussi autant de curiosités que possible chinées sur Internet, dans les bibliothèques ou dans les boîtes à livres. J'ai la chance de ne pas être soumis à la méthode scientifique mais d'avoir quand même suivi un cursus de recherche, excellent pour éplucher de la doc.

Ensuite, j’utilise comme repère ce qui m’a l’air passionnant d’après recommandation de mes amis, en essayant de me départir de mes préjugés liés au genre quand de base ça ne me parle pas forcément (j'espère que vous faites tous ça, quand même), et je garde un orteil dans la culture “légitime” pour essayer d’en tirer ce qui est vraiment bien et vraiment passionnant. (Et pouvoir occasionnellement claquer le beignet à un fat qui ne sait pas différencier Goku et Gohan mais qui se targue de distinguer Vivaldi et Verdi, car malheureusement se cultiver c'est quand même un peu se battre contre des gatekeepers.

J’espère ainsi réussir à me répartir dans une culture variée (et pas “générale” qui est une culture de classe), relativement transclasse, et spécialiste dans les domaines qui m’intéressent. 


Alors devez-vous "relire" Hamlet ? Vous êtes seul.es juges en fait. Perso, il est plutôt bas dans ma liste.


Autres méthodes ? Autres conseils ? Autres constats ? N'hésitez pas à me pinger sur les réseaux.