Réincarnation et résurrection :
la destinée de l’âme humaine (conférence)

« En décrétant que le la réincarnation n’existait pas, l’Église introduisait dans l’esprit des hommes la plus grande terreur qui soit : celle de la mort. Une mort définitive et sans appel. C’est ainsi que naquit l’enfer. Le seul salut possible pour les pécheurs qui ne disposait que d’une seule vie pour atteindre la sainteté était de réintégrer l’Église et d’en suivre tous les préceptes et les diktats à la lettre : « Hors de l’Église point de salut. »  La religion devenait un fabuleux instrument de pouvoir. Si l’on menace un individu de damnation éternelle, si son sort se joue en l’espace d’une vie, la mort devient nécessairement l’événement le plus terrifiant et le plus exceptionnel de notre existence. »

  Gilbert Sinoué

Des jours et les nuits

Gallimard, 2001, page 185


Conférence par François-Xavier Chaboche,

à l’Espace Expression (Paris), le 14 octobre 1999.           


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Qu’est-ce que l’incarnation ? Qu’est-ce que le corps ? Qu’est-ce que l’individu ? Qu’est-ce que la vie ? Qu’est-ce que le destin ? Qu’est-ce que la mort ? Qu’est-ce que la conscience ? Qu’est-ce que l’esprit ? Qu’est-ce que la matière ? Qu’est-ce qu’est le temps ? Qu’est-ce qu’est l’éternité, etc. etc. ? Autrement dit, et plus simplement : « Qui sommes-nous ? D’où venons-nous ? Où allons-nous ? » Autant de questions fondamentales qui ont occupé la réflexion des humains depuis qu’ils existent. Et un certain nombre de réponses – ou des tentatives de réponses – ont été apportées, par les religions d’abord, puis les philosophies, et enfin par les sciences.

Mais il faut avoir bien conscience que les questions ultimes ne se résolvent pas avec des mots. Si l’on avait les mots pour décrire les réalités ultimes, on serait l’égal de Dieu. Cela voudrait dire que l’on maîtrise les mots qui créent. Nous resterons donc un peu plus modestes.

Nous n’aborderons évidemment pas tous les aspects, toutes les facettes du thème de ce soir, et on les épuisera encore moins. Mais on va essayer de tracer quelques grandes lignes.

Quand on parle des doctrines religieuses, on parle bien sûr, des formes qu’ont développées ces doctrines pour exister et s’exprimer. Elles le font à travers une histoire et à travers une culture. Les formes culturelles et historiques étant très variées, les grandes religions et les grandes philosophies s’expriment à travers des langages très différents les uns des autres, ce qui fait que lorsqu’on les compare, on peut se trouver confronté à d’énormes contradictions entre ce que chaque religion ou chaque philosophie peut dire.

Je vous propose aussi de vous aventurer « au-delà des formes » pour essayer de comprendre les réalités, d’ordre métaphysique, qui se cachent derrière des doctrines apparemment contradictoires.

Il faut aussi comprendre que dans les religions, dans toutes les religions sans exception, même le christianisme, il y plusieurs niveaux de compréhension possibles. Les croyances populaires ne sont pas forcément celles qu’on enseigne dans les monastères, par exemple. Il y a aussi les croyances qui sont utilisées pour manipuler et contrôler les humains, autrement dit l’utilisation politique de la religion. Il y a aussi des formes de religiosité qui frisent l’idolâtrie.

Même les philosophes et les psychologues matérialistes ou athées s’accordent à dire que les grands mythes religieux représentent et résument, de façon imagée, toute l’histoire de l’humanité et toute l’histoire de chaque être humain.

Il y a également un plan religieux, qu’on appellera initiatique, qui est celui du passage de la croyance à la connaissance. C’est-à-dire le passage entre la foi du charbonnier et la foi dite éclairée. La croyance aveugle a ses vertus, mais ce n’est pas la connaissance. En général, les religions institutionnelles n’encouragent pas tellement à la connaissance.

