Recherche spirituelle, discernement et liberté : comment faire face aux dérives sectaires 

Conférence par François-Xavier Chaboche,

donnée à l’Espace Expression (Paris) le 25 novembre 1999.               

[fichier pdf disponible : suivre le lien]

 

Si vous êtes là présents ce soir, c’est que chacun d’entre vous est dans une recherche, comme moi-même je suis dans une recherche.

Je voudrais préciser tout d’abord que je ne représente aucun groupe, aucune religion, et que je ne parle qu’en mon nom propre. Je suis d’origine chrétienne, catholique par mon éducation. Comme beaucoup de personnes, à l’intérieur même de la chrétienté, j’ai découvert, notamment pendant l’adolescence, que ce que j’avais reçu comme enseignement, à l’intérieur de l’Église, n’était pas suffisant pour remplir ma vie. Il me semblait qu’on m’avait communiqué un certain nombre de connaissances et de valeurs qui étaient très belles, très intéressantes, mais en même temps j’éprouvais le besoin d’élargir et d’approfondir les choses de façon qui soit indépendante du système religieux à l’intérieur duquel j’avais été élevé.

J’ai donc commencé très jeune à m’intéresser aux autres religions, chrétiennes et non chrétiennes, aux traditions de l’Orient, aux traditions occidentales très anciennes comme le celtisme, ainsi qu’à toutes les approches de la connaissance que l’humanité a mises en œuvre depuis qu’elle existe, aussi bien les approches philosophiques et les approches scientifiques, y compris celles qui ne font pas intervenir la notion de Divin pour expliquer le monde et le destin de l’humanité. C’est ainsi que, pendant plus de trente ans, j’ai également navigué dans de très nombreux mouvements à vocation spirituelle ou initiatique, que l’on a tendance aujourd’hui à désigner sous le terme général de sectes, même si c’est parfois très injuste ou excessif.

À travers toutes ces recherches j’ai fait un certain nombre de découvertes sur ce qu’étaient les religions et sur ce qu’est la spiritualité, et que l’on ne m’avait pas enseigné lorsque j’étais enfant. Je n’ai donc aucune autorité particulière, sinon celle d’une certaine expérience que je me propose de partager avec vous.

Tout d’abord, nous constatons que tous les êtres humains sont en recherche. Il est important de regarder quelles sont les motivations de cette recherche. Nous sommes tous, par la nature humaine, des êtres incomplets et insatisfaits. Nous cherchons tous à combler un vide intérieur, à unifier notre être et notre vie, à prendre conscience plus largement des réalités qui nous entourent, à nous épanouir et à prendre notre place dans l’existence. Et nous sommes également tous confrontés, à un moment ou à un autre de notre existence, d’une façon ou d’une autre, de façon consciente ou inconsciente à des questions du genre : quel sens peut bien avoir ma vie ?

Il y a des gens qui ne se posent pas la question, parce que la nature et la vie leur a donné des dons qu’ils ne cherchent pas à comprendre, mais dont ils profitent et dont ils cherchent à profiter au maximum. Ils sont à la recherche du bien-être immédiat, comme chacun d’entre nous d’ailleurs. Ils sont parfois à la recherche du pouvoir, sous toutes ses formes, parce que cela leur apporte un sentiment de sécurité, qui peut être illusoire mais qui est en tout cas vécu au moins pour un temps.

La recherche du bien-être s’exprime sur plusieurs niveaux :

– le bien-être matériel, qui inclut la santé, qui inclut aussi la sécurité matérielle à travers les conditions de vie dont nous avons besoin au quotidien ; il faut noter que les problèmes de santé sont très souvent à l’origine d’une recherche qui dépasse de beaucoup les problèmes matériels, et beaucoup de personnes ont commencé une recherche spirituelle à partir de leurs problèmes de santé ;

– le bien-être émotionnel, à travers les relations plus ou moins harmonieuses que l’on peut avoir avec les autres ; ce bien-être émotionnel fait aussi partie de la santé au sens global du mot. Et le mal-être émotionnel peut également être la motivation d’une recherche plus profonde ;

– le bien-être intellectuel, qui peut n’avoir aucun rapport avec la spiritualité, à travers la recherche des connaissances, et des pouvoirs que cette connaissance peut donner.

