Portrait d'E. Fermi (badge d'accès à Los Alamos)
Ce premier chapitre de la partie III (entièrement consacrée au ralentissement) mérite une petite introduction, dont la vedette est Enrico Fermi. C'est en effet ce physicien (italien, naturalisé américain après son exil au début de la seconde guerre mondiale et sa participation au projet Manhattan) qui a posé les bases de notre compréhension du ralentissement des neutrons de fission, jusqu'à des énergies thermiques optimales pour l'utilisation du combustible. Dans cette partie III, nous allons d'abord (dans ce chapitre 5) mettre au point le modèle (très simple car classique) du choc élastique, unique puis collectif. Le chapitre 6 généralisera cette approche à l'ensemble du domaine épithermique concerné par le ralentissement pour établir l'expression de la densité énergétique de flux et en déduire le facteur anti-trappe. Enfin, le chapitre 7, par l'intermédiaire d'une approximation (également due à Fermi), permettra de connecter l'étalement spatial des neutrons en ralentissement à leur énergie. Cela nous permettra, juste avant d'aborder la partie IV et le calcul des systèmes critiques, de comprendre l'essentiel des mécanismes de la criticité (via quelques exemples historiques).
C'est l'histoire d'un neutron dont l'énergie chute de dix décades : jusqu'ici tout va bien.
Mais l'important, ce n'est pas que le ralentissement. C'est aussi l'absorption (ou la fuite).
Notre objectif est ainsi de calculer facteur anti-trappe (chap. 6) et taux de fuites (chap. 7).
1. Mécanique élémentaire du choc élastique (unique)
Comme le raconte cet extrait (du Making Of The Atomic Bomb), le ralentissement des neutrons fut découvert par hasard en 1934 par Fermi qui étudiait à Rome avec quelques jeunes collègues (cf. photo ci-dessous) les interactions des neutrons avec la matière. Une théorie très simple de ce ralentissement fut alors mise au point.
Les "ragazzi" de Fermi (à droite sur la photo), en 1934.
Cette théorie doit sa simplicité à celle de la physique de la diffusion élastique pour les neutrons d'énergie inférieure au MeV et supérieure à l'eV. Dans cette gamme d'énergie, les approximations "noyau cible immobile", "noyau cible libre" et "diffusion élastique" sont en effet valables. Malgré le caractère éminemment quantique de la diffusion élastique du neutron (essentiellement résonnante i.e. via l'absorption du neutron incident) par le noyau cible (noté A comme son nombre de masse), elle peut dans ces conditions être traitée de façon tout à fait classique : c'est du billard.
L'hypothèse supplémentaire "section efficace de diffusion constante" permet de vérifier que la densité de probabilité pour la nouvelle énergie du neutron après un choc est constante : toutes les énergies possibles allant de l'énergie initiale du neutron avant le choc (E0) jusqu'à l'énergie minimale pouvant être atteinte en un choc (qui vaut αE0 avec α paramètre du choc fourni ci-dessous) sont équiprobables. On en déduit entre autres l'énergie moyenne après un choc (en fonction de E0 et de α).
2. Du choc unique au ralentissement dans son ensemble (notion de léthargie)
L'étude rigoureuse de l'enchaînement de plusieurs diffusions (pour aller de 2 MeV jusqu'à 1 eV par exemple) permet, à l'aide de la léthargie (définie astucieusement comme le logarithme népérien du rapport d'une énergie de départ E0 qu'on prend souvent égale à 2 MeV sur l'énergie E du neutron en cours de ralentissement), de calculer le nombre moyen de chocs nécessaires en tout. Avant d'aller plus loin (calcul de la distribution énergétique de flux de ralentissement), il est intéressant de comparer les modérateurs eau légère et eau lourde, ainsi que leurs applications respectives. Vous pouvez lire par exemple cet extrait de l'ouvrage collectif "L'eau à découvert" du CNRS. Je vous conseille aussi ce documentaire récent intitulé "Le IIIe Reich n'aura pas la bombe", qui explique bien dans quel contexte historique très particulier la neutronique a fait ses débuts ainsi que le rôle très important qu'y a joué l'eau lourde.
Dans un bon modérateur, un neutron peut voir son énergie cinétique dégringoler
de plus d'une dizaine d'étages (pardon, de décades) en quelques chocs seulement.