Mise à jour : 16 Décembre 2025
Sommaire :
Le fr. 115 DK (éd. 1951)
Le fr. 115 DK d'Empédocle a-t-il vraiment existé ?
Choisir entre le singulier et le pluriel dans le fr. 115
Choisir entre ἀλάλησθε et ἀλάλησθαι, µιν et μέν
Nombreuses questions
Premières traductions des vers d’Empédocle cités dans le De exilio de Plutarque
Apparat critique à l’édition Aldine des cinq vers d’Empédocle cités dans le De exilio
Éditions ou reprises d’édition du vers où Empédocle se présente comme un exilé et un errant (fr. 115.13 DK)
Dans le De exilio de Plutarque, les daimones sont-ils des âmes ?
Deux raisons de croire que le τις est un δαίμων
Les daimones dans le De Iside et le De vitando
La question de l'apposition d'un pluriel par rapport à un singulier
θεόθεν
Extraits de manuscrits
Le fr. 115 DK (éd. 1951)
Certains vers d'Empédocle provenant de sources différentes (pour l'essentiel : Plutarque, Hippolyte, Plotin) ont été intégrés dans un assemblage unique créé par H. Stein en 1852 puis repris par Diels en 1901 sous le nom de fr. 115, puis par Kranz en tant que fr. 115 DK[1]. L'idée de cet assemblage (ou montage) fait suite à la première édition en 1851 de la Réfutation de toutes les hérésies attribuée plus tard à Hippolyte, qui livra plusieurs vers d'Empédocle, dont certains jusqu'alors inconnus.
ἔστιν ᾿Ανάγκης χρῆμα, θεῶν ψήφισμα παλαιόν, 1 – Plutarque, Hippolyte, Simplicius
ἀίδιον, πλατέεσσι κατεσφρηγισμένον ὅρκοις· 2 – Hippolyte, Simplicius
εὖτέ τις ἀμπλακίηισι φόνωι φίλα γυῖα μιήνηι, 3 - Plutarque*
<νείκεΐ θ᾿> ὅς κ(ε) ἐπίορκον ἁμαρτήσας ἐπομόσσηι, 4 – Hippolyte*
δαίμονες οἵτε μακραίωνος λελάχασι βίοιο, 5 – Plutarque, Hippolyte
τρίς μιν μυρίας ὧρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι, 6 - Plutarque, Hippolyte (μὲν vs μιν, +), Celse
φυομένους παντοῖα διὰ χρόνου εἴδεα θνητῶν 7 – Hippolyte, Celse (γινομένην vs φυομένους)
ἀργαλέας βιότοιο μεταλλάσσοντα κελεύθους. 8 – Hippolyte*
αἰθέριον μὲν γάρ σφε μένος πόντονδε διώκει, 9 – Plutarque, Hippolyte (ψυχάς vs σφε, +)
πόντος δ᾿ ἐς χθονὸς οὖδας ἀπέπτυσε, γαῖα δ᾿ ἐς αὐγὰς 10 – Plutarque, Hippolyte
ἠελίου φαέθοντος, ὁ δ᾿ αἰθέρος ἔμβαλε δίναις· 11 – Plutarque, Hippolyte
ἄλλος δ᾿ ἐξ ἄλλου δέχεται, στυγέουσι δὲ πάντες. 12 – Plutarque, Hippolyte
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης, 13 – Hippolyte, Plutarque (τὴν vs τῶν), Plotin, Philopon (ὡς, δεῦρ᾿)
νείκεϊ μαινομένωι πίσυνος. 14 – Plotin, Philopon, Asclepios
L'astérisque (*) signale un vers exclusivement fourni par la source indiquée.
L'espace agrandi entre certains vers signale une discontinuité possible du texte authentique d'Empédocle à cet endroit.
Apparat critique sélectif :
v. 3 : φόνωι et μιήνηι sont des corrections d'Estienne (Stephanus) en 1572, et 1573. Mss. : φόβωι, μιν
v. 5 : Heeren corrige δαίμονες en δαίμων. Suivi par Stein et al.
v. 5 : Aldine : δαίμονες οἵ τε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο. Heeren : οἵτε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο
Hippolyte : δαίμόνιοί τε μακραίωνoς λελάχασι βίοισ
v. 6 : Aldine : τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθε
Hippolyte : τρίς μὲν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθε
Celse (chez Origène) : τρίς μὲν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλαλῆσθαι
v. 7 : Celse (chez Origène) : γινομένην παντοίαν διὰ χρόνον ἰδέαν θνητῶν
v. 9 : Hippolyte : αἰθέριόν γε, φησι, μένος ψυχὰς πόντονδε διώκει
v. 13 : Plutarque : τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Plutarque : σὺν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Hippolyte : τῶν καὶ ἐγὼ εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Philopon (en 4 endroits) et Asclepios : ὡς καὶ ἐγὼ δεῦρ᾿ εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
v. 14 : Plotin : πίσυνος μαινομένῳ νείκει
L'expression φυγὰς θεόθεν se trouve chez les auteurs suivants :
Eschyle, Choéphores, 940-941.
Plutarque, De exilio, 607 D.1.
Plotin, Ennéades, IV, 8, 1.19.
Porphyre, Sententiae ad intelligibilia ducentes, 40, 71.
Hippolyte, Refutatio omnium haeresium, VII, 29, 14.5.
Hermias, In Platonis Phaedrum scholia, 160, 3.
Hiéroclès, In aureum Pythagoreorum carmen commentarius, 24, 2, 3.
Proclus, (mais avec un datif : φυγὰςι θεόθεν)
Philopon, in Aristotelis libros de generatione et corruptione commentaria, 14,2, p. 266, 5.
Philopon, In Aristotelis de anima libros commentaria, 15, p. 73, 33
Philopon, in Aristotelis physicorum libros octo commentaria, 16, p. 24, 20.
Philopon, De opificio mundi libri vii, p. 81, line 16.
Asclépios, In Aristotelis metaphysicorum libros A–Z commentaria, p. 197, line 21.
Différences d’édition entre H. Stein (en 1852) et Diels (fr. 115 en 1901, DK 1951)
Stein Diels 1901 Diels-Kranz 1951
v. 1 ἀνάγκης ᾿Ανάγκης ᾿Ανάγκης
2 ἀϊδιον ἀίδιον ἀίδιον
3 – – –
4 αἵματος ἤ * * ὅς κ(ε) <νείκεΐ θ᾿> ὅς κ(ε)
5 δαίμων δαίμονες δαίμονες
6 – – –
7 φυόμενον φυομένους φυομένους
8 – – –
9 – – –
10 – – –
11 ἀκάμαντος φαέθοντος φαέθοντος
12 – – –
13 εἰμὶ εἰμι εἰμι
14 – – –
L'assemblage des 14 vers du fr. 115 révèle certaines difficultés à rendre cohérentes du point de vue grammatical les diverses sources.
Stein imagine une syntaxe autour du singulier : τις, ἐπομόσσηι, δαίμων, μιν, φυόμενον, σφε
Avec moins d'écart par rapport aux sources, Diels imagine une syntaxe autour du pluriel : δαίμονες, μιν, φυομένους, σφε.
Le v. 4 est considéré comme inauthentique par certains éditeurs : Knatz (1891), Wilamowitz (1929), Zuntz (1971), Primavesi (2001 - 2021), Kingsley (2003), Gemelli-Marciano (2009 - 2024). Toutefois, si le v. 4 est supprimé du propos d'Hippolyte – qui est le seul à le citer – ce propos est alors bancal, car il n'y a plus de répondant causal à καταδίκη (condamnation) mentionné un peu plus tôt.
On suppose parfois que le v.3 manquerait chez Hippolyte, que ce vers se serait perdu dans la transmission. Mais la cause de la condamnation chez Hippolyte ne peut pas être le meurtre exprimé au v. 3, car la Haine ne peut pas punir le meurtre. Le v. 4 (le parjure) a donc toute sa place. Reste à savoir en quoi consiste ce parjure ; Hippolyte ne le dit pas.
Dans le De exilio, Plutarque aurait omis volontairement le v. 4 (pourquoi ?) ou bien ce vers se serait perdu lors de la transmission. A la différence d'Hippolyte, Plutarque veut mettre l'accent sur le point de départ de la punition : le meurtre (voir dans De esu carnium). Le parjure (v. 4) est pour lui secondaire.
A partir de là, on supposera que les v. 3, 4 et 5 se suivaient effectivement dans le poème d'Empédocle.
Le fr. 115 DK d'Empédocle : mythe ou réalité ? Un assemblage trop beau pour être vrai.
La tradition manuscrite du De exilio (Moralia, 607C) transmet une citation de cinq vers attribués à Empédocle. L’édition de Diels-Kranz a voulu rattacher ces cinq vers à un ensemble supposé plus vaste, constitué de treize vers (fr. 115.1-13 DK). Cette construction implique que Plutarque aurait sélectionné les vers 1, 3, 5, 6 et 13 de ce bloc, tout en omettant les vers intermédiaires (2, 4, 7–12). Autrement dit, la citation du De exilio omettrait 8 vers et serait le produit de trois bonds successifs : (i) 1→3, (ii) 3→5, (iii) 6→13.
L’examen de la pratique citationnelle de Plutarque, sur la base de l’inventaire de Helmbold & O’Neil (W. C. Helmbold & E. N. O’Neil, Plutarch’s quotations, Philadelphie : American Philological Association 1959), invite à douter d’une telle hypothèse. Notre examen a porté sur l’analyse d’un échantillon de poètes fréquemment cités par Plutarque — Homère, Hésiode, Euripide, Sophocle, Pindare et Empédocle lui-même en dehors du fr. 115. Cet échantillon est suffisamment large pour être significatif.
L’examen de ce corpus montre que Plutarque cite volontiers des séries de vers contigus, mais qu’il arrive aussi qu’il rapproche deux vers en omettant un passage intermédiaire. Pour Empédocle, le cas unique (en dehors du fr. 115) est le fr. 21.3, 5 où un vers est sauté en Moralia 949 F. La citation prend l’allure d’un bloc continu alors qu’elle implique en réalité un saut de vers. Cet exemple illustre la possibilité d’une « fausse continuité ». Mais ce type de manipulation reste limité : il ne s’agit que d’un bond unique, et l’ampleur de l’omission est modeste.
Dans l’ensemble du corpus examiné (Homère, Hésiode, Euripide, Sophocle, Pindare, Empédocle), on ne relève pas d’exemple où Plutarque aurait recomposé un passage par une série de trois bonds successifs, et qu’il aurait sauté jusqu’à 6 vers sans prévenir son lecteur d’un tel saut – quand Plutarque saute quelques vers il l'indique souvent à son lecteur.
Dès lors, l’hypothèse selon laquelle Plutarque aurait présenté cinq vers d’Empédocle extraits d’un bloc de treize vers (115 DK) en masquant trois sauts internes apparaît hautement improbable. Une solution vraisemblable est que Plutarque transmettait un bloc authentiquement continu de cinq vers, tel qu’il le lisait dans son exemplaire d’Empédocle. Une autre solution vraisemblable serait la disparition d’un vers entre les vers 3 et 5, dans le prolongement d’un incident de transmission avéré à la fin du v. 3. Nous devons obligatoirement corriger cette fin de vers qui a pour leçon unique μιν ne convenant ni pour finir l’hexamètre ni pour le sens (on attend un verbe). L’incident de transmission aurait pu s’étendre jusqu’à la disparition du v. 4. Le v. 4 fourni par Hippolyte ferait alors partie d’un bloc de 6 vers lu par Plutarque.
En conclusion, Le fragment de treize vers édité par Diels-Kranz doit donc être tenu pour une construction érudite moderne, dépourvue de fondement dans la pratique effective de citation de Plutarque.
Le fr. 115.13 (τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης) avec le τῶν initial prête à confusion. Pour de nombreux commentateurs, ce τῶν renverrait à des daimones, et ferait que ἐγώ (Empédocle) est un des daimones (v. 5) repris par le σφε au v. 9. Assurément, le σφε au v. 9 a pour antécédent des daimones chez Plutarque (De Iside, De vitando). Mais le τῶν provient uniquement d’Hippolyte, Réfutation, VII, 29, 14.5, – pour mémoire dans l'unique manuscrit : le Parisinus Supplément grec 464 – qui ne donne pas pour antécédent à ce τῶν des daimones mais toutes choses (le feu, l’eau, la terre, l’air, les animaux, les plantes) arrachées par la Haine au Sphairos. Hippolyte ne parle des daimones que bien après (ibid. 16.2) et ne dit pas d’eux que ce sont des choses arrachées au Sphairos ; il les identifie à des âmes. Quant à Plutarque, dans le De exilio, 607 D1, il n’a pas τῶν pour le fr. 115.13 mais soit τήν soit σύν. Si l’on remplace artificiellement l’un des deux par τῶν on aboutit à ce que l’ἐγώ serait un des Bienheureux avant la chute (fr. 115.6), ce qui est contradictoire avec la certitude que l’ἐγώ est un exilé (φυγάς) et un errant (ἀλήτης), après la chute. Le fr. 115 est un montage habile de diverses sources et d’authentiques fragments – montage initié par H. Stein en 1852 et repris par H. Diels en 1901 – qui peut conduire à des interprétations mal fondées.
NOTE
[1] Je passe outre ici les corrections de Stein : φόνῳ vs la leçon φόβῳ ; δαίμων vs la leçon δαίμονες. Et celles de Diels : φόνῳ vs la leçon φόβῳ ; φαέθοντος vs ἀκάμαντος, la leçon chez Plutarque, retenue par Stein.
δαίμων (correction par un singulier) : Heeren 1794, Stein 1852, Mullach 1860, Mansfeld 1986, Zuntz 1971, Barnes 1979 et 1982, Vítek 2006, Primavesi 2011.
δαίμονες (pluriel dans les mss.) : Karsten 1838, Diels 1922, Wilamowitz 1929, DK 1934, Kranz 1949, Zafiropulo 1959, Detienne 1959, Guthrie 1965, Brun 1966, Gallavotti 1975, Van der Ben 1975, Wright 1981, Schofield 1983, Dumont 1988, Inwood 1992, Balaudé 1992-2010, Battistini 1997, Martin & Primavesi 1999, Laurenti 1999, Bollack 2003, Laks 2004, Rashed 2008-18, Barnes 2001, Gemelli M. 2009, Graham 2010, Laks-Most 2016, Gheerbrant 2017, Bernabé 2019, Primavesi 2021, Santaniello 2021
μιν singulier (singulier chez Homère et Hésiode, 3 Pers. Acc. Masculin ou féminin.) : Karsten 1838, Stein 1852, Mullach 1860, Wilamowitz 1929, Kranz 1949, Brun 1966, Zuntz 1971, Barnes 1979 - 1982, Mansfeld 1986, Gallavotti 1975, Wright 1981, Schofield 1983, Inwood 1992, Barnes 2001, Vítek 2006, Rashed 2008-18, Gemelli M. 2009, Graham 2010, Primavesi 2011, Laks-Most 2016, Gheerbrant 2017, Bernabé 2019, Primavesi 2021
μιν pluriel Diels 1922, DK 1934, Zafiropulo 1959, Detienne 1959, Guthrie 1965, Van der Ben 1975, Dumont 1988, Balaudé 1992-2010, Battistini 1997, Martin & Primavesi 1999, Laurenti 1999, Bollack 2003, Laks 2004, Santaniello 2021
φυόμενον (correction par un singulier) : Stein 1852, Mullach 1860, Wilamowitz 1929, Kranz 1949, Brun 1966, Zuntz 1971, Gallavotti 1975, Barnes 1979 - 1982, Wright 1981, Schofield 1983, Mansfeld 1986, Inwood 1992, Vítek 2006, Rashed 2008-18, Gemelli M. 2009, Graham 2010, Primavesi 2011, Bernabé 2019, Primavesi 2021
φυομένους (pluriel dans le ms. d'Hippolyte) : Diels 1922, DK 1934, Zafiropulo 1959, Detienne 1959, Guthrie 1965, Van der Ben 1975, Balaudé 1992-2010, Dumont 1988, Battistini 1997, Martin & Primavesi 1999, Laurenti 1999, Barnes 2001, Bollack 2003, Laks 2004, Laks-Most 2016, Gheerbrant 2017, Santaniello 2021
σφε pluriel : Barnes 2001, Karsten 1838, Gallavotti 1975, Kranz 1949, Laks-Most 2016, Gheerbrant 2017
μιν : surtout singulier (Homère et Hésiode) 3 Pers. Acc. Masculin ou féminin.