Il faut comprendre que même le matérialiste le plus endurci est à la recherche de quelque chose. Je suis convaincu qu’à travers les satisfactions les plus terre à terre, il est, à sa façon, à la recherche du Divin.

Il faut aussi comprendre que la façon dont nous abordons les questions essentielles est très personnelle à chacun, et correspond à l’histoire personnelle de chacun. Mais je crois que, d’une façon ou d’une autre, nous aspirons tous à un absolu, à un au-delà de nous-même qui nous dépasse et nous grandit. Nous avons tous besoin de nous mettre en contact avec « autre chose ». Je crois que la recherche des satisfactions matérielles est déjà une recherche spirituelle, une recherche de la vie au sens le plus large, mais c’est une recherche inconsciente et détournée.

Il y a une phrase du Christ qui est très intéressante. Il a dit : « Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais déjà trouvé. » Je crois que cela signifie que nous avons en nous-même les réponses à nos questions. Nous avons une capacité intérieure à trouver les réponses qui nous correspondent, sans nécessairement avoir à les chercher à l’extérieur. Être en recherche, c’est déjà être en route vers soi-même. Il ne s’agit pas d’un soi égoïste, mais d’un soi de nature supérieure et plus profonde, et qui nécessite toujours le dépassement de la vision égoïste et égocentrique que nous avons de nous-même.

Qu’est-ce que signifie le mot spiritualité ?

Il faut préciser que le spirituel n’est pas l’opposé du matériel. C’est autre chose. Ce n’est pas non plus une abstraction. Le spirituel est concret, accessible et opératif. Le spirituel peut être perçu et doit être vécu.

Il ne faut pas confondre spiritualité et intellectualité, il ne faut pas non plus confondre spiritualité et émotivité. La religiosité émotionnelle, par exemple, peut être le contraire de l’ouverture spirituelle. Quant à nos capacités intellectuelles, elles sont limitées à la fois par nos moyens de perception, par notre éducation et elles sont souvent parasitées par nos problèmes émotionnels. Le spirituel nous permet de sortir de nos limites. Il ne nous enferme pas. Ce qui est spirituel en nous, c’est l’observateur de ce que nous vivons : les pensées passent, les émotions passent, les sensations passent, mais l’esprit demeure.

La spiritualité a au moins trois conditions : l’intériorité, la transcendance et la globalité.

– l’intériorité, c’est ce qui est en nous-même et que nous ne connaissons pas forcément. C’est le cœur de nous-même, à la source de notre vie ;

– la transcendance, c’est tout ce qui nous dépasse et nous aspire en même temps ; la transcendance, c’est aussi la verticalité du spirituel qui n’exclut pas, mais au contraire complète, la dimension de l’horizontalité, également appelée immanence, et qui concerne notre vie incarnée dans la matière, y compris la vie relationnelle ;

– la globalité signifie que tout est inclus dans le spirituel, y compris notre corps, notre environnement et nos conditions de vie. L’expérience de vie, quelle qu’elle soit, fait partie de l’évolution, et l’évolution fait partie de la vie spirituelle.

Je crois que l’absolu et le Divin que nous cherchons, sans le nommer forcément, est accessible en nous-même, même si cela nécessite le plus souvent une aide extérieure, sous différentes formes. En effet, nous sommes le plus souvent esclaves de nos ignorances et de nos inconsciences et, pour en sortir, il est parfois nécessaire d’avoir un contact avec des êtres qui ont déjà fait un bout de chemin dans cette direction. (II y a aussi ceux qui cherchent dans les livres.)

Il y a beaucoup de chemins dans la quête de la spiritualité et dans la recherche du Divin.

Pour reprendre une idée de Socrate et de Platon, tout ce qui est une approche du beau, du bien et du vrai est une quête spirituelle. L’approche du beau à travers l’expression artistique, par exemple ; l’approche du bien par l’action altruiste, par le don de soi dans l’altruisme ; l’approche du vrai par l’étude, par la science. Mais il ne faut pas perdre de vue que ces approches peuvent rester égocentriques et limitées, comme elles peuvent aussi bien conduire au dépassement de soi.

