Géographie sociale du XVIIIème siècle à Steinbourg

Après la guerre de Trente Ans les campagnes sont vides d'hommes et en friches. Louis XIV en 1662 publie une ordonnance qui donne 3 mois aux habitants des terres d'Alsace pour présenter leurs titres de propriété, de venir et habiter et cultiver lesdites terres, sans quoi celles-ci reviendraient à ceux qui les mettraient en culture. L'année suivante l'évêque de Strasbourg met en application ces directives et décide que les biens de ses nombreux villages seront partagés entre les immigrants, de surcroît exemptés de toutes corvées ou impôts pendant six ans. Il autorise le prélèvement gratuit de bois dans ses forêts pour la reconstruction des maisons. Les premières familles installées se servent donc. Ils sont 16 émigrés suisses qui de 1664 à 1672 rejoignent les habitants et remettent brillamment les cultures sur pied en moins d'une génération.

Voici les éléments dont nous disposons un siècle plus tard :

Relevé des superficies de la communauté en 1751

En 1751 on comptabilisait 1481 ha (données fournies par la communauté). Dix ans plus tard, après l'arpentage officiel sous l'autorité du gouverneur Pineau de Lucé, sont dénombrés 1162 ha. La différence, 319 ha, peut provenir d'une mauvaise expertise ou de l'opposition des habitants aux travaux (les relevés furent tellement peu fiables que le successeur de Pineau de Lucé n'en tiendra pas compte) mais plus vraisemblablement des terres patrimoniales nobles et ecclésiastiques qui n'ont pas été arpentées car non imposables (l'héritage Erchanger évalué à quelques 250 ha, n'en était pas très éloigné). En valeur relative les 11,6 km2 imposables de Steinbourg représentaient 24 % de la superficie imposable du bailliage de Saverne (*1). Aujourd'hui le ban a 1273 ha dont 396 de forêts.

Nature des terres exploitées (1760-1763)

Terres labourables : 341 ha (29,3 %), prés 196 ha (16,9 %), vignes 13,47 ha (0,8 %), pâturages 26,39 (1 %), habitat (1%), le reste, donc plus de la moitié sont des forêts (588 ha).

Par rapport aux communes voisines, frappe la forte proportion de bois (Steinbourg représente 43,8 % des forêts du baillage (*1). Des affaires de rentes forestières et de litiges occupent le devant de la scène avant la Révolution. Arbitrés d'abord par la Chambre impériale au XVIème siècle, puis par le Conseil souverain d'Alsace comme en 1715 lorsque le couvent de St Jean lorgne sur le Viergemeindewald. En 1693 on plante un nouveau bois de chênes, le Jungwald. Le 26 août 1718, dix villageois députés de la part de la commune, bornent la forêt de Monsau attenante à l'Evêché par plantage de pierres. Les forêts génèrent des revenus confortables pour la commune, 1800 livres tournois de rentes en 1751, c'est plus de 68 % des rentes du bailliage et ce malgré le fait qu'elles étaient déjà sur-exploitées (cf. règlement forestal de 1754 de l'Intendant de Lucé qui interdit la coupe du bois et charge le prévôt de le faire respecter sous peine de sanctions). Les fonctions de prévôt *(2) et de garde-forestier épiscopal se cumulaient. C'est sur les forêts que Steinbourg avait porté ses efforts patrimoniaux au Moyen-Age, stratégie qui se révèlera opportune des siècles plus tard.

En 1766 on recense 77 feux à Steinbourg (selon les auteurs on compte entre 4,6 et 5 personnes par feu) qui se partagent 577 ha de terres hors forêts = 4,5 ha. / cellule familiale, on peut admettre très grossièrement que la moitié était de l'herbe et de la jachère.

Morphologie agraire d'après les revenus officiels de 1762 (*3)

Terres labourables

51,07 ares (1 arpent de roi) rapportent la première année (froment) 55 livres et la deuxième (orge) 35, soit 90 livres en tout. Dépenses : froment 35 livres, orge 25, donc gain de 20 pour le froment et 10 pour l'orge.

Le bénéfice se calcule sur trois ans en raison de la jachère : 30 livres en argent = 10 / an / arpent. Pour donner une idée du pouvoir d'achat, une poule coûte 0,5 livres, si on raisonne à l'extrême la production d'un hectare de terres permet d'acheter une poule tous les 9 jours ! Pour information : une livre vaut à peu près 20 € de maintenant.

