1. Calcul d'autres géométries (toujours à zone homogène unique)
a) Cœur-plaque, appelé aussi "slab reactor", d'épaisseur e (extrapolée, i.e. d incluse)
Le calcul est en tout point comparable à celui d'une sphère vu au chapitre précédent. Le laplacien géométrique (égal au laplacien matière à la criticité) est (π/e)2 et le flux Φx = Φ0 cos[(π/e) x] entre x=-e/2 et x=e/2 (annulation en ces points). Seul le mode fondamental, associé au laplacien géométrique Bg2 = (π/e)2, s'exprime à la criticité. Les autres modes, associés aux valeurs Bn2 = (nπ/e)2 avec n = 3, 5, 7, ... dans le cas traité ici du réacteur plaque (compatibles avec la condition d'annulation du flux en e/2), n'ont aucune contribution au flux solution à l'équilibre.
Ces modes, dits "harmoniques" ou "cinétiques", du flux ne s'expriment en effet qu'en transitoire en s'ajoutant à la contribution dominante du flux fondamental (n = 1). Cela sort un peu du cadre de ce cours de neutronique (équilibre) puisqu'on s'aventure du côté cinétique (transitoire), mais il est intéressant (et assez facile) de le constater. Plaçons-nous donc dans un cas franchement déséquilibré, par exemple sous-critique (keff < 1). Et résolvons l'équation de la diffusion dépendant du temps, dans le but d'écrire le flux solution Φx,t comme une superposition de tous ces modes cinétiques (fondamental compris). Confrontés à une équation aux dérivées partielles, optons pour la méthode la plus simple à savoir la séparation des variables x et t :
Les amplitudes An (homogènes à des flux) se calculent facilement à partir de la condition initiale Φx,t=0 (mais peu nous importe ce calcul). Ce qu'il est surtout intéressant de constater ici, c'est que dans cette solution générale dépendant du temps tous les modes harmoniques (n = 3, 5, ...) s'expriment en plus du fondamental (n = 1). Rappelons que dans le cas déjà traité d'un système critique, seul ce mode fondamental (n = 1, de constante de temps λ1 = 0) s'exprime et on retrouve bien Φx = Φ0 cos[(π/e) x]. Mais dans notre cas présent d'un système hors-équilibre parce que légèrement sous-critique, les constantes de temps λn vérifient 0 < λ1 < λ3 < λ5 (... etc, d'après leur expression obtenue ci-dessus). Cela signifie que plus un mode n est élevé, plus il s'atténue rapidement. Et après un temps suffisamment long, le flux (sans cesse décroissant) n'a pratiquement plus pour forme que celle du mode fondamental, avec une atténuation en exp(-λ1t). On montre de même que dans un cas surcritique le flux sans cesse croissant finite par s'identifier au mode fondamental, avec dans ce cas -λ1 > -λ3 > (etc ...) > 0 et une augmentation dominante en exp(-λ1t). Il est donc important, pour la cinétique également, de bien connaître le flux fondamental.
b) Cœur cylindrique de hauteur finie
Le cylindre fini (rayon extrapolé R, hauteur extrapolée H) est le modèle géométrique à zone homogène unique le plus proche d'un cœur (de réacteur électrogène moderne mais aussi de réacteur fossile comme ceux d'Oklo : à ce sujet, voir l'article 1 de NeC'14). Sa condition critique définit le lieu (géométrique) de tous les couples (R, H) qui, à composition matérielle fixée, assurent la criticité. La contrainte supplémentaire d'un volume minimal permet d'identifier une configuration optimale (de type "tonneau", dont un cœur électrogène est souvent proche).
C'est l'oubli de cette importance de la forme du contenant qui est en grande partie à l'origine de l'accident de criticité de Tokai-Mura (résumé dans cet article des Clefs du CEA et détaillé dans ce rapport de l'AIEA), dans lequel la géométrie était cylindrique ... et réfléchie. Le cœur (sur-)critique (accidentellement produit) était composé de la solution homogène d'uranium typique du retraitement réalisé en phase aqueuse de l'oxyde d'uranium. En bas de cette page, vous trouverez un examen qui évalue assez simplement les différentes valeurs prises par le keff au cours de l'accident. Notez que de telles solutions homogènes sont actuellement envisagées pour des réacteurs de production d'isotopes à usage médical (tel le Mo-99 utilisé en imagerie gamma), de façon à pouvoir en extraire rapidement les produits de fission d'intérêt.
Le cas réfléchi n’est pas traité ici mais se résout de façon similaire au cas du réacteur plaque, à condition qu’il ne soit que partiellement réfléchi (par exemple seulement radialement). Il faut en effet préciser qu’à partir de deux dimensions, l’équation de la diffusion ne peut être résolue analytiquement pour des systèmes entièrement réfléchis (comme par exemple un cœur cylindrique avec un réflecteur radial auquel s’ajouteraient un réflecteur axial supérieur et un autre axial inférieur). Cela est dû au fait fondamental qu’il n’existe pas de solution factorisable pour le flux (i.e. dont les variables peuvent être séparées) satisfaisant les conditions de continuité aux interfaces entre le cœur et les réflecteurs. Il reste néanmoins possible, toujours à partir de la seule équation de la diffusion mais utilisée itérativement, d’obtenir les dimensions critiques d’un tel système. Cette limitation de la diffusion pour la résolution analytique directe de systèmes entièrement réfléchis (ce qui, en pratique, est souvent le cas) est à l’origine du développement rapide des méthodes numériques associées à ce problème d’abord, et des codes de simulation dans toute leur diversité par la suite.
2. Calcul d'un cœur-plaque réfléchi (2 zones homogènes : une zone Cœur et une zone Réflecteur)
Dans ce premier cas à plusieurs zones, la méthode générale reste la même : d'abord la forme du flux et ensuite, en utilisant les dernières conditions géométriques non encore exploitées, l'établissement de la condition critique (cf. slide ci-dessous). Le problème complémentaire du TD3 définit un modèle proche, à 3 zones, pour l'étude de l'instabilité axiale du REP liée au Xénon (TD3bis, énoncé en bas de page).
La condition critique obtenue dans le cas traité en cours du cœur-plaque réfléchi permet par exemple d'évaluer le gain réalisé sur l'épaisseur du cœur grâce au réflecteur. Le même genre de calcul a été demandé dans l'examen de l'an dernier, pour modéliser le cœur typique d'un réacteur naturel d'Oklo (énoncé complet fourni ci-dessous, cf. la question B.1). En pratique, un réflecteur est surtout intéressant dans la mesure où il contribue à améliorer le facteur de forme (i.e. à aplatir le profil de puissance dans le cœur). C'est encore plus visible lorsqu'on traite le problème à deux groupes d'énergie (comme nous le verrons au chapitre suivant, le premier de la dernière partie traitant des limites de la diffusion).