C. 1120 - 1650

Genèse médiévale

Nous retrouvons le nom originel pour la première fois dans la comptabilité de l’abbaye d’Andlau en 1120, « villa Steingewirke ad proprietatem S. Petri et Richardis in Andelohe pertinens », suivi en 1126 de l’acte d’érection du couvent de St Jean où l’on apprend qu'une partie des forêts vosgiennes appartenaient déjà à Steinbourg, propriété de l'abbaye d'Andlau (« hoc est ville Steingewirke ad proprietatem s. Petri et Richardi Andelache pertinensis »). 

L’histoire à présent se précipite, depuis les premières mentions en 1120 et 1126 :

Au XIVème siècle on trouve successivement mention de Steingewircke (1306), Steingewirke (1386) et Steinwirke (1390), mais aussi de Steingewurck (1395) et Steingewürcke (1397) dans divers registres de l’abbaye, dont la majorité fut malheureusement perdue lors de la Révolution de 1789. Sous Louis XIV le nom sera francisé en Istambourg et ce n'est qu'en  1806 qu'un arrêté en faveur de Steinbourg sera pris par le Conseil de préfecture.  

Andlau, y possédait les droits ecclésiastiques (droit aux armoiries sur les vitraux de l'église, Ste Richarde y figure toujours), le droit de percevoir la dîme (3*), le droit de patronage (4*), le droit de rendre justice (un Schultheiss y résidait en permanence) et une importante cour domaniale (5*), en sus d'une servitude très rare, le droit de grenouillage (6*). Le château était leur ("petite forteresse entourée de fossés et de courtines") de même que le verger attenant et les moulins de la Zorn (un de ces moulins dit "Schnellenmühle" est peut-être à l'origine du surnom donné aux Steinbourgeois, d'Schneller). On parle de l'exploitation de vignes au XIVème siècle, qu'on peut mettre en relation avec celles transmises à Erchanger par Schwarzach au début du IXème siècle. Au Moyen-Age la vigne est un symbole de richesse, beaucoup plus rentable que la culture céréalière. Au XIIème siècle la demande en vin s'intensifie et les prix grimpent, plus de 400 villages seront producteurs de vin au début du XIVème siècle.

(3*) Dîme : impôt ecclésiastique, tout chrétien devait 10 % de la récolte à son Eglise. A Steinbourg subsiste la « Zehnerschier », ferme où l’on entreposait la dîme payée au couvent.

(4*) Droit de patronage : droit de nommer le desservant de l’église

(5*) La cour colongère : en allemand « Dinghof ». Organisation rurale particulière à l’Alsace et à quelques régions limitrophes, l’origine remonte aux derniers Carolingiens. D’abord, les grands propriétaires fonciers exploitaient leurs domaines en direct. Des servi (esclaves) travaillaient sur les terres des domini (maître ou seigneur) encadrés par des chefs d’équipe. Mais progressivement avec la déliquescence du pouvoir comtal et princier, les propriétaires divisent leurs domaines en deux parties : celles exploitées directement et les manses, dont la cour colongère est une variante, exploitations agricoles louées aux anciens servi contre une redevance en argent (le cens) ou des prestations en nature, par exemple le fait de travailler deux ou trois jours par semaine gratuitement sur les domaines du seigneur. A Steinbourg il s’agissait entre autres du Bruel (les habitants devaient participer à l'entretien de la clôture, 15 mètres par habitant, et à la fenaison du blé  cf. « Vom Andlauer Dinghof im alten Steinburg » cahier SHASE 22/1957) et de l’Acht (le foin et la paille, les habitants pouvant garder pour eux une botte de foin pour les hommes et ce qui entrait dans un foulard pour les femmes, s’ils avaient participé aux travaux de fenaison). Les propriétés de l'abbaye étaient les suivantes : 2 Acker au nord du village, la "Rietleheut", un verger avec étang de la même superficie près du château, 13 Huben dont 2 à moitié de champs cultivés c.à.d. entre 108 et 126 ha (1 Hube = 30 acker, 1 acker = 30 à 35 ares), une vaste prairie (le Bruehl, les prés proches de la Zinsel au sud-est du village portent encore le nom de Breijel). Les tenanciers de ces manses pouvaient les transmettre à leurs héritiers moyennant paiement de droits de mutation. Cette cour colongère occupait une surface conséquente proche de ce qu'est le territoire de la Commune aujourd'hui, et de l'héritage Erchanger. Située selon les textes de l’époque « à l’est » du château, il nous est permis de formuler l’hypothèse que le bâtiment carré mis à jour lors de photographies aériennes en 1997 en faisait partie. Tout concorde, la rivière Zinsel toute proche pour amener l’eau aux cultures et la respectable distance pour la tranquillité du châtelain du bâtiment par rapport au château. Ces données nous permettent de situer la colonge : celle-ci s’étendait vers l’est jusqu’à la Zinsel in loco qui appellatur Zinzila et au nord jusqu’aux limites du village actuel. Une autre photographie aérienne fait aussi état de fosses d’époque indéterminée au lieu-dit Mittelabwand (de l’autre côté de la Zinsel), à quelques mètres de cette bâtisse. La forêt de Munolzaw (Monsau) appartenait également à l'abbaye, les habitants ayant le droit d'y conduire leurs porcs pour la glandée. 

