Le noeud Machard

                                  Calanques de Marseille-Cassis  - Toits de Sugiton

Calanques de Marseille-Cassis  - Devenson, Castevieil, Soubeyrane (au fond)

En 2018, André Tête, le plus ancien de mes amis marseillais, a fait une présentation sur le nœud “inventé” en 1961 par Serge Machard, un jeune grimpeur de Marseille qui avait alors 16 ans. Il m’en a parlé à mon retour de ma saison de ski que je passe chaque hiver à Chamonix faisant brutalement resurgir des souvenirs enfouis depuis 52 ans et j’ai tenu à aider André à honorer la mémoire de ce si talentueux et sympathique grimpeur marseillais.

Bien qu’il se soit tué alors qu’il venait d’avoir 18 ans, il a eu le temps et le génie de donner à la communauté des grimpeurs et alpinistes un magnifique cadeau, sans doute l’autobloquant le plus utilisé aujourd’hui par les grimpeurs et alpinistes du monde entier.

Le Machard, plus simple, plus facile à débloquer a depuis longtemps remplacé son « ancêtre », le Prusik, « inventé » par Karl Prusik en 1931 dont l’utilisation à cette époque était essentiellement de permettre de remonter une corde.

Notez qu’à l’époque, les descendeurs n’existaient pas et que les rappels se faisaient avec la corde autour du corps avec la technique dite en S.

André était un ami proche de Serge avec lequel il grimpa au cours des quelques années de sa bien trop courte vie.

Moi-même, j’ai “presque” grimpé avec Serge au tout début de juin 1963, quelques jours à une semaine avant son accident fatal. J’ai eu un jour sans. Je venais juste de rentrer d’Angleterre où je faisais des études et j’étais dans une méforme totale.

On m’avait présenté Serge et ce dernier se faisait une joie de grimper avec moi. En 1961 et 1962 j’avais eu, pour l’époque, deux années exceptionnelles en montagne où je n’avais pas arrêté d’enchainer les courses et du coup malgré mes vingt et un ans, j’avais comme on dit « une réputation ».

     Serge me proposa d’aller faire la Directe à Bertagne. J’en ai tellement bavé dans la première longueur à pitonner comme un malade que j’ai décidé d’arrêter là, à la plus grande déception, voire la fureur, du pourtant très placide Serge. Je l’ai lâchement laissé tomber en ne lui faisant pas confiance alors qu’il était dans une forme olympique et qu’il dominait parfaitement son sujet. Malheureusement il n’aura pas vécu suffisamment longtemps pour que je puisse racheter mon impardonnable conduite.

    Serge était incroyablement doué. À 16 ans il avait construit sa propre voiture à deux places ouvertes, des roues de bicyclettes et un moteur de 49 cc qu’il conduisait partout dans Marseille. Il tenait son talent de bricoleur de son père qui, comme sa mère, était professeur d’éducation physique. Il pouvait jouer de deux flutes de pan simultanément aussi bien que Patrick Cordier.

La voiturette à pédales utilisée à l’époque au parc Borély qui a servi de modèle à Serge et à son père  pour construire leur modèle à deux places et à moteur.

Après avoir diffusé sa présentation à des amis, un membre du club d’escalade d’Avranches a contacté André pour lui poser une série de questions sur l’origine du nœud Machard qui a fait l’objet d’un forum sur camptocamp.org.

Voici sa question et la réponse d’André :

Bonjour monsieur,

J’ai vu sur le site du club d’escalade de l’Avranchin que vous avez fait une présentation sur le nœud Machard, donc vous pourriez peut-être résoudre la polémique que vous verrez par ce lien:

 http://www.camptocamp.org/forums/viewtopic.php?id=130050

Tout le monde semble être d’accord sur l’identité du nœud prussik, qui aurait été inventé par un autrichien du nom de Karl Prusik avant 1931.

Deux autres nœuds autobloquants (au moins) existent où on enroule une cordelette autour de la corde: un avec la boucle du bas passée dans la boucle du haut avant de passer le mousqueton dedans (qui bloque dans un seul sens); l’autre avec le mousqueton qui passe directement dans les deux boucles (qui bloque dans les deux sens). De là, deux questions: 1. Lequel a été inventé par Serge Machard ? Et 2. Quel était le nom de l’autre nœud avant cette date ? Mon intérêt personnel dans la question est que j’essaye de conseiller un guide anglais qui écrit un livre sur la montagne.

Je vous remercie par avance pour tout éclaircissement que vous pouvez fournir.

Cordialement, 

Peter HOLDEN

La réponse d’André :

Cher Monsieur.

