Riccardo Cassin nous a quitté

Riccardo Cassin nous a quitté


Charlie Buffet - Le Monde 12 08 2009

Il a laissé sur les plus belles parois des Alpes son nom, que portent aussi des voies prestigieuses de l'Himalaya. Le grimpeur italien Riccardo Cassin est mort centenaire, jeudi 6 août, près de Lecco. Il aura marqué un siècle qui a offert aux alpinistes ce privilège de graver leur nom sur les montagnes. Il a rendu son dernier souffle dans sa maison du Pian dei Resinelli, au-dessus du lac de Côme. C'est là qu'il avait fait ses débuts de grimpeur en 1929. Il avait fêté ses 100 ans le 2 janvier dernier, mais, diminué par la maladie, il n'avait pas pu assister à la cérémonie qu'on lui avait préparée. Ses obsèques ont été célébrées samedi 8 août à Lecco, en Lombardie.

On lui reconnaît 2 500 ascensions, dont une centaine de voies nouvelles et beaucoup de lignes majeures tracées sur les "problèmes" les plus convoités de son temps. Il y a la Cassin à la Cima Ovest di Lavaredo, une horreur tentée 27 fois avant lui ; la Cassin au Piz Badile, qui impressionne toujours autant les grimpeurs d'aujourd'hui ; la Cassin au Gasherbrum IV ; un presque 8 000 répété seulement quatre fois en cinquante ans ; la Cassin au McKinley, devenue classique, et surtout la Cassin à l'éperon Walker des Grandes Jorasses, l'un des trois derniers "problèmes" des Alpes, réglé à la hussarde en 1938. Il faudrait aussi citer ses compagnons de cordée, les Ratti, Esposito, Tizzoni, Varale qu'il emmenait au bout de sa corde de chanvre.

Mais c'est bien son nom qui est resté et c'est justice, tant il était intraitable sur son rôle de premier. Riccardo Cassin allait toujours devant. Il sera resté le dernier survivant de la période héroïque de l'alpinisme, cet entre-deux-guerres où les exploits s'écrivaient souvent dans le sang.

Lui survivent aussi des instruments qui portent son nom : piolets, crampons ou mousquetons. Tous ces matériels de qualité rappelaient l'origine professionnelle du maestro, qui fut forgeron dès l'âge de 13 ans. Bref, Riccardo Cassin avait acquis l'ampleur d'un nom-patrimoine de l'alpinisme.

Comme tous les grands noms de l'alpinisme des années 1930, il avait commencé sa carrière à la dure. Né dans le Frioul le 2 janvier 1909, il était resté orphelin à 4 ans, après la mort de son père parti travailler au Canada. Il s'était installé à 16 ans à Lecco, au bord du lac de Côme, région qu'il ne quittera jamais longuement, jusqu'à sa mort. Il y fut forgeron donc, et maçon, dix heures par jour. La première passion de son temps libre fut la boxe, qu'il pratiqua pendant trois ans. Puis il vint à d'autres combats, sur les parois calcaires des Grigne au-dessus de Lecco. Il avait suffi à Riccardo d'une saison pour s'y faire un nom. Il avait 20 ans.

L'écrivain Fosco Maraini l'avait baptisé l'"homme de roc". Son compère Georges Livanos, qui lui avait consacré un livre (Cassin : il était une fois le sixième degré, Arthaud), décrivait ainsi son style irrésistible : "Il n'avait pas beaucoup de vacances, alors il attaquait quel que soit le temps, même quand il pleuvait. Il arrivait et fonçait, comme le taureau lâché dans l'arène."

En 1935, à 26 ans, Cassin signa son premier exploit majeur dans la Mecque des Dolomites (dans la paroi surplombante de la Cima Grande). Deux ans plus tard, sa réussite au Piz Badile le consacra comme l'un des ténors de son époque. Il s'entraîna tout un hiver pour la très convoitée face nord de l'Eiger, mais elle lui fila sous le nez. Et Riccardo Cassin, qui n'avait jamais grimpé que sur le calcaire des Alpes orientales, se rua sur le dernier des trois problèmes, le granit de l'éperon Walker en face nord des Grandes Jorasses. Pour sa première visite dans le massif du Mont-Blanc, il vint à bout en trois jours des 1 500 mètres de l'éperon. C'était le 6 août 1938. "J'étais monté à vélo jusqu'à Courmayeur, puis jusqu'au pied des Jorasses en passant par le col du Géant, racontera-t-il. Alors je n'avais pas de problème d'échauffement !" Il dédie sa victoire au "sport fasciste", mais, six ans plus tard, s'engagera dans la résistance à Mussolini.

Après la seconde guerre mondiale, Riccardo Cassin se tourne vers les grands défis de l'époque, dans l'Himalaya. En 1953, il est au Pakistan pour l'expédition de reconnaissance vers le K2, le deuxième sommet du globe. Pressenti comme chef de l'expédition nationale l'année suivante, il est écarté, officiellement pour raisons de santé. Frustré de la victoire ("Je ne peux pas oublier", dira-t-il longtemps après), Riccardo Cassin obtient sa revanche quatre ans plus tard, lorsque son expédition réussit l'extraordinaire face ouest du Gasherbrum IV, au nord du Pakistan. Il dirige encore de beaux succès au McKinley, dans l'Alaska, en 1961, puis dans les Andes.

En 1975, à 66 ans, il conduit une expédition internationale en face sud du Lhotse, un échec en avance sur son temps. En 1985, il a 78 ans lorsqu'il répète sa voie historique au Piz Badile. Jusqu'à ces derniers temps, il continuait à se tenir au courant de ce que faisaient les jeunes alpinistes. Il est mort un 6 août, soixante et onze ans jour pour jour après le plus beau succès de sa carrière, la première des Grandes Jorasses.

Charlie Buffet

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