De ce qui précède nous remarquons une métamorphose des cultures céréalières, celles de seigle et d'avoine ont disparues. Au XVIIIème siècle l'orge a fait son apparition en tant que culture commerciale pour la fabrication de bière et supplante l'avoine. On devine un opportunisme des habitants qui en outre abandonnent le seigle à plus faible valeur marchande. On pouvait aussi faire du pain d'orge avec un tiers de froment. Les progrès du froment, qui représentera 60 % du chiffre d'affaires céréales, s'expliquent par l'influence française, les campagnes allemandes étant quand à elles restés au pain noir. L'assolement est encore triennal avec jachère la 3ème année, le blé étant plus exigeant que le seigle ou l'avoine ne pouvait être cultivé deux années de suite sauf à épuiser le sol. Ce n'est qu'un peu plus tard que le paysan alsacien passera de 2 récoltes en 3 ans à 1 en 2 ans, le rendement s'améliorait ainsi et le blé était vendu plus cher, ayant compris qu'il vaut mieux une bonne récolte tous les deux ans que deux moyennes tous les trois. Faisons remarquer qu'avec l'arrivée de la pomme de terre et du trèfle, la jachère pourra être mise en culture à partir de 1770, ajoutant, sans jeu de mots, du beurre dans les épinards.

Vignes

La viticulture est pratiquée à Steinbourg depuis l'époque romaine (traces retrouvées sur le versant de l'Altenberg) et on sait qu'en 828 il y avait 4 vignobles, mais c'est une des plus petites superficies du bailliage (5,6 %) car il n'y a pas d'endroit indiqué pour. Elle est pourtant très rémunératrice.

L'arpent de vigne rapporte 110 - 73 de frais

= 37 livres ou 675 litres de qualité 1

= 25 livres ou 465 litres de qualité 2

= 12 livres ou 237 litres de qualité 3

Prés

Produit : 37 livres pour 8 de frais = bénéfice de 29 livres / arpent = 29 quintaux = 1420 kilos de foin

Le village entier produit donc :

- 10.230 livres tournois de grains, ce qui valait en masse de froment de qualité moyenne 50 litres / arpent = 33,4 hectolitres. Cela fait 0,261 par jour par habitant, insuffisant pour assurer la subsistance d'un adulte. (base 350 habitants, le village n'était pas auto-suffisant.

- entre 235 et 724 livres de vin (c.à.d. 43,7 et 132 hectolitres)

- 545 tonnes ½ de foin

La carte en annexe nous montre ce que furent les terres cultivées (hachurées) et les prairies au XVIIIème siècle. On remarquera qu'il n'est fait mention nulle part de culture fruitière malgré le terrain marno-calcaire favorable.

Démographie

Penchons-nous sur la démographie du village au XVIIIème siècle.

La guerre de Trente Ans avait dévasté Steinbourg, quartier général des hommes de Mansfeld, au point que la majeure partie des familles réfugiées à Saverne en 1622, ne reviendront plus. Seules deux d'entre-elles sont attestées être revenues, deux autres au-moins dont le prévôt, étaient restées. En 1666 Steinbourg compte 20 feux, une petite centaine d'habitants, en 1700 une trentaine de foyers, 40 en 1720, un doublement en 54 ans. Puis un doublement en 30 ans de 1720 à 1750. Pendant ce même laps de temps où Steinbourg a quadruplé, la population alsacienne passera de 250.000 habitants en 1666 à 445.000 en 1750, la densité du peuplement rural la plus élevée de France frappera de nombreux contemporains.

