B. Haut Moyen-Age

Steinbourg au Haut-Moyen-Age : premières traces écrites


Les êtres humains sont les rouages d'une mécanique qui souvent les dépasse. Leur histoire s'insère dans la grande, qui permet de comprendre ce que fut leur quotidien.

Les Francs s’établirent dans le pays après la victoire de Clovis sur les Alamans à Tolbiac en 496. L’Alsace échut à Thierry, son fils, constituant d'abord l’Austrasie avec d’autres régions de la Lorraine jusqu’à l’Aquitaine. Les Mérovingiens y résideront souvent, les Vosges (« silva regis », forêt royale) constituant leur terrain de chasse privilégié. Childéric IV y fait élever roi de Bourgogne et d'Alsace son fils Theuderich en 596 à Marlenheim (ce qui occasionna une guerre avec son frère Theudebert, roi d'Austrasie, en 610), celui-ci habitait Dettwiller. Theuderichi villa (Theuderich = Dietrich), et autrefois on écrivit Dettwiller, Dietweiler (Dietrich's-Weiler), d'où l'origine de ce village. Clotaire séjourne aussi en Alsace en 613, Dagobert y laissera son empreinte indélébile, le château de Dagsburg (Dabo) avait ses faveurs. Vers 640, afin d'assurer la sécurité sur le Rhin, le roi d'Austrasie fonde à des fins militaires le duché d'Alsace attribué au duc Gondoin, puis Boniface et enfin Etichon ou Adalric, père de Sainte Odile, qui fonde la dynastie des Etichonides (son fils Adalbert et petit-fils Liutfrid lui succèderont comme duc).

Le texte central d'où découle l'analyse des pages suivantes date du 4 mars 828 dans un acte officiel établi au palais impérial d'Aix-la-Chapelle : Dederunt igitur Erkingarius comes, ac gentrix et germani sui Rotdrudis, Vuoradus, Bernaldus et Bernardus in pago Alsacinse in villa, vel marka Erbildisvillare, in loco qui appellatur Zinzila (la Zinsel), mansos decem et septem, et prata ad carratas quinquaginta, et de vinea aripennos quatuor Waldo abbas monasterii quod vocatur Svarzhaha (Regesta Imperii RI I 1 n. 849).

Heinrich Büttner, dans « Geschichte des Elsass », tome 1, 1939, et Michael Borgolte « Die Geschichte der Grafengewalt im Elsass von Dagobert I bis Otto dem Grossen » confirment : « im Jahre 828 genehmigten Ludwig der Fromme (Louis le Pieux) und Lothar I (Lothaire, son fils) einen Besitzaustauch zwischen Graf Erchanger und dem Kloster Schwarzach. Graf Erchanger erhielt dabei 17 Hufen in der Mark von Ernoldsheim, nördlich der Zaberner Steige, gemeint waren dabei Rodungshufen in dem nahe gelegenen Steinburg (Schoepflin, Alsatia diplomatica 1,72 Nr. 89 : Regesta Alsatiae 1 Nr. 470 ; BM Nr. 849). Il s’agit d’un échange de terres à Kriegsheim et Ittlenheim appartenant à la famille Erchanger avec celles proches de la Zinsel à la demande du comte et de Waldo, abbé de Schwarzach (à ne pas confondre avec Waldo de Reichenau, futur évêque de Bâle et Pavie et précepteur de Pépin, le fils de Charlemagne). Schwarzach - aujourd'hui Schwarzach-Rheinmünster - est l'héritière du couvent d'Arnulsau situé sur une île du Rhin créé en 725, et qui avait brûlé. Erchanger hérita par la même occasion de 34 mancipias (17 X 2, hommes et femmes *1), de prairies de 50 charrues (*2) et 4 vignobles (assurément ceux qui existaient déjà du temps de la villa romaine), en tout une superficie de plus de 250 hectares. Büttner précise « damit ist zweifellos der spätere Besitz Andlaus gemeint, das damals noch in der Mark von Ernolsheim gelegen war und seinen späteren Namen noch nicht führte“. Notons que la superficie actuelle de la Commune est exactement de 277 ha 12 a, dont 154 ha de forêts (Vogelgesang + Kreutzwald). Il est établit aujourd'hui qu'au vu de l'outillage rudimentaire de ces temps, un paysan et sa famille pouvait cultiver environ 1 ha de terres.