Les intuitions spirituelles du fondateur de la religion ont été transformées en dogmes, c’est-à-dire en formes figées qu’il faut croire sans chercher à comprendre.

Cela incite certaines personnes insatisfaites à rejeter la religion tout en bloc (« le bébé avec l’eau du bain »), ce qui est très dommage, car elles rejettent souvent en même temps toute forme de spiritualité. D’autres choisissent d’approfondir, et en approfondissant, s’aperçoivent qu’on leur avait caché beaucoup de choses.

L’initiation, c’est donc le passage de la croyance à la connaissance, ou même de la non-croyance à la connaissance, non pas d’une façon intellectuelle et mentale, mais à travers des processus de prises de conscience qui sont liées directement au vécu intérieur de l’être.

Comme personne n’est jamais revenu de la mort (du moins c’est ce que l’on croit communément), il est difficile, voire impossible de dire ce qui se passe après. A priori, des doctrines comme celles de la réincarnation ou comme celle de la résurrection, peuvent paraître incompréhensibles, et peut-être même invraisemblables, si l’on reste au niveau des mots ou au niveau du mental.

Pour comprendre ce qui vient après la mort, il faut d’abord s’intéresser à ce qui vient avant la vie.

Par commodité, on va considérer comme un postulat acquis (mais il est permis de le discuter) ce que les grands courants religieux transmettent chacun à leur façon sur l’origine et la constitution de l’être humain, à savoir que l’être humain primordial, tel que Dieu l’a conçu, est composé de trois dimensions, dimensions qu’on va appeler :

ESPRIT

ÂME

CORPS

Ces trois dimensions (à la fois « plans vibratoires » et « plans de conscience ») constituent ce qu’on appelle le « corps d’éternité ». Elles sont de la même substance divine, étroitement mêlées, et vivent, en dehors du temps et de l’espace, sur la même « fréquence vibratoire », à l’image et à la ressemblance de la Sainte Trinité.

La dimension de l’esprit est le seul plan qui reste immuable. Il n’est pas soumis aux lois de la transformation. L’esprit est la source de la conscience au-delà de toute conscience. On peut dire que c’est le plan d’existence, totalement impersonnel, le plus subtil, le plus abstrait, le plus éthéré qui soit, mais quand même réel. Plus réel que le réel. C’est la seule réalité lorsqu’il n’y a pas de création, lorsqu’il n’y a pas de manifestation, lorsqu’il n’y a pas de mouvement. (II est très important de ne pas confondre l’esprit et le mental humain qui n’en est qu’une expression très limitée.)

L’âme est le début de l’individualisation. Elle est la source et le siège du désir d’« autre chose », de l’émotivité, de la mémoire du vécu émotionnel et sensoriel. Lorsque l’âme involue, c’est-à-dire qu’elle a quitté son statut d’éternité pour s’investir dans les expériences de la vie, elle a oublié son origine, et au lieu de rester identifiée à sa source, elle s’identifie à son expérience : cela donne naissance à ce qu’on appelle le psychisme et à toutes ses facettes conscientes et inconscientes. L’âme a une faculté d’autoprogrammation par rapport aux expériences qu’elle souhaite ou qu’elle subit. Elle s’adapte. Elle est le siège de l’évolution de l’être.

Le corps est l’expression de la vie, c’est la source de l’énergie, de la matière et du mouvement. C’est aussi le siège de la mémoire biologique qui est lui-même support de la mémoire de l’âme.

Le corps est un « véhicule » – c’est un mot qu’on retrouve souvent dans la philosophie orientale. Qu’est-ce que c’est qu’un véhicule ? C’est un « engin » qui permet de se déplacer dans l’espace et donc dans le temps. Autrement dit le corps permet d’agir dans la matière. Mais le corps n’est pas seulement le support qui permet à l’esprit et à l’âme de s’exprimer, c’est aussi en soi une expression et une manifestation de l’esprit.