6*) Droit de grenouillage : servitude qui consiste à battre l’eau avec des bâtons pour faire cesser le croassement des grenouilles afin que l’abbesse puisse dormir tranquillement. Dans ces occasions on réquisitionnait tous les « vilains » pour battre l’eau. A Steinbourg était un étang entre château et Zorn dont l'exploitation comme étang de pêche ne prendra fin que récemment, il est précisé dans le document G987 des Archives départementales que c'est au propriétaire de l'étang de battre l'eau.

En examinant une carte du relief de Basse-Alsace, la position de Steinbourg détonne. Premier village au sud du comté de Hanau-Lichtenberg, il constituera une frontière politique dès le Xème siècle et religieuse depuis la Réforme. Géographiquement coincé entre les communes forestières sous-vosgiennes, le pays de Hanau et les fertiles collines loessiques du Kochersberg, dont il n'a aucun des avantages naturels, de prime abord l'endroit paraît assez ingrat. De Wasselonne à Steinbourg, un massif forestier ininterrompu.  Au-delà de la Zorn commence un style nouveau où de petits bois occupent fréquemment les crêtes, restreignant l'espace des cultures. Bordé au sud par la forêt et les fonds marécageux de la Zorn, qui n'étaient pas cultivables, au nord et à l'est par les anciennes possessions des comtes de Dabo, tout le croissant de Dettwiller à Dossenheim en passant par Wiesenau, aujourd'hui disparu, et Hattmatt (la rivière Zinsel faisant office de frontière), à l'ouest par des bois (Daibelsrain, Prinzenrain, le terme rain signifiant lisière d'un bois, le Stockwald était sûrement plus étendu qu'aujourd'hui), les habitants devront travailler dur pour façonner leur milieu de vie. L'empreinte des étapes successives de l'occupation humaine se lira dans la toponymie des lieux, exemple avec l'Altenberg. Depuis les découvertes archéologiques de 2008 nous savons que cette colline aux confins du pays de Hanau fut précocement exploitée, depuis le second siècle de notre ère. C'est sans doute le berceau physique du village. La toponymie nous en dit long sur la qualité initiale du sol : des marécages au nord-ouest (Kritzelwase, Strietlach) et au centre du village (Dorfwase, Kerichwase), des terrains sablonneux (canton dénommé Sand), ne facilitaient pas la tâche. Entre le IXème et le XIIIème siècle les preuves ne manquent pas d'une phase d'élargissement de l'espace exploité, le village acquérant moults forêts parfois en indivision (exemple : le Viergemeindewald avec St Jean et Ernolsheim mentionné en 1156 dans un acte de donation de Pierre de Lutzelbourg à l'abbaye de Sankt Georgen, Dossenheim venant se rajouter plus tard), dont on retrouvera la mention dans des actes notariés. Très tôt le village devra se battre pour faire respecter ses droits face à ses voisins aux prairies plus étendues. C'est ainsi qu'en 1545-46 le curé de Steinbourg s'opposera aux habitants de Dettwiller à propos d'un champ, l'affaire sera jugée à Strasbourg, ou qu'en 1562 Steinbourg, St Jean et Dossenheim portent plainte contre le comte Philippe de Hanau Lichtenberg qui avait désigné un garde forestier dans le Viergemeindewald réclamant droit de chasse et d'affouage ; une sentence de la chambre impériale de Speyer en 1578 interdira au comte tout droit à l'exception du droit de chasse (qui ne pouvait être exercé que par les nobles) moyennant 57 florins annuels.    

Les progrès du défrichement se lisent dans les noms des lieux-dits et les rares documents que nous possédons, on détecte trois phases :

- la première vers le nord (Altenberg) et l'est jusqu'à la Zinsel (Briejel, Birkenfeld)

- la seconde vers l'ouest (défrichement progressif des forêts, Daibelsrain, Prinzenrain ) avec délimitation des aires d'habitat

- la troisième vers le sud, une fois la Zorn calmée, où l'on note les parties les plus régulières et anguleuses (Klein-Gerieth, Gross-Gerieth) ou en lanières (lange Stränge)