(*1) Mancipia, pluriel de mancipium : à l'époque féodale des serfs appartenant au domaine cultivé, ne possédant rien en propre, ni leur mobilier ni leur cabane. Ils étaient vendus avec le fond avec femmes et enfants. Astreints aux travaux les plus pénibles, la récolte appartenait en totalité à leur maître.

(*2) Charrue : unité de mesure ancienne égale à la surface qu'un homme pouvait labourer en une journée à la charrue, environ 12 arpents = 5 ha.

Deux illustres personnages font leur apparition, Ruthard et Erchanger (ou Erkangar).

Pour comprendre cette période-clé de l’histoire de notre village, retour à la situation historique en Alsace après les grandes invasions.

Les Alamans ont donc été chassés au-delà du Rhin par les Francs qui récupèrent leurs terres. R. Langenbeck dans sa bibliographie des années 1930 expose la théorie que les Alamans ont jadis évité les régions où se tenaient encore des Romains, ce qui explique que ces territoires aient passé aux Francs, une fois désertés, ceci toutefois ne vaut pas généralité. Pour gouverner un pays aussi vaste les Mérovingiens s'appuient sur l'Eglise en construisant une multitude de monastères et couvents qu'ils possessionnent avec des terres. Ils assurent ainsi la cohésion du royaume et tempèrent leur inquiétude de l'au-delà. De surcroît les monastères défricheront les forêts et fourniront contingents et subsistance aux armées en campagne. C'est la largitas regia qui poursuit des buts politiques autant que spirituels et mène au fur et à mesure à un partage de souveraineté dans l'intérêt commun.

Dans la région, Leobardi Cela en 589, renommé Marmoutier en 724, inaugure le mouvement, avec le concours financier de Childebert II, roi d'Austrasie. L'abbaye appartenait au puissant évêché de Metz. Les terres limitrophes léguées par le roi constituent la marche d'Aquilée et s'arrêtent au sud de Steinbourg, bordées par la Zorn (c'est ainsi que Steinbourg, Saverne et Phalsbourg dépendront quant à eux de l'évêché de Strasbourg). Le terme de marche n'est pas anodin. Du germanique marka, il signifie frontière. On emploie le même vocable en 828 : marka Erbildisvillare. La définition qu'en donnent les encyclopédies est la suivante : « une marche est un fief créé dans une zone frontalière par conquête ou par détachement d'un autre territoire, auquel le souverain attribue une fonction de défense contre les territoires voisins ».

Au Nord, l'abbaye de Wissembourg, créée avant 695, la date exacte n'est pas connue, que nous savons extérieure à la sphère ducale au VIIIème siècle, administrativement rattachée au diocèse de Spire, le Speyergau. On prétend que c'est Dagobert Ier qui fonda ce poste avancé. Wissembourg dispose d'un énorme patrimoine foncier à cette époque, allant jusqu'en Alsace Bossue le long de la vallée de la Moder et dans le pagus de Sarrebourg, presque la totalité des terres cultivables (13 manses, entre 117 et 159 ha) du village voisin de Dettwiller. Elle borde Steinbourg au nord comme à l'est.

En 723 est fondée, juste en face de l'endroit évoqué par Büttner, l'abbaye de Neuwiller, dotée de terres sur les deux versants des Vosges, ce sera la possession la plus à l'est des évêques de Metz. Marmoutier et Neuwiller encerclent carrément Steinbourg. Au siècle suivant l'évêque Drogon, fils illégitime de Charlemagne, transférera les reliques des saints évêques de Metz Adelphe à Neuwiller, Céleste et Auctor à Marmoutier, un acte qui montre toute l'importance qu'on portait à ces deux possessions en Alsace. Heinrich Büttner : « so griffen im Unterelsass von Norden her Weissenburg, von Westen her die Metzer Klöster in die Zaberner Bucht herein. Maursmünster und Neuweiler liegen als Vorposten vor der Zaberner Steige ».