On dit que les Anges considèrent que la gloire de l’être humain, c’est son corps, parce qu’il peut faire ce que les anges ne font pas. Par exemple l’eucharistie, qui est la transformation de la substance physique du pain et du vin en substance divine, ne peut être accomplie que par des êtres humains consacrés, et non par les anges.

L’être humain des origines ou être humain archétypal, dont les textes sacrés disent qu’il a été créé à l’image de Dieu, et de la substance même de Dieu, est un être Androgyne, c’est-à-dire qu’il n’est ni masculin ni féminin, mais les deux à la fois. Il est immortel et n’a donc pas besoin de se reproduire. II vit dans la béatitude et la staticité et n’a besoin de rien.

Enfin si, il a besoin de quelque chose : il a besoin de vivre des expériences, il a besoin de devenir créateur à son tour. Créé par une sorte de « big bang » qui a été sa conception, il est comme le fœtus, comme l’embryon dans la matrice maternelle... Mais une force le pousse vers l’extérieur, le pousse à naître vers un univers extérieur. Et c’est ce qui à l’origine de ce que l’on a appelé la « chute » ou la perte du « paradis »...

Ce phénomène (cataclysmique) s’est accompagné, à la fois, d’une perte de conscience au niveau de l’âme, d’une dégradation vibratoire au niveau du corps et surtout, de l’apparition d’une la polarité, c’est-à-dire de la séparation de l’être humain entre pôles masculin et féminin, ce qui a une très grande importance dans notre vie.

Après la chute, les trois dimensions, esprit, âme et corps, ont modifié leurs rapports : l’âme s’est investie dans l’expérience mentale, émotionnelle et sensorielle, et le corps, notamment, s’est densifié, dans des plans vibratoires plus lourds, que l’on appelle la matière. C’est ce qu’on appelle l’incarnation.

Beaucoup de traditions précisent que le corps d’éternité, lorsqu’il se manifeste dans l’incarnation, s’exprime sous la forme de sept corps, que l’on appelle les six corps subtils, plus le corps physique. Vous avez déjà entendu parler de corps éthérique, de corps astral, de corps causal, etc. Les différentes écoles donnent des noms différents, mais il s’agit, grosso modo, de la même chose. En outre, les corps possèdent des centres d’énergie, que les hindous appellent des chakras, dont les principaux sont au nombre de sept, et qui ont une grande importance dans la démarche spirituelle et initiatique.

Le corps n’a pas tout à fait les mêmes caractéristiques lorsqu’il est corps d’éternité ou lorsqu’il est le corps d’après la « chute ».

La matière peut être perçue de deux façons : lorsqu’elle est perçue d’un point de vue « purement matériel », concret, à travers les formes, et à travers nos sens, elle est lourde, soumise à des forces qui tendent à la transformer en permanence et qui font que rien n’est permanent en elle. C’est pourquoi notre corps physique d’aujourd’hui n’est pas immortel.

Et pourtant la matière, même d’après les physiciens les plus matérialistes, c’est de l’énergie pure. Quand on essaie de définir ce qu’est l’énergie pure, on ne trouve pour en parler que des abstractions mathématiques, c’est-à-dire quelque chose qui ressemble fort à l’univers spirituel. Et il y a ce paradoxe : plus la matière est compliquée, plus elle permet à la conscience d’émerger et de se manifester. Même si on l’a oublié, le corps est d’essence spirituelle.

Le matériau vivant qui constitue notre corps est éphémère dans sa forme, mais la vie, elle est constante.

On sait que le corps est constitué de cellules. La science nous dit que la vie est apparue, à partir de matériaux complexes qu’on appelle des molécules organiques, sous forme de cellules d’abord individuelles, comme les bactéries, les paramécies, les amibes, et qui se sont ensuite regroupées pour former des organismes mieux adaptés à la survie. Dans les organismes les cellules se sont diversifiées et spécialisées, pour donner toutes les formes de vie que nous connaissons. Si l’on admet que notre corps n’est qu’une colonie de cellules qui se sont organisées et reproduites depuis l’aube des temps. Cela signifie que chacune de nos cellules a toujours été vivante depuis l’aube des temps.