Toute activité humaine qui incite au dépassement de soi et à la maîtrise de soi peut constituer une voie spirituelle. Cela peut être le cas de l’expression sportive. Rien de ce qui est humain n’est étranger aux possibilités spirituelles.

L’approche du bien par l’action altruiste peut être un écueil dans la voie spirituelle si elle est limitée à l’horizontalité. Elle doit être équilibrée par une recherche simultanée de la transcendance, de la verticalité.

L’approche du vrai inclut la science ; mais la science, on le sait, peut avoir pour effet de limiter considérablement notre vision du monde, et avoir des conséquences dangereuses et destructrices. Il ne s’agit pas de dénigrer ou de refuser la science, mais de la remettre en perspective, avec ses limites et ses travers. Einstein disait : « Un peu de science éloigne de Dieu, beaucoup de science en rapproche. » La science peut entraîner dans un cercle vicieux qui est celui de la spécialisation excessive qui fait perdre de vue la globalité du réel, et qui a des conséquences, à travers la technologie, qui peuvent se révéler désastreuses. Mais il y a aussi un cercle vertueux de la science, restructurant, à travers l’esprit de synthèse, qui peut être un chemin vers la connaissance et la spiritualité. Mais il ne faut pas oublier que la connaissance n’est pas la science.

Je voudrais préciser à ce sujet qu’il n’est pas bon que des disciplines qui ne sont pas scientifiques, au sens où l’entendent les scientifiques eux-mêmes, veuillent prendre l’étiquette de « scientifique ». Je pense notamment à des disciplines traditionnelles, comme l’astrologie ou d’autres, qui sont des voies authentiques de connaissance, mais qui ne répondent pas aux critères de la science. Si on mélange les genres, on s’expose à des critiques, et, plus gravement à l’incompréhension.

Parmi les chemins qui mènent vers le Divin, il y a des voies individuelles, comme l’introspection, la méditation ou la voie mystique pure. Il y a aussi toutes sortes de disciplines qui sont proposées par les grands courants religieux, par les grands courants spirituels, et aussi par une multitude de groupes, de mouvements, d’écoles, qui s’inspirent le plus souvent des grands courants, mais chacun à sa façon.

Il faut préciser que la spiritualité n’est pas la religion, et que la religion ne se résume pas aux Églises ou aux religions institutionnelles. Les humains n’ont pas nécessairement besoin des religions pour entrer en contact avec le Divin. Mais les religions ont un rôle important, aux niveaux historique, culturel, social, c’est celui de transmettre et de véhiculer des traditions et des enseignements utiles, et parfois indispensables, au chercheur de vérité. Elles ont aussi le rôle de transmettre un dépôt sacré, qui vient de leurs fondateurs, et ce dépôt sacré doit être connu et respecté.

Appartenir à une religion ne signifie rien. On peut appartenir à une religion et ne pas pratiquer ses enseignements. On peut aussi pratiquer, pour des convenances sociales, sans accorder la moindre valeur à la spiritualité. Et souvent aussi, dans leurs formes exotériques, à travers les formes extérieures, les grandes religions oublient parfois de transmettre l’essentiel. Dans ce cas la pratique religieuse est une caricature de spiritualité. Les intuitions spirituelles des fondateurs de religion ont été le plus souvent formalisées, dogmatisées, et l’on a transformé en croyances ce qui devait être l’objet d’expérimentation personnelle, vivante. C’est pourquoi beaucoup de personnes vont chercher ailleurs les nourritures spirituelles dont elles ont besoin.

À propos des croyances, il faut préciser que nous vivons tous dans la même réalité mais que nous en avons chacun une perception différence. Nous avons tous – et chacun – un système de croyances plus ou moins bien adapté à la réalité (il ne s’agit pas forcément de croyances religieuses). Et quand plusieurs personnes partagent le même système de croyance, on appelle cela une idéologie. Pour revenir à Socrate, il expliquait justement qu’une opinion, ou plusieurs opinions, ne font pas une vérité. La vérité est toujours au-delà de nos croyances. Il est donc important de ne pas s’attacher aux formes.

