Les icônes anciennes sont des oeuvres d'art qui appartiennent au patrimoine artistique et historique mondial.
Elles sont également investies de sainteté et chargées de la vénération des fidèles qui ont prié devant elles.
Je les restaure suivant la déontologie de la restauration qui est appliquée dans les musées nationaux et qui fut définie par la charte de Venise, après le IIe congrès International de l'ICCOM de 1964, et confirmée, le 11 juin 1993, par la Confédération Européenne des Organisations de Conservation-restauration : respect de l'oeuvre et de son histoire, stabilité, innocuité et réversibilité des matériaux.
Je remets aux commanditaires un dossier complet et documenté comprenant la situation historique et géographique de leurs icônes, l'histoire et l'explication de leurs représentations, leur diagnostic avec documents photographiques, devis, liste des interventions.
Chaque restauration est une nouvelle "expérience" qui demande une réflexion sur le degré d'intervention à choisir.
Cependant, pour une icône, sans aller jusqu'à la falsification, le respect de l'histoire ne peut aller jusqu'à une présentation totalement "archéologique" avec lacunes et accidents - telle qu'on peut en voir dans un contexte muséal.
En effet, dans la conception orthodoxe, l'image sainte doit conserver son identité et son intégrité. Ceci, afin de maintenir la présence et le rôle d'intercession du saint, ainsi que la fonction sacrée de l'icône...
Par conséquent, si les repeints ne peuvent être acceptés, une partie détruite doit être reconstruite dans les limites de sa superficie, une inscription effacée doit être réécrite, une restauration ancienne qui aurait faussé le sens d'une icône (ce qui s'est parfois produit dans les musées occidentaux), doit être éliminée.
Le restaurateur qui intervient sur une icône ne peut donc se limiter à sa formation en sciences et techniques occidentales... Pour éviter toute erreur, il se doit, en plus, de connaître en profondeur les scènes et les saints représentés, les innombrables types canoniques de représentations, les traditions liturgiques pratiquées, les langages iconographiques (tant picturaux que scripturaires) utilisés dans les différents pays de l'orthodoxie ainsi que les diverses technologies des icônes anciennes, les types de dégâts spécifiques aux icônes et les principes et techniques de restauration des sphères moyen-orientale, byzantino-slave et gréco-latine. (Voir les sous-pages "Devoir du restaurateur" et "Dégâts spécifiques des icônes")
Mère de Dieu de Kazan, Russie, XIXe siècle, avant restauration,
tempera à l'oeuf sur bois,
300 x 250 mm.
Un "nettoyage" antérieur, très brutal, a détruit des couches picturales du visage de la Mère de Dieu, à certains endroits jusqu'au bois de support.
Mère de Dieu de Kazan, après restauration.
Parties détruites reconstruites.
Mère de Dieu "Fleur immarcescible", Grèce, XVIIIe siècle,
feuilles d'or, tempera à l'oeuf sur bois,
310 x 210 mm.
Panneau central d'un triptyque.
Peinture assombrie par un vernis surchauffé par une veilleuse, usures, lacunes.
Mère de Dieu "Fleur immarcescible", après restauration
Intervention minimale sur désir du commanditaire et possible car les lacunes ne gênent pas la lisibilité de l'oeuvre ni son contenu spirituel.
Nettoyage et réintégrations partielles.
"Image de Saint Jean le Précurseur"
Russie, Palekh, XVIIIe siècle
Détachement d'une des planches constitutives du panneau (qui ne tient plus que par la toile de la préparation) avec fracture double de la couche picturale, usures, lacunes et microcraquelures et microlacunes (photographie en lumière surexposée).
Restauration achevée (photographie en lumière naturelle).
Chapelle russe Saint-Georges, Potager du Dauphin, Meudon (près de Paris).
Le Potager du Dauphin, ancienne dépendance du château de Meudon, fut le lieu, de 1945 à 2000, d'un centre fondé par des pères jésuites et destiné, à l'origine, à éduquer les enfants des réfugiés de la révolution d'octobre. Une chapelle de style russe y fut construite.