Les cellules du corps manifestent la pérennité de la vie à travers le temps, ce qui est une forme d’éternité. La mort d’une cellule ne signifie pas la mort de l’organisme. Et la notion de mort est une notion mentale, liée à l’expérience limitée, mais qui n’a en soi rien d’évident. Lorsqu’un organisme meurt, la vie s’éteint-elle ou s’investit-elle ailleurs ?

En fait, la séparation entre l’esprit et la matière n’est qu’une vue du mental, mais qui est directement liée à l’expérience limitée dans notre incarnation. Tant qu’on est dans ce vécu (et non dans la Vie), on a tendance à faire cette séparation artificielle, qui a donné naissance à toute la philosophie occidentale et à la méthode scientifique fondée sur l’analyse. C’est-à-dire le découpage de la réalité en petits morceaux, en oubliant la vision globale.

Que devient notre individualité, dans tout cela ? Que devient mon destin individuel ? Aujourd’hui, il y a officiellement plus de six milliards d’êtres humains sur Terre. Alors on peut se poser la question de savoir pourquoi l’être humain des origines, celui que les kabbalistes appellent l’Adam Kadmon, a pu se morceler, se démultiplier de façon aussi spectaculaire. C’est une des conséquences de la création, qui se caractérise par la multiplicité des formes vivantes. Il faut comprendre que chaque parcelle de vie, qu’elle soit au niveau minéral, végétal, animal ou humain, est une parcelle de la substance divine. La Terre elle même, qui est notre habitat actuel, fait partie de cette chaîne vivante qui nous relie à la Source. (II existe sans doute aussi des formes d’humanité ailleurs que sur la Terre.)

Qu’est-ce qui nous définit en tant qu’individualité ?

Est-ce que nous sommes définis par notre statut social, par notre nom, par nos liens familiaux, par notre profession, par notre violon d’Ingres, par notre compte en banque, ou que sais-je ? Non. Rien de tout cela ne nous définit parce que tout cela est relatif et interchangeable.

Est-ce que nous sommes définis par notre corps ? Les matériaux qui constituent notre corps et nourrissent nos cellules sont sans arrêt transformés, éliminés et remplacés. Nous ne sommes plus les mêmes, corporellement, que la semaine dernière, ou même qu’hier. Si un morceau de notre corps est amputé, celui-ci retourne à la poussière, mais la vie assure la cohérence de l’organisme. Donc le corps ne nous définit pas. On constate une certaine continuité dans la forme, mais c’est une continuité illusoire.

Sommes-nous définis par nos sensations, par nos émotions, par nos pensées ? Tout cela est mouvant, changeant et fuyant. Rien de tout cela ne nous définit.

Quand on a tout éliminé, il reste au plus profond de nous-même un observateur, sans attributs ni forme, qui constate tout cela. Peut-être cet observateur est notre individualité.

Il y a une notion importante qui est liée à l’individualité, c’est la mémoire, même si elle est parfois inconsciente ou voilée. La mémoire est partout : dans l’esprit, dans l’âme et dans le corps. Notre histoire individuelle est liée à notre mémoire sur tous les plans. Et notre destin, c’est la finalité de cette mémoire.

Toutes les religions font le même constat : nous sommes tous vivants sur Terre, prisonniers de nos limites, qui sont les limites de notre corps et de nos moyens de perception, et nous avons oublié nos origines divines, même si nous aspirons à les retrouver, consciemment ou inconsciemment. Les religions proposent des solutions à cette situation. C’est ce qu’elles appellent le chemin du salut.

Le mot « salut » est emprunté aux religions monothéistes. Les Orientaux parlent du dharma.