σφε : toujours pluriel chez Homère et Hésiode. 3 Pers. Acc. Masculin ou féminin. Singulier chez les Tragiques.
En Ennéade IV, chap.8.1, lignes 19-20, Plotin apporte <φυγὰς θεόθεν> suivi de <πίσυνος μαινομένῳ νείκει>. Plus loin (chap.8.5, lignes 5-6), Plotin comprend φυγὰς θεόθεν pour signifier φυγὴ ἀπὸ τοῦ θεοῦ (οὐδ’ ἡ Ἐμπεδοκλέους φυγὴ ἀπὸ τοῦ θεοῦ καὶ πλάνη οὐδ’ ἡ ἁμαρτία). En clair, Plotin comprend θεόθεν de façon spatiale, et non pas causale.
Dans le De exilio, Plutarque cite 5 vers d'Empédocle :
ἔστιν ᾿Ανάγκης χρῆμα, θεῶν ψήφισμα παλαιόν,
εὖτέ τις ἀμπλακίηισι φόβωι φίλα γυῖα μιήνηι,
δαίμονες οἵτε μακραίωνος λελάχασι βίοιο,
τρίς μιν μυρίας ὧρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι,
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης,
Et enchaîne :·
οὐχ ἑαυτόν, ἀλλ’ ἀφ’ ἑαυτοῦ πάντας ἀποδείκνυσι μετανάστας ἐνταῦθα καὶ ξένους καὶ φυγάδας ἡμᾶς ὄντας.
Empédocle nous apprend par là que ce n’est pas seulement lui, mais, à sa suite, nous tous, « qui, êtres de passage ici-bas, sommes des étrangers... » et des exilés.
Plutarque procède ici à une interprétation forte de la citation : selon lui, à un acteur au singulier devrait correspondre un pluriel. Plus qu'Empédocle seul (ἑαυτοῦ, ἐγὼ), c'est tous (πάντας), c'est nous (ἡμᾶς) qu'il faut comprendre : "nous tous".
τις ---> τινές (?)
μιν ---> σφε (?)
ἐγὼ ---> ἡμεῖς (?)
On pourrait alors comprendre le pluriel δαίμονες en apposition au τις. À travers le singulier τις le référent précis serait les δαίμονες οἵτε [...]. Cela expliquerait que selon Plutarque les daimones empédocléens dans le De Iside sont fautifs ; ils paient leurs manquements (ἀμπλακίηισι) que l'on devine liés au vers fr. 115.3 énonçant un acte physique. Compte tenu de cet acte, les daimones étaient donc des êtres corporels, possédant des membres souillés (de sang, même si ce mot est absent du fr. 115.3). Il est difficile ensuite de comprendre que les mêmes êtres corporels passent d'un milieu de vie dans un autre : de la mer vers la terre, puis de la terre vers les rayons du soleil, puis de ces rayons vers l'éther. Ces êtres corporels ne mourraient pas comme meurent les éphémères. Ils resteraient les mêmes pendant une longue vie. Qui sont-ils ? En quoi les hommes, qui sont des mortels éphémères, seraient-ils concernés par cette histoire ?
Le fr. 115.6 DK est le suivant :
τρίς μιν μυρίας ὧρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι
Dans les manuscrits à notre disposition le vers 6 est cité trois fois de façon différente : par Plutarque, par Hippolyte, par Origène. Plutarque et Hippolyte peuvent se rapprocher facilement car l’un et l’autre citent le vers des daimones (v. 5) avant de citer le v. 6. Le v. 6 pourrait donc se comprendre avec le v. 5. Origène ne cite aucun vers avant le v. 6 ; on doit donc s’interroger sur une ou des adaptations possibles du v. 6 à son propos.
– Plutarque (Aldine– c’est-à-dire la branche planudéenne, et indépendamment le ms. W à Vienne) :
δαίμονες οἵ τε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο (βίοις dans w).
τρίς µιν µυρίας ὥρας ἀπὸ µακάρων ἀλάλησθε
– Hippolyte (l’unique ms. : Parisinus Supplément grec 464, 96 v°)
δαίμόνιοί τε μακραίωνος λελάχασι βίοισ.
[… prose pour identifier les daimones aux âmes]
τρίς µὲν µυρίας ὥρας ἀπὸ µακάρων ἀλάλησθε
– Celse (dans le Contra Celsum d’Origène, les mss. A et P – sachant que P est une copie de A)
τρίς µὲν µυρίας ὥρας ἀπὸ µακάρων ἀλαλῆσθαι
Aucune des 3 sources ne donne l’édition classique (celle de Stein, de Diels et de LM) pour le v. 6. µιν est exclusivement donné par les mss. de Plutarque. ἀλαλῆσθαι est exclusivement donné par les mss. d'Origène ; l'édition retiendra une correction : ἀλάλησθαι. En théorie, il y a quatre possibilités d'occurrences avec les deux leçons µιν/µὲν conjointes aux deux leçons ἀλάλησθε/ἀλαλῆσθαι. Nous disposons de 3 des occurrences (avec les 3 auteurs anciens), mais pas de la quatrième qui a la faveur de presque tous les éditeurs.
Certains apparats critiques des vers d'Empédocle édités avec ἀλάλησθαι signalent la leçon (non retenue) ἀλάλησθε. Les auteurs sont :
Van der Ben 1975, p. 113
Wright 1981, p. 139
Vítek 2006, p. 384 (avec une inexactitude : ἀλάλασθε au lieu de la leçon correcte ἀλάλησθε)
Graham 2010, p. 344 (avec deux inexactitudes : ἀλάλασθε au lieu de la leçon correcte ἀλάλησθε, et ἀλάλησθαι chez Plutarque)
Gheerbrant 2017, p. 797 (avec une inexactitude : ἀλάλασθε au lieu de la leçon correcte ἀλάλησθε)
Certains apparats critiques ne signalent pas la leçon (non retenue) ἀλάλησθε. Les auteurs sont :
Diels 1901 (PPF), p. 153 - seules les deux leçons µιν et µὲν sont considérées pour le v. 6
Diels 1922 (FV), p. 267 - seules les deux leçons µιν et µὲν sont considérées pour le v. 6
Diels-Kranz 1951 (FV), p. 357 - seules les deux leçons µιν et µὲν sont considérées pour le v. 6
Zuntz 1971, p. 245 - rien sur le v. 6
Bollack 2003, p. 60 - seules les deux leçons µιν et µὲν sont considérées pour le v. 6
Laks & Most 2016, p. 368 (Loeb) - rien sur le v. 6
Gemelli-Marciano 2024, p. 322 - seules les deux leçons µιν et µὲν sont considérées pour le v. 6
Pour l'apparat critique du De exilio, il n'est pas question de mentionner µὲν (seulement présent chez Hippolyte et Origène). Les auteurs mentionnent ἀλάλησθε et ἀλάλησθαι, avec parfois des erreurs :
Hani 1980, p. 169 - ἀλάλησθαι est mentionné dans les mss. n et β, ce qui est faux (la leçon est ἀλάλησθε)
v. 1 : qui sont les dieux ? (Les 6 principes selon Hippolyte, ou bien des Bienheureux ?)
v. 3 : qui est le τις ? (Un simple mortel terrestre, tel un homme, ou bien un dieu, un daimôn, un Bienheureux loin de son séjour céleste ?)
v. 4 : qui est le ὅς ? (Un simple mortel terrestre, tel un homme, ou bien un dieu, un daimôn, un Bienheureux loin de son séjour céleste, un Bienheureux dans son séjour céleste ?)
v.3 - v. 4 : est-ce que le ὅς est en fait le τις ?
v. 5 : que sont les δαίμονες (le pluriel est la leçon des manuscrits ; Heeren a corrigé par le singulier, suivi par Sturz, Stein, Mullach, Zuntz, Vítek, etc.) ? Comment relier les daimones avec le vers qui précède et le vers qui suit ? δαίμονες peut-il être un vocatif (à quelle condition ?)
v. 6 : faut-il lire μιν ou μέν ? faut-il lire ἀλάλησθε ou ἀλάλησθαι ? Qui serait le μιν ? Serait-ce un singulier (Stein) ou bien un pluriel (Diels) ? Qui seraient derrière la deuxième personne du pluriel avec ἀλάλησθε ? Les daimones au vocatif ?
v. 6 : que faire de οἵτε μακραίωνος λελάχασι βίοιο ? Est-ce une relative qui détermine les daimones (sous-entendant qu'il existe d'autres daimones ne répondant pas à la caractérisation de la relative) ? Est-ce un contenu entre parenthèses, qu'il faudrait signaler par un encadrement de virgules ou de tirets d'incise ?
v. 7-8 : faut-il conserver le pluriel φυομένους (Diels) ou corriger par le singulier (Stein). Quel est le sujet implicite de μεταλλάσσοντα ? Est-ce un neutre accusatif pluriel ? Ou bien est-ce un masculin accusatif singulier ?
v. 9 : avec certitude, le σφε a pour antécédent les daimones (voir De Iside, De vitando). Mais que sont-ils par rapport aux êtres de sensation mortels (plantes, animaux, hommes) ?
v. 13. : quel pourrait être l'antécédent de τῶν ? Dans le fr. 115 (le bloc de vers sans discontinuité imaginé par Stein), et chez Hippolyte qui est le seul à le rapporter ?
Les manuscrits existants du De exilio de Plutarque citent cinq vers d’Empédocle à la suite (en 607 C-D). Le destinataire du De exilio – un notable de Sardes – n’est probablement pas un spécialiste de la poésie d’Empédocle comme l’était Plutarque. Les cinq vers devaient alors être compris sans trop de difficulté ou de connaissance d’Empédocle. Mais c’est un fait que tels qu’ils nous parviennent, ils présentent quelques obscurités. Notre première tâche sera de comprendre ce qu’au XVIe s. les premiers traducteurs de la citation des cinq vers ont compris. Le point de repère initial du texte grec est l’édition Aldine de 1509. Sur cette base, Angelo Barbato fut le premier traducteur (1516). Nous examinerons ensuite ce que Guilielmus Xylander, Jacques Amyot (inspiré par la correction du texte grec introduite par Henri II Estienne en 1572), et quelques autres ont traduit.
Voici les cinq vers attribués à Empédocle, selon l’édition grecque dite Aldine publiée à Venise en 1509 (Plutarchi opuscula LXXXXII)[1], à la p. 639[2] :
ἔστι τι ἀνάγκης χρῆμα θεῶν ψήφισμα παλαιὸν, v.1
εὖ τέ τις ἀμπλακίησι φόβῳ φίλα γυῖα μιν v.2
δαίμονες οἵ τε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο. v.3
τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθε. v.4
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης. v.5
À une exception près (σὺν, à la place de τὴν au v.5, lu dans le manuscrit w = Vind. Phil. Gr. 36), les mots de cette édition de 1509 reprennent les leçons des manuscrits existants[3]. Pour le sens à dégager, trois mots sont problématiques : μιν à la fin de la deuxième ligne, ἀλάλησθε à la quatrième ligne, et τὴν à la cinquième ligne si l’on retient εἰμί.
(1) Dans le contexte du v.2 le μιν retenu n’a pas de signification, alors que le mot est pourtant connu. Une certitude vaut : avec μιν, l’hexamètre est bancal ; et il manque un verbe. Il faut donc une correction. Celle de Estienne qui introduit μιῄνῃ en 1572 (μιήνῃ en 1573) est bonne.
(2) Le mot εἰμί – verbe être – n’est pas forcément authentique. En lettres capitales, ce mot ΕΙΜΙ est en concurrence avec εἶμι – verbe aller. Certes, tous les manuscrits existants, en minuscules, ont εἰμί. Mais ils dépendent d’une interprétation ancienne lors du passage des capitales ΕΙΜΙ aux minuscules. Le verbe être, plus courant que le verbe aller, aurait pu être alors choisi. Si le verbe être est authentique, l’accusatif τήν ne s’explique pas. Une correction est nécessaire (plusieurs possibilités existent dont la leçon σύν). Si le verbe être doit être remplacé par le verbe aller, le τήν peut trouver une explication comme article avec l’ellipse de ὁδόν. Mais le sens obtenu reste à être validé ou pas par le contexte.
Au v.1, il convient de lire τι ἀνάγκης avec une synalèphe. L’élision du ι permet ainsi d’éviter le hiatus et l’ajout d’une brève qui romprait l’hexamètre.
Au v.2, εὖ τέ, écrit en deux mots. On verra que l’édition d’Estienne (1572) porte en un seul mot : Εὖτέ. Tandis que celle de Xylander (1574) conserve les deux mots. Dans l’Aldine, ἀμπλακίησι est écrit sans l’iota souscrit sous le η. Les éditions de Estienne et Xylander corrigeront : ἀμπλακίῃσι.
Au v.3, le pluriel δαίμονες présente une difficulté de syntaxe suite au singulier τις. Dans une apposition, celle-ci n’est pas insurmontable. Mais resterait à savoir si le τις en fuite (φόβῳ) peut être un des δαίμονες. Comment le v. 3 peut-il se coordonner avec le vers qui précède et avec le vers qui suit ? C’est une difficulté du passage[4]. Après la consonne finale (ς) du mot μακραίωνες le mot suivant λελόγχασι ne permet plus d’entrer dans l’hexamètre. Une brève (λε) se trouve insérée entre deux longues (νες λ- ; λόγχ-) La correction sera trouvée plus tard en changeant λελόγχασι en λελάχασι. Le sens restera inchangé.
Au v.4, le pronom accusatif troisième personne μιν peut être lu soit comme un singulier soit comme un pluriel, soit comme un masculin soit comme un féminin. La lecture des traducteurs est alors intéressante. Le verbe ἀλάλησθε, une deuxième personne du pluriel, étrange dans le contexte, sera plus tard corrigé en ἀλάλησθαι, un infinitif qui admet un sujet μιν.
Angelo Barbato (1450 ?-1530 ?)[5].
Barbato disposait selon toute vraisemblance de l’édition grecque de l’Aldine publiée en 1509. En 1516, il publia un opuscule dont l’objet est la traduction du De exilio de Plutarque[6]. Voici sa traduction des cinq vers d’Empédocle (sans indication de page) :
urget enim vetus: ac stabilis sententia divum,
Quem scelerum metus ater agit trepidumque fatigat,
Daemones hunc longe sortiti tempora vitae
Pellitis a superum facie per secula multa.
Quos ego nunc inter, divis procul exul aberro.