L'administrateur de la colonge est un dénommé Meyer qui pourrait avoir donné le nom au canton à angle droit présent sur les cartes anciennes, entre la rue de Rosenwiller et le Hattmatterwaj appelé Meyerplatz. Durant l’existence pendant plusieurs siècles de cette colonge, le village pu tranquillement prospérer à l’abri des guerres et des nécessités des Temps Modernes comme le service militaire. Il valait mieux à cette époque de grande insécurité, de potentats locaux qui faisaient régner la terreur, ne pas être propriétaire de son bien, car en cas de danger on était alors livré à soi-même. Fief d'une quelconque puissance, on pouvait demander la protection du seigneur. La colonge ainsi que le moulin seront revendus à l'évêque Erasme en 1542-43. Des tensions se feront jour lorsque le nouveau propriétaire du village, l’Evêque de Strasbourg, voyant d’un mauvais œil ce particularisme régional fait de franchises, essaiera de les supprimer d'autorité au profit de corvées régaliennes et d'une justice princière. 

Que produit-on à Steinbourg au Moyen-Age ?

Surtout des farineux panifiables, seigle, froment et avoine (le pain est la composante majeure de l'alimentation à cette époque, servant aussi... d'assiette). Nous disposons d'un texte qui permet de se faire une idée des cultures de l'époque. En effet, en 1587 la location de l'ancienne colonge abbatiale rapporte entre 870 et 960 litres de seigle et de blé et entre 1690 et 1755 litres d'avoine à son propriétaire, la famille Münch de Willsberg. Le seigle, car ses longues pailles étaient nécessaires pour les liens et pour les toits de chaume (on en faisait aussi du pain noir), le blé pour le pain blanc sur les meilleures terres, l'avoine était la culture dominante des régions marneuses du champ de faille de Saverne aux sols plus lourds et moins fertiles, pays de Hanau, Saverne et Marmoutier. Les redevances ci-dessus donnent une répartition de 25 % pour le seigle, de 25 % pour le blé et de 50 % pour l'avoine, du moins pour ce qui est de la colonge. C'est assez proche des statistiques dont on dispose pour la Moselle au Moyen-Age et de l'état général des récoltes de grains qui sera dressé en l'an 1700 pour la région. Cette répartition donne des indications intéressantes qui peuvent servir aux historiens. 25 % de froment c'est certes beaucoup moins que le Kochersberg, mais c'est aussi le double des régions du nord de l'Alsace. Steinbourg a un peu du sud et un peu du nord dans ses habitudes. A cette époque le blé est un produit de luxe, pour les nobles ou l'exportation. Il est très probable que les habitants, quant à eux, consommaient plus de seigle et que la répartition était plutôt 1/6 blé, 1/3 seigle et le reste d'avoine sur le ban entier. L'avoine est panifiable mélangé au seigle, mais le plus souvent on en faisait de la bouillie ("Brei"). Il servait à l'alimentation humaine autant qu'animale. On convient que l'assolement était triennal dans la plaine d'Alsace avec jachère une année pour laisser reposer la terre. Nous savons que les Steinbourgeois élevaient des porcs au Moyen-Age (Saümatt et droit de glandée dans la forêt abbatiale de Monsau) et qu'il y avait déjà un moulin exploité par l'abbaye d'Andlau au Mehlbarri. Il sera détruit en 1634 pendant la guerre de Trente Ans, puis reconstruit par le meunier de Marmoutier, Viox Müller, avant de passer en gérance aux Lehmann, puis aux Ramspacher. L'évêché confiera le moulin comme bien féodal à la Commune en 1671.  

L'âge d’or puis effacement progressif d'Andlau

Sur un plan particulier, fut établi en 1230 un document en latin délivré par Hedwige, abbesse d'Andlau. Les moines de Neubourg s'étaient plaints auprès d'elle de trop lourdes charges qui pesaient sur leur grangia (ferme) à Ernsgewilre (Eckartswiller). Les moines sont alors libérés de toute servitude, à l'exception du cens qu'ils devront verser à l'écoutète (le prévôt) de Steinbourg (Schoepfin, Alsatia diplomatica n° 461). Centre administratif des anciens biens du comte Erchanger, Steinbourg est à l'abri de ses privilèges historiques, les abbesses telles Brigitte (1024-1056) ou Mathilde (1056-1064) sont les propres soeurs des empereurs Henri II et Conrad II, gérant leurs biens en toute indépendance en-dehors de la tutelle des comtes ou landgraves de Basse-Alsace. 

