A. Antiquité

Jusqu’à un passé récent l’histoire du village nous semblait relativement jeune comparée aux villages voisins. On datait la création de la commune du temps des châteaux forts (nom en -burg et forteresse en pierre présente au XIIIème siècle), évacuant un peu trop vite le fait que Steinbourg était entré dans l’histoire sous une autre appellation, celle de Steingewircke, en 1120, dans la Comptabilité de l’abbaye d’Andlau, « villa Steingewirke ad proprietatem S. Petri et Richardis in Andelohe pertinens » (E. Herr, dans « Bemerkenswertes Mittelalter », Schenckungen 1908, p. 74). A. FUCHS en 1898, dans « Die Ortsnamen des Kreises Zabern », a, le premier, mis en évidence que le terme « wircki » était d’obédience franque, signifiant en francique installations défensives au pluriel. Le son [w] est incontestablement francique, il est étranger aux habitudes articulatoires des Romains qui ne pouvaient le produire, il engendrera le [g] en roman et français, que l'on retrouve dans Gewircke comme une survivance du passé. Quand l'archéologie est déficiente, la toponymie vient au secours des historiens pour percer le voile des anciens temps. 

Aujourd’hui il ne fait même plus doute quant à une occupation antérieure des lieux. Tout d’abord dans la forêt de Monsau au sud, deux tumulus ont été signalés par F. Conrad en 1997. Un premier, intact, d’un diamètre de 20 m, un deuxième de 90 m fut éventré par l’implantation d’une route au XVIIIème siècle. De Steinbourg provient aussi un lingot de fer datant de la Tène, bipyramidal et géométrique (Musée archéologique de Saverne) trouvé au lieu-dit Kalikoffe. Les preuves manquent pour affirmer qu’il s’agissait d’une implantation sédentarisée. Mais en 2008-2009, à la suite de fouilles préventives liées à la construction de la LGV Est, a été mis à jour une villa rurale gallo-romaine du Ier siècle au lieu dit « Altenberg », un plateau en hauteur au nord du village actuel. Un terrain doublement attractif :

Retour sur le passé : la période gallo-romaine


Avant l'arrivée des Romains (58 avant J.-C., victoire de Jules César sur le roi suève Arioviste dans les environs de Cernay) la région de Saverne était occupée par les Médiomatriques, une peuplade gauloise originaire de la Marne, leur territoire s'étendait jusqu'à Verdun. Ils occupaient une partie de la plaine d'Alsace on ne sait jusqu'où exactement. La densité de la population devait y être faible car contrairement à la Moselle (6.222 km2 + la partie orientale de l'arrondissement de Saverne, l'Alsace Bossue) représentant cinq pagi (circonscriptions celtiques), le pays au-delà des crêtes ne formait qu'un pagus, pour un territoire couvrant 4.000 km2 (la superficie du Bas-Rhin sans l'Alsace Bossue). Entre -71 et -58 cette contrée sera colonisée par les Triboques, tribu germanique venue de la rive droite du Rhin avec Arioviste, on ignore leur origine. Jules César laissa ces anciens belligérants s'installer sur le territoire des Médiomatriques. Peut-être en représailles parce que ces derniers envoyèrent un contingent de 6.000 hommes à Vercingétorix lors du soulèvement de la Gaule en -52. Tacite nous a indiqué un second motif : ils furent installés dans la plaine alsacienne, «ut arcerent, non ut custodirentur», comme rempart pour défendre la Gaule contre d'autres envahisseurs.

Le premier empereur romain, Auguste, restructura l'espace de la Gaule entre -16 et -13 dans le but de percevoir le cens, l'ancêtre de notre impôt foncier. On détacha alors administrativement la plaine d'Alsace du territoire médiomatrique. Cela se fit sans précipitation, en l'an 15 après JC, la plaine bas-rhinoise appartenait toujours juridiquement aux Médiomatriques d'après Strabon, Géogr. IV, 193. L'influence de la culture médiomatrique restera un temps dominante dans la région (fermes de la forêt du Wasserwald à Haegen) tandis que l'assimilation des Triboques faisant de Brocomagus (Brumath) leur chef-lieu sera stupéfiante. Ils étaient agriculteurs comme tous les peuples dans l'armée d'Arioviste, c'est à la recherche de champs qu'ils avaient passé le Rhin : «Postes quant agros et cultum et copias Gallorum hommes feri ac barbari adamassent, traductos plures». On admet communément comme nombre 80.000 immigrants, qui se seraient fondus pacifiquement dans une des régions les plus fertiles d'Europe. R. Forrer dans « L'Alsace romaine » prétend que les serfs auparavant sous la domination des seigneurs médiomatriques ont dû continuer à cultiver les mêmes champs sous les nouveaux maîtres : « le paysan alsacien est immortel, il travaille le sol de père en fils, que son maître politique soit de l'est ou de l'ouest ». Presque autant de Gaulois, paysans, fermiers, commerçants et artisans, que de Triboques ont dû rester si on tient compte des 15 habitants au km2 et de l'importante surface forestière de l'époque autrement on comprendrait difficilement une assimilation aussi rapide et complète des Germains. Tellement radicale qu'à peine un seul nom germanique se rencontre dans près de 200 inscriptions latines découvertes dans le pays des Triboques. Autrefois, les populations locales n'étaient pas chassées mais soumises.