En effet, s’impose l’ancienne et immuable décision des dieux,
Celui que la funeste peur des crimes tourmente et, tremblant, accable,
Les démons, qui ont reçu une longue vie, celui-ci
Vous le bannissez hors de la vue des dieux d’en haut pendant de nombreux siècles.
Et moi, maintenant, parmi eux, un exilé loin des dieux, j’erre.
Il existe deux compréhensions possibles de φόβῳ au v.2 : la fuite (avec un datif de circonstance) ou bien la peur (avec un datif instrumental). Rappelons ce que dit P. Chantraine à propos de φόβος dans son Dictionnaire étymologique de la langue grecque (p. 1183, s.v. φέβομαι) :
φόβος, -ου m. : 1. « fuite », surtout fuite due à la panique (Hom., poètes épiques) ; d’où Φόβος comme puissance divine, fils d’Arés (Hom.) ; 2. « peur panique » et « peur » ; seul sens vivant et usuel après Homère
En traduisant φόβῳ par « metus », Barbato retient le « sens vivant et usuel après Homère ». Les crimes (scelerum) reprennent ἀμπλακίησι, et sont donc des crimes commis par le τις. Barbato considère que les daimones, apparemment justiciers, chassent ou éloignent (« pellitis ») le τις hors de la vue des dieux[7]. Le τις n’est donc pas un daimôn ; il pourrait être un homme. Empédocle serait un τις (« quos ego nunc inter »). Le verbe pellitis (deuxième personne du pluriel au présent de l’indicatif du verbe pello, mettre dehors, chasser) serait une tentative de traduction de ἀλάλησθε (v.4), deuxième personne du pluriel au présent de ἀλάλημαι, errer. Notons que ἀλάλησθε, rare dans un hexamètre, se trouve également en fin de vers en Iliade, III, 72 et IX, 253. Le mot se lit également dans une citation d’Empédocle livrée par le Pseudo Hippolyte dans sa Réfutation. Au v.5 Barbato traduit l’accusatif τήν comme s’il s’agissait de τῶν ou de ὧν. Il ne traduit pas le καί. Il comprend θεόθεν dans un registre spatial (loin des, loin de), alors que le sens avéré chez Homère (Odyssée, XVI, 447), et plus tard chez Eschyle (Les Perses, 94 ; Sept, 324 ; Agamemnon, 105, 131 ; Choéphore, 39, 941), a un sens causal.
La traduction latine de Barbato est peu fidèle.
Wilhelm Xylander, né Holtzman[8], 1532-1576.
Xylander, Guilielmus (Wilhelm Holtzmann), Plutarchi chaeronensis, Moralia […] omnes de graeca in latinam linguam transscripti summe labore, Bâle : Thomas Guarinus 1570[9], p. 555 :
Fata iubent, stant haec decreta antiqua deorum.
Si quid peccando longaevi daemones errant:
Quisque luit poenas, coelóque extorris ab alto
Triginta horarum per terras millia oberrat.
Sic et ego nunc ipse vagor, divinitus exsul.
Les destins ordonnent, tels sont immuables les anciens décrets des dieux.
Si, en commettant une faute, les démons à la longue vie s’égarent :
Chacun subit ses châtiments, et banni du haut du ciel
Il erre par les terres pendant 30 000 temps.
Ainsi, moi aussi, j’erre maintenant, exilé par la volonté divine.
Xylander utilisait vraisemblablement l’édition Aldine (ou l’édition de Froben) pour procéder à sa traduction. Par rapport à la traduction de Barbato, signalons un changement majeur : le τις s’est transformé en daimones ; désormais ce sont les daimones qui commettent une faute (peccando), et qui subissent les châtiments (poenas). La nature de la faute n’est pas indiquée. La peur n’apparaît plus. Xylander fait d’Empédocle un exilé divin. Au v.5, il esquive la traduction directe du τήν, et transforme le substantif φυγάς en un verbe de mouvement à la place du verbe être. Sic et (ainsi, aussi) donnerait sens à τὴν καί. La traduction de Xylander a le mérite d’être habile et de fournir une compréhension simple. L’adverbe divinitus traduit correctement, i.e. de façon causale, θεόθεν.
Henri II Estienne, autrement désigné par Stephanus : 1528-1531 ? - 1598.
(a) Grec
Stephanus, H., Plutarchi Chaeronensis quae extant opera […], tomus secundus, Genève 1572, p. 1077 :
Ἔστι τῆς ἀνάγκης χρῆμα θεῶν ψήφισμα παλαιὸν, v.1
Εὖτέ τις ἀμπλακίῃσι φόνῳ φίλα γυῖα μῄνῃ, v.2
Δαίμονες οἵτε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο. v.3
Τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι· v.4
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης. v.5
L’avancée majeure de cette édition est la correction φόνῳ […] μῄνῃ vs φόβῳ [...] μιν au v. 2. Nous reviendrons sur cette avancée qui a largement séduit les éditeurs ultérieurs de Plutarque et d’Empédocle. Une autre correction importante : au v.4, ἀλάλησθαι remplace ἀλάλησθε.
Notons que dans sa remise en cause de l'Aldine Estienne n'a pas corrigé τὴν qui est d'une lecture difficile. Pour lui, ce τὴν pouvait faire sens.
En 1573[10], Estienne corrigea en quelques endroits son édition de 1572. On lit désormais, p. 25 :
Ἔστι τὶ ἀνάγκης χρῆμα θεῶν ψήφισμα παλαιὸν, v.1
Εὖτέ τις ἀμπλακίῃσι φόνῳ φίλα γυῖα μήνῃ, v.2
Δαίμονες οἵτε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο, v.3
Τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι· v.4
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμὶ φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης, v.5
Au v.1. Estienne a écarté ἔστι τῆς pour ἔστι τὶ[11]. Au v.2, il supprime l’iota souscrit sous ῄ.
Il finit le v.3 par une virgule au lieu d’un point.
Estienne n’a pas traduit le texte qu’il a édité. Peut-être pensait-il que J. Amyot s’était déjà engagé dans une telle traduction.
J. Scaliger a porté des remarques en marge de l'édition Estienne de 1573. L'une d'elles est la correction τῶν pour τὴν au v.5.
(b) Latin
Plutarchi Chaeronensis quae extant opera, cum Latina interpretatione. Variorum Plutarchi sciptorum tomus secundus, Genève 1572, p. 285.
Le texte imprimé par Estienne est celui d’A. Barbato.
Jacques Amyot : 1513-1593.
Les œuvres morales & meslees de Plutarque, translatees du Grec en François par Messire Jacques Amyot, à present Evesque d’Auxerre, conseiller du Roy en son privé Conseil, & grand Aumosnier de France, Paris : Michel de Vascosan 1572, p. 129 verso :
Il y a loy de nécessité stable,
Decret des Dieux ancien immuable,
Depuis qu’un homme a maculé ses mains
Du sang à tort espandu des humains,
Que les Demons de tresfort longue vie,
Le vont chassans hors de la compaignie
Des bien-heureux pour un temps infiny,
Par cette loy je suis ores banny,
D’avec les Dieux, errant parmy le monde :
Pour sa vaste édition des Œuvres morales en 1572, Amyot s’est appuyé sur l’édition grecque de 1542 par Froben à Bâle. On dispose d’ailleurs d’un exemplaire de cet ouvrage qui fut en possession d’Amyot[12]. Toutefois, Amyot a eu connaissance du projet d’édition d’Estienne pour établir sa traduction en français. Pour preuve, « a maculé ses mains / Du sang » traduit φόνῳ […] μῄνῃ. Amyot traduit le τις par « un homme ». Et va plus loin, en dehors du grec, en imaginant que cet homme a tué « des humains ». La scène serait plus une scène de guerre qu’un sacrifice sanglant. Dans la suite de sa traduction, il s’inspire de Barbato. On retrouve les daimones, justiciers, chassant le τις (désormais clairement identifié comme étant un meurtrier). Les trois dix mille saisons (en grec) sont devenues « un temps infiny ». L’homme (τις) vivait avec les Bienheureux, dans un temps où apparemment hommes et dieux vivaient ensemble. Pour le v.5, il semble qu’Amyot ait voulu traduire τήν comme si le féminin de cet article pouvait renvoyer au féminin ἀνάγκη (ainsi : « Par cette loy »), lu au v.1. Il ne traduit pas le καί. Il traduit θεόθεν de façon spatiale. « D’avec les Dieux » suggère l’éloignement du domaine des dieux, suggère « hors de la compaignie / Des bien-heureux ».
La loi de Nécessité existe seulement « depuis un meurtre ». Son énoncé ne précède pas le meurtre, elle le suit.
Xylander édite en 1574 les Moralia :
Plutarchi,... Varia scripta, quae Moralia vulgo dicuntur... multis mendarum millibus expurgata, indicibus locupletissimis instructa a Guillelmo Xylandro,... Basileae : Eusebium Episcopium & Nicolai fr. haeredes 1574. Voici le texte, p. 428 :
ἔστι τι ἀνάγκης χρῆμα θεῶν ψήφισμα παλαιὸν, v.1
εὖ τέ τις ἀμπλακίῃσι φόβῳ φίλα γυῖα * μιν v.2
δαίμονες οἵ τε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο. v.3
τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι. v.4
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης· v.5
Par rapport à l’édition Aldine, les modifications sont les suivantes :
· l’ajout d’un iota souscrit dans ἀμπλακίῃσι
· l’ajout d’une astérisque devant le μιν du v.2 pour indiquer une corruption du texte initial
· l’infinitif ἀλάλησθαι à la place du verbe à la deuxième personne du pluriel, ἀλάλησθε.
· Un point haut à la place d’un point final au v.5.
Cette édition diffère de celle de H. Estienne en 1572 et 1573 sur un point majeur : elle ne reprend pas la correction φόνῳ […] μήνῃ. En revanche, elle reprend ἀλάλησθαι vs ἀλάλησθε.
Xylander n’a pas donné une nouvelle traduction latine de son édition.
Marc’Antonio Gandini ? - 1587
Opuscoli morali, di Plutarco Cheronese, filosofo, & historico notabilissimo. Divisi in due parti principali. […] Tradotti in volgare dal Sign. Marc’Antonio Gandino, & da altri letterati, Venetia : Fioravante Prati 1598, part 2, p. 121 verso, traduit par Marc’ Antonio Gandini :
Preme il destin, cosi determinato
Fù da gli Iddii, che quando un genio falla
Sia castigato; e giù del ciel sbandito
Trentamil’hore vada errando in terra.
Cosi posto in essilio hora me’n vado
Anch’io vagando per voler divino.
Le destin presse, ainsi en fut-il décidé
Par les Dieux, que lorsqu’un génie commet une faute
Qu’il soit châtié ; et banni du ciel,
Qu’il erre trente mille temps sur terre.
Ainsi, mis en exil, maintenant, je m’en vais
Moi aussi, j’erre par la volonté divine.
Le texte grec sur lequel Giandino s’appuie n’est pas précisé. La traduction ne s’accorde pas avec l’édition d’Estienne (1572-1573).
Le τις est un daimôn (« genio »). Il doit être châtié, banni du ciel, pour une faute dont on ne sait rien. Cette faute n’est pas nécessairement un meurtre. Le pluriel daimones a disparu. Les Bienheureux ont disparu. On peut deviner que le daimôn qui faute était un Bienheureux dans le ciel. Banni, il chute sur terre. Empédocle est en exil lui aussi tout comme le daimôn. Il erre par la volonté divine, ce qui traduit θεόθεν de façon causale. Empédocle pourrait être lui aussi un daimôn.
Θεόθεν est compris correctement : “per voler divino”. Et non pas : “lontano dagli dei”. Θεόθεν est une exception de sens parmi les adverbes à suffixe en – θεν. Θεόθεν a une valeur causale et non pas locative ou spatiale. Θεόθεν est un adverbe, qui pourrait qualifier un substantif ayant une base verbale comme φύγας. Marc’ Antonio Gandini a trouvé une autre solution pour sa traduction en italien. Il suppose le verbe errer (vagando) que l'adverbe peut aisément modifier. Cela s’écarte de la logique grammaticale, car le verbe devrait être commun à un exilé et un errant (φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης). Or vagando écarte l’exilé. La volonté des dieux renvoie au v. 1. Empédocle est, de par l’action des dieux du v. 1, un exilé et un errant.
Dans cette traduction de Gandini, il n’est pas question de réincarnation. Tout comme il n’en est pas question dans le De exilio.
L’édition Estienne de 1572 a été reprise à Francfort chez A. Wechel en 1599. Dans cet ouvrage, en parallèle de l’édition du grec dans une colonne de droite, apparaît sur la colonne de gauche la traduction latine que proposait Xylander en 1570. Il n’échappera à personne que le latin ne correspond pas totalement au grec, puisque Xylander n’avait pas traduit le grec à partir de la correction du v.2 (introduite par Estienne en 1572) ni de celle de ἀλάλησθαι vs ἀλάλησθε (aussi par Estienne en 1572). Wechel n’a pas retenu les modifications introduites par Estienne dans son édition de 1573. Il est peu vraisemblable que ni Xylander (mort en 1576) ni Henri II Estienne (mort en 1598) auraient accepté le montage de textes fait par Wechel.
Plutarchi Chaeronensis Quae exstant omnia, cum latina interpretatione Hermanni Cruserii, Gulielmi Xylandri, Francofurti : apud Andreae Wechel 1599. P. 607 C-D, du Tome 2.
Firenze, 1562 – Firenze, 1604.
Opuscoli di Plutarco volgarizzati de Marcello Adriani nuovamente confrontati col testo ed illustrati con note da Francesco Ambrosoli, tome quarto, Milano: Francesco Sonzogno 1827.
Le livre n’a pas été publié du vivant d’Adriani. Il fut publié au début du XIXe s. On considère néanmoins qu’il fut écrit à la fin du XVIe, d’où le fait que nous le retenons pour notre propos.
p. 119 (le traité 48)
Antica legge con fatal consiglio
Si formò nella mente degli Iddii,
Che qualunque mortal con le sue mani
Si macchia, e sparge a torto il sangue umano,
Dalli Demonj ch’ hanno lunga vita
Sia cacciato per secoli infiniti
Di lungi dal drappello de’ Beati;
E quindi ora vengh’ io di ciel bandito,
Come straniero errando per lo mondo.
Une ancienne loi, par un décret du destin,
fut conçue par l’esprit des Dieux :
que tout mortel qui, de ses mains,
se souille et répand injustement le sang humain,
soit, par les Démons qui ont une longue vie,
chassé pour des siècles infinis,
loin de l’assemblée des Bienheureux ;
et c’est ainsi qu’à présent, banni du ciel,
je viens, comme un étranger, errant à travers le monde.
Compte tenu des mains souillées d’un « sang humain », le texte grec en référence serait celui d’Estienne. La traduction est proche de celle d’Amyot.
NOTES
[1] On ajoutera la ré-édition en 1542 à Bâle, désignée parfois sous le nom Froben, (l’imprimeur Jérôme Froben) : Plutarchi Chaeronei Moralia opuscula, multis mendarum milibus expurgata, Bâle : Froben et Nic. Episcopius 1542. Voir p. 537. Dans cette ré-édition, on lit μϊν vs μιν au v.2 et au v.4. Cela n’est pas significatif : dans certaines écritures le ι qui n’est pas accentué reçoit souvent un tréma. Pour le reste, l’édition Froben reprend scrupuleusement l’Aldine. – Le manuscrit planudéen le plus ancien du De exilio dont nous disposons date du XIIIe siècle. Il s’agit du Ms α (Αmbr. 859 C 126 Inf. = gr. 859) copié peu avant 1296. Voir B. Einarson & P. de Lacy, « The Manuscript Tradition of Plutarch Moralia 548A-612B », Classical Philology, 46, 2, 1951, p. 93-110, aux pages 106-107. Voir aussi, Plutarque, Œuvres morales, VIII, Paris : Les Belles Lettres 1980, p. 12-15, 142-147. Et plus récemment, R. Caballero, « La tradición manuscrita del De exilio de Plutarco », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia, IV, 5, 1, 2000, p. 159-185. L'Aldine repose sur le manuscrit J (Ambr. 881 C195 Inf.) du XIIIe s.