Dans mes recherches, j’ai découvert que chaque grand courant religieux ou philosophique apporte une facette de la vérité, plus ou moins importante, plus ou moins essentielle mais presque jamais complète. Cela est vrai aussi des mouvements, des écoles, des groupes spirituels, qui apportent tous quelque chose d’intéressant, mais souvent incomplet.

Tout se passe comme si la recherche de la vérité constituait un puzzle immense à reconstituer ou parfois comme un labyrinthe très compliqué, qui nécessite un fil d’Ariane pour s’y retrouver, mais où, au lieu d’avoir un seul fil d’Ariane, on en trouvait plusieurs…

Ensuite j’ai découvert qu’à la source des religions, et au-delà des religions, il y avait une tradition plus ancienne et plus profonde, que l’on appelle parfois la Tradition primordiale, et qui s’est peu à peu révélé pour moi être ce fameux fil d’Ariane ou la boussole dont j’avais besoin pour explorer la nébuleuse des écoles de pensée ou des écoles de vie. C’est dans cette Tradition primordiale que se trouvent la véritable unité et le véritable fondement des religions – et que se trouve aussi la source du discernement.

J’ai ainsi découvert, en particulier à l’intérieur des religions, qu’il y avait toujours plusieurs niveaux d’accès aux enseignements :

– il y a l’accès extérieur, exotérique, qui est l’enseignement donné à tous. Cet enseignement ne fait appel qu’à la croyance, la foi du charbonnier, avec une compréhension limitée ; quand je dis « la foi du charbonnier », cela n’a rien de péjoratif : elle peut faire des miracles ;

– et il y a l’accès ésotérique, qui était jadis réservé à un petit nombre de chercheurs motivés, et dans lequel on pratique ce passage entre la croyance et la connaissance véritable, que l’on appelle l’initiation. La connaissance véritable n’étant pas une connaissance mentale, mais une connaissance vécue.

Précisons tout de suite, et c’est important pour la suite de notre propos, que la dimension initiatique est précisément revendiquée par de très nombreux groupes ou mouvements qui n’appartiennent pas aux grandes religions reconnues institutionnellement. Et c’est une question qui va se poser à nous, de savoir si ces initiations sont authentiques ou pas.

Nous abordons là un domaine sensible et très délicat, qui est celui de la transmission d’un enseignement.

Il est parfois difficile de faire la différence entre un enseignement authentique et ce qu’on pourrait appeler une secte. Le mot secte doit être sérieusement défini. Il faut observer qu’il y a aussi beaucoup de mouvements authentiques qui se transforment en secte, pour des raisons que l’on va expliquer. Il faut donc faire attention de ne pas tout dénigrer ni tout rejeter, il faut toujours rester ouvert, mais en même temps rester très attentif et vigilant.

D’abord, il faut connaître le groupe dans lequel on se propose d’entrer. Généralement, les groupes sont constitués autour d’un maître ou d’un initiateur. Quelquefois, l’enseignement vient d’un maître qui est seul à l’origine mais qui est vite entouré au moins d’un petit groupe.

It faut se poser la question : quels sont les objectifs, les finalités, de ce groupe ou de cet enseignement ? Il ne faut pas se contenter du discours que l’on vous fait. Il faut savoir ce que ce discours recouvre, et ce n’est pas toujours facile, surtout si l’on débute sur le Chemin. Il faut parfois une longue fréquentation du groupe pour vraiment comprendre ses objectifs. Parfois, les intentions sont tout à fait pures, parfois non. Parfois les intentions pures sont contredites par des comportements moins clairs.

Il y a un principe essentiel : ne jamais rien accepter sans examen. Ne jamais rien croire sans expérimenter. Et surtout, ne jamais se contenter des discours, qui peuvent être très beaux, mais cacher des choses que vous n’accepteriez pas si elles étaient dévoilées.