Sur un plan général, l’Alsace connaît son âge d’or du XIème au XIIIème siècle, en particulier lorsque les ducs de Souabe eurent accédé au trône impérial. Frédéric Barberousse notamment, concentra les forces de sa maison dans la région, résidant souvent à Haguenau, attirance qui ne se démentira pas sur plusieurs générations. Les Hohenstaufen avaient l’ambition de créer une monarchie universelle et pour eux, l'Alsace était d'une importance capitale. Le château de Haguenau abritera longtemps les insignes de l'Empire, le globe, le sceptre et le glaive de Charlemagne, ainsi que les reliques de la Passion du Christ. C'est de Haguenau que partit l'empereur pour la IIIème croisade, dont il ne devait plus revenir. Ce temps représente pour la région une époque formidable sur l'échiquier politique européen et dans l'ordre économique et social. Des changements profonds ont lieu. Au niveau micro-économique la plupart des communautés rurales qui jusqu’à présent n’étaient que des agrégats d’habitations individuelles, éclosent et se muent, sans cadre légal, en entités juridiques. L'abbé Hanauer dans "Les paysans au Moyen-Age" parle de mini-monarchies constitutionnelles pour mettre en évidence l'organisation des paysans qui sous l'autorité de leur Schultheiss ou villlicus (maire) établirent une auto-constitution, s'administrant eux-mêmes. Certaines localités obtiennent le statut de ville (Strasbourg, avec 17.000 habitants est la 3ème ville de l’Empire). Nécessité de s’entendre et débattre entre eux, relâchement de l’emprise du seigneur (marquée par l’effacement graduel des corvées), droit devenu héréditaire sur les terres cultivées depuis des générations désormais exploitées en faire-valoir direct, et fort lien religieux de la paroisse, conduisent à l’émancipation des villageois de Steinbourg dont les noms se retrouvent dans les actes. Le 1er est un certain Gunther de Steingewirke dont le fils devient curé, "Johanes sacerdos, filius Guntheri de Steingewirke", en 1317. 

La situation géopolitique a beaucoup évolué avec les Hohenstaufen. Ceux-ci innovèrent avec un système castral original, chargeant des chevaliers fidèles, les Burgmänner, de monter tour à tour la garde dans les châteaux des Vosges du Nord. La région peut prospérer à l'abri de ces châteaux. Frédéric Barberousse pousse son allié, l'évêque de Strasbourg, à fortifier un rocher au-dessus de Saverne, qui deviendra le Haut-Barr (1123) ; sans le savoir, il fait le lit d'une nouvelle puissance castrale qui prendra la place de leur dynastie éteinte vers 1250, date de la disparition définitive du duché d'Alsace et de Souabe. Au fur et à mesure l'Evêché s'immisce dans la vie locale en tant que pouvoir temporel et spirituel : après la construction du Haut-Barr les évêques rachètent une partie de la ville de Saverne en 1193, le reste 30 ans plus tard. Ils s'y établissent en 1262 après avoir été jetés de Strasbourg par les Bourgeois révoltés et accentuent leur main-mise au XIVème siècle, époque de grands désordres (guerre de Cent Ans, trône papal vacant). Période trouble ou même les religieuses perdent en prestige : en 1358 Charles IV écrira à l'évêque Jean de Lichtenberg "qu'il doit mettre de l'ordre à la vie dissolue des abbesses d'Andlau qui se trouvent plus souvent dans les cours des princes, comtes et barons, d'une manière peu convenable à leur état, qu'en leur abbaye". L'abbaye va être progressivement dépassée par les événements et perdre toute autorité. Des nuages s’amoncellent en effet à l’horizon. Les rivalités de l'Empire et de la papauté vont susciter une multitude de conflits qui aboutissent au démembrement de l'autorité publique et à la mise en place de seigneuries locales qui se disputent terres et faveurs. Autour de Saverne : les Ochsenstein, Geroldseck, Lutzelbourg ou encore Lützelstein. La position de Steinbourg au débouché des Vosges devient stratégique, le château et le cimetière fortifié attestent de son rôle militaire. Les Geroldseck dont un ancêtre était devenu évêque de Strasbourg (non consacré) en 1169, puis Gautier et Henri de 1260 à 1273, semblent avoir eu emprise sur le village. En 1333-35 (Cunégonde II), 1360-1368 (Adélaïde III) et 1377-1386 (Elisabeth II), les abbesses d'Andlau, leur sont apparentées. En 1317 apparaît Albert Senger, écuyer, lors de la vente d’un pré à un chevalier du Kochersberg, peut-être s'agit-il de l'Albertsmatt ; en 1343 un certain J. Buner est mentionné lors de la vente d'une rente sur Steinbourg à Erhard de Kageneck, trésorier de Saint-Pierre. En 1344 un acte de vente fait mention d'un Nicolas Meiger. Albert Senger était un noble important, il décèdera en 1349 sans descendance, apparaissant à ce moment dans un acte entre les cinq frères von Géroldseck, Hug aîné et Hug le jeune, Johann, Gebhardt et Friedrich, qui remettent aux deux frères Guillaume et Jean Haffner de Wasselonne le fief castral que détenait sur le château du Vieux Geroldseck, Albert Senger von Steingewircke. En 1358, un des signataires, Jean de Géroldseck, est mentionné comme "Kirchherr" de la paroisse. Lui aussi propriétaire d'une partie du château familial comme Albert Senger, il décèdera en 1359. L’église est attestée dès 1371 et semble avoir été très convoitée. Wilhelm von Eptingen, près d’Olten en Suisse, recevra en 1462 pour 22 marks d'argent la charge des âmes des fidèles, après la mort d'un certain Lambert de Castris (source : camera apostolica). C’est ce Wilhelm qui aurait amené avec lui l’autel portatif enchâssé aujourd’hui dans l’autel de l’église. Dans les registres d'église de l'époque on parle de Steinbourg en ces termes : "reichliche, pfarrherrliche Besetzung".

