Opération Nordwind

On s'imagine qu'après la charge de Leclerc, "l'épisode le plus brillant de notre histoire militaire" selon le général De Gaulle, c'en était fini des Nazis en Alsace mais on se trompe. Les Alliés paieront cher de n'avoir pas neutralisé les ponts de Chalampé et de Neuf-Brisach, permettant aux dernières unités d'élite (100.000 hommes) commandées par Himmler, le numéro 2 du régime, de se maintenir à Colmar et ses environs. On omet souvent que les GIs seront à Cologne, Bonn ou Coblence avant que toute l'Alsace ne soit délivrée.

En ce mois de décembre 1944 le déroulement de la guerre avait repoussé les troupes allemandes jusqu'à la ligne Siegfried au nord de Lauterbourg, mais l'Allemagne ne s'avouait pas vaincue. Le 22 décembre Hitler lui-même dressa les plans d'une opération dont l'idée s'avérait brillante et qui lui tenait à coeur depuis l'automne 1944 : attaquer les positions américaines proches de la frontière en direction du col de Saverne afin d'enfermer les unités américaines au nord-est de l'Alsace et de reprendre Strasbourg, ce devait être le cadeau d'anniversaire du Führer le 30 janvier. L'hiver 1944-45 fut un des plus durs du siècle en Alsace. Une heure avant minuit le soir du 31.12, la neige venait à nouveau de tomber dans un froid sibérien quand des éléments avancés américains virent des Allemands vêtus d'uniformes de camouflage blanc se lancer à l'assaut de leurs lignes à proximité de Sarreguemines (Rimling) en hurlant des obscénités. Ivres de schnaps, les Allemands déferlent sans se protéger des balles. Les pertes allemandes de cette nuit seront à la mesure de leur fanatisme, 1100 tués contre 8 côté américain. Huit divisions dont deux blindées s'engouffrent à leur suite à l'est de Bitche avec pour mission de s'emparer de la trouée de Saverne afin de prendre à revers les Américains engagés dans les Ardennes. Ils réussissent à percer jusqu'à Reipertswiller et Wingen/Moder, à 20 kilomètres du but. Eisenhower paniqué et méconnaissant totalement le problème alsacien, donne l'ordre de repli général sur la ligne des Vosges. On entend les canons tonner à Steinbourg. Les FFI de Steinbourg, sous le commandement d'André Weckmann, se rendent à Saverne pour prendre les ordres mais tout le monde s'était débandé. L'angoisse est grande car une décision américaine de retrait total livrerait Strasbourg et la plaine alsacienne toute entière à l'ennemi. Les habitants francophiles se demandent à quelles représailles ils doivent s'attendre si les Allemands reviennent. Mais De Lattre refuse l'ordre et décide de couvrir Strasbourg tout seul avec des forces à la limite de l'épuisement. Leclerc menace de repasser en Alsace et de se faire tuer sur place jusqu'au dernier homme pour sauver l'honneur de la France. Au cours d'une réunion dramatique à Versailles, le 3 janvier, De Gaulle avec l'appui de Churchill fait démordre le Haut Commandement de leur décision. A Steinbourg Auguste Weckmann, qui avait installé le téléphone à De Gaulle à son PC de Wangenbourg en 1939, dira : "esch habs gewisst dass d'r De Gaulle uns net im Stich losst", "je savais que De Gaulle ne nous abandonnera pas à notre sort".

Le 5 janvier, conformément aux plans de l'opération Nordwind, les Allemands déclenchent leur deuxième attaque au nord de Strasbourg à un moment où les troupes alliées étaient déboussolées par des ordres contraires, attaque qui provoque l'exode des populations du bord du Rhin et de Haguenau, puis le 7 au sud de Strasbourg. Le sacrifice du 24ème B.M. à Obenheim par - 20 degrés (les Allemands leur rendront les honneurs militaires le lendemain) freine leur élan.

A Reiperstwiller l'aguerrie 6ème Gebirgsdivision venue de Finlande, une unité d'élite ayant une foi totale dans le nazisme et spécialisée dans ce genre de combat dans la neige, a pris les choses en mains. Le 16 janvier 500 GI's du 157ème RI de la 45ème division US se font encercler à 2 kms au nord-est du village sur une crête sans vivres et sans médicaments. Les attaques pour les délivrer échouent toutes, seuls 2 GIs en réchapperont. Mais leur sacrifice n'aura pas été vain. Reipertswiller sera la dernière défaite américaine de la guerre, les Américains ne cèdent plus un pouce de terrain, au sud de Strasbourg les Français prennent l'offensive le 20 janvier pour réduire à tout prix la poche de Colmar. Le 25 janvier, motivé par les évènements qui se déroulaient sur le front de l'est et par le danger qui menaçait Berlin, Hitler ordonne à son groupe d'armée d'annuler l'opération Nordwind ; le sort de la guerre était joué. Plus de 6.000 GIs et 25.000 Allemands auront perdu leur vie sur les champs de bataille d'Alsace et de Moselle entre le 22 novembre et le 11 février 1945, date de la libération de toute l'Alsace.