Autour de Steinbourg se côtoient vers le milieu du VIIIème siècle trois abbayes influentes, dans des temps où les troubles reprennent. On sait que la famille royale ne résidait plus en ses palais alsaciens depuis la mort d'Adalric en 682, les descendants de ce dernier s'imposant dans la région en leur absence. Mais une reprise en mains se profile. Sous Charles Martel les duchés, devenus héréditaires, sont remplacés par des comtés avec des comtes, fonctionnaires royaux révocables. L'Alsace n'y échappe pas. Le dernier duc d'Alsace, Liuttfrid, disparaît en 739 et avec lui son titre. Son frère Eberhardt qui lui succède n'est plus que comte d'Alsace. La décision ne fait pas l'unanimité. Vers 742 aura lieu la dernière incursion en Alsace des Alamans et des Bavarois du duc Odilon, gendre de Charles Martel, qui contestaient le partage du royaume de France et la suppression de la charge ducale. Pépin le Bref et son frère Carloman interviennent en Bavière contre leur beau-frère, l'un parvenant avec diplomatie à calmer les esprits, l'autre matant la révolte avec férocité, massacrant une grande partie de l'aristocratie alamane en 746 à Cannstatt. Eberhardt meurt en 747 et l'Alsace sera alors purement et simplement rattachée au royaume franc et scindée en deux comtés, Sundgau et Nordgau confiés au gouvernement des comtes Warin et Ruthard.


Comte Ruthard


Ruthard le Vieux, comte du Nordgau et de l’Ortenau, sur la rive droite du Rhin, nous apparaît comme le successeur des ducs d'Alsace, il mourut en 765. Il jouissait de la confiance de Pépin le Bref siégeant souvent en son tribunal. La Vita Stephani II du Liber pontificalis rapporte que le pape Etienne II, en route pour rencontrer le roi Pépin au domaine royal de Ponthion en 754, fut escorté par deux envoyés du roi franc, l'abbé Fulrad et Rotardus dux,. Il est communément admis que ce personnage, qui réapparaît sans cesse sous de nombreuses formes onomastiques (Chrothardus, Hrodhardus, Ruadhardus, Ruadhart, Chrodardus, Crothardus, Rotardus, Rothardus, Ruodhardus, Ruothardus, Ruthardus, Ruthart) est un des administrateurs influents de l'Alémannie ...id est Milone, Rotgario, Cheimgaudo, Crothardo, Gerichardo, Autgario et Wiberto comite palatii nostri (cf. Borgolte, Die Grafen Alemaniens, p. 230). Ruthard parvint à s'imposer au moyen d'une complète refonte administrative qui ne fit pas que des heureux, marquée par la création de nouveaux districts épiscopaux. Il chargea l'évêque missionnaire saint Pirmin d'une mission évangélisatrice entre Vosges et Forêt-Noire qui eut pour effet la construction de nombreux monastères, en réalité Pirmin fut le bras politique des Carolingiens dans la région, établissant nombre de têtes de pont au-delà du Rhin, sous allégeance de l'évêché de Strasbourg. Ruthard est attesté comme mécène dans tous ces cas :

724 Reichenau

725 Arnulfsau

(l'évêque de Strasbourg Eddo en désigne nommément Ruthard comme fondateur et lui donne le titre de vir illuster : vir illuster Rothardus quomis in insula qui vocatur Arnulfo auga juxta fluvium Reni infra nostra parrocia in honore sanctotum apostolorum & sanctae Marae Dei genitricis ceterorumque sanctorum cum Dei adjutorio & nostro consilio monastyrio in suo proprio a novo aedificare conatus est. (Schöpflin, Alsatia diplomatica I 17 n.16)

727 Gengenbach

740 Schuttern

749 Schwarzach (transfert de Arnulfsau, anéanti par un incendie et doté des terres proches de Steinbourg)

762 Ettenheimmünster

Toutes ces créations « ruthardiennes » se feront sur la rive droite du Rhin, d'autres (Murbach) ayant lieu en Alsace à la même époque par les descendants des ducs d'Alsace. Elles traduisent une lutte de pouvoir. Pirmin, de même que l'évêque de Strasbourg Eddo, étaient les premiers abbés de Reichenau, chassés d'Allémanie par le duc Theutbald en 727. Lorsque les Alamans subirent une lourde défaite face aux armées franques en 746, le rapport de force s'inversera. Selon le droit franc, couvents et églises appartiennent à celui qui fait donation du terrain et des biens d'exploitation (Gründungsgut) et on sait de source sûre que Ruthard fut possessionné en Alsace (en 758 il fit don de la majorité de ses terres de Dangolsheim à Schwarzach et on retrouve également ses traces à Batzendorf, Hohfrankenheim, Dürningen ou Behlenheim). Au vu de ce qui précède, Ruthard pourrait avoir été le premier feudataire de Steinbourg, mais cela ne tient pas la route.