Sous la grande arcade de la façade, une peinture murale a secco de 5 mètres carré, représente le Miracle de saint Georges. Elle a été peinte, en 1962, par le Père jésuite allemand Egon Sendler.
En 1982, du fait d'un liant faible (émulsion au jaune d'œuf trop diluée à l'eau), elle commença à montrer des signes de faiblesse. Le père Egon effectua certains repeints à l'acrylique. Il en profita pour apporter des modifications à l'image (j'en fut un rare témoin).
Cette grande image fut respectée durant quarante ans par les élèves, étudiants et dissidents soviétiques qui fréquentèrent le Centre Saint-Georges. Mais, depuis son rachat par la mairie et son exposition au public en 2002, elle a subi de nombreuses détériorations. Une restauration et une protection s'avéraient nécessaires.
Sur la demande du conservateur alors en place, j'ai accompli, en 2008, la mission de cette restauration, en association avec M. Nicolas Tchernetsky, également restaurateur oeuvrant pour les musées de France et le plus qualifié, sur le territoire, pour les églises de la diaspora russe.
Avant restauration, furent constatées de nombreuses altérations : poussière, salissures, restes d'un nid et de déjections d'hirondelles, obscénités tracées dans la peinture devenue pulvérulente, frottements et étalement de celle-ci, usures et lacunes de la couche picturale, graffitis gravés en profondeur avec des pointes ou des lames, chocs causés par des jets de cailloux, parties de l'image détruites par l'installation d'interrupteurs et d'une goulotte électrique.
En conséquence de la faiblesse du liant utilisé pour appliquer les pigments, certaines couleurs (notamment le blanc) étaient pulvérulentes. Des enfants ou des adolescents avaient frotté et étalé ces couleurs sur le fond rouge et les montagnes ocres. Sur la peinture étalée, ils ont aussi tracés des motifs et, parfois, des obscénités.
Des frottements répétés avaient également usé la peinture autour et sur les rochers.
Interrupteur électrique. Son installation, en 1984, a entraîné la destruction d'une partie de l'aile du dragon.
Sous le corps du destrier, le fond rouge a été usé par frottements répétés : la couche picturale s'est trouvée réduite à un effet de trame.
Sur le corps du dragon et le fond de la grotte, certains des graffitis sont visibles.
En 2002, pour alimenter la chapelle en électricité, une goulotte électrique a été fixée sur le haut de la peinture.
Un trait indélébile, tracé à la mine de plomb, et des chocs et usures, causés par des échelles, sont restés visibles.
Des équerres ont été vissées dans le mur pour soutenir la goulotte.
A l'autre bout, le trait de plomb est devenu une gravure profonde dans l'enduit, et 2 énormes trous ont été percés pour traverser le mur et y ficher 2 tubes contenant les fils électriques.
Le plus étonnant est que tout cela a été fait parfaitement "d'équerre", probablement à l'aide d'un niveau à bulle !
Détail de la sphère divine. On voit les tuyaux traversant le mur, une équerre vissée, les parties de la couche picturale détruites, griffées, usées, lacunaires.
On remarque aussi un enduit blanc qui a été appliqué autour des tuyaux et sur la peinture. Un lissage à la truelle a usé d'autres endroits.
Fond rouge nettoyé.
Compte-tenu de sa fragilité, la peinture a été nettoyée à sec à la gomme-poudre, à la gomme et au stylo grattoir à mèche en fibre de verre pour les salissures les plus résistantes (fientes des hirondelles et certaines parties ragréées par les ouvriers). Elle a ensuite été refixée par imprégnation.
Les usures ont été reprises de manière à respecter le style enlevé de la peinture d'origine.
Une large craquelure à la base de la composition a également été consolidée.
Interrupteur enlevé sur l'aile du dragon.
Phase de reconstruction de l'aile du dragon en s'approchant au plus près du travail enlevé et rapide du Père Egon.
Des usures ont été volontairement laissées et certaines ont été faîtes sur le masticage et la peinture de la partie reconstruite. Ceci, afin de les fondre à l'ensemble de l'image.
Etat de la sphère divine après dépose de la goulotte électrique.