C’est une question difficile, parce que souvent les personnes qui sont en recherche sont des personnes qui éprouvent des manques dans leur vie et qui sont donc vulnérables. C’est pourquoi, même dans certaines sectes aberrantes, on trouve des disciples aux intentions très pures et très sincères, mais qui sont trompés par leur absence de discernement. Il n’y a pas que des faibles d’esprit ou des gens sans culture qui peuvent s’égarer. On trouve des médecins, des juristes, des hommes d’affaires… Pourquoi ? Ils ont manifestement trouvé une nourriture « spirituelle » (entre guillemets) qui leur manquait et qu’ils n’ont pas trouvée ailleurs. Mais cela ne prouve pas que la nourriture ne soit pas frelatée ...

Le maître, c’est la clé de voûte d’un enseignement. En Orient, on a une grande mystique du maître ou du gourou. L’amour du maître est évidemment un élément très important pour le progrès spirituel, si c’est un bon maître.

Mais il faut savoir qu’il y a beaucoup de sortes de maîtres. Ils peuvent être plus ou moins initiés et, surtout, ils peuvent être plus ou moins purs.

Un enseignant, ou un transmetteur de connaissance – et cela est vrai aussi bien de tout processus de transmission du savoir, c’est-à-dire tout processus d’apprentissage, qu’il soit dans le milieu familial, scolaire, universitaire professionnel ou autre – un transmetteur de connaissance, donc, est semblable à un prisme. Il transmet une certaine lumière en l’atténuant et en la déformant. Le prisme est d’autant moins déformant qu’il est plus pur. Il faut comprendre que l’enseignant transmet sa propre vision et sa propre expérience de la réalité. Cette vision peut être géniale, très séduisante, mais fausse par certains aspects. C’est donc à chacun, qui entend l’enseignement, de décider ce qu’il va en faire. La chose est délicate, parce que l’on peut aussi croire, dans un premier temps, que le maître se trompe, alors qu’il a raison sur un plan que l’on ne soupçonne pas encore.

Par ailleurs, la tradition initiatique, en Orient comme en Occident, reconnaît le droit, et même le devoir, pour le disciple, de mettre à l’épreuve celui qui se prétend le maître. Si vous mettez votre maître à l’épreuve, et qu’il manifeste du mécontentement, cela peut signifier qu’il n’est pas un vrai maître, mais cela peut signifier aussi qu’il vous met à son tour à l’épreuve. Il faut donc persévérer dans la recherche du discernement, jusqu’à ce qu’on ait une certitude, ou au moins une intuition forte de l’authenticité du maître.

Bien sûr, la rencontre, et les circonstances de la rencontre sont importantes. On ne croise jamais les êtres par hasard. La recherche spirituelle, c’est comme la vie. Il y a des expériences que l’on doit faire et il est difficile d’y échapper.

La rencontre d’un groupe ou d’un gourou peut être une épreuve sur le chemin spirituel. Peut-être ces êtres ont quelque chose à nous apporter, et peut-être il faudra ensuite chercher ailleurs ou plus loin. Même l’erreur, et je dirais surtout l’erreur, fait partie des expériences indispensables à l’évolution spirituelle. Donc, si l’on est soi-même sincère, et surtout si l’on cultive le sens du discernement, il ne faut pas avoir peur des expériences, même négatives.

Parfois on rencontre dans la vie des êtres qui ne payent pas de mine, qui peuvent paraître très anodins, et qui sont de véritables initiés. Souvent les vrais maîtres travaillent dans l’ombre. Ils ne se font pas appeler « maître ». Ils ne laissent pas non plus leur entourage les appeler « maître ». On peut rencontrer un clochard, ou un enfant, ou un voisin de palier, ou un collègue de travail, ou un vague cousin, qui vous transmet, sans même que vous vous en rendiez compte, par un regard ou par une phrase, un enseignement essentiel qui va bouleverser votre vie…

D’où viennent tous ces enseignements et ces groupes qui semblent sortir de partout ? C’est d’abord un phénomène lié au cycle de temps que nous vivons et qui est un cycle de révélation, au début de l’ère du Verseau. Tous les secrets initiatiques doivent être accessibles au grand jour. Comme les grandes religions les gardent secrètes – c’est-à-dire « gardent la  Lumière sous le boisseau » –, alors il y a des dissidences qui se forment, et beaucoup de mouvements sont créés à partir d’une dissidence religieuse. C’est l’origine exacte du mot secte, qui veut dire séparation, coupure...