Les années terribles

Vers la fin du XIVème siècle l’Europe sombre dans l’anarchie : deux papes se disputent le trône de Saint Pierre, deux empereurs celui de Charlemagne ; celui d’Angleterre est occupé par un usurpateur, celui de France par un fou. Ce siècle est marqué par la guerre de Cent-Ans qui va bientôt éclabousser la région. Ce qui faisait la particularité de Steinbourg, sa position géographique, conduira à sa ruine.

Les débuts de la guerre de Cent-Ans sont catastrophiques pour la France. La paix de Brétigny, 1360, livre la majeure partie du royaume aux Anglais et lance des compagnies de mercenaires désoeuvrés sur les routes, qui vont se nourrir sur les populations d’abord lorraines, puis alsaciennes. En 1365, 40.000 hommes dirigés par un petit seigneur périgourdin, Arnaud de Cervole, pénètrent en Alsace par le col de Saverne, allant chercher noise au temporel des lieux, l’évêque, mais n’ayant pas de matériel de siège, ils ne pourront attaquer la ville fortifiée et se retireront sans combat. En 1369, un des grands du royaume de France, Enguerrand de Coucy, gendre du roi d’Angleterre Edouard III, prétendant avoir des droits sur le Sundgau de par sa mère habsbourgeoise (petit-fils du duc d’Autriche), divisa son armée en deux, l'une passant par le nord de Saverne, se ruant sur le Kochersberg. Steinbourg fut laissé de côté. Les populations locales n'ayant cure de rendre hommage à un seigneur combattant pour son droit personnel, celui-ci ramène son armée au-delà des Vosges en 1376 à l'heure où Du Guesclin prépare la reconquête de la France. Ces armées à chaque fois débouchent juste en face de Steinbourg, porte d’entrée du grenier à blé du Kochersberg.

En 1407, c’est au tour du duc de Lorraine, en conflit avec l’évêque Guillaume II de Dietz (qui passe pour avoir été le plus mauvais évêque de Strasbourg, continuellement en guerre et criblé de dettes), de ravager la région. La ville de Saverne étant trop bien fortifiée, ses 16.000 hommes s'en prirent aux villages des environs, faisant 1.500 morts. Le 30 mai 1408 ils investissent et pillent Steinbourg, le château est entièrement détruit à cette occasion. Il sera racheté par les Stahel de Westhoffen, qui en investissent Münch de Willsberg (*7) et en 1412, le revendent à l'évêque de Strasbourg pour 1 étalon et 20 bons florins du Rhin. L'évêque revend le village entier et le cimetière fortifié en 1447 à Berthold IV de Willsberg et ses frères. Il rachètera également à l'abbaye la cour colongère en 1542 pour 750 florins d'argent, avant de la céder au descendant des Münch de Wildsberg pour 800 florins l'année suivante, lequel le loue à Michel Meyer contre une rente annuelle de 7,5 Viertel (870 à 960 litres) de seigle, autant de blé et 13 Viertel (1690 à 1755 litres) d'avoine.

(*7) L’apparition des Münch von Wildsberg (ou Vilsberg, près de Phalsbourg), remonte au XIIIème siècle et apparaît ensuite épisodiquement dans les documents. Petite noblesse de fait au service des seigneurs locaux, prévôts de Saverne entre autres à partir de 1336, leur activité principale semble avoir été de contrôler le passage du seuil séparant l’Alsace de la Lorraine. On les trouve résidant dans de nombreux châteaux, dont celui de Steinbourg. En 1587, Guillaume né en 1518, célibataire et dernier du nom, y mourra, inhumé dans l’ancienne église de Steinbourg. Steinbourg aura été un de leur fief castral (8*) durant 175 ans.

(*8) fief castral : notion introduite à la fin du XIIIe siècle, l'administration et la garde des places fortes est confiée à plusieurs nobles simultanément dans le cadre d'un "Burglehen" et payés pour cette tâche par l’évêque. Ainsi le prélat maintient le contrôle de ses biens. Ce contrat donne le château à tour de rôle à un « garnissaire », de la sorte celui-ci ne peut s’émanciper de la tutelle de l’évêque car les autres « maîtres » des châteaux environnants le remettraient dans le droit chemin. Aujourd’hui on parlerait d’équilibre des pouvoirs.