[2] Les vers n’y sont pas présentés autrement qu’en prose ; il n’y a pas de retour à la ligne pour chaque hexamètre et pas de numérotation. Pour rendre utilisable la citation, je présente les vers comme des vers, et je les numérote. – Le manuscrit J (Ambrosianus, C 195 inf. [gr. 881]), du XIII-XIVe s., a été utilisé par Démétrios Ducas pour éditer l’édition Aldine. On admet que ce manuscrit dépend de s (Vaticanus gr 1012) qui dépend lui-même du manuscrit α (Ambrosianus C 126 [gr. 859]).
[3] La liste des manuscrits (au nombre de 20) du De exilio est détaillée par R. Caballero dans « La tradición manuscrita del De exilio de Plutarco », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia, 2000, IV, 5, 1, 2000, p. 159-185. – Entre ces manuscrits il existe quelques différences dans l’accentuation, la ponctuation et la pratique du iota souscrit. Dans le manuscrit w (Vindobonensis Cod.Phil.Gr.36) fol. 6 v° se lit σὺν à la place de τὴν au v.5.
[4] En 1777, J. J. Reiske (Plutarchi volumen octavum, Operum moralium et philosophicorum. Partem tertiam tenens. Cum notis Gul. Xylandri, H. Stephani et Io. Iac. Reiskii, texto subiectis, Leipzig : G. T. Georgius 1777, p. 396) proposa de déplacer ce v.3. L’idée est sans doute à examiner avec attention. Mais Reiske suggéra de placer le v.3 entre le v.4 et le v.5, ce qui ne paraît guère convaincant.
[5] Voir F. Tanga, “Il 'De exilio' di Plutarco nella traduzione latina di Angelo Barbato,” in: "Charis. Studi offerti a Paola Volpe dai suoi allievi, ed. Stefano Amendola & Giovanna Pace, Trieste: Edizioni Università di Trieste 2016, (Graeca Tergestina. Praelectiones Philologiae Tergestinae, 7), p. 95-110.
[6] A. Barbato, Plutarchi Chaeronei De Exilio libellus Angelo Barbato interprete, Rome: Giacomo Mazzochi 1516. Première réimpression dans un ouvrage collectif : Plutarchi Chaeronei De exilio libellus nuper latine factus, Angelo Barbato interprete. Muscae encomium Luciani, latinum factum Nicolao Beraldo interprete. Scipionis Carteromachi Pistoriensis Oratio de laudibus literarum græcarum, éd. Rémy Roussel, Paris : Les Frères de Gourmont 1517. D’autres réimpressions eurent lieu au XVe s. dont celle dans H. Estienne 1572, Plutarchi Chaeronensis opuscula varia, […] Ex diversorum interpretationibus, Tome 2, H. Stephanus, p. 271 et suivantes, avec Empédocle p. 285. Estienne a préféré la traduction de Barbato vs celle de Xylander 1570. Autre réimpression de la traduction de Barbato dans H. Cruser, Plutarchi Chaeronei Ethica, sive Moralia, Opera, quae extant, omnia: interprete Hermanno Cruserio I. C. atque […], Bâle : Thomas Guérin 1573, p. 199 (puis réimpression à Francfort en 1580, p. 174).
[7] Cette lecture surprend aujourd’hui, car les modernes considèrent comme une évidence que les daimones sont en fait chassés, car ils sont coupables, et non pas chasseurs. L’évidence s’appuie sur le De Iside, 361 C, qui rapporte des vers d’Empédocle, avec un commentaire de Plutarque qui désigne des daimones comme étant fautifs et punis. Barbato ne tient pas compte du De Iside, et se laisse guider par le pluriel ἀλάλησθε qu’il associe au pluriel δαίμονες. Il considère apparemment que les daimones chez Empédocle contribuent à faire respecter l’ordre moral et la justice. Pour mémoire, dans Les Perses d’Eschyle, le daimôn est assimilé à « un génie vengeur » (v. 353-355). D’une certaine façon les démons qui pourchassent ceux qui transgressent les lois divines renvoient aux Érinyes. Voir plus avec J. Carrière, « "Démon" tragique », Pallas, 13, 1966, p. 7-20.
[8] Le pseudonyme Xylander se comprend à partir de Holtz = bois = ξύλον, et Mann = homme = ἀνήρ (τοῦ ἀνδρός), d’où l’on peut déduire Xylander.
[9] Réimprimé en 1572 à Venise, chez Hieronymum Scotum, p. 322. Également en 1572, dans Plutarchi Chaeonensis Moralia, Plutarchi ethicorum siue moralium pars II, à Bâle chez Thomas Guarinus, p. 656 (faussement numérotée 556). D’autres réimpressions existent.
[10] in Poesis philosophica, vel saltem, Reliquiae poesis philosophicae, Empedoclis […], anno M. D. LXXIII, excudebat Henr. Stephanus, Genève 1573, p. 25.
[11] Cette correction et les deux suivantes ne sont ni reprises dans l’édition Wechel en 1599 ni dans celle d’Aubriorus et Schleich en 1620 (Plutarchi …quae exstant, operum. Tomus secundus continens Moralia G. Xylandro, Francoforti ac D. Aubriorum & C. Schleichii 1620.). Estienne, mort en 1598, ne pouvait pas veiller à la bonne actualisation de son texte.
[12] Cet exemplaire présente des notes marginales qui auraient été écrites par Amyot. On y remarquera φόνῳ et μῄνῃ. Amyot aurait recopié ces deux mots à partir d’un document appartenant à H. Estienne.
L’édition du De exilio par J. Hani[1] présente un stemma de l’œuvre p. 144. Il existe 20 manuscrits. Les manuscrits les plus importants pour l’édition du texte sont :
v Vindobonensis Philosophiae Gr. 46, p. 27.
w Vindobonensis Philosophiae Gr. 36, 6 v°.
α Ambrosianus C 126 inf. (gr. 859), 116 ro et vo.
β Vaticanus Gr. 1013, 231 v°.
Α Parisinus Gr. 1671, 60 r°.
Ε Parisinus Gr. 1672, 537 ro.
n Neapolitanus gr. 350 III E 28, 176 r°.
s Vaticanus Gr. 1012, 51 v°.
J Ambrosianus C 195 inf. (gr. 881), 356 ro et vo.
J’ai consulté ces manuscrits et quelques autres :
l Laurentianus 56.5, 175 v°-176 r°, rattaché à s.
κ Laurentianus 80.5, 131 v°, rattaché à γ, lui-même rattaché à A.
μ Laurentianus 80.21, 42 v°, rattaché à β.
π Laurentianus 80.22, 12 v°, rattaché à ξ, lui-même rattaché à γ.
γ Vaticanus gr. 139, 145 v°, rattaché à A.
Les manuscrits v et w sont les témoins d’un manuscrit disparu lié à l’archétype, en parallèle du manuscrit α, lui-même lié à l’archétype. Du manuscrit α dépendent plus ou moins directement les 17 autres manuscrits. L’Aldine (1509), texte imprimé, est dérivée de J. Voici le texte de J :
ἔστϊ τί ἀνάγκης χρῆμα θεῶν ψήφϊσμα παλαιὸν. v.1
εὖ τέ τϊς ἀμπλακίησϊ φόβῳ φίλα γυῖω μϊν v.2
δαίμονες οἵ τε μακραίωνες λελόγχασϊ βίοιο. v.3
τρίς μϊν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθε. v.4
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φϋγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης. v.5
Voici les cinq vers attribués à Empédocle, selon l’édition grecque dite Aldine publiée à Venise en 1509 (Plutarchi opuscula LXXXXII)[2], à la p. 639[3] :
ἔστι τι ἀνάγκης χρῆμα θεῶν ψήφισμα παλαιὸν, v.1
εὖ τέ τις ἀμπλακίησι φόβῳ φίλα γυῖα μιν v.2
δαίμονες οἵ τε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο. v.3
τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθε. v.4
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης. v.5
À une exception près (σὺν à la place de τὴν au v.5 dans le manuscrit w), les mots de cette édition de 1509 reprennent les leçons des manuscrits existants[4]. Pour le sens à dégager, deux mots sont problématiques : (1) μιν à la fin de la deuxième ligne, et (2) εἰμί à la sixième ligne.
(1) Dans le contexte du v.2 le μιν retenu n’a pas de signification, alors que le mot est pourtant connu. Une certitude vaut : avec ce surprenant μιν, l’hexamètre est bancal et il lui manque un verbe. Il faut donc une correction. Celle d’Estienne qui introduit μιῄνῃ en 1572 (μιήνῃ en 1573) est pertinente. Elle a été retenue sans conteste[5].
(2) Le mot εἰμί – verbe être – n’est pas forcément authentique. En lettres capitales, ce mot ΕΙΜΙ est en concurrence avec εἶμι – verbe aller. Certes, les manuscrits existants, en minuscules, ont εἰμί. Mais ils dépendent d’une interprétation ancienne lors du passage des capitales ΕΙΜΙ aux minuscules. Le verbe être, plus courant que le verbe aller, aurait été choisi. Cela ne prouve pas que ce soit le bon choix. Il est certain que l’article ou le pronom τήν s’accordent mal avec le verbe être. Mais le sens du concurrent εἶμι reste à questionner.
Au v.1, il convient de lire τι ἀνάγκης avec une synalèphe. L’élision du ι permet ainsi d’éviter le hiatus et l’ajout d’une brève qui romprait l’hexamètre.
Au v.3, le pluriel δαίμονες présente une difficulté de syntaxe suite au singulier τις. Comment ce vers peut-il se coordonner avec le vers qui précède et avec le vers qui suit ? Nous sommes là sur une difficulté majeure du passage[6]. Après la consonne finale (ς) du mot μακραίωνες le mot suivant λελόγχασι ne permet plus d’entrer dans l’hexamètre. Une brève (λε) se trouve insérée entre deux longues (νες λ- ; λόγχ-) La correction sera trouvée plus tard en changeant λελόγχασι en λελάχασι. Le sens restera inchangé. En revanche, le sens sera modifié, également plus tard, en faisant de l’adjectif μακραίων non plus un nominatif qualifiant δαίμονες, mais un génitif qualifiant βίοιο.
Au v.4, μιν peut être lu soit comme un singulier soit comme un pluriel, soit comme un masculin soit comme un féminin. Le verbe ἀλάλησθε, une deuxième personne du pluriel, sera plus tard corrigé en ἀλάλησθαι, un infinitif qui peut admettre un μιν comme sujet.
Au v. 5, le τήν avec le verbe εἰμι est difficile à comprendre. Reste pour finir l’adverbe θεόθεν dont le sens est soumis à interprétation.
Voici différentes leçons des 14 manuscrits listés par rapport à l’Aldine :
v.1 ἔστί α || τί J, E, Α, n, s, β, l, κ, π, γ τι avec ν supra μ || θεῶν χρῆμα α χρῆμα. θεῶν μ || παλαιῶν l παλαιὸν· α παλαιόν· π παλαιὸν. s, γ
v.2 εὖτέ α, v, s, μ || φόβω α, E, v, w, n, s, β, l, μ || ἀμπλακίῃσι μ
v.3 οἵτε n, l || μακραιὼνες l || βίοις w[7]
v.4 ἀπο n ἄπο κ, π, γ, v || ὥρας. ἄπο μ || ἐλάλησθε v
v.5 σὺν w || εἰμὶ Ε εῖμι ou εῖμί l[8]
Dans A se lit φόβῳ avec un β en forme de u (un u sans hampe, les ν ont de grandes hampes ; βίοιο a aussi un β en forme de u). Dans γ se lit βίοιο avec un β en forme de u, alors que φόβῳ est écrit avec le β en forme de B.
NOTES
[1] Dans Plutarque. Œuvres morales, Tome VIII, Paris : Les Belles Lettres 1980, p. 131-170.
[2] On ajoutera la ré-édition en 1542 à Bâle, désignée parfois sous l’abréviation « Bas. » ou le nom « Froben » (l’imprimeur Jérôme Froben à Bâle) : Plutarchi Chaeronei Moralia opuscula, multis mendarum milibus expurgata, Bâle : Froben et Nic. Episcopius 1542. Voir p. 537. Dans cette ré-édition, on lit μϊν vs μιν au v.2 et au v.4. Cela n’est en fait pas significatif car dans certaines écritures le ι qui n’est pas accentué reçoit souvent un tréma. Pour le reste, l’édition Froben reprend scrupuleusement l’Aldine.
[3] En fait, les vers sont présentés comme de la prose ; il n’y a pas de retour à la ligne pour chaque hexamètre et pas de numérotation. Pour rendre utilisable la citation, je présente les vers comme tels, et je les numérote. – Le manuscrit J (Ambrosianus, C 195 inf. [gr. 881]), du XIII-XIVe s., a été utilisé par Démétrios Ducas pour éditer l’édition Aldine. On admet que ce manuscrit dépend de s (Vaticanus gr 1012) qui dépend lui-même du manuscrit α (Ambrosianus C 126 [gr. 859]).
[4] La liste des manuscrits (au nombre de 20) du De exilio est détaillée par R. Caballero dans « La tradición manuscrita del De exilio de Plutarco », Annali della Scuola Normale Superiore di Pisa. Classe di Lettere e Filosofia, 2000, IV, 5, 1, 2000, p. 159-185. – Entre ces manuscrits il existe quelques différences dans l’accentuation, la ponctuation et la pratique du iota souscrit. Dans le manuscrit w (Vindobonensis Cod.Phil.Gr.36) fol. 6 v° se lit σὺν à la place de τὴν au v.5.
[5] Plus contestable : la correction de la leçon φοβῶ (ou φοβῷ selon les manuscrits considérés) en faveur de φονῷ.
[6] En 1777, J. J. Reiske (Plutarchi volumen octavum, Operum moralium et philosophicorum. Partem tertiam tenens. Cum notis Gul. Xylandri, H. Stephani et Io. Iac. Reiskii, texto subiectis, Leipzig : G. T. Georgius 1777, p. 396) proposa de déplacer ce v.3. L’idée est sans doute à examiner avec attention. Mais Reiske suggéra de placer le v.3 entre le v. 4 et le v. 5, ce qui ne paraît guère convaincant.
[7] Il n’est cependant pas certain qu’il faille lire un ς dans βίοις. On lit un omicron avec une boucle prolongée à l’horizontale qui ressemble à un σ.
[8] Que ce soit εῖμι ou εῖμί, le mot serait écrit sans esprit sur la première syllabe. Ce ne peut pas être εἶμι. On doit conclure que l’accent circonflexe sur le iota est en fait un esprit doux mal écrit, sur le verbe être εἰμι ou εἰμί. Le scribe écrit parfois des accents circonflexes là où il s’agit d’esprit doux, ainsi : ᾶρχῆ (607 C6), ᾶλάλησθε (607 C11), êγὼ (607 D1), ᾶρχὴν (607 D5).