Trois pouvoirs se partagent l'Alsace en ces temps : l'évêché de Strasbourg, le domaine royal et le domaine ducal. Ruthard est, comme il se doit par courtoisie franque, appelé « Duc » dans le sens de fils de Duc dans un diplôme de Charles le Gros pour l'abbaye de Gengenbach en l'an 885 (il y fut enterré avec son épouse), ainsi que dans la Nécrologie du monastère voisin de Schuttern : Ruthardus illustris dux et fundator multarum ecclesiarum. Son ascendance n'est pas sûre, les généalogistes émettent deux hypothèses :

Les deux généalogies évoquent un lien avec les Etichonides, dont l'origine se perd dans la nuit des temps, mais si la seconde hypothèse (plausible au vu du parcours de Ruthard) est vraie, il n'y a aucune raison qu'il ait hérité des terres par sa mère puisque la loi salique, promulguée par Clovis en 511, était toujours en vigueur. Selon elle les femmes ne pouvaient hériter de la terre clanique d'origine, celle-ci passait en totalité au sexe masculin (on sait que les biens des Etichonides se retrouveront aux mains des Habsbourg au siècle prochain) de surcroît Ruthard serait né d'un second mariage. Dans la première hypothèse il semble aussi douteux que Schwarzach ait reçu en don des terres d'un comte qui ne pouvait en disposer librement d'après son statut et aussi importantes militairement, une enclave en plein milieu de 3 puissantes abbayes créées antérieurement. La logique voudrait que ce Ruthard n'ait qu'administré ces terres pour le compte de la couronne.

Une autre théorie paraît intéressante au sens de l'Histoire.

L'acte de 828 est intéressant à plus d'un titre. Nous avons vu qu’il s’agissait d’un échange de terre avec un nouveau personnage qui sort de nulle part et dont le rôle va aller croissant. Au même moment un acte d’échange identique est établi pour Vendenheim et Lampertheim qui semblaient appartenir à Erchanger, et Schwarzach. On peut se demander si ce document n’est pas la partie immergée de l’iceberg, la famille d'Erchangar recevant des terres plus à l’ouest en même temps que l’investiture sur la rive gauche du Rhin ? Ce qui plaide pour cette version est la reconnaissance du titre de propriété d'Erchanger par Louis le Pieux et son fils, per nostram sibi datam licensiam. C'est donner beaucoup d'importance à des champs même pas défrichés. L'explication pourrait être que les terres de Schwarzach dont il est question entre Zorn et Zinsel devaient anciennement appartenir au domaine royal ou avoir été affermées, les rois Francs considéraient leurs terres comme leur propriété à vie, les reprenant parfois au gré des alliances. Heinrich Büttner rapporte qu'au vu des chartes de l'abbaye d'Andlau et de Marmoutier, les forêts au nord et au sud de Saverne et la ville elle-même faisaient toujours fiscalement partie de l'empire au Xème siècle puisqu'on y frappait monnaie à Saverne. Le contrôle de la vallée de la Zorn à un moment où les Francs étendaient leur influence outre-Rhin était vital. En 725 Charles Martel emprunte ce passage pour mater les Bavarois (avant de revenir pour combattre les Arabes à Poitiers), en 770 Carloman se portera de Thionville à Brumath, Charlemagne résidera à Brumath en 772. On comprendrait mal comment la « pénétrante » en Alsace aurait été hors contrôle de la couronne. D'ailleurs un autre échange de terres identique se produisit quelques années plus tôt, en 820 : le comte de Tours Hugues III, un des plus hauts personnages du pays descendant des Etichonides et père d'Ermengarde l'épouse de Lothaire Ier, reçoit 13 manses à Dettwiller qui appartenaient précédemment à l'abbaye de Wissembourg. Coïncidence peut-être : il sera destitué et sévèrement réprimandé pour son incompétence par Louis le Pieux en 828, l'année ou Erchanger apparaît en Alsace.

L’Alsace joue un rôle majeur après la mort de Charlemagne, évènements qui conditionneront son histoire pendant longtemps. Son fils, Louis le Pieux, partage l’empire de son vivant entre ses trois fils. Mais d’un second lit naît Charles qu’il possessionne également sous l'insistance de sa seconde épouse. Les anciens duchés d'Alsace, d'Alémanie et de Rhétie sont alors réunis dans le Regnum sueviae mais les trois frères ne sont pas d’accord et affrontent l’armée de leur père à Cernay. Le lot prévu pour Charles sera donné à Louis le Germanique, après la victoire des fils contre leur père. Lorsque Louis le Pieux reprend le pouvoir, l’Alsace sera reprise et attribuée au frère aîné, Lothaire. Mais Louis le Pieux meurt en 840, la querelle recommence, Charles et Louis se liguent cette fois-ci contre Lothaire. Celui-ci réussit à garder l’Alsace de son vivant (traité de Verdun en 843) mais après sa mort en 855, ses fils ne résisteront pas à la pression d’un Louis le Germanique lorgnant vers l’Alsace qu’il récupérera définitivement au traité de Meersen au profit du plus jeune de ses fils issu d’un second mariage, Charles III le Gros.