Ensuite il y a beaucoup de mouvements qui sont nés autour de telle ou telle personnalité, parfois autodidacte, parfois ayant appartenu à une religion qu’ils ont quittée, mais ce sont des personnalités qui ont pour point commun d’avoir ressenti, à un moment donné de leur vie, le besoin de transmettre un enseignement. Soit un enseignement traditionnel qu’ils ont reçu, soit un enseignement nouveau dont ils ont reçu l’intuition. Le piège, pour beaucoup de ces êtres, est de s’imaginer qu’ils sont eux-mêmes la source de leur enseignement alors qu’ils ne sont que des transmetteurs, au prisme plus ou moins pur. Un autre écueil, pour ces êtres, qui ont souvent de véritables connaissances initiatiques et de véritables pouvoirs, c’est de se servir de ces connaissances et de ces pouvoirs, non plus pour enseigner et libérer les autres, mais pour les rendre dépendants, à leur propre service.

C’est pourquoi je dis qu’il y a souvent d’authentiques initiés, d’authentiques transmetteurs, qui se transforment, par faiblesse humaine, en chefs de sectes.

À quoi reconnaît-on, de façon à peu près sûre, un comportement sectaire ?

Je précise tout de suite que les comportements sectaires ne sont pas propres à ce qu’on appelle, à tort ou à raison, les sectes. C’est un comportement que l’on trouve dans tous les types d’organisations humaines où il est possible d’exercer un pouvoir sur les autres, dans la famille, dans les écoles (qu’elles soient publiques ou privées) dans les entreprises, dans les syndicats, dans les partis politiques, dans les religions officielles, dans les associations, y compris les associations antisectaires… etc. etc. qui sont autant de lieux où il n’est pas rare de voir pratiquer la manipulation mentale et le lavage de cerveau. Donc tout le monde peut en prendre pour son grade, et avant de crier « haro sur les sectes », on ferait bien de balayer chacun devant sa porte.

Il y a cependant une spécificité des mouvements à caractère spiritualiste. C’est qu’elles connaissent et manient des énergies psychiques, occultes, qui dépassent totalement la simple manipulation psychologique, et qui sont ignorées des pouvoirs publics, des journalistes, et des associations qui prétendent lutter contre les sectes. Naturellement, je ne parle pas des associations ou des groupes que l’on appelle des sociétés savantes, où l’on parle parfois de l’initiation et de l’occultisme, mais où on ne les pratique pas directement.

Le mot secte a une signification sociologique, par rapport à une société qui voit d’un mauvais œil les formes marginales de la religiosité. Il faut préciser que l’idée de secte n’est péjorative qu’à l’intérieur des sociétés laïques ou théocratiques, où seules les religions institutionnelles sont officiellement reconnues. En revanche, dans les traditions orientales, bouddhiste ou hindouiste, par exemple, l’idée de secte désigne simplement des écoles différentes qui se reconnaissent et se respectent mutuellement, sauf quand la politique s’en mêle, mais c’est une autre question.

Qu’est-ce qui caractérise une secte, au sens péjoratif du terme ?

Il y a un certain nombre de critères qui sont communément admis, et qui correspondent à des réalités objectivées.

– Il y a généralement le culte de la personnalité du fondateur ou du leader (le maître ou le gourou).

– II y a une doctrine de caractère totalitaire, c’est-à-dire qu’il n’est pas admis d’autre vérité que celle qui est enseignée dans la secte. Cela s’accompagne de l’endoctrinement et de l’embrigadement des adeptes. Les finalités sont floues et les buts avoués ne sont pas les buts réels.

– Cela s’accompagne de la manipulation psychique des adhérents, la déstructuration et la restructuration mentale (ce qu’on appelle communément le lavage de cerveau).

– Cela s’accompagne aussi de menaces morales ou physiques, explicites ou implicites, en cas de contestation ou lorsque l’adepte exprime le désir de quitter le groupe.

– Il y a le plus souvent une désagrégation de la cellule familiale et l’interdiction de toute relation extérieure au groupe. Quand cette interdiction n’est pas formelle, elle est fortement suggérée.