Sieveking
Paton, W. R., M. Pohlenz, & W. Sieveking (ed.), Plutarchi Moralia, Vol. III, Leipzig: B. G. Teubner 1929. Reprint in: Munich-Leipzig: K. G. Saur 2001 (Bibliotheca scriptorum graecorum et romanorum Teubneriana).
Voici les vers d’Empédocle édités par Sieveking (1929, p. 531, lignes 12, 13, 14, 15, 16) :
ἔστιν ἀνάγκης χρῆμα, θεῶν ψήφισμα παλαιόν, v.1 = l.12
εὖτέ τις ἀμπλακίῃσι φόνῳ φίλα γυῖα μιήνῃ, v.2 = l.13
δαίμονες οἵ τε μακραίωνος λελάχασι βίοιο, v.3 = l.14
τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι. v.4 = l.15
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης v.5 = l.16
Apparat critique fourni par Sieveking pour ces vers :
12 ἔστι τι ἀ. Ω corr. Re.
13 φόνῳ Hippolytus φόβω Ω μιήνῃ Hipp. μιν Ω
14 μακρ. Hipp. -νες Ω λελ. Hipp. λελόχασι Ω
15 ἀλ. nβ ἀλάλησθε Ο
16 τὴν] τῶν Hipp.
Sieveking utilise les abréviations suivantes :
Ω = tous les manuscrits (ici du De exilio)
Re. = Jacob Reiske
Ο = tous les manuscrits en dehors de ceux déjà cités
Plusieurs erreurs et omissions sont à relever dans l’apparat critique correspondant à ces vers[1] :
(A) φόνῳ ne se trouve pas chez Hippolyte ; c’est une correction d’Estienne (1572) lors de son édition du De exilio.
(B) φόβῳ avec un iota souscrit se lit dans les manuscrits A et J, à savoir le Parisinus gr. 1671, 60r et l’Ambrosianus, C 195 inf. (gr. 881), 356 v° ; tous les manuscrits n’ont donc pas φόβω.
(C) μιήνῃ ne se lit pas chez Hippolyte ; μιήνῃ est une correction d’Estienne dans son édition des vers d’Empédocle parue dans ses Poesis philosophica, 1573, p. 25. En 1572, dans son édition du De exilio, p. 1077, Estienne écrivait : μιῄνῃ.
(D) ἀλάλησθαι ne se lit ni dans le manuscrit n (Neapolitanus gr. 350, 176r), ni dans β (Vaticanus gr. 1013, 231v) ; dans ces deux cas se lit ἀλάλησθε.
(E) Regardons la l.16. Puisque Sieveking s’intéresse au manuscrit d’Hippolyte (τῶν), face à τὴν chez Plutarque, il faut alors remarquer qu’il omet les manuscrits de Philopon et d’Ascépius, qui ont de façon univoque ὡς. – Il a recensé l’existence du manuscrit w, mais omet de rapporter sa leçon σὺν – Par ailleurs, Sieveking omet εἰμι (ou εἰμὶ) comme étant la leçon des manuscrits de Plutarque, et il omet de préciser que εἶμι est une correction introduite par J. Windet (1664). – Et pour finir, il omet les manuscrits de Philopon et d’Asclépius, qui ont de façon univoque δεῦρ’ (ou δεῦρο) à la place de νῦν présent chez Plutarque (et absent chez Hippolyte).
Hani
L’édition du De exilio par J. Hani (1980) présente l’apparat critique suivant :
607 C 10 ἔστιν Rei. : ἔστι τι
11 φόνῳ Hippolytus : φόβῳ || μιήνῃ Hippol. : μιν
12 μακραίωνος λελάχασι Hippol. : μακραίωνες λελόγχασι
13 ἀλάλησθαι nβ : ἀλάλησθε (ἐλάλησθεν)
D 1 τὴν : τῶν Hippol. || εἶμι Ber. : εἰμι
Rei. = Reiske ; Ber. = Bernardakis.
Cet apparat critique maintient des erreurs et omissions faites par Sieveking (énoncées plus haut sous A, B, C, D, et une grande partie de E). La modification positive et essentielle introduite par Hani est la reconnaissance de εἰμι dans les manuscrits de Plutarque.
Caballero & Viansino
Caballero, Raúl & Giovanni Viansino, Plutarco. L’esilio. Introduzione, testo critico, traduzione e commento a cura di R. C. e G. V., Naples : M. D’Auria 1995, (Corpus Plutarchi moralium, 21), p. 78-79 :
ἔστιν ἀνάγκης χρῆμα, θεῶν ψήφισμα παλαιόν,
εὖτέ τις ἀμπλακίῃσι φόνῳ φίλα γυῖα μιήνῃ,
–– δαίμονες οἵ τε μακραίωνος λελάχασι βίοιο, ––
τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθαι.
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
È oracolo pronunciato dalla Necessità, è decreto antico degli dèi,
che se uno dei demoni che hanno avuto in sorte vita lunga,
sporca le sue membra con colpe, con l’assassinio,
deve vagare lontano dai beati per tre volte diecimila stagioni.
È per questa via che anche io ora esule dal soggiorno degli dèi vado vagabondo.
C’est un oracle prononcé par la Nécessité, un décret ancien des dieux,
que si l’un des démons qui ont reçu en partage une longue vie
souille ses membres par des fautes, par un meurtre,
il doit errer loin des Bienheureux pendant trois fois dix mille saisons.
Par ce chemin moi aussi, maintenant, banni du séjour des dieux, je vais errant.
L’édition du De exilio par R. Caballero & G. Viansino (1995), p. 78, reproduit les vers du fr. 115 édités par Sieveking (en ajoutant des tirets pour encadrer le v. 5 : –– δαίμονες οἵ τε μακραίωνος λελάχασι βίοιο, ––). Les vers correspondent aux lignes 607C.8-12 de cette édition. Voici l’apparat critique
8 ἔστιν Simpl. ἔστι τι Ω
9 φόνῳ Hippol. φόβῳ Ω μιήνῃ Hippol. μιν Ω
10 μακραίωνος λελάχαι [sic] Hippol. μακραίωνες λελόγχασι Ω
11 ἀλάλησθαι n ἀλάλησθε Ω (ἐλάλησθε v)
12 τὴν τῶν Hippol. εἶμι Bern. εἰμι Ω
Simpl. = Simplicius ; Hippol. = Hippolyte.
Cet apparat critique maintient des erreurs et omissions faites par Hani, notamment les omissions qu’il convient de retenir pour le v. 13 (ici : l.12). À la l.8, on peut s’étonner de l’introduction de Simplicius à la place de Reiske. Simplicius ne citait pas nécessairement les mêmes vers que ceux qui appartenaient à la reconstitution opérée par le fr. 115. En revanche, Reiske procède clairement à une correction du De exilio ; ce que ne fait évidemment pas Simplicius. Pour la l.11 (le v. 6), on constate le maintien erroné de ἀλάλησθαι dans le manuscrit n, et on apprécie l’information exacte « ἐλάλησθε v » qui précise et corrige ce que livrait Hani.
C’est une omission gênante, maintes fois répétée, que de ne pas signaler dans des apparats critiques concernant le v. 13 le fait que εἶμι chez Plutarque (De exilio) est une correction des leçons des manuscrits, et en plus de ne pas mentionner la leçon dominante de ces manuscrits, à savoir εἰμι ou εἰμὶ.
Maintes fois ? Rappelons certains cas : Sieveking (1929, p. 531), Diels-Kranz (1934, p. 358)[2], Zuntz (1971, p. 245), Wright (1981, p. 139), Inwood (1992, p. 265), Primavesi (2001, p. 30), Bollack (2003, p. 60), Vítek (2006, p. 386), Roussos (2007, p. 128), Gemelli Marciano (2009, p. 290), Graham (2010, p. 344), Laks & Most (2016, p. 368), Gheerbrant (2017, p. 798), Reboredo (2021, p. 177), Santamaría (2022).
NOTES
[1] L’édition de Sieveking 1929 a été reprise sans révision en 2001, dans la bibliothèque Teubner, par K. G. Saur, Plutarchus. Moralia, Vol. III, p. 531.
[2] Diels connaissait la correction εἶμι mais ne la mentionnait pas dans ses éditions de 1901 à 1922. C’est donc Kranz qui l’introduit en 1934. Kranz va plus loin ; il porte εἶμι chez Philopon et même chez Plotin. Or Plotin a ἥκειν et non pas εἶμι ; et même cet ἥκειν devrait être supprimé si l’on s’accorde avec P. Kalligas (« Some new Plotinian emendations », Emerita, 56, 1, 1988, p. 95-102, aux pages 99-100). C. d'Ancora n'adopte pas cette suppression. On verra ensuite εἶμι chez Philopon (chez Zuntz, Bollack, ou Gheerbrant, par exemple), alors que les manuscrits ne mentionnent pas cette leçon. Il y a souvent confusion et imprécision entre leçon et correction.
Le vers de l’exilé et de l’errant édité par S. Karsten en 1838 – τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης – a été largement suivi. Voici comment ce vers a été traduit :
· S. Karsten (1838) : Hanc (viam) nunc ipse eo, coelitus profuga et exsul […]
· Ph de Lacy & B. Einarson (1959) : such is the path I tread, I too a wanderer and exile from heaven […]
· G. Zuntz (1971) : This way I myself am now going […]
· P. Kingsley (1979)[1] : This journey I too am now going, an exile from the gods and a wanderer […]
· J. Hani (1980) : voilà le chemin que je suis à présent moi aussi, exilé du pays des dieux et errant.
· J. Barnes (1982)[2] : This way I myself am now going, a fugitive and wanderer from the gods [….]
· J. Mansfeld (1986)[3] : Diesen Weg gehe auch ich jetzt, ein aus dem göttlichen Leben Verbannter, ein Landstreicher […]
· J. Barnes (1987)[4] : Such is the road I now follow, a fugitive from the gods and a wanderer.
· R. Caballero et G. Viansino (1995) : È per questa via che anche io ora esule dal soggiorno degli dèi vado vagabondo.
· R. Ferwerda (1997)[5]: Die weg ga ik nu ook, verbannen van de goden, en een zwerver […]
· A. Martin & O. Primavesi (1999)[6] : C’est cette voie que moi aussi à présent je parcourrai, exilé loin du dieu et errant […]
· O. Primavesi (2001)[7] : anch’io ora percorrerò questo cammino, bandito da Dio ed errante […]
· J. Bollack (2003)[8] : Moi aussi, maintenant, je vais aller ce chemin, exilé du dieu et errant […]
· J. Bollack (2003)[9] : C’est le chemin (tèn) sur lequel moi aussi je vais maintenant [exilé du dieu et errant]
· P. Kingsley (2003)[10] : This is the way that I too am now going, an exile from the gods and a wanderer […]
· A. Laks (2004)[11] : C’est ce chemin que moi aussi je vais suivre maintenant, exilé loin des dieux et errant […]
· M. L. Gemelli Marciano (2009)[12] : Diesen Weg gehe jetzt auch ich, ein von den Göttern Verbannter und ein Landstreicher […]
· R. Caballero Sánchez (2009)[13] : También yo recorro ahora este camino, desterrado de los dioses y vagabundo.
· A. Laks & G. Most (2016)[14] : It is this [scil. route] that I will now follow, an exile from the divine and a wanderer […].
· G. Pisani (2017)[15] : questa è ora anche la mia via, esule da dio e vagabondo.
Parmi cette vingtaine d’exemples, le verbe εἶμι est souvent traduit par un présent de l’indicatif. Les quelques auteurs qui traduisent par un futur ne s’expliquent pas quant à leur choix et n’engagent pas un débat sur le sens du présent ou du futur dans le contexte. Les choses ne sont pas rendues plus claires en consultant un grand dictionnaire, tel LSJ. LSJ écrit : « The ind. εἶμι usu. has pres. sense in Hom. (fut., Il. I 4 26, 18.280) ». Voilà une proposition qui pourrait être trompeuse. Développons.
Chez Homère et Hésiode, il existe pour le verbe ἰέναι un usage épique de la première personne du singulier de l’indicatif présent, usage qui est différent de celui de la troisième personne du singulier. Concrètement, chez Homère et Hésiode, εἶμι exprime toujours le futur, tandis que εἶσι exprime parfois le présent parfois le futur. Empédocle s’inscrit dans cet usage. S’il avait utilisé la première personne du singulier εἶμι, cela aurait donc été pour exprimer le futur.
Il existe 32 occurrences de εἶμι (εἶμ’) chez Homère, soit exprimant le futur soit le futur proche (la différence est parfois subtile ; dans les deux cas le regard est tourné vers le futur). En aucun cas, εἶμι (εἶμ’) n’exprime une action en train de se faire (le présent progressif), et encore moins une action déjà engagée dans le passé.
1. Il. 1.169 – Futur proche.
2. Il. 1.420 – Futur.
3. Il. 1.426 – Futur.
4. Il. 3.305 – Futur.
5. Il. 3.410 – Futur.
6. Il. 5.256 – Futur.
7. Il. 10.55 – Futur.
8. Il. 10.325 – Futur.
9. Il. 11.652 – Futur.
10. Il. 12.368 – Futur.
11. Il. 13.752 – idem 12.368 – Futur.
12. Il. 14.200 – Futur.
13. Il. 14.205 – Futur proche.
14. Il. 14.304 – Futur proche.
15. Il. 18.63 – Futur.
16. Il. 18.114 – Futur.
17. Il. 18.143 – Futur.
18. Il. 18.333 – Futur.
19. Il. 20.362 – Futur.
20. Il. 20.371 – Futur.
21. Il. 23.205 – Futur.
22. Il. 24.92 – Futur
23. Il. 24.224 – Futur
24. Od. 2.214 – Futur.
25. Od. 2.318 – Futur.
26. Od. 2.359 – voir. 2.214 – Futur.
27. Od. 3.361 – Futur.
28. Od. 3.367 – Futur.
29. Od. 10.273 – Futur
30. Od. 17.6 – Futur.
31. Od. 17.277 – Futur.
32. Od. 18.184 – Futur.
Ajoutons une occurrence dans un Hymne homérique
33. In Mercurium, 178. – Futur.
Il n’y a pas d’occurrence de εἶμι (εἶμ’) chez Hésiode. Concluons : à partir des 33 occurrences de
εἶμι (εἶμ’) provenant du corpus homérique, ce verbe, conjugué au présent et à cette personne, a un sens futur. Nous constaterons maintenant la différence avec l’usage de la troisième personne du singulier.
Il existe 25 occurrences de εἶσι (εἶσιν, εἶσ’) chez Homère, exprimant soit le présent soit le futur.
