Commentaire

Dissonance ludonarrative dans Far Cry Primal

L'homme des cavernes et son fameux HUD

Je suis un grand fan de Far Cry 3, et un nerd de l'âge de pierre. Je vous épargne les photos, mais j'ai carrément des motifs tirés ou inspirés de peintures rupestres européennes et africaines tatoués autour du ventre. Je ne pouvais pas ne pas jouer à Far Cry Primal, un reskin de Far Cry 3 à l'époque des hommes des cavernes. Je passe sur le principe qui consiste à reprendre d'un moteur de jeu pour en créer un autre, pratique qui a mauvaise presse chez les gameurs pour des raisons injustifiées. Mais je m'intéresse aux procédés narratifs, ou au manque de procédés narratifs de ce volet. Far Cry pêche parfois gravement sur ces points, et puis sort parfois des chefs d’œuvres comme le 3. Commençons par les points positifs, car il y en a.

Quelques bons éléments de narrative design...

J'avais émis de sérieux doutes sur certains éléments des trailers, qui se sont avérés pertinents par la suite car bien mis en place par la narration. Par exemple, le fait de dompter des animaux était un élément qui me refroidissait beaucoup, car ils me semblaient hors sujet. Ce choix me semble après-coup bien intégré grâce aux histoires de chamanisme, et la comparaison avec les autres tribus qui ont leurs propres traditions et formes de magies.

De même, le système de craft, spécialement pertinent dans l'idée qu'on se fait de l'âge de pierre où n'existaient comme outils que ceux que l'on pouvait fabriquer de ses mains, force le joueur à produire lui-même ses armes. Autant dire que dans le cocktail de survie et de baston à la première personne qui caractérise la licence Far Cry, ramasser un bâton et un caillou pour fabriquer une sagaie qui va clouer un mec à un arbre, ça fait le taff, c'est du Far Cry, on ne s'en lasse pas.

En revanche, j'ai été déçu par des éléments de gameplay très bien mis en scène dans d'autres volets de la série, et totalement ignorés dans Far Cry Primal. Décidément, le narrative design est ce qui rend la qualité de Far Cry si inégale d'un numéro à l'autre.

... Mais trop d'éléments dissonants.

Far Cry Primal est l'histoire d'un homme des cavernes qui bénéficie de l'affichage tête haute d'un commando de Ghost Reckon car il boit le sang de ses ennemis. Tout est indiqué par l'UI, jusqu'à un GPS en bas à gauche. Comme dans GTA, le joueur est condamné à fixer cette minimap à longueur de jeu, objet d'UI particulièrement dissonant dans l'univers de l'âge de pierre. Il n'aurait pourtant pas été infaisable de rendre la chose beaucoup plus agréable et pertinente.

Les trois quarts du temps de jeu les yeux rivés sur le coin de l'écran

Dans Far Cry 2, le personnage tient sa carte à la main. Comme dans Minecraft, où il faut carrément la crafter, en attendant quoi le joueur ne peut que prendre des points de repère et s'orienter avec le soleil s'il craint de s'égarer. Crafter sa carte, la tenir à la main, s'orienter, une idée toute prête à intégrer à Far Cry Primal, non ?

Dans Far Cry Primal, ta gueule c'est magique. Pourtant, il n'aurait pas été incroyable de faire une mini-quête où le personnage prendrait un morceau de charbon pour écrire sur une peau de yack, et l'inclure aussitôt dans la roue des équipements. Exit la dissonance ludonarrative.

Le HUD des cavernes

Le nombre d'indications UI qui sont activées par défaut est infernal. On peut de fait désactiver les éléments d'UI pour une expérience plus immersive, alors pourquoi ne pas tout désactiver purement et simplement ? Parce que le jeu n'est pas prévu pour ça. Comme dans Skyrim, désactivez le GPS, et vous êtes tout simplement perdu. Sans parler du temps que vous allez, de toute façon, passer dans les menus.