L'authentique nœud Machard est celui où le mousqueton passe dans les deux boucles de la cordelette (boucles inférieures et supérieures parallèles dans le mousqueton). C'est bien lui que Serge m'avait présenté juste après l'avoir inventé en me demandant mon avis sur sa fiabilité. C'était en 1961.

La littérature technique nomme habituellement "nœud français" celui où la boucle du bas passe dans la boucle du haut et où le mousqueton est accroché à la boucle du bas (boucle inférieure passant dans la boucle supérieure). C'est la bonne dénomination dès lors qu'il faut distinguer les deux nœuds.

À ma connaissance le seul nœud autobloquant connu et utilisé en escalade avant 1961 était le nœud de Prusik. Ce qui me conforte dans cette idée est qu'à l'époque je connaissais bon nombre de grimpeurs et alpinistes expérimentés dont certains profs à l'ENSA.  Aucun ne m'a jamais signalé d'autre nœud autobloquant que celui de Prusik. Les ouvrages techniques de l'époque n'en mentionnaient pas d'autre non plus.

Serge a découvert son nœud quand il a découvert le phénomène voulant qu'une boucle de cordelette enroulée autour d'une corde plus grosse ne glisse pas, mais se bloque sur elle quand on tire sur les anses d'extrémité. Cette découverte et le nœud qui en découle se sont répandus comme une traînée de poudre dans les cercles alpins. Il est certain qu'il en aurait été de même pour toute autre personne qui aurait découvert et exploité le même phénomène avant Serge. Son nœud aurait alors porté son nom. On n'aurait jamais entendu parler de nœud Machard. Il est donc certain que Serge a été le premier à observer et à exploiter le phénomène en question. Pour la même raison, il est certain que le nœud français est apparu postérieurement au nœud Machard.

Quelle est la différence technique entre le nœud Machard et le nœud français ?

Tous deux mettent en œuvre une boucle de cordelette enroulée en spirale autour de la corde à assurer. Pour obtenir un effet autobloquant, la spirale doit avoir un pas assez faible, au moins sur une partie significative de sa longueur, quand le dispositif mis en tension.  Avec le nœud Machard, la boucle de cordelette doit avoir la "bonne" dimension.  Si elle est trop petite le nombre de spires est insuffisant. Si elle est trop grande il faut un nombre prohibitif de spires. Le problème ne se pose pas avec le nœud français. La dimension de la boucle n'est pas corrélée au nombre de spires. 

J'imagine que la découverte du nœud français a été faite par quelqu'un qui, un jour, a voulu faire un nœud Machard avec une boucle de cordelette trop grande.  Plutôt que continuer à enrouler des tours, il a eu l'idée de s'arrêter et de faire passer le surplus dans l'anse initiale.  

Je n'exclue pas que ce soit Serge. Il a certainement vu avant tout le monde le problème posé par une boucle trop grande. Il est donc bien possible qu'il soit également l'auteur du nœud français. Mais là, je n'ai aucune certitude.

En pratique le nœud Machard et le nœud français se valent. Le fait que l'un bloque dans les deux sens et l'autre non n'est pas déterminant. Quand on utilise un nœud autobloquant on sait toujours dans quel sens l'effort va s'exercer. Jusqu'à ce jour, aucune loi, aucun décret, aucun texte n'a pris prétexte de leur équivalence pour faire obligation d'utiliser l'un plutôt que l'autre. La querelle les concernant est donc bien moins cruciale que celle qui a opposé en son temps les Little-Endians (Petits-boutiens) aux Big-Endians (Gros-boutiens). Cela devrait rassurer votre ami et guide anglais pour la rédaction de son livre.

Bien cordialement.

André TÊTE

 

Serge avait envoyé à André une lettre le 28 décembre 1961 qui entre autres comprenait la description de son nœud.

Les deux schémas de sa lettre sont reproduits ici.. Serge cite également les tests qu’il avait faits de son nœud, seul en descendant en rappel par cinq fois le toit de l’Hermite et en le remontant, et avec ses compagnons de cordée dont François Guillot dans l’hyper-Calanque et la Machine à laver, les réactions positives et encourageantes de François Guillot, Gilbert Garrigou, François-Régis Raybaud, Maurice Ramond et d’autres le traitant de fou «suicidaire ».