Les Romains comprennent vite l'importance stratégique du seuil de Saverne reliant les deux peuples et fondent une station de relais, Tres Tabernae, aux confins de deux des routes les plus importantes de la Gaule :

Cette voie passait non loin de la villa découverte en 2008, les villas romaines étaient toujours construites à proximité des routes. Lorsqu’on examine une carte du relief vosgien, on se rend aisément compte du rétrécissement du massif des Vosges associé à une faible déclivité juste en face de cet endroit. De nombreuses fouilles attestent de la présence d’oppidums gaulois sur les hauteurs du Col de Saverne (sommets du Koepfel, du Baerenkupfel et du Barbarakopf). De là deux lignes conduisaient à Strasbourg : une très ancienne via Brumath, cité confirmée par les Romains capitale de la civitates Brocomagus, une autre par le Kochersberg vers Strasbourg et l'Allemagne du Sud. Il est plus que probable que lorsque Saverne fut fondé on continua d'éviter la ville, passant par l'antique passage nord du seuil de Saverne, le Plattenweg, les hauteurs du Munchberg et, certainement, ne serait-ce qu’en raison de la topographie des lieux, par les collines de Steinbourg vers Gottesheim (des découvertes archéologiques récentes, tuiles légionnaires, y attestent un poste militaire). Cette route quoique hypothétique dans son tracé, est certaine dans son existence. Le Kreuzelwasen au nord-ouest du village, dont l’appellation est restée jusqu’à nos jours, pouvait être l’endroit où les deux routes, sud-nord et ouest-est se croisaient.

Médiomatriques et Triboques fusionnent en une seule civilisation, les Gallo-Romains. Dans ce paysage d'openfield ou champs ouverts à habitat dispersé se forment d'après des plans stéréotypés des villae romaines un peu partout (on estime qu'en Alsace la densité était d'une ferme tous les kilomètres). La villa est en fait une ferme implantée directement sur le domaine foncier qu'elle exploite. L'Altenberg, la colline des Anciens, a été mise en culture dès avant la période romaine comme tous les versants sud du Muschelkalk, qui ont donné naissance à des terres très fertiles pour le blé. Le fond marécageux de la Zorn n'était pas cultivable et les Celtes de l'Antiquité n'étaient pas ces demi-sauvages présentés par les auteurs romains et grecs. Ils lègueront au contraire un héritage important aux civilisations suivantes, des outils et techniques agricoles sophistiquées, depuis la faux jusqu’aux forces pour tondre les moutons, en passant par l’araire à soc de fer ou le tonneau. Ils savaient reconnaître les bonnes terres que Louis XIV plus tard, regardant vers Steinbourg du haut du col de Saverne, qualifiera de beau jardin. Les investigations aériennes et archéologiques depuis les années 1980 dues à la multiplication des infrastructures routières et ferroviaires révèlent qu'il y eût dans la majorité des implantations une continuité d'occupation, des migrations protohistoriques jusque post-romaines mais on ne retrouve plus de traces de vestiges celtes car ces peuples, adeptes de la réincarnation, ne s'évertuaient pas à laisser des traces de leur séjour ici-bas comme les Romains, privilégiant une existence charnelle. La datation des rares vestiges trouvés lors des fouilles sur 3,8 ha remonte au Néolithique (deux silex taillés) et le PAIR mit à jour une fosse avec un bovin dont la datation au carbone 14 indique entre 1370 et 700 avant Jésus-Christ. On est sûr aujourd'hui qu'un bâtiment isolé de 12m2 existait sur l'Altenberg entre 620 et 525 avant Jésus-Christ ainsi qu'un plus grand avec un ensemble funéraire avec urne en céramique contenant les restes brûlés du défunt entre 200 et 125 avant J-C. Occupation attestée aussi entre 125 et 25 avant J-C, puis vers 30-40 après J-C mais l'autoroute A4 construite dans les années 1970 au temps où l'archéologie préventive n'existait pas, à détruit les fermes gauloises faites de bois et de torchis.

L'Altenberg est à un emplacement idéal, bordé par la Zinsel et le ruisseau de l'Heiligenberg, orienté plein sud. La colline à la vue circulaire attire les Romains apportant avec eux l'assolement biennal et la vigne (des vignes y seront toujours exploitées au XXème siècle). Le terrain fut habilement exploité. La topographie du site, en pente, a nécessité un réseau de drainage intensif vers 30-40 avant l'érection de la bâtisse ; les Romains étaient passés maître dans cette technique. Le corps de logis était situé en hauteur, dans la partie la moins fertile, les annexes sur la pente sud. Le plan que suggèrent les fondations, des tranchées remplies de pierre, est régi par les règles de symétrie typiques de la civilisation romaine. Il apparaît que le plan fut d'abord carré avec une entrée de 3 mètres à l'est flanquée de deux solides pavillons (voir photo jointe de la villa restaurée de Mehring à laquelle elle ressemblait), cette partie résidentielle faisait 3500 m2, puis s'étendit. Les murs de pierre étaient classiquement liés d'un mortier à base de chaux. La maison bâtie en terrasses dans la pente nécessita des fondations de contrefort pour résister à la poussée. Les fondations de la villa datent de 40-80 après Jésus-Christ.