Nous avons examiné quelques familles. La première chose qui saute aux yeux, c'est l'extraordinaire taux de fécondité de la 3ème génération d'immigrants par rapport aux anciennes familles qui se rapproche carrément de la fécondité physiologique. C'est ainsi que Jean M., 1er M. à naître à Steinbourg vers 1659, a 7 enfants dont un émigre à Strasbourg, 4 semblent avoir survécu. Mais ses deux fils restés à Steinbourg, Jean né en 1713 et Jean-Georges en 1699, en ont 13 et 17. Chez Jean les 9 premiers ont une descendance, les 4 derniers nés à partir de 51 ans âge de l'épouse, n'atteignent pas l'âge de deux ans. La filiation Jean-Georges génère aussi 9 descendants et 8 mourront en bas âge, 5 d'entre-eux à partir de l'âge de 43 ans pour l'épouse et 40 ans pour lui, remarié deux fois. Ces hommes avaient une santé de fer, Jean-Georges mourra en tant que doyen du village à l'âge de 80 ans. Symptomatique, l'année de sa mort ils étaient encore 4 au-dessus de 79 ans, avec les trois années d'avant 4 autres arrivèrent à cet âge canonique pour l'époque (cette situation ne se reproduira plus avant de nombreuses décennies). Les deux frères s'étaient remarié dans l'année suivant le décès de l'épouse, la 3ème épouse de Jean pourtant déjà âgée de 45 ans, aura encore 7 enfants en 15 ans, jusqu'à mourir d'épuisement ? L'allaitement tenant lieu de contraceptif, on peut se demander pourquoi cette insistance et un tel risque. Certes la religion catholique encourageait fortement les naissances mais c'est quand même extrême, incompréhensible à notre époque. On remarque ensuite que les enfants de cette génération, donc les 4ème et 5ème, connaîtront eux-mêmes des décès multiples dans les années 1760 - 1780, décennies caractérisées par une très forte mortalité.

Le destin s'acharnera particulièrement sur certains. C'est ainsi que Georges H., maire, aura 17 enfants de 2 épouses différentes dont très peu survivront. En 1768 il cumulera re-mariage, naissance et trois décès d'enfants en bas âge de sa première femme décédée l'année précédente. Deux évènements heureux et trois coups du sort dans la même année. Cette forte mortalité infantile allait durer, une de ses filles aura 13 enfants de 24 à 46 ans dont un seul engendrera une descendance qui continue encore aujourd'hui, les 7 derniers, de 1808 à 1816 (soit un tous les 13 mois !), ne virent que brièvement la lumière du jour. Il en fallait de la chance pour perpétuer ses gênes. Il est vrai que la tendance à l'endogamie qu'on repère au début entre les premières familles n'arrangeait rien. Il apparaît clairement dans les registres que les relations matrimoniales ne se font d'abord pas au hasard. Trois critères dominent : la situation confessionnelle bien sûr (rappelons que les mariages mixtes sont strictement interdits jusqu'en 1774), l'ancienneté de la famille et sa condition sociale. Il y endogamie géographique et sociale, et lorsqu'une femme se retrouve veuve il n'est pas rare qu'un des frères du défunt l'épouse pour garder les terres dans la structure familiale. Il est symptomatique de constater que 3 frères de la famille M. citée plus haut se marient à 3 sœurs (un troc ?) et ne réussiront pas à faire de descendance, le 4ème plus jeune de 24 ans se mariant même plus tard à la fille de la veuve de son frère décédé, non plus. Streicher, Fischer et Bleze décrivent ainsi la situation dans l'Histoire des Alsaciens des origines à 1789 : « la parcellisation des terres est freinée au début du XVIIIème siècle par la fixation dans la conscience paysanne d'interdits matrimoniaux », on cherche ainsi à éviter la fréquentation de la jeunesse d'un village à l'autre pour limiter la dispersion des propriétés par la mariage, les jeunes hommes des villages voisins se faisant rosser s'ils courtisent des filles du village. De vraies alliances se constituent, un laboureur épousant la fille d'un fermier, un meunier la fille d'un meunier (voir en annexe les Ramspacher) (*5). Les préoccupations matérielles semblent à première vue l'emporter sur les sentiments. Cette situation change vers le milieu du XVIIIème siècle, amenant du sang neuf au village mais en même temps le germe d'un appauvrissement des biens familiaux et d'un morcellement des parcelles. La rupture de comportement provient d'une seconde vague d'immigration, de nouveaux noms apparaissant au village en provenance des communes limitrophes, d'outre-forêt et d'Allemagne.

La sage-femme en tout cas avait du travail.

Durant la décennie 1740 la moyenne des naissances s'établissait encore à 21 pour 70 familles, et 22 pour 80 les années 1750, puis s'accélère une première fois : la décennie 1760 : 29 la décennie 1770 : 33

avant de stagner en 1780 et 1790 : 33 (effet d'une baisse de la population de 1750 à 1760 et peut-être de la pneumonie infectieuse entre 1783 et 1789 qui toucha particulièrement les adultes), puis repartir vers les sommets après 1800 (54).