Une importante somme d'argent mit fin à la guerre avec le duc de Lorraine mais en 1439, c'est au tour des Armagnacs surnommés les « Ecorcheurs », de dévaster le pays. Les Armagnacs sont les partisans du roi Charles VII, ils avaient été appelés en Lorraine pour donner un coup de main au duc mais la région ne pouvant pas nourrir « ces hordes de sauterelles » et le duc ne pouvant leur payer de solde, ils se répandront en Alsace. Le cimetière de Steinbourg sur lequel ils buttent devint champ de bataille entre eux et les paysans regroupés en catastrophe par le comte de Lichtenberg. Mais ils n’étaient pas de taille à se mesurer à ces milices professionnelles. Le comte s’échappa de justesse, les paysans furent tués ou faits prisonniers et devinrent témoins de leurs méfaits. Des femmes en couche et des enfants moururent de frayeur à la suite de mauvais traitements. Près de Steinbourg un pauvre paysan, parce qu’il ne possédait rien, fût diaboliquement torturé, rôti à petit feu jusqu’à ce que son corps se remplisse de pustules. Puis ses bourreaux le frottèrent de sel et l’obligèrent à participer à leur repas. L'agonie du pauvre homme dura 8 jours. Hertzog, le chroniqueur ayant rapporté ces faits, termine ainsi : « et après avoir vécu quelques jours encore, cet homme mourut dans de grandes douleurs ». Toutes les femmes et les filles seront violées, les religieuses n’étant pas épargnées. Hertzog résume le tableau des horreurs commises par ces mots : « ils furent impitoyables ». Enfin une coalition de seigneurs se rassemble pour leur livrer bataille et ils prennent la poudre d’escampette après avoir brûlé 150 villages des alentours.

En 1445, seconde invasion des Armagnacs avec à leur tête le futur Louis XI. Venant cette fois du sud, ils ne poussèrent pas plus loin que Dettwiller. L’incursion résultait d’un accord tacite entre l’empereur allemand qui voulait mâter les Suisses et le roi de France Charles VII, mais au lieu des 5.000 hommes prévus ils seront 40.000 pour une vraie démonstration de force. Le roi de France Charles VII, pour des raisons inconnues, donna l’ordre au dauphin de se retirer. Cette invasion jeta le discrédit final sur l’empereur, qui par ses intrigues avait attiré le fléau puis fut incapable de s’en débarrasser. En 80 ans, les campagnes avaient été ravagées, seules les villes à l’abri de leurs remparts avaient échappé au déferlement barbare.

Guerre des Paysans

Au début du XVIème siècle, la doctrine de Luther se répand en Alsace comme dans le reste de l’Allemagne. La grogne des paysans, qui se réclamèrent du protestantisme en s'illusionnant sur la prise en compte de leurs problèmes par la Réforme, leur désir de liberté et d’impôts modérés (« selon les Ecritures nous ne devons que la dîme des céréales ») les pousse à l'insurrection. Les nobles et prélats alsaciens appelèrent à leur secours le duc de Lorraine hostile à la Réforme et craignant que le vent révolutionnaire ne gagnât ses terres. Celui-ci s'installe avec le cardinal qui avait fuit Saverne, dans le château de Steinbourg appartenant alors aux Wilsberg, pour surveiller les opérations. Le 15 mai 1525, l’artillerie du duc prend position au Zornhof, au sud de Steinbourg, et ouvre le feu immédiatement contre Saverne occupée par 18.000 paysans des environs. Les assiégés ripostent et forcent l’armée lorraine à se repositionner sur une hauteur au sud de l’Espen. De là, le duc pouvait continuer à les bombarder alors même que les pièces de rempart (fixes) ne pouvaient plus l’atteindre. Après qu'il eut promis la vie sauve aux défenseurs, la ville fut rendue mais il ne tint pas parole et massacra les paysans jusqu'au dernier. Pour se venger, des paysans de Steinbourg pilleront le château ayant servi de quartier général au duc après son départ, ainsi que l’église du village, les prélats de la région ayant pris parti contre eux. Le mouvement de révolte s'arrêta, les représailles furent terribles. Cet épisode sanglant vaudra au duc le surnom de « Grand Boucher ». Un poème de 1807 prétend que c’est depuis ce moment-là que les gilets folkloriques bas-rhinois sont de couleur sang.