1. Il. 2.87 – Comparaison. Présent d’habitude.
2. Il. 3.61 – Comparaison. Présent.
3. Il. 7.98 – Futur.
4. Il. 7.209 – Comparaison. Présent d’habitude.
5. Il. 11.415 – Comparaison. Présent d’habitude.
6. Il. 13.796 – Comparaison. Présent d’habitude.
7. Il. 15.136 – Futur.
8. Il. 17.147 – Futur.
9. Il. 17.202 – Présent sans comparaison.
10. Il. 18.280 – Futur.
11. Il. 21.573 – cf. Il. 11.415 – Comparaison. Présent d’habitude.
12. Il. 22.27 – Comparaison. Présent d’habitude.
13. Il. 22.309 – Comparaison. Présent d’habitude.
14. Il. 22.317 – Comparaison. Présent d’habitude.
15. Il. 23.226 – Présent sans comparaison.
16. Il. 23.835 – Futur.
17. Il. 24.43 – Comparaison. Présent d’habitude.
18. Od. 2.89 – Futur.
19. Od. 4.401 – Présent.
20. Od. 6.102 – Comparaison. Présent d’habitude.
21. Od. 6.131 – Comparaison. Présent d’habitude.
22. Od. 10.191 – Présent.
23. Od. 11.149 – Futur (sans comparaison).
24. Od. 19.571 – Futur (sans comparaison).
25. Od. 23.362 – Futur (sans comparaison).
εἶσι (εἶσιν, εἶσ’) dans les Hymnes homériques :
26. Apollon, 182 – Présent.
27. Apollon, 187 – Présent.
28. Hermès, 549 – Futur (sans comparaison).
Et chez Hésiode :
29. Théog. 972 – Présent d’habitude.
30. Fr. 70.23 – Présent.
31. Fr. 204.132 – Présent d’habitude.
32. Fr. 204.142 – Présent.
33. Fr. 204.164 – Futur
34. Fr. 339.3 – Comparaison. Présent d’habitude.
Concluons à partir des 34 occurrences de εἶσι (εἶσιν, εἶσ’) provenant des corpus homérique et hésiodique que ce verbe, conjugué au présent et à cette troisième personne du singulier, a un sens futur (11) ou bien un sens présent (23) en fonction du contexte. Il serait inopportun de faire une synthèse du type : dans les 67 occurrences (33 + 34) du verbe ἰέναι au présent (1ère et 3e personne du singulier) du corpus homérique et hésiodique, on constate que dans 34 % des cas le sens exprime le présent ; un tel pourcentage assez significatif autorise le fait qu’Empédocle puisse avoir utilisé εἶμι au présent dans le fr. 115.13. Ce raisonnement, où la variable modératrice de la personne de conjugaison est noyée, doit être exclu. Mais il doit aussi l’être, même amalgamant les personnes de conjugaison, car il est difficilement imaginable qu’Empédocle ait pu prendre le risque d’un choix de lecture entre le présent et le futur. Il pouvait souhaiter s’exprimer de façon univoque.
Nous constatons maintenant en quoi la proposition de LSJ est trompeuse. Relisons (sans les abréviations) :
The indicative εἶμι usually has present sense in Homer (future, Il. I.426, 18.280).
LSJ utilise la première personne du singulier de façon conventionnelle et ordinaire pour indiquer le verbe ἰέναι. C’est ici une maladresse quand on se rend compte que chez Homère cette première personne n’a pas le sens d’un présent mais celui d’un futur. « Il. I.426 » est l’exemple d’un futur. Quant à Il. 18.280, c’est un exemple de la troisième personne du singulier. En outre, l’emploi de l’adverbe « usually » mériterait d’être réévalué.
Zuntz de son côté se fourvoie lorsqu’il écrit[16] :
The form preserved by Plutarch (anyhow the best witness) gives exactly what is wanted and can account for the emergence of the others: ‘This way I myself am now going.’ [Note de bas de page :] The sceptical question in D K ‘can εἶμι in epical language mean “I am on a way”?’ is not really shattering. Cf. e.g. Od. 6. 102, 131 ; 10. 191 ; Hes. Theog. 972 (Plutos) [...]; Op. 208.
Examinons les références convoquées par Zuntz :
1. Od. 6.102 – Troisième personne du singulier - Présent d’habitude.
2. Od. 6.131 – Troisième personne du singulier - Présent d’habitude.
3. Od. 10.191 – Troisième personne du singulier - Présent.
4. Théog. 972 – Troisième personne du singulier - Présent.
5. Op. 208 – Deuxième personne du singulier (εἶς) – Futur.
Zuntz n’a rien démontré concernant la première personne du singulier. Il a considéré que ce qui vaut pour la troisième personne du singulier vaudrait pour la première. Mais ce n’est précisément pas ce qu’il fallait déduire avec ce verbe particulier. Zuntz a raisonné en général alors qu’il fallait raisonner au cas par cas. Quant à Op. 208, le sens futur de εἶς disqualifie une seconde fois l’exemple.
Par curiosité, je voudrais aller au-delà du résultat acquis sur le corpus épique que connaissait Empédocle, et qui est à notre disposition. Eschyle, connu aussi d’Empédocle, est un auteur d’une génération bien plus proche de l’Agrigentin qu’Homère et Hésiode. Comment le grand auteur tragique a-t-il utilisé εἶμι et εἶσι ?
NOTES
[1] P. Kingsley, On the teaching of Empedocles, diss., Cambridge University 1979, p. 95.
[2] J. Barnes, The Presocratic philosophers, revised edition, Londres-New York : Routledge & Kegan Paul 1982, p. 498. Barnes adopte ici l’édition de Zuntz (voir p. 641 pour la note 46).
[3] J. Mansfeld, Die Vorsokratiker II, Stuttgart : Ph. Reclam Jun. 1986, p. 143.
[4] J. Barnes, Early Greek philosophy, Londres : Penguin Books 1987, p. 193. Deuxième édition en 2001, p. 113, avec la traduction du v. 13 : Such is the road I now follow, a exile from the gods and a wanderer.
[5] R. Ferwerda, Empedokles. Aarde, lucht, water en vuur. Vertaald en toegelicht door Rein Ferwerda, Amsterdam: Athenaeum – Polak & Van Gennep 1997, p. 38.
[6] A. Martin & O. Primavesi, L’Empédocle de Strasbourg : (P. Strasb. gr. Inv. 1665–1666). Introduction, édition et commentaire, with an English summary, Strasbourg-Berlin-New York : Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg - W. de Gruyter 1999, p. 62.
[7] O. Primavesi, « La daimonologia della fisica empedoclea », Aevum Antiquum, N.S. 1, 2001, p. 3-68, à la page 32. En dépit de la date de ce numéro spécial (2001), cet article a été publié en 2003.
[8] J. Bollack, Empédocle. Les purifications, Paris : Éditions du Seuil 2003, p. 61.
[9] Ibid., p. 69.
[10] P. Kingsley, Reality, Inverness (Ca.): The Golden Sufi Center 2003, p. 431. À la page 588, Kingsley écrit : « [examples] particularly relevant to the clearly authentic verb ienai as preserved by Plutarch », et l’auteur de citer Iliade, V, 204-205, XXIV, 295, 313. L’intention est de montrer que pisunos (fr. 115.14) est associé chez Homère à un verbe de mouvement, et donc que cela ne pas être chez Empédocle (fr. 115.13) avec un verbe d’état comme le verbe être. Kingsley néglige le fait que le verbe être dans le v. 13 serait la copule pour introduire des attributs du sujet qui disent le mouvement : φυγὰς et ἀλήτης. Oui certes ienai, verbe de mouvement, pourrait en théorie être utilisé dans le v. 13, mais sans ce verbe le mouvement existe bien avec φυγὰς et ἀλήτης.
[11] A. Laks, Le vide et la haine : éléments pour une histoire archaïque de la négativité, Paris: PUF 2004, p. 35.
[12] M. L. Gemelli Marciano, Die Vorsokratiker, II, Parmenides, Zenon, Empedokles: griechisch-lateinisch-deutsch - Auswahl der Fragmente und Zeugnisse, Übersetzung und Erläuterungen von M. L. G. M., Düsseldorf : Patmos, Artemis & Winkler 2009, p. 291.
[13] R. Caballero Sánchez, Plutarco. Consejos políticos sobre el exilio. Introducción, traducción y notas de Raúl Caballero Sánchez, Madrid : Alianza Editorial 2009, p. 275.
[14] A. Laks & G. Most, Early Greek philosophy, V, 2016, (Loeb), p. 369.
[15] G. Pisani (traducteur) dans E. Lelli & G. Pisani (ed.), Plutarco. Tutti Moralia, Prima traduzione italian completa, Florence-Milan : Bompiani 2017, p. 1153. Pisani traduit le texte grec établi par Hani (1980), sans toutefois respecter la ponctuation (Hani insère une virgule avant φύγας, Pisani la supprime).
[16] G. Zuntz, Persephone, p. 198.
Il existe quatre sources anciennes du fr. 115.13 DK : Plutarque, Hippolyte, Philopon, Asclépius. Au fil du temps, selon les éditions et les reprises d’édition par différents auteurs, le v. 13 est apparu avec des changements de mots ou de ponctuation. Les mots qui ne changent pas sont καὶ ἐγώ et φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης. Parfois, une virgule précède φυγάς. Voici une présentons dans un ordre chronologique les éditions et les reprises d’édition du v. 13.
Édition Aldine (1509)[1], à Venise, par Alde Manuce avec le concours de Demetrius Ducas :
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Édition Froben (1542)[2]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
H. Estienne (1572)[3]
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης,
H. Estienne (1573)[4] et notes de J. Scaliger[5] :
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμὶ φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
W. Xylander (1574)[6]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Héritiers d’A. Wechel, imprimeurs à Francfort (1599)[7]
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
C. G. Bachet de Méziriac (XVI-XVIIe s.)[8]
ὧν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμὶ φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
D. Höschel (1605)[9]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμὶ φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
J. Windet (1664)[10]
Δὴν καὶ ἔγω νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
J. L. Mosheim, traducteur et annotateur de Cudworth (1773)[11]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
J. Reiske (1777)[12]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
A. H. L. Heeren (1794)[13]
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
D. A. Wyttenbach (1797)[14].
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
J. G. Hutten (1798)[15].
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Fr. W. Sturz (1805)[16]
τῇ καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης.
D. Scinà (1813)[17]
Την και εγω νυν ειμι φυγας θεοθεν και αλητις
H. Ritter (1829)[18]
τῇ καὶ ἐγὼ νῦν εἰμί, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
H. Ritter & L. Preller (1838)[19]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμὶ φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
S. Karsten (1838)[20]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Th. Bergk (1839)[21]
Τὼς καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
F. Dübner (1841)[22]
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
F. Panzerbieter (1844)[23]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Fr. W. A. Mullach (1850)[24]
ὡς καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Fr. W. Schneidewin (1851)[25]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμί, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
H. Stein (1852)[26]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμὶ, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
A. H. Ritter & L. Preller (1857)[27]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
L. Duncker & Fr. W. Schneidewin (1859)[28]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Fr. W. A. Mullach (1860)[29]
ὡς καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
G. N. Bernardakis (1891)[30]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
G. Reichardt (1897)[31]
ὡς καὶ ἐγώ φησί δεῦρ’ εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
A. Fairbanks (1898)[32]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμὶ, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
H. Diels (1901)[33].
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
U. von Wilamowitz-Moellendorff (1929)[34]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
W. Sieveking (1929)[35]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
H. Diels& W. Kranz (1934 et 1951)[36].
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης,
Ph. de Lacy & B. Einarson (1959)[37]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
G. Zuntz (1971)[38]
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
N. Van der Ben (1975)[39]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
C. Gallavotti (1975)[40]
τῇ καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν, καὶ ἀλήτης
P. Kingsley (1979)[41]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
J. Hani (1980)[42]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
M. R. Wright (1981)[43]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
M. Schofield (1983)[44]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
J. Mansfeld (1986)[45]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
G. Messina (1991)[46]
τῳ καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν, καὶ ἀλήτης
Β. Inwood (1992)[47]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
R. Caballero et G. Viansino (1995)[48]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
R. Ferwerda (1997)[49]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
A. Martin & O. Primavesi (1999)[50]
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
O. Primavesi (2001)[51]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
A. Tonelli (2002)[52]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
J. Bollack (2003)[53]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
S. Trépanier (2004)[54]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
Apostolos Pierris (2005)[55]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
T. Vítek (2006)[56]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
E. N. Roussos (2007)[57]
Τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
M. L. Gemelli Marciano (2009)[58]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
D. W. Graham (2010)[59]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
F. Montevecchi (2010)[60]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
O. Primavesi (2011)[61]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
A. Laks & G. Most (2016)[62]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
X. Gheerbrant (2017)[63]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
M. Rashed (2018)[64]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
A. Bernabé (2019)[65]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
O. Primavesi (2021)[66]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
S. Šćepanović (2021)[67]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
L. Reboredo (2021)[68]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
C. Santaniello (2021)[69]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
E. Moscarelli (2022)[70]
τῇ καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν, καὶ ἀλήτης
D. Sider (2022)[71]
τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
M. A. Santamaría (2022)[72]
Τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
S. Tor (2022)[73]
τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης
NOTES
[1] Plutarchi Opuscula LXXXXII Index Moralium omnium et eorum quae in ipsis tractantur habetur hoc quaternione..., Venise : in aedibus Aldi et Andreae Asulani soceri 1509, p. 639. Pour mémoire, voici les cinq vers cités à la suite dans cette première édition imprimée :
ἔστι τι ἀνάγκης χρῆμα θεῶν ψήφισμα παλαιὸν, εὖτέ τις ἀμπλακίησι φόβῳ φίλα γυῖα μινδαίμονες οἵ τε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο. τρίς μιν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθε· τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης.
Curieusement, nous lisons μινδαίμονες en un seul mot, alors que par ailleurs les espaces entre les mots sont correctement respectés.
[2] Plutarchi Chaeronei. Moralia opuscula, multis mendarum milibus expurgata, Bâle : H. Froben et Nic. Episcopius 1542, p. 537. On lit : ἔστι τι ἀνάγκης χρῆμα θεῶν ψήφισμα παλαιὸν, εὖ τέ τις ἀμπλακίησι φόβῳ φίλα γυῖα μϊν δαίμονες οἵ τε μακραίωνες λελόγχασι βίοιο. τρίς μϊν μυρίας ὥρας ἀπὸ μακάρων ἀλάλησθε· τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης. Deux différences par rapport à l’Aldine : εὖ τέ vs εὖτέ et μϊν séparé de δαίμονες.
[3] H. Stephanus, Plutarchi chaeronensis quae extant opera, cum latina interpretatione. […] Variorum Plutarchi scriptorum tomus secundus, Genève : 1572, p. 1077.
[4] H. Estienne (Stephanus), Poesis philosophica, vel saltem reliquiae poesis philosophicae, Empedoclis, Parmenidis, Xenophanis ..., item Heracliti et Democriti loci quidam et eorum epistolae, Genève : 1573.
[5] Scaliger : Τῶν (Τὴν). Le Τὴν dérange. On ne sait pas à quoi il se réfère. Scaliger proposa de le corriger en Τῶν, en pensant sans doute trouver l’antécédent avec μακάρων. Scaliger a été suivi par Schneidewin, Stein, Diels, Kirk & Raven, Van der Ben (1975), Wright, Inwood, Rashed, Graham, Laks et Most.
[6] W. Xylander, Plutarchi chaeronensis, philosophorum & historicorum principis varia scripta, quae Moralia vulgo dicuntur […] a Guil. Xylandro, Bâle : E. Episcopium et Nicolai fr. haeredes 1574.
[7] Plutarchi Chaeronensis omnium, quae exstant, operum Tomus secundus, continens Moralia, Francfort : A. Wechel heredes 1599, p. 607. Grec provenant d’Estienne 1572.
[8] Note de Méziriac (Claude Gaspar Bachet de) en marge d’un exemplaire de l’édition Étienne (Stephanus), Plutarchi operum omnium edition Graeca, Genève 1572, conservé à la bibliothèque de Leyde.
[9] D. Höschel, Origenis, Contra Celsum, Libri VIII, Augsbourg : Ad insigne pinus 1605. Le vers vient dans une note à la p. 495 en rappel des vers du De exilio lus dans Estienne 1573.