Deux facteurs peuvent expliquer cette fécondité :

1° devoir faire travailler ses enfants aux champs (les garçons gardant les troupeaux dès 6 ans et participant aux travaux des champs dès 10)

2° l'importance de la mortalité infantile

Nous ne disposons pas des statistiques de mortalité infantile avant 1745, date où il devint obligatoire de noter l'âge des enfants qui avant n'apparaissaient même pas dans les registres de décès. Voir tableau ci-joint de 1743 à 1789 (*6), par enfant on s'est borné à prendre les moins de 8 ans mais ils décèdent presque tous les 3 premières années, une fois le cap des maladies infantiles franchi il n'y a plus que très peu de décès.

On remarque tout de suite que parfois l'accroissement naturel est négatif. Certaines années c'est une hécatombe. Les années de disette connues sont marquées en rouge et d'épidémie en bleu. Si disette il y eût certaines années, c'est bien la preuve qu'on approchait de la limite de peuplement. En 1745, la mortalité infantile c'est 90 % des décès, de 1745 à la veille de la Révolution 44 % des décès. A noter que de 1750 à 1770 la population de Steinbourg stagnera malgré un accroissement naturel positif, ces années sont marquées par un faible taux de nuptialité. 1750 est une date charnière, on était arrivé au maximum qu'on pouvait tirer du système de culture ancien, la pénurie de grains ira grandissant pour culminer en 1770 et 1771 dans toute l'Alsace. Vers la fin du XVIIIème siècle une nouvelle émigration ramènera de la vigueur. NdlA : cette prolixité restera dans les gênes. Le XIXème siècle aussi connaîtra une démographie vigoureuse culminant dans les années 1870 (moyenne de 69 / an avec le record en 1776 de 78 naissances) sous l'effet d'une nouvelle vague d'immigration, la baisse de la mortalité et l'amélioration technique. De 1856 à 1936 la population steinbourgeoise augmentera encore de 30 % alors qu'elle baisse déjà de 20 à 30 dans le Kochersberg et jusqu'à 50 % dans le pays de Hanau et de Marmoutier.

La démographie galopante explique la disparition de l'avoine entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, la nourriture aux bêtes passant au second plan. A partir du milieu du XVIIIème siècle les cultures fourragères nouvelles comme la luzerne ou la betterave permettront de supprimer progressivement le pâturage pour les labours et bouleverserons les techniques d'élevage, rompant le cercle vicieux hommes contre bétail, l'un au détriment de l'autre. A cette date ce n'est pas encore le cas à Steinbourg.

Elle est aussi à l'origine d'une 4ème grande période de défrichements, cette fois des déboisements. Entre l'époque de ces plans et l'établissement du cadastre impérial en 1826, des gains importants s'observent en bordure des forêts. N'ayant pas assez de fumier qui aurait pu améliorer les rendements, c'est en augmentant les superficies de labours qu'on essaiera de répondre à la demande croissante. On comprend pourquoi le steinbourgeois est viscéralement attaché à ses forêts, n'hésitant pas à plaider sa cause auprès du roi lorsque le seigneur du lieu empiètera sur les terres communales pour ses loisirs. L'affaire de la Faisanderie qui durera de 1730 à la Révolution (cf. Pays d'Alsace 4, 2002) est l'illustration de ce besoin vital de garder les superficies de pâture pour le maigre cheptel, l'Evêché n'en saisira pas l'importance et les habitants ne lâcheront pas.

Elle mène enfin à une précarisation grandissante. La disponibilité des terres est épuisée vers 1750. Le partage successoral en vigueur a fait que les terres octroyées après la guerre de Trente Ans ont été divisées entre héritiers, contrairement au proche Kochersberg où le droit d'aînesse s'appliquait intégralement. En 1716 déjà l'Intendant d'Alsace observait « que les cadets partageant les fiefs comme les aînés, les gentilshommes ne sont pas riches en Alsace », il en allait de même avec le peuple. Le plan cadastral de 1826 montre un faisceau de parcelles allongées d'une largeur d'à peine une semée (6 pas), preuve de leur découpage entre héritiers en lots égaux. Toutes les deux générations les parcelles ont triplé. Examinons à présent la structure sociale des Steinbourgeois de cette époque.

Structure sociale

Nous disposons à cet effet des relevés de 1751 pour le nombre de chevaux et de bovins et du relevé fiscal de 1766 pour la répartition des feux.