« La religion du prince est aussi celle du peuple », Steinbourg entouré de villages protestants, conserva celle de son protecteur du moment, l’évêque de Strasbourg, mais cela ne mettra pas les habitants à l’abri des exactions de la soldatesque du camp catholique. Les premières escarmouches entre catholiques et protestants (entre temps, la Réforme avait progressé, déjà 1/3 de la population alsacienne était de confession protestante) débutèrent en 1569. L’armée du prince Guillaume d’Orange voulant prêter main forte aux Huguenots français est arrêtée devant Saverne par le duc d’Aumale (fils du précédent duc de Lorraine), l’église de Steinbourg fut brûlée à cette occasion. En 1587, lors de la réunion en Alsace d’un corps de cavalerie allemande dans le but de secourir les huguenots en France, le roi de France profite de cette présence pour envoyer le duc de Bouillon à leur encontre. Il entra en Alsace par Neuwiller, s’empara le 24 juin d’une grande provision de blé stockée dans la grange aux dîmes qui appartenait aux Wilsberg, avant de piquer vers le Kochersberg où les Français incendièrent 300 bourgs et villages. Quelques jours plus tard des Français venus défendre la frontière lorraine, firent également une incursion en pleine nuit à Steinberg, qu’ils s’empressèrent de piller une nouvelle fois. Ce moment d’incertitude coïncide avec le décès du dernier des Wilsberg, on en profite pour réunir ce qui reste du domaine à l'évêché. L’année d’après l’abbaye d’Andlau vendra le patronage de l’église à l’évêque pour 2000 florins, mettant fin à sa présence à Steinbourg désormais sous l’entière tutelle de l’évêché.

Guerre de Trente Ans

Ces combats locaux dégénérèrent vite en conflit général entre les puissances d'Europe dont notre région fera les frais. Le chassé-croisé commence à la fin 1621 par la campagne du condottiere Ernst von Mansfeld, général de Frédéric V, chef des protestants. D’abord élevé dans la foi catholique, Mansfeld commandait la garnison de Saverne en 1610. Lorsque, transfuge passé dans le camp du prince, il revient mettre le siège devant son ancienne ville les habitants de Saverne répondront à sa sommation par un refus formel. Comme le Duc de Lorraine en 1525, Mansfeld établit son quartier général au château de Steinbourg où il entre le dimanche 2 janvier 1622 au matin. Le verglas empêchera un temps les opérations mais dès que les conditions météorologiques le permettent, une pluie de boulets pleut sur Saverne pendant 7 jours et 7 nuits. Sans résultat. Le 9 janvier 1622, par l’entremise d’un envoyé lorrain, une trêve est signée au village de Steinbourg entre Mansfeld et le comte de Salm qui défendait Saverne.  

Mansfeld se retira dépité, après avoir annoncé aux habitants qu'ils eussent à préparer une somme de 100.000 florins s'ils ne voulaient pas s'exposer à voir piller et incendier leur ville à son retour. Il lui fut répondu que les habitants préféraient acheter de la poudre et du plomb pour ladite somme, afin qu'à son retour ils puissent le recevoir dignement. On fit entrer tout le bétail qu'on put, on renvoya les femmes et les enfants en Lorraine, et on mit le feu aux faubourgs pour ne pas fournir d'abris aux ennemis. Mansfeld reviendra le 11 juillet 1622, accompagné de son commanditaire Frédéric V, comte palatin. Plus de 800 morts en deux jours lui attestèrent que la détermination des habitants était toujours aussi forte ; il leva une nouvelle fois le siège. Les habitants restés à Steinbourg, dont 107 d'entre eux - soit 24 familles - s'étaient réfugiés à Saverne, furent une nouvelle fois exposés aux exactions de ses hommes. En 1893 en creusant une conduite d'eau dans une cours près de l'église des ouvriers trouveront des ossements humains dont on pense qu'il s'agirait de soldats de cette époque.  

En 1632 c'est au tour des Suédois d'envahir la région. Le rhingrave Otton battra le gouverneur de Saverne, le comte de Salm, entre Marmoutier et Saverne. Ce dernier, ayant perdu tous ses canons, implore alors la protection de Louis XIII. C’est un moment crucial dans l’histoire de la province car l'heure de la France a sonné. Le Maréchal de la Force, qui n'attendait que cela, reçoit l'ordre d'occuper Saverne et y place garnison française, prélude à la réunion de l'Alsace à la France. Saverne sera la première ville d'Alsace à être placée sous la protection de la France, la seule avec Dachstein à ne pas se trouver entre les mains des Suédois.

