« Le Nouvel Âge sera ce que nous en ferons »

par François-Xavier Chaboche

Le texte qui suit fut rédigé à la demande de la revue suisse Recto-Verseau, en mars 1991, pour servir d’éditorial à un numéro spécial consacré aux stages inspirés du « Nouvel Âge ». Finalement, ce texte – peut-être considéré comme trop sulfureux et de nature à déplaire aux annonceurs… – ne fut pas publié par la revue.   

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Redoutable tâche, que d’introduire ce numéro spécial de Recto-Verseau consacré au Nouvel Âge... Sujet délicat, voire dangereux... Que signifie « Nouvel Âge » ? Autant d’interlocuteurs, autant de réponses. Autant d’individus, autant de points de vue. Et combien de passions déjà dessinées... Lors d’une récente émission de télévision, on a vu se déclarer un « président » d’une « fédération » du Nouvel Âge... À ma connaissance, personne n’a pu donner une définition exhaustive, et encore moins définitive, de ce courant de pensée, mais il y a déjà quelqu’un pour 1’« organiser » et le « fédérer », comme si un mouvement vraiment nouveau, créateur, vivant, multiformes et multi-facettes – fondé, semble-t-il, sur l’inspiration et l’intuition personnelles de chacun – avait vraiment besoin d’une « structure ». Et d’un « président » ?

Parce que, si j’ai bien compris, « Nouvel Âge » fait référence à « nouvelle ère », en l’occurrence 1’« ère du Verseau »...

Et si, là encore, j’ai bien compris, ce qui devrait caractériser l’ère du Verseau, ce serait une communication radicalement différente, fondée sur l’écoute de l’autre et non sur l’arrière-pensée d’une exploitation possible de son prochain. Les anciennes structures devraient disparaître ou se modifier profondément – pour laisser la place à de nouvelles formes d’expression. Ce serait une ère de mutation spirituelle dans les consciences – l’« intellect » cédant la place au « ressenti » – et de mutation vibratoire dans les corps – la « matière » devenant ce qu’elle est, c’est-à-dire énergie et lumière. Ce serait une ère où s’exprimeraient la transparence des âmes et la primauté de l’amour.

Une ère, aussi, où les motivations de la vie, moins soumises aux besoins matériels égocentriques, seraient inspirées (ou aspirées) par une dynamique de retour vers l’harmonie (notamment une harmonie énergétique entre tous les plans de l’être : corps, âme, esprit) et par une relation nouvelle, vivante, réelle, directe de l’être humain avec sa propre Source – quel que soit le Nom qu’on Lui donne.

Voilà ce que j’ai cru comprendre.

Certains m’objecteront que, effectivement, je n’ai pas bien compris. Que je me suis laissé prendre au chant des sirènes... Pour eux, le Nouvel Âge est surtout une vaste foire « dans le vent », une mode délibérément créée pour susciter de nouveaux besoins et ouvrir de nouveaux marchés... Si cela est vrai, de grandioses perspectives sont ouvertes ! Un matérialiste bien dans sa peau (si, si, ça existe !), me disait récemment : « Il y a un marché pour le merveilleux », et il s’en réjouissait sincèrement d’avance pour les petits malins qui auraient la présence d’esprit d’exploiter le filon.

Certes, dans une société fortement marquée par le mercantilisme, tout est bon pour asseoir quelques sérieux profits. On l’a vu, ces dernières décennies : mai 68, les hippies, l’ésotérisme, l’écologie, l’agriculture biologique, les médecines douces, les grandes causes humanitaires – et maintenant le New Age – n’ont pas échappé à la sollicitude des stratèges du marketing.

Mais je ne crois pas, en revanche, qu’il soit possible de créer artificiellement des besoins d’évasion et de bien-être, et encore moins des besoins de spiritualité, d’accès à d’autres dimensions de 1a vie, qui sont des besoins profondément inscrits en l’être humain. Parce que ces « autres dimensions » sont déjà en lui, et que, même s’II ne le sait pas, il a besoin de spiritualité autant que de respiration. Et s’il est une question vraie, c’est comment répondre à ces besoins vrais.

Un premier élément paraît s’imposer : ce que chacun cherche, il ne peut le trouver qu’en lui-même. Et quels que soient les livres, les enseignements, les conférences, les « séminaires » et les « stages » consacrés à la vie intérieure, il n’y a qu’une façon de la pratiquer : la vivre. Et, quelles qu’en soient les formes extérieures, si toutes les techniques proposées ont la moindre efficacité, c’est parce qu’elles ramènent d’une façon ou d’une autre à l’essentiel, c’est-à-dire aux ressorts profonds qui sont à l’intérieur de soi-même. Les rares « maîtres » ou « gourous » authentiques ne diront jamais autre chose : « Ne me croyez pas sur parole, expérimentez » – et aussi « Ne vous attachez pas à un maître, attachez-vous à votre être réel qui est en vous. »

Bien sûr, dans le foisonnement des approches proposées – qui ne sont d’ailleurs pas vraiment nouvelles: si elles parlent de vérité, elles sont de toute époque, donc de tout « âge » et non seulement du Nouvel Âge –, le chercheur sincère peut se sentir désorienté. Suscités sans doute par cette vague de fond de l’inconscient collectif de l’humanité qui pressent les mutations à venir, de nombreux canaux s’ouvrent, spécifiques à notre époque, permettant un accès plus direct et plus rapide à des sources autrefois cachées dans les sanctuaires de l’initiation.

Mais ces sources n’ont pas toutes la même origine ni les mêmes finalités. Beaucoup de voies promettent « valorisation », succès, pouvoir(s), bien-être ou santé. Plus rares sont celles qui proposent la lucidité et un vrai travail sur soi-même, dans le sens d’une transformation de nos zones d’inconscience et d’ombre en conscience et lumière. Plus rares encore celles qui proposent non de se servir mais de servir...

D’où la première question qui conditionnera un choix : « Quelle est ma quête ? Quelle est ma faim profonde ? Quelle misère je cherche à guérir ? Quel vide je cherche à combler ? » Les réponses sont, bien sûr, variables.

Dans les circonstances présentes, la grande urgence serait de s’occuper du devenir de la planète Terre, malade de notre folie, et de l’Humanité, espèce menacée par elle-même... Dans cette perspective, la recherche d’un petit « confort » personnel – même « branché » – paraît dérisoire et suicidaire.

Lorsque les effluves du Verseau ne seront plus une métaphore symbolique mais une réalité vibratoire, évidente et brûlante, il sera peut-être trop tard pour user d’une liberté incontournable : celle du choix de chacun. Le Nouvel Âge sera ce que nous en ferons. En attendant, bonne lecture et bonne « expérimentation »...

 

 

Contact : compostelle..fxc@gmail.com