Entre en scène un personnage illustre et méconnu, le comte Erchanger


Du comte Erchanger ou Erchangar nous ne connaissons que sa mère Rotrud par l'acte de 828 et ses frères Worad, Bernald et Bernard, membres de la noblesse du Rhin Supérieur, dévoués à Lothaire Ier comme toutes les grandes familles de la région. Cette toute jeune dynastie de Souabe a commencé à jouer un rôle aux environ des années 770 avec le déclin des Ruthard. D’ordinaire on la rattache à Berthold, margrave de Souabe (770-815), marié avec Ermengarde d’Alsace. Margrave signifie littéralement « comte des Marches », l’équivalent de marquis, cela correspondait à un commandement uniquement militaire mais était classé dans la hiérarchie au-dessus de comte. Berthold aurait pu hériter du comté de Ruthard le Jeune, qui disparut de la scène politique vers 779 (on dit qu'il serait tombé en disgrâce puis révoqué par Charlemagne après avoir succédé à son père). Erchanger fut-il ce familier de Charlemagne, « comes ercangarius », qui assista aux derniers vœux testamentaires de l’empereur en 811 (voir Einhard, Karl der Grosse und sein Hof, Verlag Abel-Simson) ? On ne peut l’affirmer avec certitude mais il y a de grandes chances. De 817 à 828 un Erchangar administre le Brisgau et la Forêt Noire après la mort de Berthold. Michael Borgolte dans « Die Grafen Allemaniens », penche pour un Erchangar père qui aurait oeuvré sur la rive droite du Rhin jusqu'en 827 et un Erchangar fils qui aurait reçu l'investiture sur la rive gauche. Depuis 823 apparaissent en effet des actes avec un Erchangar représentant des autorités carolingiennes en Alsace, et les deux fois lors d'échanges de terres. Son père serait décédé entre le 28 avril 827 et le 12 février 828. Et en mars, l'acte de Steinbourg / Ernolsheim. Coïncidence ? 

Immense faveur, les biens royaux de Marlenheim/Kintzheim lui seront attribués vers 843 en signe de reconnaissance pour sa fidélité (Schoepflin, Alsatia diplomatica 1 Nr. 89), tandis que le Brisgau passera dans le giron de son futur gendre, Charles le Gros. Erchanger épousera vers 845 Gisèle de Germanie, la fille de Louis II le Germanique. Celui-ci après la mort de Lothaire Ier, cherchait à se concilier les faveurs du comte, ancien proche de son frère, et à gagner ainsi à sa cause l’aristocratie alsacienne, ce qui explique ce mariage politique, à la veille de son combat contre les Wendes et du soutien risqué à son neveu empêtré dans ses affaires matrimoniales (Annales Bertiniani en 862 : Louis, relicto in patria Karolo filio, quoniam nuper uxorem Ercangarii comitis filiam duxerat). On parle encore de lui en 864 et 866.

Erchanger est identifié comme le père de Ste Richarde, mariée en 862 à l’âge de 17 ans avec le dernier fils de Louis le Germanique, Charles III le Gros, celui-là même qui héritera à la mort de tous ses frères de la Germanie et de la « Francia orientalis » (il sera le dernier Carolingien régnant, réunissant les deux titres empereur d'Occident et roi de France en 884, mais incapable de lutter contre l'anarchie il renoncera aux deux couronnes en 887). Signe tangible d’une volonté de s’attirer les faveurs alsaciennes : lors du mariage avec son fils, Louis le Germanique dota sa belle-fille de terres dans le Brisgau voisin comme Morgengabe, terres qui continueront d’être administrées par Andlau jusqu’en 1344.