Dénouement : vers l’Alsace française

Pour l'heure les malheurs ne sont pas finis. Vers la fin de 1635, une défaite qu'éprouvèrent le duc de Weimar et le cardinal de la Valette, au service du roi de France, les força à se replier sur Saverne, occupée par une garnison française depuis 1632, par-là ils attirèrent l'attention de l'ennemi sur le secteur. L'armée de Weimar fut contrainte à quitter les environs de Saverne et la garnison, abandonnée à elle-même, livra la ville aux Autrichiens. En 1636, c’est l’inverse, 8 régiments impériaux battus près de Sélestat, se replient sur Saverne et amènent inopinément un nouveau siège devant la ville, cette fois par le duc de Weimar en 1637. Dans les livres d’histoire anciens Steinbourg est marquée comme l’avancée la plus orientale du cardinal de La Valette (« L’Alsace au XVIIème siècle » de Rodolphe Reuss). Cette fois, la bataille tournera à l'avantage des Français, la garnison de Saverne se rendra après plus d'un mois de siège et un millier de morts du côté des assaillants ; elle put se retirer avec les honneurs tandis que la ville qui n’y pouvait rien fut obligée de payer 38.000 florins de dédommagement... Le 21 octobre 1643, le duc d'Enghien, après sa victoire de Rocroi, fut reçut triomphalement à Saverne où il passa en revue les troupes de renforts qu'il amenait au maréchal de Guebriant et environ 18 mois plus tard c'est Turenne qui passera par Saverne avec des renforts pour l'armée française, puis c'est à nouveau au tour du duc d'Enghien par deux fois en juin et en septembre. Après le traité de Westphalie en 1648, la garnison française dut quitter la ville, après qu'on eut démoli les fortifications : la clause du traité portait que la ville sera rendue à l'évêque de Strasbourg à condition que les fortifications soient rasées et que les bourgeois permettent en tout temps le passage des troupes du roi de France (qui ne récupérait que les possessions autrichiennes, ce n'est que bien plus tard que toute l'Alsace sera juridiquement française, très exactement en 1714 au traité de Rastatt, lorsque l’empereur reconnaîtra le roi de France légitime souverain de l'Alsace).

Après guerre et les excès des soldats de métier, se sont les aventuriers à la tête de bandes armées qui font régner la terreur dans la région. Les misérables Ulrich de Pfaffenhoffen ou le capitaine Laplante, détroussent les villageois entre Saverne et Marmoutier de 1640 à 1651. Tortures, viols, rançons, sont le lot quotidien. La famine s’abat sur une région qui n’est plus cultivée. C’est une époque où on mangea de la chair humaine, se ruant sur les cimetières pour déterrer les morts. Le ressort des âmes sera brisé, les habitants survivants traînant désormais leur existence plus qu’ils ne la vécurent. L’Alsace avait passé plus de la moitié du siècle en état de guerre et la région de Saverne fut particulièrement meurtrie. La commune voisine de Hattmatt ne comptait plus qu’un seul paysan et trois champs cultivés dans le ban en 1639, elle sera rattachée à Steinbourg en 1683. On ne dénombrera plus que 5 hommes et 2 femmes en 1644 à Ernolsheim. La ville de Saverne elle-même souffrit énormément, en 1650 ne sont plus recensés que 28 bourgeois. Il y aura dorénavant un avant et un après guerre de Trente Ans.

La guerre se soldait par la destruction de Steinbourg et la ruine du village, témoin une requête à la régence de Saverne de 1650 de la part des habitants incapables de payer les contributions. La taille avait été rétablie en 1646, chaque habitant devait payer un florin. Le village avait beaucoup souffert de la frustration des Suédois ne pouvant investir Saverne. Dans « l’Alsace au XVIIème siècle », R. REUSS cite : « A Steinbourg, toutes les fenêtres de l’église sont brisées, les sièges du chœur et les bancs ont été brûlés, le toit a été démoli, et les poutres emportées, la chaire et l’escalier qui conduit au clocher ont servi à faire des feux de bivouac, les portes ont disparu, le baptistère lui-même a été détruit ». Des 117 Steinbourgeois (24 familles) réfugiés à Saverne en 1622 la plupart ne revinrent pas comme l'attestent les registres de baptême remontant à 1685 dont les noms étaient inconnus au début du XVIIIème siècle. 7 familles réfugiées n'avaient pas d'homme avec eux, restés au village ou tués, aucune de celles-ci ne prendra le risque de quitter Saverne, sous la protection du roi de France.

Dans les archives de ce début de siècle notons deux procès en sorcellerie au village. L'Alsace a été très touchée par ce phénomène d'hystérie collective et le microcosme steinbourgeois n'y échappera pas. En 1629 Frawel Zentzel, épouse de Mathias, tailleur, est jugée à Saverne, puis expulsée. En 1631 Gerck (ou Gehrck) Georg y est décapité. Des condamnations pour adultère sont aussi répertoriées dans les minutes de justice : Adam Lehmann en 1629, accusé, André Konrad en 1632, condamné.    

 

Grange aux dîmes Steinbourg

Traces bâtiment appartenant à la colonge ?