Le Monte Cavallo 1953
Georges Livanos (au fond à droite), et son co-équipier (à gauche), ont été accueillis sur la dernière plate-forme par un réputé guide venu leur apporter le salut fraternel des alpinistes italiens
La peur et le désespoir
Depuis plusieurs heures déjà, madame Livanos n'était plus seule au camp de base. Dans tous les villages de la vallée, on avait appris que deux hommes avaient osés attaqué la face ouest du Monte Cavallo et de nombreux touristes aussi s'étaient rendus au refuge, situé au pied de la muraille pour suivre la progression à la jumelle.
Tous les visages tournés vers cette paroi exprimaient l'inquiétude et l'admiration à la fois. L'un deux pourtant demeurait impassible sans cesser toutefois de scruter la muraille : c'était celui du célèbre guide Fortunato Dalpiano qui veillait sur les deux alpinistes prêt à organiser les secours en cas d'accident.
Le soir dans les hôtels de la vallée on fixait sur les cartes l'emplacement des deux hommes puis on scrutait le ciel en souhaitant qu'il refuse d'accueillir le moindre nuage...
La journée du 14 aout fut pour Gabriel et Livanos la journée décisive ! Durant plusieurs heures ils durent fournir des efforts considérables luttant tour à tour contre la peur et le désespoir pour vaincre le pilier qui offrait de gigantesques surplombs qui avançaient e plusieurs mètres dans le vide. L'obstacle était terrible et il nécessita la pose de dizaine de pitons ainsi que des manœuvres innombrables. Accrochés désespérément aux étriers, les deux hommes devaient encore se heurter à un nouveau surplomb où chaque piton posé risquait de provoquer un écroulement fatal à la cordée. Les difficultés dès lors se multipliaient ; c'était la dernière résistance du Monte Cavallo. C'était l'assaut final des deux Marseillais contre la montagne.
Aux surplombs succédèrent des dalles verticales absolument lisses qui de la vallée paraissaient infranchissables. "Ultima carta" murmura Dalpiano au moment où Livanos et Gabriel attaquèrent les dalles.
La modestie du courage
Durant tout l'après-midi les deux Marseillais restèrent accrochés à la face luisante, n'avançant que très lentement, demeurant parfois à la même place pendant plusieurs minutes semblant faire corps avec la roche. A 15 heures, enfin, après avoir franchi une cheminée Gabriel et Livanos atteignaient une large corniche au pied du ressaut final et ce fut la troisième nuit, une nuit sans sommeil sous un ciel menaçant. Plus de vivres, l'orage tout proche et la-haut à quelques mètres le sommet ! "Nous n'avons pas dormi mais j'étais sûr de vaincre" nous a dit Livanos. Au matin du 15 aout, il faisait beau mais un vent glacial nous cisaillait les mains et le visage. Avec notre dernière volonté, celle qui donne des ailes, nous avons vaincu les derniers surplombs, les dernières dalles. Avant la fin de la matinée nous arrivions au sommet".
Au sommet où arrivèrent après eux, par l'itinéraire normal, Geneviève Livanos, Alain Martin Chave, ami des alpinistes et Dalpiano et plusieurs "admirateurs" italiens. Quelques minutes plus tard,la descente s'effectuait sous la pluie. ,"Notre plus forte émotion ?" confia Livanos : "nous l'avons ressenti à notre arrivée dans la vallée où nous avons été accueillis comme des héros tant au village de San Cassiano où un banquet nous fut offert par monsieur Odorizi préfet de Trento qu'à l'hôtel Roma-Alpina où nous avons été fêtés par de nombreux touristes". Cela se conçoit aisément lorsqu'on sait, bien sûr, que le courage des alpinistes, c'est à dire le vrai courage, ne se désaltère qu'aux sources de la modestie.
R.H.P.