Notons que le village d’Erckartswiller, non loin de Steinbourg, entrera dans l’histoire en 1117 sous le nom d’Erkengeriswilre, l’anthroponyme Erkenger = Erkangar, suivi de wilre, hameau, « le hameau d’Erchanger ». Que Ste Richarde fut la fille du comte Erchangar est attesté par les statuts de l’abbaye d’Andlau (Regesta alsatiae I Nr. 656, Verlag Dümmler II 36A.4). Concernant l’impératrice Richarde canonisée plus tard par le pape Léon IX, elle se retira à Andlau, possession familiale, après sa séparation forcée avec Charles III à qui elle n’avait pas donné d’enfant. On sait que l’abbaye ne reçut pas de terres proches en dotation comme c’était le cas habituellement car Richarde reçut les terres familiales. Schoepflin confirme l’origine héréditaire des possessions territoriales d’Andlau: «...quod Rigarda... monasterium puellarum q.d. Eleon in proprietate sua paterna a fundamento construxit... » (Als. Dipl. I 92 n114). Steinbourg, entre Zorn et Zinsel, est à l'extrême nord des propriétés que Richarde hérita de son père Erchanger, qui n’avait pas d’héritier mâle.


Origine du nom Steinbourg


Il reste un point à éclaircir : l'origine du nom du village. Nous savons qu'il est franc, mais il ne fut jamais employé ni dans l'acte de 828 ni dans la confirmation de propriété de Charles III à Richarde vers 887 : senior igitur meus b.m. Carolus... rogatu autem nostro tradidit ad predictum altare patromonium nostrum, ilud quod as zinsila est et ad Ualterescett, etc.... (Grandidier, Hist. de l'église de Strasbourg II304, n. 165 et Schöpflin, Als. Dipl. I180, n. 231). On y parle toujours de la Zinsel. Les noms propres constituent bien souvent la seule trace linguistique qui nous soit parvenue de l'occupation de certaines régions et les lieu-dits des témoins du passé politique et administratif. Le problème majeur de l'utilisation des toponymes est la fixation  de la date  à partir de laquelle  ils ont été rattachés au lieu en question. Dans la région de Steinbourg comme ailleurs, ce sont d'abord les fleuves  (la sorna, d'ascendance celtique) puis les  hauteurs (l'Altenberg témoigne d'un substrat indigène, comme Kreuzelwasen, à proximité), puis les noms des agglomérations en devenir, qui furent employés. A Steinwircke, au nom si évocateur, on peut raisonnablement supposer qu'à cet endroit stratégique se fit sentir l’impérieuse nécessité d’une installation défensive (= wircki en francique) devant sécuriser un axe est-ouest qui prenait de l'importance, et nord-sud, mais elle ne devait pas encore avoir entraîné la fixation d'un habitat urbain à ce moment précis. Le toponyme militaire est selon toute vraisemblance la marque d'un poste d'observation. Au lieu-dit Lohrberg étaient exploitées jadis des carrières de pierre qui fournissaient entre autres des pierres pour l'entretien de la route sud-nord qui passait à côté et est-ouest passant devant le"Kinderbrennele". Fait troublant, lors d'une prospection aérienne en 1997 on repéra une motte castrale non loin de la villa romaine en question au chapitre précédent, au NO du village actuel au Lohrberg, touchant au ban d'Ernolsheim. On sait le rôle considérable qu'ont joué ces promontoires munis de châteaux forts de plaine dans la constitution de terroirs villageois. Ce fortin a pu être construit avant qu'Andlau ne prenne les rênes du secteur ou suite aux invasions hongroises de 917 et 926. Certes le roi seul avait le droit de construire des forteresses, mais très rapidement des paysans libres (Bauernburgen), des abbayes ou seigneuries locales s'arrogeront ce droit suite au morcellement politique et à l'effacement des premiers souverains germaniques fuyant leurs responsabilités.

Pendant plus de deux siècles il n'est plus fait mention de Steinbourg nulle part, le village put se développer à l'abri des convoitises, l'abbaye d'Andlau cumulant la protection papale, privilège unique en Alsace, attribué par le pape Jean VII en 882, et impériale (Charles III en 912). Il réapparaît en 1120, puis 1126. En 1230 un document en latin délivré par l'abbesse Hedwige le désigne comme le centre administratif des biens hérités de Richarde.

De ce que nous avons vu dans cette première partie nous pouvons tirer comme conclusion que le village a un passé rural remontant aux premiers siècles de notre ère, avant de péricliter lors de l'obscure période du Haut Moyen-Age. Il connut son premier feudataire nommément désigné en 828 en la personne du comte Erchanger qui peut être considéré comme celui qui fit naître un nouveau schéma d'occupation qui s'amplifiera aux siècles suivants, une fois la région pacifiée des guerres dynastiques.