Etat de la sphère divine après nettoyage et masticage.
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A l'origine, la composition de l'icône se limitait à l'arcade. La sphère divine et le bras du Christ ont été peints, après coup, sur le fond rouge d'origine.
Les retouches ont donc été faites sur une sous-couche rouge.
La sphère divine après reconstruction
Retouche des usures du sviet (fond symbolique) sous le destrier du saint par comblement des microlacunes au pinceau triple 0.
Masticage d'un graffiti gravé en profondeur.
Dissimulation des graffitis après restauration.
Le restaurateur devant faire oeuvre de vérité, le sixième doigt de la main qui tient la lance n'a pas été dissimulé et la sous-ventrière (sangle qui maintient la selle sur le cheval), oubliée par l'auteur, n'a pas été dessinée.
Le père Egon, alors toujours de ce monde, fut appelé afin d'y remédier. Malgré notre insistance et la certitude de chauffage et d'éclairage, la restauration s'étant faite entre novembre et décembre lors d'un hiver rigoureux, il n'a pas souhaité apporter les corrections nécessaires.
Restauration terminée. Vue d'ensemble de la peinture murale.
Mère de Dieu Mliékopitatielnitsa,
XIXe siècle, Russie.
Fond et polia (cadre) sculptés, gravés et couverts d'une feuille d'argent vernie.
L'icône a subi un dégât des eaux. Le panneau a brutalement gauchi. La couche picturale s'est boursoufflée, puis, en séchant, s'est craquelée et effondrée. Une partie s'est dissoute et a disparu.
Les planches constitutives du panneau se sont écartées.
Un temps de séchage à température et hygrométrie stables a été observé pour permettre à celles-ci de se rejoindre.
On a ensuite repris un clivage de la peinture par rapport à l'enduit, ainsi que d'autres soulèvements, craquelures, fissures, microfissures et pulvérulences, en plusieurs interventions de refixage et consolidations.
Un chanci du vernis a été éliminé par régénération du vernis.
Pour reconstruire les parties perdues, un enduit de restauration a été appliqué puis sculpté avant d'être réintégré picturalement.
Trinité (Seigneur Sabaoth, Saint Esprit et Christ en croix) entre l'Ange du Bienheureux Silence, la Mère de Dieu du Signe, la Mère de Dieu Dans la Chute dans la Peine et la Mère de Dieu Reflet du Feu
Icône quadripartite de Vieux-Croyants, Russie, Nieviansk, fin XVIIIe-début XIXe siècle,
feuilles d'or sur bolus rouge, tempera à l'oeuf sur or, sur bois,
535 x 455 mm.
L'icône était fendue en deux, les planches constitutives du panneau s'étant désolidarisées. Tout le long de la fracture, la couche picturale était lacunaire. D'autres pertes ponctuelles sur les bords et des chocs ainsi que des usures de la couche picturale et du fond d'or étaient visibles par endroits.
La première lettre de l'inscription en slavon désignant le Saint-Esprit a été perdue (à gauche de sa mandorle et devant être à l'opposé de la lettre encore existante). Elle sera réécrite une fois la volute de nuage retouchée.
Restauration terminée.
Deuxième A du Seigneur Sabaoth réécrit (il avait disparu avec la fracture du panneau). Les nuages doivent encore être repris.
Un bolus a été posé sur les lacunes afin de les réintégrer à la feuille d'or. L'éclat du sviet (fond) était tel que la feuille d'or s'imposait. Aucune retouche avec un matériau plus réversible n'avait de brillance suffisante pour se faire oublier dans l'ensemble de l'image.
Pose de feuille d'or. Opération délicate car l'or ajouté ne devait pas déborder sur les parties intactes.
Sakkos de l'Ange du Bienheureux Silence. Certaines parties du fond d'or sous-jacent sont mises en réserves pour reformer des motifs qui étaient partiellement perdus.
'Saint Jean, théologien et évangéliste",
Grèce, XVIIIe-XIXe siècle,
feuilles d'or, tempera à l'oeuf sur bois,
90 x 72 mm
Mère de Dieu de Kazan (détail),
Russie, XVIIIe siècle,
feuilles d'or, tempera à l'oeuf sur bois, assist à la poudre d'or,
320 x 270 mm.