Dans les philosophies orientales, le salut consiste à sortir du monde de l’illusion. Les bouddhistes, par exemple, parlent du nirvana, qui est l’état de vide originel, source de tous les possibles, et auquel il faut retourner. Pour les bouddhistes, l’âme n’est qu’un agglomérat d’énergies accidentelles, qui n’a pas d’importance en soi. La souffrance vient des désirs non satisfaits et il suffit de supprimer les désirs pour supprimer la souffrance. Les hindous ont une conception un peu différente dans la mesure où ils reconnaissent une certaine individualité à l’âme et qu’ils considèrent le désir comme un moteur de création et d’évolution.

Mais les deux, bouddhistes et hindouistes, partagent la même conception du karma, c’est-à-dire de la responsabilité individuelle générée par nos actions, et dont nous transportons avec nous les conséquences. Le salut consiste donc à s’attirer des mérites pour transformer le karma négatif en karma positif, puis en la disparition de tout karma.

Le karma trace le destin dans ses grandes lignes, en fonction du passé, mais peut être modifié à tout instant, par les prises de consciences (changements de mentalités), et par le changement de la façon de vivre. Il faut noter que le karma est aussi bien collectif qu’individuel.

Dans les religions monothéistes (judaïsme, christianisme, islam), le salut consiste à retrouver le Divin par un retour à Dieu, c’est-à-dire à la Source divine, la Source de la Création. D’une certaine façon, c’est la même chose. Mais les mots diffèrent, les pratiques diffèrent, le contexte culturel et historique diffère. La finalité est la même : c’est retrouver l’état originel. Issu du Divin, l’être humain doit retourner au Divin ; ou bien, dit autrement, issu de l’absolu, l’être humain doit retourner à l’absolu auquel il aspire, consciemment ou inconsciemment.

Disons un mot à propos des notions de paradis, de purgatoire et d’enfer, qui ont été véhiculées notamment par le christianisme. Le paradis, cela se comprend, c’est l’état originel, sans souffrance et sans mort, que l’on aspire à retrouver. La notion de purgatoire n’est apparue, dans le christianisme, qu’au XIIe siècle. Le purgatoire n’est pas un lieu ni un temps. Il correspond à un processus alchimique de purification de l’âme qui peut très bien se dérouler au cours de la vie et non pas forcément après la mort. Quant à l’enfer, il n’est pas besoin de chercher un au-delà pour le trouver. L’enfer, c’est la négativité auto-entretenue. Chacun de nous a pu constater que l’enfer existe partout où l’amour est absent. En résumé le paradis, le purgatoire et l’enfer sont d’abord et avant tout des états d’âme. Dans le langage alchimique, enfer, purgatoire et paradis correspondent aux trois phases du Grand Œuvre : ce sont donc des étapes d’une transformation.

Le salut n’est jamais seulement individuel. Il n’y a jamais de véritable salut si tous les êtres ne sont pas libérés. (En Orient, les Boddhisattvas sont des Bouddhas libérés qui refusent de quitter la terre et l’humanité tant qu’il existe la moindre souffrance.) Il y a un destin collectif et transpersonnel de l’humanité, que l’on peut considérer comme un être unique. La notion d’un jugement dernier où les méchants seraient exclus pour l’éternité est une notion mal comprise : il est inconcevable de donner à l’imperfection un statut d’éternité. Des chrétiens disent aussi qu’il est inconcevable qu’un Dieu d’amour puisse condamner des âmes à une peine éternelle.

La difficulté qui peut opposer les différentes doctrines, c’est, d’une part, la conception que l’on se fait de l’individualité (inexistante pour les unes, essentielle pour les autres) et, d’autre part, le rapport au corps et la matière.

Dans les religions orientales, le corps est une prison qu’il faut quitter et où l’on est condamné à revenir tant qu’on n’a pas accompli toute la transformation nécessaire, à travers l’évolution. C’est là qu’apparaît la notion de réincarnation. [II ne faut pas confondre la réincarnation et la métempsycose, qui est une croyance superstitieuse populaire (réincarnation dans un animal).]