A la limite, je pourrais désactiver le décor, les personnages, et garder l'UI ?

Il y a tellement d'assistance UI que certaines fonctionnalités, comme la "vision de chasseur", une espèce de "mode enquête" à la Batman Arkham, deviennent inutiles. (Au passage, il aurait suffit de dire par exemple que le personnage mobilise le sens de l'odorat lorsqu'il utilise ce mode d'affichage particulier qui met en surbrillance des points d'intérêt, car "vision de chasseur" ne veut rien dire.)

C'est la même UI que dans Far Cry 3. Mais dans Far Cry 3, le héros a un véritable équipement de Robocop. Tablette, appareil photo, etc. sans parler des éventuels pouvoirs magiques. Ce stuff est à récupérer durant les premières minutes du jeu, puis à compléter au fil de l'histoire, ce qui le rend parfaitement acceptable dans la fiction. On bénéficie même d'un interlocuteur mystérieux à travers la tablette tactile, qui s'avère être un personnage qui apparaît plus tard dans l'histoire et qui nous parle ensuite dans une oreillette. Inutile d'insister, on voit tout de suite les avantages d'une narration correcte dans une fiction vidéoludique.

A l'époque de Far Cry 2, je pensais qu'il ne manquait plus qu'un appareil photo pour jouer à faire du tourisme. Far Cry 3 : paf, un appareil photo, de la rando et des séquences d'archéologie. Cerise sur le gâteau, l'appareil a une véritable fonction dans la planification des attaques. La magie opère, on prend des photos. On regrette que ça ne fasse pas des screenshots.

Compensation du manque de scénario par la génération procédurale

Far Cry Primal : une histoire dans l'ensemble assez faible - des clichés et très peu de profondeur - qui sent la production précipitée comme dans beaucoup de AAA. Beaucoup, beaucoup, beaucoup de génération de deux ou trois événements aléatoires redondants pour éveiller l'intérêt du joueur.

En effet, l'environnement est submergé d'événements aléatoires identiques, qui donnent, les premières heures de jeu, la sensation d'être littéralement envahi d'ennemis et d'animaux sauvages. Le domptage de bêtes féroces finit par écarter la plupart de ces gêneurs, mais clairement, la préhistoire est une rave. Même sensation que dans Skyrim, où les PNJ vous sautent dessus pour vous inonder de requêtes et d'admiration, mais au moins, ces quêtes ont le plus souvent des histoires uniques. Le simple fait d'alléger grandement la présence de PNJ dans l'environnement aurait permis de faire ressortir le côté walking simulator si sympas dans le 2 et le 3 - mais aurait sans doute révélé également le vide relatif de points d'intérêt dans le level design.

L'autre problème est celui de la génération partiellement procédurale de l'environnement. Sans GPS, on ne peut pas ou très difficilement s'orienter, par absence d'indication et manque de points de repères. Alors qu'un personnage qui explique que la quête se déroule près du grand arbre à côté de l'autre grand arbre et du rocher en forme de corne de rhinocéros laineux aurait sans doute demandé beaucoup plus de travail car rendu la procéduralisation bien plus difficile en obligeant une cohérence beaucoup plus grande entre scénario et level design, mais aurait rendu le décor beaucoup plus intéressant en permettant au joueur de porter une réelle attention au travail artistique... Comme dans Morrowind ?

Pas de véhicules, mais d'autres sports assez cools à l'âge de pierre en plus du parkour et du plongeon. La licence Far Cry pourrait en toute légitimité laisser de côté la tuerie et sortir des volets totalement pacifistes, entre l'exploration et les sports extrêmes. A quand un fast paced Firewatch ?

tl;dr

L'UI se présente comme une évidence mais rompt gravement l'immersion dans cette ambiance de dénuement qui fait l'imaginaire de la préhistoire. Quitte à faire un jeu moins long, moins grand, mais plus néanderthalien que jamais, un peu de scénario et de narrative design supplémentaire aurait pu régler les principaux problèmes.