Voici un extrait dans lequel il explique les principes de son nœud :

« Je vais essayer de t’expliquer mon nœud spirale hélicoïdal plutôt. Il ressemble au nœud de Prusik mais me parait plus commode. C’est aussi l’avis de Mr Ramon et de plusieurs autres “bons” du CAF à qui je l’ai montré à la dernière sortie aux Goudes. Ils l’ont essayé, ça marche même pour Mr Coquillot (poids lourd). Quand on tire ce nœud par le mousqueton, il se bloque – Quand on appuie dessus, il descend et se débloque (même si tu es pendu après = cela permet de s’arrêter dans un rappel, et de tout lâcher, utile si la corde fait mal on la déplace, s’il faut la démêler ou faire un pendule… descendre et remonter la grotte de l’Ermite en son milieu sur un seul brin avec le passage d’un mousqueton est un amusement (80 m, 50 en fil d’araignée). Je l’ai déjà fait 5 fois et je le referais volontiers pour te le montrer. Je compte le refaire pour prendre des photos et repérer la directe de l’Ermite. Si on me prête une corde, je descendrais la Concave pour prendre des photos (et jouer à la balançoire : 30 m de pendule à la grotte de l’Ermite, là ça va être vraiment amusant). Pour ce nœud j’emploie 1 anneau de corde (3 en tout), fait avec un bout de corde de nylon CABLÉ (le tressé est trop raide). Il peut être d’un diamètre égal à la corde de rappel – Mais le nombre de tours dépend de ce que la corde est en double ou en simple, de son diamètre, ainsi que de l’anneau. Il faut régler le nb de tours nécessaires (il faut qu’en tirant le nœud lâche bien desserré, il se bloque net)… »

COMMENTAIRE :

Un de mes bons amis, ancien prof de l’ENSA et également très bon marin m’a rappelé que le Machard comme le Prusik sont basés sur des nœuds marins utilisés depuis des centaines voire des milliers d’années pour hisser toutes sortes d’objets naval ou commercial et bien sûr des drisses et toutes sortes de cordes.

Mais pour moi cela n’enlève rien au “génie” de Karl Prusik et de Serge Machard qui ont “réinventé” sans le savoir ces nœuds pour l’usage des grimpeurs.

QUESTIONS :

Ni moi, ni André ne connaissions les circonstances exactes de l’accident de Serge et qui était son compagnon de cordée, ce jour-là, Jean-Marie Rosière, indiqué dans tous les topo-guides des Calanques. Dans mon souvenir, après avoir réussi à gravir le toit, Serge redescendait en rappel pour récupérer des pitons (qui à l’époque comme le disait Le Grec « ne se vendait pas au kilo sur la Canebière »). Pour François Guillot, Serge était en solo, pour André, il redescendait prendre des photos. Comme Alexis Lucchesi est celui qui avait indiqué dans son guide de 1967 sur Sugiton le nom du compagnon de cordée de Serge, je l’ai appelé et comme il est la mémoire vivante des escalades des Calanques, qu’il cultive toujours en continuant à réaliser ses fameux topo-guides, il a résolu toutes nos questions :

Serge avait trouvé un tout jeune gars qui devait avoir 15 ans alors, sans doute dans son lycée Thiers, qui lui a servi de second. Arrivés au sommet, pendant que Jean-Marie redescendait par le sentier balisé en rouge qui rejoint le bas des toits et longe le pied des voies, Serge installait un rappel pour retirer des pitons. Une fois arrivé au pied de la voie, Jean-Marie a trouvé Serge mort, la nuque brisée, la corde emmêlée autour de son corps, avec son nœud autobloquant. L’ancrage du rappel a sans doute lâché ou Serge a fait une fausse manœuvre. Si nous n’avons plus entendu parler de Jean-Marie Rosière c’est que d’après Alexis, il cessa de grimper après la mort de Serge.

Voici le beau texte qu’écrivit son ami François-Régis Raybaud dans le bulletin du CAF N° 151 de 1962 :

« Au soir d’une escalade d’un niveau technique encore jamais atteint dans nos Calanques, Serge nous a quittés. Quelle erreur a-t-il pu commettre, lui, le spécialiste des questions d’assurance, des rappels en fil d’araignée, l’inventeur du merveilleux nœud Machard ?

Mais non, c’est mal raisonner : Serge n’a pas commis d’erreur – ou plutôt, ce qu’il a afit, il fallait que cela s’accomplisse.

Souvenez-vous de vos débuts d’alpiniste… que de fautes impardonnables et pourtant pardon nées ; que de folles imprudences, pourtant non sanctionnées… Ainsi, souvent, la Providence s’acharne-t-elle à nous tirer – presque malgré nous ! – de ces mauvais pas où nous engagent nos maladresses et notre orgueil.

D’autres fois, en revanche, il semble que la Providence se refuse à laisser la moindre échappatoire. COUZY devait recevoir cette pierre ; GERVASUTTI – lui ! – devait n’empoigner qu’un seul brin du rappel ; il fallait que Serge nous quitte à l’issue de son magnifique exploit.

Des êtres d’une telle qualité sont un scandale pour cette honnête médiocrité qui est notre lot à tous et je pense que Dieu nous fait cette aumône de les rappeler à lui prématurément pour que nous puissions assumer sans trop de hon te nos laborieuses existences.