Dans les religions monothéistes (ainsi que dans des religions plus anciennes comme celle de l’Égypte ou de l’Iran), le corps doit accompagner l’âme dans son retour vers Dieu. C’est la notion de Résurrection, qui est la clé de voûte, la finalité des trois grandes religions qui nous viennent d’Abraham et qui, dans le christianisme, a un exemple vivant de cette possibilité de Résurrection à travers la personne de Jésus le Christ.

Qu’est-ce que c’est, la Résurrection ? Si vous demandez à des prêtres, des pasteurs, des rabbins ou des imams ce qu’est la résurrection, concrètement, ils sont souvent bien en peine de l’expliquer. Tout en étant attachés à la doctrine de Résurrection, beaucoup ne croient pas en fait à ce qu’elle implique : le retour effectif d’un corps vivant. Ils disent – ou font comprendre – que c’est une métaphore symbolique à ne pas prendre au pied de la lettre.

Tout simplement, ils sont ignorants de la signification ésotérique de la Résurrection. Naturellement, il ne faut pas croire que c’est notre corps actuel qui va revivre ... Dans l’ésotérisme chrétien, par exemple, la Résurrection est le résultat d’un processus alchimique de transformation. La Pierre philosophale, que recherchent les alchimistes, et à laquelle ils donnent le nom de Christ, est la matérialisation d’une conscience de l’Unité de l’esprit et de la matière – à la fois dans l’espace-temps et au-delà de l’espace-temps – qui permet tous les miracles (c’est-à-dire les transmutations, les guérisons etc.).

La Résurrection est le retour à l’état originel de l’être humain créé "esprit, âme et corps". Le corps de résurrection est bien entendu un nouveau corps, semblable au corps d’éternité des origines, mais enrichi de toute l’expérience de l’aventure humaine à travers l’espace-temps. C’est ce qu’on appelle le Corps de Résurrection ou Corps glorieux, qui est d’ailleurs connu aussi des traditions orientales, sous des mots différents qui disent la même chose. (La résurrection de Lazare, qui est décrite par les Évangiles, n’est pas la résurrection finale mais n’en est que la préfiguration. Lazare est mort de nouveau, si l’on peut dire.)

Les religions monothéistes connaissent aussi la notion de réincarnation, qui est la poursuite de la destinée et de l’évolution humaine à travers de nombreuses vies. La réincarnation explique pourquoi les vies humaines sont si différentes les unes des autres, et parfois si cruelles, tout en respectant la notion de justice divine. Dans le judaïsme, elle est enseignée par les kabbalistes. Dans l’islam, elle est enseignée par les soufis. Elle était aussi enseignée dans le christianisme des origines et elle l’est toujours dans le christianisme ésotérique.

La réincarnation et la résurrection ne sont ni semblables ni contradictoires. 

La réincarnation est un phénomène cyclique, dans le temps et l’espace, semblable par exemple à la résurgence annuelle de la même vie à travers des formes différentes, et pourtant semblables, dans le règne végétal.

La réincarnation est un phénomène dans le temps, lié à l’évolution, tandis que la résurrection est une réalité définitive, à laquelle nous sommes appelés en fin d’évolution, transcendant le temps et qui, précisément, met fin au cycle des réincarnations.

Curieusement, la science moderne, d’une certaine façon, et certainement à son corps défendant, vient corroborer la doctrine de réincarnation. En effet, la génétique nous apprend que nous sommes, quelque part, nos propres ancêtres, par la recombinaison des gênes qui sont le patrimoine commun de toute l’humanité, et qui d’ailleurs justifie la notion d’une espèce humaine constituant une entité « une » et éclaire la notion de fraternité humaine.