Tous les vêtements sont éclairés de hachures tracées à la poudre d'or. Certaines d'entre elles sont lacunaires et toutes sont usées. L'icône a ainsi perdu en lisibilité et en éclat.
Début de réintégration...
"Saint du Christ Nicolas"
Ukraine, Poltava (empire russe), XVIIe-XVIIIe siècle,
Feuiile d'or, tempera à l'oeuf sur bois, feuille d'or en sous-couches pour certaines parties
520 x 445 mm
Trésor familial, emporté à la révolution, cette icône fut transportée de Poltava en France, en passant par Constantinople, dans un kiot-valise doublé de satin de soie. Sa vénération constante, à chaque étape de son long périple, et l'exposition trop rapproché à une veilleuse surchauffait le vernis olifa qui la couvrait. Outre les chocs et pertes de matière qu'elle a subi, sa couche picturale a fini par se coller à la soie.
Epaisse couche de poussière et de fibres de tissus collées sur une olifa caramélisée, résistante couche d'encens, brûlure de veilleuse, soulèvements importants en toits, nombreuses craquelures, larges et nombreuses lacunes profondes, chocs multiples, usures, parties détruites...
En cours de restauration...
Après nettoyage et refixage de l'ensemble de la couche picturale, puis masticage des lacunes, la réintégration picturale est déjà avancée avec début de reconstruction des parties détruites (dans l'inscription, le visage de saint Nicolas, ses mains, ses vêtements, les nuages, le fond...).
Début de réintégration des lacunes du sviet (fond), des parties de vêtements dorés et des nimbes.
Reprise de la reconstruction du nez qui était partiellement détruit.
Réintégration des lacunes de la tranche du livre, de la manche droite de saint Nicolas...
Vue du haut de l'icône avec réintégration des lacunes des nimbes, de l'inscription, des épaules de saint Nicolas...
Des nuages de la Mère de Dieu.
A suivre...
"Mère de Dieu Odiguitria"
entre "saint Georges" de Choziba et "sainte Youlita" et son fils Kirik,
Russie, Iaroslavl, XIXe siècle,
Oklad de polia en basma d'argent avec poinçons (Iaroslavl, 1794), auréoles en métal argenté, demi oklad en broderie de perles de rivières, 324 x 265 mm.
Dépose des revêtements métalliques...
Qui cachaient un support très délabré avec de très nombreux fractures, soulèvements et lacunes profondes de la couche picturale ainsi que des poussières, salissures, résidus de produits d'entretiens de l'argent...
Dépose de l'oklad de perles de rivières qui était fixé avec une quantité inouïe de clous divers (près d'une centaine) très profondément enfoncés dans le panneau.
Cette dépose fait réapparaître les vêtements de la Vierge et de l'Enfant.
Les vêtements sont peints en transparence sur un fond métallique (feuille d'or ou d'argent ?) avec une laque, probablement de cochenille.
Photographie aux rayons X. Elle permet de voir l'icône en profondeur et des détails dissimulés par des repeints.
Après ouverture de fenêtres dans le fond brun et les cartouches vermillon, on découvre le fond de vermeil (superposition de feuilles d'argent et d'or) d'une icône de la Mère de Dieu, qui bien qu'Odiguitria classique, est désignée, par l'inscription ancienne, comme Mère de Dieu de Smolensk.
Vu le style des parties révélées, on peut la dater du XVIIIe siècle.
Réapparition du fond de vermeil et des inscriptions d'origine très élégantes et tracées au cinabre.
Lacunes du fond de vermeil dégagé. Le repeint marron les dissimulait.
Repeints très grossiers sur les pieds de l'Enfant. Ils ont été faits pour les faire correspondre aux orifices de l'oklad de perles.
La lumière UV révèle (en foncé) d'autres lacunes profondes qui ont été anciennement repeintes.
Début de dégagement total du fond de vermeil.
Masticage des lacunes.
Phases de réintégration...
A suivre...