En 1751 on recensait 66 boeufs et 81 chevaux de plus de 2,5 ans (1 cheval par feu quasiment), plus de Rossbüre que de Kuebüre. Si on exprime ces deux chiffres par rapport au nombre de laboureurs recensés 15 ans après (= 24), l'écart avec les villages voisins est conséquent :

2,75 / laboureur pour Steinbourg contre 6,58 pour Saverne, 5,42 Altenheim, 4,62 Kleingoeft, 3,8 Otterswiller, 4,16 Dettwiller (même nombre de laboureurs en 1751), Rosenwiller 5,33. Seul Dossenheim en a moins (1,93) mais au-moins Dossenheim dispose de chevaux en nombre (6,33 contre 3,3 pour Steinbourg, 9,5 Saverne, 8,08 Dettwiller, etc...). Cette statistique n'est pas pertinente car il peut y avoir des variations au sein des Grossbüre et des autres mais est néanmoins parlante par rapport à ses voisins. La conclusion, c'est que Steinbourg est sous-équipé en bêtes de trait. Il ressort des statistiques que ces derniers ne pouvaient assurer l'alimentation en viande. Steinbourg, pour des raisons historiques, n'avait pas beaucoup de prairies à disposition (18 % de la superficie totale, les pâturages proprement dit ne comptant que pour 1 %). La moyenne du baillage de Saverne est de 33 % en tout, dont 20 % en pâturages. A cette époque on envoyait les bêtes en forêt avec les porcs, pour un résultat qui ne pouvait être que médiocre. Elever des vaches signifiait trouver un supplément de fourrages hors village, le gaspillage de la majeure partie du fumier et par ricochet de mauvaises récoltes. Nous savons d'après les relevés de 1762 (*6) qu'un ha de bonne prairie génère 29 quintaux de foin, le village peut viser un maximum de 6074 qx à l'année. Nous savons aussi qu'une bête mange en moyenne 15 kg de foin / jour = 54 qx par an (d'après Flaxland, 1867, p. 81). Le maximum de têtes de bétail se situe à 112 si tout le foin lui est réservé. Le regain est compris dans ce calcul. Il faut presque deux hectares de blé pour nourrir une vache ! Pire, un ha de mauvaise prairie ne donne que 12 quintaux par an, dans ce cas le village peut nourrir théoriquement 46 bêtes. Si la prairie est moyenne, 70, en ligne avec le comptage de 1751.

Ce résultat traduit deux choses :

1. la capacité nourricière des prés et pâturages était trop faible, en quatre générations Steinbourg était arrivé au maximum possible en têtes de bétail (l'état officiel des récoltes de 1771 confirme que dans la subdélégation de Saverne lorsque le rendement du blé était faible, on tuait nombre de bêtes pour réserver la récolte aux êtres humains)

2. on était arrivé à la densité limite du peuplement humain

Répartition socio-professionnelle : sur 77 foyers, 24 (31 %) sont laboureurs et 53 (69 %) pionniers ou manouvriers (journaliers, domestiques et artisans). Les premiers disposent d'un attelage, les pionniers n'ont que leurs bras. Là se situe le clivage social de ces années-là. Mais ces données brutes cachent de fortes disparités. Les artisans (généralement les cadets des familles devant se trouver un métier), ne sont pas séparés (cordonnier, tisserands...) et peuvent donc se trouver dans l'une ou l'autre catégorie. Une autre statistique fiscale fournit des renseignements plus parlants, celle des bons, moyens et moindres feux, respectivement 15 bons (19,5 %), 20 moyens (26 %) et la grande masse de mauvais (54,5 %). C'est mieux que les villages environnants (moyenne du baillage 12,3 et 63,7 %) y compris Saverne. Même si le contour n'en est pas clairement défini, on peut évaluer la richesse du village. Un aubergiste au-moins est attesté, 3 meuniers (dont la famille Ramspacher, voir en annexe), les Meyerhoffen, selon toutes probabilités le curé figurait à l'abri du besoin, percevant un salaire et une partie de la dîme (les spécialistes l'évaluent entre 1/4 et 1/2 sur 10 % des revenus du village précédemment évalués ce n'est pas mal). Cela fait 6 bons au-moins. Il reste dès lors 9 paysans importants qui ne peuvent être que des laboureurs et par conséquent 13 laboureurs « moyens » parmi lesquels peuvent se trouver quelques artisans. Croisons ces chiffres avec une autre statistique, celle des bœufs et chevaux corvéables, 36 et 33. Par rapport au nombre de laboureurs total, c'est 1,5 bœufs et 1,37 chevaux par foyer. On peut penser que les 9 foyers fiscaux aisés ont un attelage de 2 bœufs au-moins plus un cheval, reste pour les autres 1 boeuf ou 1 cheval, cheval ne présentant aucun intérêt puisque ne fournissant ni viande, ni lait. L'éventail peut être aussi plus ouvert selon que tel ou tel artisan fortuné fasse partie des foyers aisés, ce sont des moyennes. La structure des exploitations paraît en tout cas modeste, la différence entre les deux catégories socio-professionnelles peu importante. Il ressort de cette analyse que Steinbourg a une structure assez égalitaire, un quotient laboureurs / manouvriers de 0,45 (la moyenne des baillages ruraux bas-rhinois est de l'ordre de 0,70 en 1766). Le cheptel apparaît comme le talon d'Achille de la commune, plaçant le village à mi-distance de l'opulence et de la misère et plus mal loti que ses voisins sur un plan gros cultivateurs.