[10] J. Windet, Στρωματεὺς ἐπιστολικός, De vita functorum statu […] Editio secunda, recognita: ac tertia parte auctior, Londres 1664², p. 107. Réimpression à Londres en 16773 (p. 107). Puis dans Th. Crenius, Fasciculus quartus. Opusculorum quae ad historiam ac philologiam sacram spectant, Rotterdam 1694, p. 85. En 1664, Windet traduisait ainsi le vers qu’il avait corrigé : Jampridem sed et ipse vagor divinitus exsul. Il est le premier à transformer εἰμι en εἶμι. La première édition sous le titre Στρωματεὺς ἐπιστολικός, De vitâ functorum statu, parue en 1663, ne comportait pas encore le v. 13.
[11] J. L. Mosheim (Johann Lorenz von Mosheim, 1693-†1755) a traduit de l’anglais en latin le grand livre de R. Cudworth, et ajouté des annotations, dans Radulphi Cudworthi Systema intellectuale huius universi […], I, Editio secunda ex autographo Moshemiano emendatior auctior, Leyde : S. & J. Luchtmans 1773² – une édition posthume. Dans le Tome 1, p. 41 du Cap. I, § 24, Mosheim rapporte en bas de page 41 les vers grecs censés d’Estienne (1972) et la traduction de Xylander (1970) provenant de l’édition de A. Wechel en 1599 (p. 607). Sur un point Mosheim s’écarte du grec : il n’écrit pas εἰμι (Estienne en 1572, Wechel 1599) mais εἶμι. Avant Karsten nous lisons ainsi le vers qui se retrouvera ensuite chez Karsten. On relèvera que Mosheim semble utiliser avec malice la traduction de Xylander : sic et ego nunc ipse vagor, divinitus exsul. Xylander voulant traduire τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι φυγὰς θεόθεν καὶ ἀλήτης (= l’Aldine) trouva astucieux de traduire τὴν par sic (ainsi, de même) et d’inverser l’errant vagor et l’exilé exsul. Cela pouvait convenir à Mosheim qui en écrivant εἶμι trouva utile la mise en avant de vagor. L’édition de 1773 est une publication posthume. La première édition de l’ouvrage de Mosheim sur Cudworth parut en 1733 (Iéna : Meyer 1733). L’annotation de Mosheim existe à la page 31, mais en 1733 Mosheim conservait le εἰμι d’Estienne. En 1845, J. Harrison publia la seconde édition de Mosheim (1773) en traduisant le latin en anglais (True intellectual system of the universe […] to which are added the notes and dissertations of Dr J. L. Mosheim, Vol. I, Londres : Th. Tegg 1845). À la p. 45 de cet ouvrage, on lit le v. 13 avec εἶμι, en accord avec l’édition de 1773.
[12] J. Reiske, Plutarchi volumen octavum, Operum moralium et philosophicorum. Partem tertiam tenens. Cum notis Gul. Xylandri, H. Stephani et Io. Iac. Reiskii, texto subiectis, Leipzig : G. T. Georgius 1777, p. 396.
[13] A. H. L. Heeren, Ioannis Stobaei Eclogarum physicarum et ethicarum. Libri duo. Partis primae tomus alter, Göttingen : Vandenhoek et Ruprecht 1794, p. 895.
[14] D. A. Wyttenbach, Plutarchi chaeronensis Moralia, III, Oxford : Clarendon 1797, p. 307.
[15] J. G. Hutten, Plutarchi Chaeronensis quae supersunt omnia. […] Plutarchi operum moralium et philosophicorum, pars quarta, Volumen decimum, Tübingen : J. G. Cotta 1798, p. 387.
[16] Fr. W. Sturz, Empedocles Agrigentinus. De vita et philosophia eius exposuit, carminum reliquias ex antiquis scriptoribus collegit, recensuit, illustravit, praefationem et indices adiecit M. Frider. Guil. Sturz, Leipzig : Göschen 1805, p. 513.
[17] D. Scinà, Memorie sulla vita e filosofia d’Empedocle Gergentino, tomo segondo, Palerme : Stamperia Reale 1813, p. 250.
[18] H. Ritter, Geschichte der Philosophie, alter Zeit. Erster Theil, Hambourg : Fr. Perthes 1829, p. 519.
[19] H. Ritter & L. Preller, Historia philosophiae Graeco-Romanae, ex fontium locis contexta, Hambourg : Fr. Perthes 1838, p. 122. À peu de choses près cette édition est celle de Stein 1852.
[20] S. Karsten, Empedoclis Agrigentini carminum reliquiae, de vita ejus et studiis disseruit, fragmenta explicuit, philosophiam illustravit, Amsterdam : J. Müller1838, p. 84.
[21] Th. Bergk, « Commentatio de Prooemio Empedoclis », in: Ankündigungschrift der am 28 September 1839 zu haltenden öffentlichen Prüfung sämmtlicher Classen des Königl. Joachimsthalschen Gymnasiums, Berlin : Gedruckt in der Druckerei der Königlichen Akademie der Wissenschaften 1839, p. 1-34, à la page 33.
[22] Fr. Dübner, Plutarchi scripta moralia, Vol. 1, Paris : A. F. Didot 1841, p. 734.
[23] Fr. Panzerbieter, « Beiträge zur Kritik und Erklärung des Empedokles», in: Einladungs-Programm des Gymnasium Bernhardinum in Meiningen, Meiningen 1844, p. 1-35.p. 2.
[24] F. W. A. Mullach, Disputatio de Empedoclis Proemio (Germaniae philologos Berolinum congressos Societatis Gymnasiorum Berolinensium sodales salvere iubent, interprete Frid. Guil. Augusto Mullachio), typis A. G. Schadii, Berolini 1850, p. 8.
[25] Fr. W. Schneidewin, « Neue verse des Empedokles », Philologus, 6, 1851, p. 163.
[26] H. Stein, Empedoclis Agrigentini Fragmenta. Disposuit recensuit adnotavit H.S., Bonn : Adolph Marcus 1852, p. 79.
[27] Seconde édition. Le vers est un peu modifié par rapport à l’édition de 1838.
[28] L. Duncker & Fr. W. Schneidewin, S. Hippolyti episcopi et martyris Refutationis omnium hareresium librorum decem quae supersunt, Göttingen : Sumptibus Deterichianis 1859, p. 388.
[29] Fr. W. A. Mullach, Fragmenta Philosophorum Graecorum, collegit recensuit vertit annotationibus et prolegomenis illustravit indicibus instruxit, Fr. Guil. Aug. Mullachius. Poeseos philosophicae caeterorumque ante Socratem philosophorum quae supersunt, Paris : A. F. Didot 1860, p. 1.
[30] G. N. Bernardakis, Plutarchi Chaeronensis. Moralia, recognovit G. N. B., Vol. III, Leipzig : B. G. Teubner 1891, p. 573. C’est le vers à l’identique de celui édité par Karsten.
[31] G. Reichardt (ed.), Ioannes Philoponus. De opificio mundi. Fascuculus I, Libri VII, Leipzig : Teubner 1897, p. 81.
[32] A. Fairbanks, The First Philosophers of Greece: An edition and translation of the remaining fragments of the pre-Sokratic philosophers, […], Londres : Kegan Paul, Trench and Trübner (également New York: Charles Scribner’s sons), 1898, p. 204. Fairbanks reproduit Stein.
[33] H. Diels, Poetarum philosophorum fragmenta, Berlin : Weidmann 1901, p. 153. Cette édition du v. 13 est exactement celle de Ritter & Preller 1857. Diels maintiendra son édition jusqu’en 1922, année de sa quatrième édition de Die Vorsokratiker, I.
[34] U. von Wilamowitz-Moellendorff, « Die Καθαρμοί des Empedokles » Sitzungsberichte der preussischen Akademie der Wissenschaften zu Berlin, 27, 1929, p. 626-661, à la p. 633.
[35] W. Sieveking dans Paton, W. R., M. Pohlenz, & W. Sieveking (ed.), Plutarchi Moralia, Vol. III, Leipzig: B. G. Teubner 1929, p. 531.
[36] H. Diels & W. Kranz, Die Fragmente der Vorsokratiker. Griechisch und Deutsch von Hermann Diels. Fünfte Auflage herausgegeben von Walther Kranz. Erster Band, Berlin : Weidmann 1934, p. 358. Kranz a conservé l’édition de Diels.
[37] Ph. H. de Lacy & B. Einarson, Plutarch’s Moralia, VII, 523 C – 612 B, Cambridge (Ma)-Londres : Harvard University Press / W. Heinemann 1959, p. 568. Ces deux éditeurs du De exilio suivent Bernardakis et Sieveking en reprenant la correction εἶμι, toutefois ils signalent que εἰμι est la leçon des manuscrits de Plutarque.
[38] G. Zuntz, Persephone: three essays on religion and thought in Magna Graecia, Oxford : Clarendon Press 1971, p. 245.
[39] N. van der Ben, The Proem of Empedocles’ Peri physios: towards a new edition of all the fragments, Amsterdam : B. R. Grüner 1975, p. 106, 116.
[40] C. Gallavotti, Empedocle: Poema fisico e lustrale, Milan: Arnoldo Mondadori 1975, p. 76.
[41] P. Kingsley, On the teaching of Empedocles, diss., Cambridge University 1979, p. 61, p. 95, p. 177.
[42] J. Hani, Plutarque. Œuvres morales, Tome VIII, Paris : Les Belles Lettres 1980, p. 169. Cet éditeur du De exilio reprend la correction εἶμι, toutefois il signale dans son apparat critique que εἰμι est la leçon des manuscrits de Plutarque.
[43] M. R. Wright, Empedocles: The extant fragments, New Haven-London: Yale University Press 1981, p. 138.
[44] M. Schofield, dans Kirk, Geoffrey, S., Raven, John, E. & Schofield, Malcolm, The Presocratic philosophers: a critical history with a selection of texts, second edition, Cambridge : Cambridge University Press 1983, p. 314.
[45] J. Mansfeld, Die Vorsokratiker II, Stuttgart : Ph. Reclam Jun. 1986, p. 142.
[46] G. Messina, « Il lessico di Empedocle, Testo critico dei frammenti, commento alle variae lectiones e indice delle concordanze », dans Index Empedocleus, ed. G. Imbraguglia, G. S. Badolati, R. Morchio, A. M. Battegazzore & G. Messina, Gênes : Erga edizioni 1991, p. 102.
[47] B. Inwood, The Poem of Empedocles. A text and translation with an introduction, Toronto-Buffalo-Londres: University of Toronto Press 1992, p. 208.
[48] R. Caballero et G. Viansino, Plutarco. L’esilio, Introduzione, testo critico, traduzione e commento a cura di R. C. e G. V., Naples : M. D’Auria 1995, p. 78. Cet éditeur du De exilio reprend la correction εἶμι, toutefois il signale dans son apparat critique que εἰμι est la leçon des manuscrits de Plutarque.
[49] R. Fewerda, Empedokles. Aarde, lucht, water en vuur. Vertaald en toegelicht door Rein Ferwerda, Amsterdam : Athenaeum – Polak & Van Gennep 1997, p. 37. Pour ce vers, l’auteur indique suivre J. Mansfeld.
[50] A. Martin & O. Primavesi, L’Empédocle de Strasbourg : (P. Strasb. gr. Inv. 1665–1666). Introduction, édition et commentaire, with an English summary, Strasbourg-Berlin-New York : Bibliothèque Nationale et Universitaire de Strasbourg - W. de Gruyter 1999, p. 62.
[51] O. Primavesi, « La daimonologia della fisica empedoclea », Aevum Antiquum, N.S. 1, 2001, p. 3-68, aux pages 30 et 32.
[52] A. Tonelli, Empedocle di Agrigento. Frammenti e testimonianze, Origini, Purificazioni, con i frammenti del Papiro di Strasburgo, Milan: Bompiani 2002, p. 92.
[53] J. Bollack, Empédocle. Les Purifications. Un projet de paix universelle, édité, traduit du grec et commenté par J. B., Paris : Éditions du Seuil 2003, p. 60.
[54] S. Trépanier, Empedocles. An interpretation, New York-London: Routledge 2004, p. 8.
[55] A. Pierris (ed.), The Empedoclean Κόσμος: S[t]ructure, process and the question of cyclicity. Proceedings of the Symposium Philosophiae Antiquae Tertium Myconense, July 6th - July 13th, 2003, Patras : Institute for Philosophical Research 2005, p. XXX.
[56] T. Vítek, Empedoklés: II. / Zlomky, Prague : Herrmann & synové 2006, p. 384.
[57] E. N. Roussos (Ροῦσσος, Ευάγγελος, N.), Προσωκρατικοί, τόμος Δ': Eμπεδοκλής, Αthens: Stigmi Editions 2007, p. 98.
[58] M. L. Gemelli Marciano, Die Vorsokratiker, II, Parmenides, Zenon, Empedokles, […], Düsseldorf : Patmos, Artemis & Winkler 2009, p. 290.
[59] D. W. Graham, The texts of early Greek philosophy: the complete fragments and selected testimonies of the major Presocratics, Part I, Cambridge : University Press 2010, p. 344.
[60] F. Montevecchi, Empedocle d’Agrigentino, Naples : Liguori 2010, p. 146.
[61] O. Primavesi, « 7. Kapitel: Empedokles », dans Die Vorsokratiker: Griechisch / Deutsch, ausgewählt, übersetzt und erläutert von J. Mansfeld und O. Primavesi, Stuttgart : Philipp Reclam jun. 2011, p. 392-563, à la page 420.
[62] A. Laks & G. Most, Early Greek philosophy, V, Western Greek Thinkers, Part 2, edited and translated by A. Laks and G. W. Most, in collaboration with G. Journée and assisted by L. Iribarren, Cambridge (Ma.)-Londres : Harvard University Press 2016, p. 368.
[63] X. Gheerbrant, Empédocle, une poétique philosophique, Paris : Classiques Garnier 2017, p. 797.
[64] M. Rashed, La Jeune fille et la Sphère. Études sur Empédocle, Paris : Presses de l’Université Paris-Sorbonne 2018, p. 114.
[65] A. Bernabé, Fragmentos presocráticos. Edición bilingüe de los textos, selección de testimonios, introducciones y notas de A. B. Madrid : Abada Editores 2019, p. 365.
[66] O. Primavesi, « 7. Kapitel: Empedokles », dans Die Vorsokratiker: Griechisch / Deutsch, ausgewählt, übersetzt und erläutert von J. Mansfeld und O. Primavesi, Stuttgart : Philipp Reclam jun. 2021, p. 392-563, à la page 420.
[67] S. Šćepanović, Empedokle, O ustrojstvu sveta i ljudskoj sudbini. Fragmente s grčkog prevela: Marjanca Pakiž, Novi Sad (Serbia): Akademska Knjiga 2021, p. 154.
[68] L. Reboredo, « Trois fragments d’Empédocle (B 30, B 110, B 115) : texte grec et traduction », Anais de Filosofia Clássica, 29, 2021, p. 174-178, à la page 177.
[69] C. Santaniello, « Are Empedoclean daimons really made of anything? The nature of the Daimon and fragment 115 », in : Penser les dieux avec les Présocratiques, éd. R. Saetta Cottone, Paris : Éditions Rue d’Ulm 2021, p. 143-159, à la page 144.
[70] E. Moscarelli, Senofane ed Empedocle. Testimonianze e frammenti. Un confronto tra l’antica e l’attuale cosmologia. Saggi introduttivi e testo greco delle opere con traduzione a fronte, Pistoia : Petite Plaisance 2022, p. 246. Moscarelli reproduit ici Gallavotti.