– Il y a une attitude particulière sur les questions d’argent. Les adeptes sont souvent invités à donner tous leurs biens et à ne rien garder pour eux. On pratique la captation de patrimoine en obtenant des donations ou des héritages.

– Il y a surtout, et c’est un point important, une contradiction entre l’enseignement des leaders (qui sont considérés comme intouchables, au-delà de tout jugement humain), et leur propre comportement, notamment sur les plans sexuel ou alimentaire. Il n’est pas rare de voir un leader interdire la consommation de viande ou d’alcool à ses adeptes alors qu’il ne se prive pas pour lui-même...

De façon plus générale, le discours ne correspond pas à la pratique. Par exemple on affirme la liberté de chacun, mais en pratique cette liberté n’est pas respectée.

Tous ces critères ne sont pas toujours manifestes. Mais si plusieurs sont constatés, on peut évoquer la dérive sectaire.

Naturellement il ne faut pas tout mélanger. Il y a des groupes très bien dont tel ou tel responsable peut avoir des comportements douteux ou condamnables, tout simplement parce que la nature humaine est faible. Mais, néanmoins, la cohérence entre la parole et l’action est une chose très importante, et il est légitime de se poser des questions quand on constate ces contradictions. Il est vrai que les mouvements douteux jettent un discrédit sur l’ensemble des démarches spirituelles authentiques. Là comme ailleurs, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain. Parmi tous les groupes que j’ai connus, j’ai beaucoup reçu, et je leur garde une gratitude, même lorsqu’ils m’ont finalement déçu. Il faut savoir prendre ce qui est bon partout et laisser le reste.

Voyons maintenant les critères, plus positifs, qui permettent de supposer qu’un mouvement ou une école initiatique est authentique. Et qui permettent d’éviter les dérives.

Je crois que le premier critère, entre tous, est celui de la tolérance et du respect des autres. Il ne s’agit pas de la tolérance dans les mots et les discours, qui sont souvent contredits par les faits. Combien de fois j’ai constaté, dans des dizaines de mouvements où je suis passé, que la critique et le dénigrement des autres mouvements était un de leurs sports favori… Et quand ils ne dénigrent pas les autres, ils les ignorent superbement ce qui est très dommage, car souvent ces mouvements gagneraient et s’enrichiraient spirituellement à s’ouvrir aux autres. Combien de fois j’ai entendu cette phrase : « La vérité est chez nous, ne perdez pas votre temps à aller voir ailleurs... » Cela vaut aussi pour le comportement des religions institutionnelles, entre elles, et à l’égard des mouvements marginaux. On a un discours officiel d’œcuménisme et d’accueil de l’autre, alors qu’au quotidien on constate trop souvent encore une pratique de mépris et d’exclusion.

Donc, une fois de plus, il ne faut pas être naïfs par rapport aux discours. Une parole qui se contredit est une parole stérile. On ne peut pas, dans le même temps, prêcher la tolérance et pratiquer l’intolérance.

C’est vrai que le problème de la tolérance, en matière de spiritualité comme dans tous les autres domaines (la politique, par exemple) est un problème compliqué. Lorsqu’on a de très fortes convictions, lorsqu’on est très attaché à certaines valeurs, à certaines traditions ou à certaines formes, on a beaucoup de mal à reconnaître la valeur de ceux qui pensent ou agissent autrement. Et pourtant, cela devrait être le « b. a. ba » de toute démarche spirituelle. Quand on a la certitude d’avoir raison, il est difficile d’accepter un point de vue différent. Et pourtant, un point de vue différent peut souvent devenir un enrichissement.

Par ailleurs, la tolérance ne signifie pas non plus tout accepter aveuglément. Il faut tout accepter, certes, mais les yeux ouverts ... Partager avec les autres sa propre foi ou sa propre expérience ne signifie pas leur imposer un point de vue.

Il faut toujours rester lucide. Accepter et respecter les autres – même profondément – ce qui est une totale nécessité, ne signifie pas qu’il faut s’endormir, se laisser hypnotiser par n’importe quel point de vue. Il faut savoir que tout le monde ne partage pas cette exigence de respect, et vous avez parfois des gens en face de vous qui ne vous respectent pas et cherchent à vous influencer.