La superficie moyenne des terres labourables confirme cette position : 14,20 ha / cultivateur (base : 341 ha). C'est nettement moins que le Kochersberg voisin où l'on dénombre entre 6 et 9 animaux de trait par ménage. A Waldolwisheim et à Dossenheim la superficie moyenne est de 22 ha, ces villages disposent de 58 et 69 bêtes de trait pour 13 et 15 agriculteurs, à Saverne 12 agriculteurs se partagent 82 chevaux pour une superficie moyenne de 23 ha. Moins de journaliers que les autres en parallèle car de fait personne ne pouvait les employer !

Conclusion

Le surpeuplement précoce a mené à un morcellement progressif des terres encore accentué par la Révolution et le partage des biens communaux qui mènera à une prolétarisation de ses habitants au XIXème siècle avec la multiplication des journaliers agricoles. Mais on note aussi une structure plus homogène et ceci contribuera à la personnalité des Steinbourgeois aux siècles prochains, très tôt obligés de se serrer les coudes. L'absence de patriciat terrien a conduit à une structure sociale démocratique et une étroite solidarité économique qu'on constatait encore récemment lorsque le paysan prête volontiers son tracteur pour de menus travaux, comme devait le faire le laboureur du XVIIIème siècle aux manouvriers dépourvus de bêtes de labour.

Notes :

(1) Baillage de Saverne : Altenheim, Kleingoeft, Monswiller avec Zornhoffen, Ottersthal, Otterswiller, Saverne, Steinbourg, Waldolwisheim

(2) Le Schultheiss a un rôle éminent. Il est à la fois le défenseur des intérêts du seigneur, désigné par lui, et le receveur de la commune, qu'il défend lorsqu'elle est menacée y compris par son maître (cf. affaire de la Faisanderie, cahier SHASE 2002,4). La fonction ne mène pas à la richesse, elle en tire sa substance car hormis les droits de bourgeoisie il n'est pas rémunéré. Comme critères de choix, il doit figurer au nombre des habitants qui ne sont pas dans le besoin, en théorie parler français et allemand (mais en Alsace ceci et un vœu pieu), de préférence être natif du village. A Steinbourg les Lehman, famille déjà répertoriée en 1617 au village, avaient autorité. Adam, prévôt en 1658, son fils Jacques en 1664, puis le bâton est transmis aux Aleman attestés comme prévôts en 1688 avec Jean et en 1715 son fils Jean-Michel (on peut se demander s'il ne s'agit pas des mêmes vu la similitude des noms et la disparition des Lehman au moment où les autres apparaissent sous la plume d'un prêtre français, le dénommé Sauvage ; celui-ci est un adepte de la confusion faisant d'un Minni un Lemoine par exemple). On était donc prévôt de père en fils. La sœur de Jean née en 1670, sera aussi la doyenne du village plus tard et vivra jusqu'à 91 ans. Le rôle n'est pas facile, c'est autant un médiateur qu'un représentant de la loi, portant souvent la responsabilité des actes de ses concitoyens, comme lors de l'interdiction des coupes de bois édictée par le baron de Lucé en 1754.

(3) Steiwerer Kaasblattel 1983, 2