Regardez-vous, alpinistes, mes frères : quelle gravité, quel sérieux, quelle passion nous habitent ! Cette lutte sans merci que nous soutenons contre la pesanteur, que de ruses, que d’artifices, que de lenteurs n’exige-t-elle pas de nous ? Rien de tout ce fatras en Serge. D’une aisance, d’une audace, d’une grâce stupéfiantes, il triomphait des plus durs obstacles sans effort apparent. Le vide lui était soumis comme s’il l’eut enchanté à force de délicatesse et de légèreté. Grimper n’était pour lui qu’un jeu merveilleux – mais il y excellait. Aussi ne tirait-il nulle vanité de ses exploits. L’importance que nous leur accordions l’étonnait, le choquait presque : Réussir ? Quoi de plus naturel ? Ne joue-t-on pas pour gagner ?

Il est tombé dans l’euphorie de sa belle victoire, conscient sans doute d’avoir reculé les limites du jeu. Qu’il est lourd, son héritage ! Forts de son exemple, de son amitié, il nous appartient désormais de progresser dans le chemin qu’il nous a défriché. Ainsi demeurera-t-il à jamais dans nos cœurs. »

François-Régis Raybaud.

Et voici la description de sa voie, « le toit Machard » dans le même bulletin :

Toit de droite de SugitonPremière ascension le 16 juin, en 15 heures, par Serge MACHARD et Jean-Marie ROZIERE.

Voie exceptionnelle par sa difficulté. R1 : V sup. 3 pitons, R2 : Lancer de corde (2 mètres) sur un becquet rocheux pour passer un « ventre » important, puis A3, A2. R3 : le relais le plus délicat ; après une traversée à droite de quatre mètres V, il faut franchir un toit de 5 mètres absolument horizontal, non fissuré mais présentant de petits trous, A4, A3 ; puis une section verticale A1 et IV mène au sommet. Hauteur de la voie : 50 mètres environ.

Enfin, on peut relire dans le livre de Barney Des rochers et des hommes où pages 152 et 153, il publie deux photos de Serge que lui avait fourni Gilbert Garrigou et sa description de la première ascension du toit « Machard » que Serge avait « gravi à la barbe de la cordée Garrigou-Raybaud », cette dernière ayant interrompu une tentative quinze jours auparavant par manque de temps au niveau du toit lui-même.

                                                               Serge en fil d’araignée au toit de l’ermite testant son nœud

Serge Machard faisant une démonstration de son nœud autobloquant (Photo page 152 Des Rochers et des Hommes – Bernard Vaucher)

La dernière photo de Serge prise dans la première ascension du toit « Machard » - 16 juin 1963

1. Nœud valdotain ou Machard sur un brin


*Avec un seul brin de corde réaliser plusieurs tours autour de la corde à bloquer (nombre de tour égal au diamètre de la cordelette).

*Passer l'extrémité du haut sous le brin inférieur.

*Faire remonter ce brin pour le faire passer dans un des tours confectionnés tout au début.

*Réaliser un nœud simple à l'extrémité libre.

Avantage :

Nœud de fortune permettant de réaliser un autobloquant avec l’extrémité d’une corde (celle du rappel par exemple).

Inconvénient :

A tendance à glisser, en particulier sur les cordes.

C'est un nœud autobloquant pouvant être réalisé avec l'extrémité libre de la corde (du rappel sur lequel on descend par exemple). Il peut être très utile pour remonter sur corde fixe quand on n'a rien d'autre sous la main.La différence entre les deux : le Valdotain est fait avec un bout de corde du même diamètre que la corde et demande au moins 7 tours, alors que la variante Machard est faite avec une cordelette d’un plus petit diamètre et ne demande pas autant de tours.

Réalisation :

*Réaliser 6 à 7 tours en montant sur le rappel.

*Faire une boucle sur le brin du bas puis passer le brin du haut dans la boucle, derrière le brin du bas et à nouveau dans la boucle.

Ce nœud est identique à un nœud de chaise qui aurait une partie de sa boucle enroulée sur le rappel. En effet si l'on extrait le nœud sans le défaire par l'extrémité du rappel on obtient un nœud de chaise classique.

Avantages :

– Économique, peut se confectionner sur l’extrémité d’un brin ;

– Déblocage facile;

– Utilisation dans les 2 sens.

Inconvénient :

- Fonctionne mal avec des cordes de même diamètre;

- Être vigilant sur corde gelée.

2. Nœud Polonais

C'est un nœud autobloquant pouvant être réalisé avec l'extrémité libre de la corde (du rappel sur lequel on descend par exemple). Il peut être très utile pour remonter sur corde fixe quand on n'a rien d'autre sous la main.

ATTENTION ce n'est qu'un nœud de dépannage.