Les archéologues purent dégager une cave avec une niche pour l'éclairage (photo 2), on y a retrouvé des morceaux d'amphores et des fragments de tuiles, (photo 4) et des canalisations faites avec des blocs de grès dont la fonction devait être d'amener de l'eau d'une source proche. A quelques mètres au sud de l'habitation principale un pavillon thermal occupait une surface de 120m2 avec vestiaire, sauna, bain tiède, bain chaud et froid, chauffage type hypocauste avec briques creuses pour diffuser la chaleur. Au sud-est un sanctuaire composé d'une colonne dédiée à Jupiter, représenté sous les traits d'un cavalier romain, tenant les rênes de la main gauche et le foudre de la droite (on dit le foudre, un symbole d'origine grecque évoquant un faisceau de flèches en zigzags, pas la foudre, le phénomène naturel). Le Jupiter est anguipède c'est à dire qu'il est représenté dressé sur son cheval cabré qui foule aux pieds un géant difforme en queue de serpent, comme les statues de la même époque trouvées au sanctuaire du Donon. Cet emplacement est devenu temple au III-IVème siècle. Quatre sépultures à crémation ont été trouvées, puis dans la partie orientale a été déterrée une nécropole plus tardive, à incinération. Une dizaine de bâtiments en terre et bois avec de nombreux squelettes d'animaux ont été mis à jour.

Les deux premiers siècles relativement paisibles dans notre secteur à l'abri du « limes », sont favorables au développement d'établissements ruraux, même isolés. C'est la pax romana. Mais en 260 les Alamans franchissent le limes et atteignent le Rhin. Vers 350 ils font irruption en Alsace et ravagent la région, ils s'empareront de Saverne en 356. La villa de l'Altenberg subit sans doute une dure épreuve. En 357, l'empereur Julien arrive par le col de Saverne avec ses légions, délivre Saverne et fait reconstruire, spe celerius, le rempart, y met des soldats et des provisions pour une année. Il est à noter que si les Romains purent se ravitailler les cultures ont dû être maintenues dans la région et le sol travaillé malgré les invasions, Ammien Marcellin, témoin oculaire de l'évènement, rapporte que les collines proches étaient couvertes de blés mûrs. La célèbre bataille près de Hausbergen, en 357, ramena pour un certain temps encore l'Alsace dans le giron de l'empire mais en 401 les garnisons romaines du Rhin et du Danube sont rappelées à Rome pour combattre les Wisigoths. Beaucoup de Romains les suivirent. Les cités s'appauvrissent, à voir la rareté des monnaies trouvées lors de fouilles successives (elles s'arrêtent subitement à Niederbronn, Sarrebourg et Saverne avec Arcadius). En 406 une nouvelle ruée des Alamans met définitivement fin à l'époque romaine en Alsace, une période d'anarchie commence et les friches réapparaissent. Les Huns d'Attila traversent le pays en 451 (tombe noble trouvée à Hochfelden).

A Steinbourg il n'y a nulle trace d'abandon brutal mais l'habitat de prestige disparaît. Apparemment les activités ont continué un certain temps, de nombreuses traces d'occupation post-romaine, en attestent dans la partie ouest où a été mis à jour un groupe funéraire de huit sépultures enterrées sur le dos, la tête à l'extrémité occidentale de la tombe, ce qui correspondait aux rites funéraires chrétiens du haut Moyen-Age (VIème siècle). La demeure bâtie par les Romains sur le vieux sol gaulois a peut-être vu son toit s'effondrer ou ses murs brûler, mais elle ne fut pas délaissée, les nouveaux groupements humains en présence ayant repris l'activité dans la partie ouest de la fouille (grand enclos rectangulaire et chemin palissadé, grenier à grains). Les thermes ont été transformés en petite église rurale (tombes à proximité). Les études encore en cours peuvent réserver des surprises quant à une réoccupation des lieux, de même qu'un examen de la forêt attenante plantée en 1693. Dans la mémoire des anciens Steinbourgeois celle-ci se dénomme « Jungwald », contraste avec l'« Altenberg » Le premier bâtiment de 12m2 des VIIème - VIème siècles avant Jésus-Christ pourrait faire partie d'une occupation plus au nord, sous cette forêt, ce qui ferait sens géographiquement parlant. L'endroit, toujours occupé par des hameaux entre le Xème et XVème siècle où Steinbourg se développe de l'autre côté du vallon de l'Albertmatssgraben (le rû de la source qui s'écoule de la forêt vers la Zinsel), sans doute à l'origine de la fixation de l'habitat protohistorique, témoigne donc d'une occupation de 3000 ans et peut-être plus.



Mehring römische Villa

Mehring, villa romaine

Fondations villa romaine Steinbourg

Couteau de boucher, IIIème siècle

Ci-dessus couteau de boucher daté du 3ème siècle