Tout cela est lié au respect de la liberté de conscience. Sans respect absolu de la liberté de conscience, il ne peut pas y avoir de spiritualité authentique. La liberté de conscience, c’est aussi la liberté de se tromper. Que ce soit se tromper en apparence, aux yeux des autres, ou se tromper pour soi-même, mais c’est une expérience qui peut être féconde. Il n’y a pas de quête de la vérité possible si l’on n’a pas la possibilité de se tromper. Et il n’y a pas de vie spirituelle possible si l’on est dans un système où la vérité est assenée d’en haut sans contestation possible, et même sans examen possible. Un tel système, où la recherche spirituelle individuelle n’a pas de valeur, s’appelle le totalitarisme et l’intégrisme.

Il ne faut pas confondre le totalitarisme, qui est une globalité fermée, avec la recherche légitime d’une approche globale de la connaissance, qui est une globalité ouverte. De même il ne faut pas confondre l’intégrisme avec l’intégrité, qui est une vertu de comportement personnel que l’on ne peut imposer aux autres ...

Parmi les autres critères d’authenticité, il y a le contenu de l’enseignement. Il doit faire appel au travail intérieur, à la transformation intérieure. Il doit mettre l’accent à la fois sur la nécessaire humilité et sur la conscience que chaque être porte le Divin en soi. Il doit expliquer que le combat spirituel est un combat à l’intérieur de soi et non pas un combat contre des forces extérieures. Il doit inciter à agir « en conscience », c’est-à-dire, dans la mesure du possible en pleine connaissance des objectifs et des moyens utilisés, sans jamais agir de façon aveugle ou sous la pression extérieure. Il doit cultiver la conscience de ses propres motivations : savoir que l’on est mû par des motivations conscientes et inconscientes sur lesquelles il faut être lucide. Il doit développer le discernement spirituel. La vie spirituelle n’est pas fondée sur l’exaltation psychique ou sur des illusions auto-entretenues, ni sur des états transitoires, ni sur des phénomènes extraordinaires, intérieurs ou extérieurs. Il doit mettre en garde contre la recherche du pouvoir ou des pouvoirs et inciter à la culture de l’esprit de service et du don de soi dans l’amour désintéressé.

Ces quelques indications, mais il y en a d’autres, montrent un chemin où l’on ne risque pas de s’égarer. Sur un chemin spirituel authentique, les seules choses que l’on puisse perdre, ce sont les illusions et l’égocentrisme.

Dans ce domaine, comme dans tous les autres, il faut appliquer cette phrase de l’Évangile qui dit : « On reconnaît l’arbre à ses fruits. » Si vous constatez que les disciples d’une école initiatique manifestent une réelle transformation, qu’ils sont heureux, épanouis et pratiquent en même temps l’ouverture d’esprit sans dogmatisme, il y a alors des chances que cette école soit digne d’attention.

Dans le christianisme ésotérique, en particulier dans l’orthodoxie, on ajoute deux critères que je propose parce que ce sont aussi les miens : un message ou un enseignement peut être considéré comme venant du Divin lorsqu’il affirme, d’une part, « l’incarnation du Verbe » et, d’autre part, la nécessité de « pratiquer l’amour des ennemis ». Qu’est-ce que cela signifie ?

L’ « amour » des ennemis veut dire que l’on pratique la bienveillance et la compassion, pas seulement à l’égard de ceux qu’il est facile d’aimer, mais surtout à l’égard de ceux qui, consciemment ou inconsciemment, vous veulent ou vous font du mal. C’est un principe que l’on retrouve d’ailleurs dans la métaphysique des arts martiaux. Il faut savoir qu’il n’y a pas de lumière sans ombre et que l’ombre est la face cachée de la lumière.

L’ « incarnation du Verbe », cela signifie que « le chemin, la vérité et la vie » sont accessibles sur Terre, pour toute l’humanité, et que nous sommes invités à vivre en nous-même l’incarnation et la résurrection du Divin.

 

© François-Xavier Chaboche, 2017

Contact (par messagerie) : compostelle.fxc@gmail.com