aucouerdumonde

Au Coeur du Monde (At the Heart of the World)


Ce ciel de Paris est plus pur qu’un ciel d’hiver lucide de froid

Jamais je ne vis de nuits plus sidérales et plus touffues que ce printemps

Où les arbres des boulevards sont comme les ombres du ciel,

Frondaisons dans les rivières mêlées aux oreilles d’éléphant,

Feuilles de platanes, lourds marronniers.


Un nénuphar sur la Seine, c’est la lune au fil de l’eau

La Voie Lactée dans le ciel se pâme sur Paris et l’étreint

Folle et nue et renversée, sa bouche suce Notre-Dame.

La Grande Ourse et la Petite Ourse grognent autour de Saint-Merry.

Ma main coupée brille au ciel dans la constellation d’Orion.


Dans cette lumière froide et crue, tremblotante, plus qu’irréelle,

Paris est comme l’image refroidie d’une plante

Qui réapparaît dans sa cendre. Triste simulacra.

Tirées au cordeau et sans âge, les maisons et les rues ne sont

Que Pierre et fer en tas dans un desert invraisemblable.


Babylone et la Thébaïde ne sont pas plus mortes, cette nuit, que la ville morte de Paris

Bleue et vertes, encre et goudron, ses arêtes blanchies aux étoiles.

Pas un bruit. Pas un passant. C’est le lourd silence de guerre.

Mon œil va des pissotières à l’œil violet des réverbères.

C’est la seul espace éclairé où traîner mon inquietude.


C’est aînsi que tous les soirs je traverse tout Paris à pied

Des Batignolles au Quartier latin comme je traverserais les Andes

Sous les feux de nouvelles étoiles, plus grandes et plus consternantes,

La Croix du Sud plus prodigieuse à chaque pas que l’on fait vers émergeant de l’ancien monde

Sur son nouveau continent.


Je suis l’homme qui n’a plus de passé. – Seul mon moignon me fait mal. –

J’ai loué une chambre d’hôtel pour être bien seul avec moi-même.

J’ai une panier d’osier tout neuf qui s’emplit de mes manuscripts.

Je n’ai ni livres ni tableau, aucun bibelot esthétique.

Un journal traîne sur ma table.


Je travaille dans ma chambre nue, derrière une glace dépolie,

Pieds nus sur du carrelage rouge, et jouant avec des ballons et une petite trompette d’enfant:

Je travaille à la FIN DU MONDE.




This sky of Paris is cleaner than a winter sky lucid with cold

Never have I seen nights more starry and more fluffy than this spring

Where the boulevard trees are like shadows of heaven,

Fronds in the riverbeds chokes with elephant ears,

Leaves of plane trees, heavy chestnuts.


A waterlily on the Seine, it’s the moon on the water’s thread

The Milky Way in the sky flops down on Paris, illuminating it

Crazy and naked and upside down, its mouth sucking Notre Dame.

The Great Bear and the Little Bear prowl around Saint Merry.

My cut-off hand shines in the sky, in the constellation of Orion

.

In this cold cruel light, trembling, more than unreal,

Paris is like the frozen image of a plant

That reappears in its ashes. Sad simulacrum.

Linear and ageless, the houses and the strees are nothing

But stone and iron in an incredible desert.


Babylon and Thebes are no more dead tonight than the dead city of Paris

Blue and green, ink and tar, its bones bleached by the stars.

Not a sound. Not a passer-by. It’s the heavy silence of war.

My eye goes from the pissoirs to the violet eye of the streetlights.

It’s the only lit space where I can drag my restlessness.


This is how I walk through Paris each night

From the Batignolles to the Latin Quarter like I would cross the Andes

Under the fire of the new stars, bigger and stranger,

The Southern Cross more prodigious with every step one takes as it emerges from the old world

On its new continent.


I am the man who has no more past. – Only my stump still hurts me. –

I rented a hotel room to be alone with myself.

I have a new wicker basket to fill with my manuscripts.

I have no books and no pictures, no pretty knick-knacks.

A newspaper trails off my table.


I work in my empty room behind a dull window.

Bare foot on red tiles, and playing with balloons and a small child’s trumpet.

I work on the END OF THE WORLD.