On sait que la matière a une mémoire, et que les gênes, qui sont des supports d’informations, sont donc aussi des supports de mémoire. Il y a donc une mémoire ancestrale qui justifie d’une certaine façon le culte des ancêtres qui existe dans certaines religions (par exemple le shintoïsme japonais). Les phénomènes de réminiscence de vies antérieures, qui ont pu être constatés par des scientifiques et des médecins, peuvent ainsi s’expliquer aussi bien par la doctrine de la réincarnation que par la science biologique.

Alors d’où vient que les religieux actuels, en particulier d9ns le christianisme, attaquent de façon virulente la notion de réincarnation ?

Probablement d’abord parce qu’ils ne l’ont pas comprise. Lorsque les livres chrétiens disent que « la réincarnation est incompatible avec l’idée chrétienne de résurrection », c’est qu’ils n’ont pas vu qu’il s’agissait de réalités différentes et complémentaires. Ils disent que l’âme ne peut « passer de corps en corps » car alors quel est le corps qui ressusciterait ? Naturellement aucun des corps revêtus par l’âme ne ressuscite en tant que tel. L’âme revêt, et retrouve son corps d’éternité des origines.

Cela ressemble à une autre objection, plus philosophique, qui est avancée, même par des ésotéristes comme René Guénon : c’est que les êtres ne peuvent jamais traverser deux fois la même condition durant leur évolution. Mais c’est oublier que s’il y a plusieurs vies successives, elles sont nécessairement différentes dans leur vécu intérieur et extérieur, ce qui annule l’argument.

Les Églises institutionnelles n’admettent plus officiellement la réincarnation, depuis le IIe Concile de Constantinople (553), alors que plusieurs Pères de l’Église (saint Hilarius, saint Clément d’Alexandrie, saint Jérôme, saint Augustin, saint Bonaventure en parlent dans leurs écrits). On cite Origène, qui n’est pas à proprement parler un Père de l’Église, mais qui est un philosophe, une sorte de reporter ou de sociologue des religions, et qui a écrit sur toutes les doctrines connues de son temps, et en particulier les doctrines gnostiques. Il a donc parlé de la réincarnation mais en précisant qu’il n’y croyait pas lui-même.

Or le Concile de Constantinople a condamné les œuvres d’Origène [1] (note en bas de page), sans doute parce qu’il pouvait donner de mauvaises idées. Il est vrai que la doctrine de réincarnation est la porte ouverte à toutes les formes de religiosités parallèles qui échappent au contrôle des Églises officielles.

Il est vrai que si chaque être est responsable de son propre destin, en dehors de tout dogmatisme étroit, il n’y a plus moyen d’exercer un contrôle et un pouvoir sur les âmes.

 

Pour finir, la croyance en la réincarnation n’est pas essentielle à une vie spirituelle, mais elle peut aider à mieux comprendre notre propre vie et notre propre destin et celui des autres.

La croyance en la résurrection n’est pas une obligation pour qui ne veut pas y croire, mais elle donne un objectif à notre vie et à notre destin individuel et collectif.

Lorsqu’on vous dit : « Tu es poussière et tu retourneras à la poussière », cela concerne le monde des formes, même si la substance de notre corps est d’essence spirituelle. Il y a une formule, qui est inscrite en lettres d’or dans le hall d’entrée de la Société théosophique, square Rapp à Paris : « Tu es lumière et tu retourneras à la lumière. » Cela concerne notre être essentiel, et c’est la seule chose effectivement essentielle à retenir.

En conclusion, je dirai qu’une partie de notre être vit déjà dans l’éternité – et cela, si l’on peut dire, de toute éternité. Et il y a une partie de notre être qui vit dans l’espace-temps, c’est-à-dire dans la vie, dans le mouvement et dans l’incarnation. Je crois que la grande question métaphysique qui se pose à tous est de faire rencontrer en nous-même le temps et l’éternité.


© François-Xavier Chaboche, 2017

Contact : compostelle.fxc@gmail.com


[1] En fait la condamnation portait sur la doctrine des protoctistes tétradites qui se référaient à Origène mort trois siècles plus tôt… (note de 2017).