[71] D. Sider, « Ordovico or Viricordo: Empedocles and the seim anew », in: Song regained: working with Greek poetic fragments, ed. M. Alexandrou, C. Carey & G. B. D’Alessio, Berlin-Boston : De Gruyter 2022, p. 55-76, à la page 71. Sider suppose que le v. 13 a été répété avec une variation dans des endroits différents du poème. Un vers selon le témoignage de Plutarque, l’autre selon le témoignage d’Hippolyte. Pour le vers avec τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἶμι, Sider précise (p. 69-70) : « ἀλάληϲθαι provides the context for τήν to be understood as τὴν ὁδόν, the road along which Empedocles travels (εἶμι). An omitted line might have made this even clearer, but is not necessary. »
[72] M. A. Santamaría, « Divine crime and punishment: breaking the cosmic law in Hesiod’s Theogony 783-806 and Empedocles’ fragment DK B115 », in: Hesiod and the beginnings of Greek philosophy, ed. L. Iribarren & H. Koning, Leiden-Boston: Brill 2022, p. 294-312, à la p. 298.
[73] S. Tor, « Empedocles the wandering daimōn and trusting in mad Strife », Phronesis, 2022, 28 Nov. online p. 1-30, Phronesis, 68, 1, 2023, p. 1-30, à la page 3.
L’évidence daimones = âmes, censée pour certains être en arrière-plan des vers d’Empédocle cités dans le De exilio[1], ne serait pas à ce point forte pour Plutarque que ce dernier puisse la passer sous silence. Pour le montrer il suffit de mentionner quelques exemples
(1) où daimôn se différencie de l’âme dans les œuvres de Plutarque ;
(2) de lectures du De exilio venant en contradiction avec ladite évidence.
Commençons par quelques points de repères dans les œuvres de Plutarque.
• « Le déclin des oracles », 415 B. Les meilleures âmes peuvent se transformer en passant d’hommes en héros, et de héros en démons. Dans ce passage ni les hommes ni les héros sont des âmes. De fait, les démons ne seraient pas plus des âmes. On comprend que hommes, héros et démons hébergent des âmes. D’ailleurs en 416 C il est mentionné « une âme de démon ou de héros » (δαίμονος ψυχὴ καὶ ἥρωος)[2].
• « Le déclin des oracles », 431 B-C, E. Référence aux daimones ou 30 000 Immortels des Travaux et les Jours (v. 121-126 et 249-255). Ammonios suggère que ces daimones hésiodiques seraient des âmes. Admettons qu’il en soit ainsi ; il n’en découle pas que l’âme qui est amenée à transmigrer soit un daimôn. Sous le genre âme, il existerait différentes espèces, dont une des espèces serait le daimôn-Immortel hésiodique, une autre l’âme susceptible de transmigrer dont parle Plutarque (607 D5, D7).
• « Le démon de Socrate », 585 F - 586 A. L’âme de Lysis est unie par le sort à un démon (δαίμονι). L’âme et le démon sont donc deux choses différentes. Peu nombreux sont les hommes guidés par des démons (δαίμονες).
• « Le démon de Socrate », 591 E. La partie de l’être immergée dans le corps, qui l’entraîne, s’appelle âme [ψυχή] ; la partie inaccessible à la corruption s’appelle esprit [νοῦς] […] les gens qui pensent juste sentent qu’il est extérieur à l’homme et l’appellent démon[3]. Ainsi, retenons que l’âme n’est pas l’esprit, autrement dit que l’âme interne au corps n’est pas le démon externe au corps. En 591 F, Plutarque écrit (poursuivant le récit de Timarque) : « les étoiles qui se meuvent dans les régions supérieures sont les démons des hommes dont on dit qu’ils possèdent un esprit. Tâche de bien voir en chacun d’eux le lien qui l’unit à l’âme. »
• « Le démon de Socrate », 594 A. L’inspiration est directement platonicienne (Phédon, République). Un démon personnel prend soin d’une âme. Ce qui ne les confond pas.
• « Sur le visage qui est dans la lune », 943 C-E. Quand les âmes se séparent du corps elles deviennent démons, et errent entre la Terre et la Lune. On ne tire pas de là que toutes les âmes sont des démons.
• « Sur le visage qui est dans la lune », 944 C-D. Sur la lune, dans l’antre d’Hécate, les âmes devenues des démons sont punies en raison de certains actes accomplis. Pour expier des fautes ensuite accomplies en tant que démons, ces démons poussés sur la Terre se retrouvent dans des corps d’homme. Cette expiation fait penser à l’exil des 30 000 saisons chez Empédocle (voir De Iside 361 C).
Parlons maintenant des auteurs dont la lecture des vers d’Empédocle dans le De exilio ne les conduit pas à conclure que les daimones correspondent à l’âme mentionnée dans le commentaire de Plutarque (607 D5, D7).
Mentionnons déjà J. Amyot (1572). Amyot[4], p. 129 G :
Il y a loy de necessité stable,
Decret des dieux ancien immuable,
Depuis qu’un homme a maculé ses mains
Du sang à tort espandu des humains,
Que les dœmons de très-fort longue vie,
Le vont chassans hors de la compaignie
Des bien-heureux pour un temps infiny,
Par ceste loy je suis ores banny,
D’avec les dieux, errant parmy le monde : […].
Pour Amyot il n’y a aucune évidence à ce que les daimones soient les âmes en exil, puisqu’il fait des daimones des êtres qui chassent le meurtrier hors de la compagnie des Bienheureux. Pour lui, c’est le meurtrier qui est en exil et non pas les daimones. Par ailleurs, le τις n’est pas un dieu, c’est un homme. Je suis de cet avis en élargissant toutefois l’étendue du τις, qui serait un être mortel éphémère. La traduction d’Amyot ne manque pas d’étonner[5]. Mais Amyot est un lecteur averti de Plutarque.
En 1603, Ph. Holland traduit ainsi les vers d’Empédocle dans le De exilio[6] :
An ancient law there stands in force,
Decreed by gods above,
Grounded upon necessity,
And never to remove:
That after man hath stain’d his hands
In bloodshed horrible,
And in remorse of sin is vext
With horror terrible,
The long-liv’d angels which attend
In heaven, shall chase him quite,
For many thousand years from view
Of every blessed wight:
By virtue of this law, am I
From gods exiled now,
And wander here and there throughout
The world I know not how.
Cette traduction est proche de celle d’Amyot, notamment pour le rôle joué par les daimones (ici : The long-liv’d angels). Il en est de même avec J. Patrick en 1690[7].
This old Decree of Fate unchanged stands,
Whoso with horrid Crimes defiles his hands,
To long-liv’d Dæmons this Commission’s given
To chase him many Ages out of Heaven.;
Into this sad condition I am hurl’d,
Banish’d from God to wander through the world.
Citons une autre traduction, celle D. Ricard à la fin du XVIIIe s.[8] :
Sachez l’ordre des dieux et des lois du Destin :
Quiconque dans le sang ose tremper sa main
Doit en être puni, fût-ce même un génie ;
Par les autres démons banni de sa patrie,
Loin du séjour des cieux il est contraint d’errer,
Et dans un long exil voit ses jours s’écouler.
Ainsi chassé du ciel, exilé sur la terre,
Je suis moi-même errant dans ce lieu de misère.
Selon Ricard le vers des daimones concerne les Bienheureux, dans le séjour des cieux qui est leur patrie. Un des daimones ayant trempé sa main dans le sang est alors puni et chassé des cieux par les autres démons. Cette traduction « Par les autres démons » n’est pas éloignée de celle d’Amyot. Il n’y est pas question d’âme. On ne voit pas comment une âme – si daimôn = âme – pourrait tremper sa main. Ricard fait du mot « génie » un équivalent de démon.
L’idée persiste selon laquelle les daimones prennent en charge le tis pour lui imposer sa punition. Ainsi, en 1888, A. R. Shilleto traduit :
And Empedocles commences his system of philosophy as follows, "It is an ordinance of necessity, an ancient decree of the gods, when anyone stains his hands with crime and murder, the long-lived demons get hold of him, so that he wanders away from the gods for thirty thousand years. Such is my condition now, that of an exile and wanderer from the gods."
La conclusion est simple : quelques exemples de lecteurs avertis du De exilio montrent que, pour eux, il ne serait pas évident que, dans les vers cités d’Empédocle, on doive comprendre daimones = âmes.
[1] Dans le Timée; 90 A-B, Platon dit à la fois que l’âme de l’homme est comme un daimôn (ὡς ἄρα αὐτὸ δαίμονα θεὸς ἑκάστῳ δέδωκεν), et que l’homme est comme une plante céleste. Dans le De exilio, 600 F, Plutarque rappelle les paroles de Platon sur la plante céleste, puis à la fin du De exilio, dans le prolongement du passage que nous étudions, il compare l’homme à une plante. De proche en proche, on pourrait imaginer que dans sa lecture d’Empédocle Plutarque pense que l’âme est un daimôn. Mais une comparaison (l’âme est comme un daimôn) n’est pas la même chose qu’une identité (l’âme est un daimôn). Il serait étonnant que Plutarque fasse cette confusion. Dans le Phédon (107 D – 108 B), Platon distingue l’âme du daimôn qui la guide. En admettant qu’il en serait également ainsi chez Empédocle, on ne voit pas pourquoi Plutarque penserait l’âme comme étant un daimôn dans le De exilio.
[2] Dans le Livre VIII de ses Vies, consacré à Pythagore, Diogène Laërce dit (section 32) : « L’air en sa totalité est rempli d’âmes, et les âmes sont appelées “démons” et “héros”. » En comparaison, l’expression de Plutarque est plus nuancée. Il est évident que les héros ne sont pas exclusivement des âmes ; de là on peut déduire que, de la même façon, les démons ne seraient pas exclusivement des âmes.
[3] J’ai repris cette longue phrase lue dans la traduction que J. Hani avait faite pour « Le démon de Socrate » dans la Collection Budé.
[4] Les Œuvres morales & meslees de Plutarque, translatees du Grec en François pas Messire Jacques Amyot, Paris : Michel de Vascosan 1572. Le titre du traité (n° XXII) est Du bannissement, ou de l’exil. La nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée, par E. Clavier, II, Paris : Imprimerie de Cussac 1802, p. 334, n’apporte que des modifications infimes. En revanche, une note de bas de page signale des observations que nous reproduirons dans la note suivante. Avant Amyot, W. Xylander avait traduit le De exilio en 1570 (Plutarchi Chaeronaei gravissimi & philosophi & historici ethica sive moralia, 1570, p. 555). Sa traduction, souvent reprise ultérieurement, est :
Fata iubent, stant haec decreta antiqua deorum,
Si quid peccando longaevi daemones errant:
Quisque luit poenas, coeloque extorris ab alto
Triginta horarum per terras millia oberrat:
Sic et ego nunc ipse vagor, divinitus exsul.
Xylander a librement utilisé le vers des daimones ; ce sont eux qui fautent et sont exilés. L’identification avec des âmes n’est pas impossible, mais elle n’est pas évidente. Voici une traduction des vers où les daimones sont impliqués :
Si les daimones à la longue vie errent en commettant quelque faute :
chacun subit la peine, exilé du ciel,
il erre pendant trente mille saisons sur la terre.
[5] Dans ses observations à la traduction d’Amyot (p. 456-457), Clavier en 1802 (réf. dans la note précédente) pense que dans ces vers il est question « du système de la métempsycose ». Clavier livre ensuite sa traduction (p. 457):
« C’est une loi des destins, un ancien décret des
« dieux, que lorsque quelqu’un s’est souillé par un
« meurtre, si c’est un de ces génies qui sont destinés
« à une très-longue vie, il est obligé d’errer trente
« mille saisons loin du séjour des bienheureux, et je
« suis du nombre de ces malheureux errans et exilés
« par les dieux «.
La traduction de Clavier est remarquable. Elle diffère singulièrement de celle d’Amyot. La formule « si c’est un de ces génies » anticipe la traduction de Diels imaginant un génitif. Clavier lit μιν comme un singulier : « il est obligé d’errer trente mille saisons ». Il ne lit pas τὴν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, la leçon des manuscrits de Plutarque selon l’édition d’Estienne, p. 25, il lit τῶν καὶ ἐγὼ νῦν εἰμι, en suivant la correction de J. Scaliger, là aussi anticipant l’édition de Stein et Diels après la découverte du manuscrit d’Hippolyte (1842, édition de E. Miller en 1851). (Notons que l’édition des vers d’Empédocle dans le De exilio par D. Wyttenbach en 1797 (p. 446-447) conservait la leçon τὴν en accord avec les manuscrits.) Clavier comprend θεόθεν de façon causale, et non pas spatiale : « errans et exilés par les dieux ». Clavier ne parle pas d’âme dans son commentaire aux vers, alors qu’il parle de métempsychose. On peut supposer qu’il comprend les génies comme des âmes, et que, pour lui, le sujet qui erre 30 000 saisons est un génie, donc une âme. – Dans sa traduction du De exilio, V. Bétolaud (Œuvres complètes de Plutarque. Œuvres morales, tome III, Paris : Hachette 1870, p. 145) ne conçoit pas nécessairement que les démons unis aux corps humains soient des âmes.
[6] Plutarch’s Moralia. Twenty essays translated by Philemon Holland, London-New York 1911, p. 409.
[7] Plutarch’s Morals. Translated from the Greek by several hands. Volume III, London 1690, p. 47. Le livre a été ré-édité à Boston en 1870, avec en sous-titre Corrected and revised by W. W. Goodwin. La réédition du texte cité se trouve à la p. 34 ; elle ne comporte que de légères modifications typographiques.
[8] Ricard est mort en 1803. Son œuvre a été ensuite réimprimée. Je cite d’après Œuvres morales de Plutarque, traduites du grec par Ricard, Tome 3, Paris : Lefèvre / Charpentier 1844, p. 152.
Deux raisons de croire que le τις est un δαίμων
(1) Considérons dans le De exilio de Plutarque, les deux vers suivants :
εὖτέ τις ἀμπλακίηισι φόβωι φίλα γυῖα μιήνηι, fr. 115.3
δαίμονες οἵτε μακραίωνος λελάχασι βίοιο, fr. 115.5
L'enchaînement invite à prendre le vers des δαίμονες en apposition au τις. Qu'un pluriel soit en apposition à un singulier (ou l'inverse) est possible si l'on tient compte des exemples suivants :
Euripide, Oreste, 919-920, αὐτουργός, οἵπερ καὶ μόνοι σώιζουσι γῆν
Euripide, Phéniciennes, 785-786, παῖδες, σωτὴρ πόλεως
Apollonios de Rhodes, Argonautiques, II, ἡγέτης, οἵ τε ἄριστοι ἄνδρες
Apollonios de Rhodes, Argonautiques, III, ἥρωες, σωτὴρ πόλεως
Cependant, des auteurs plus anciens tels que Homère, Hésiode, Eschyle, Sophocle respectent la concordance de nombre. La question est alors de savoir si Empédocle pouvait précéder Euripide (l'Oreste a été joué en 408 av. J.-C. ; Empédocle était déjà mort depuis une vingtaine d'années) dans la rupture de concordance de nombre.
La suite des deux vers n'est pas garantie. Diels et d'autres insèrent entre les deux un vers incomplet provenant d'Hippolyte : ὅς κ(ε) ἐπίορκον ἁμαρτήσας ἐπομόσσηι. On peut croire que le ὅς est en fait le τις, ce qui revient alors à la situation où les daimones sont, par l'intermédiaire du ὅς, en apposition au τις. Mais on peut ne pas croire cela. Et croire que le ὅς n'est pas le τις. La suite des vers écrits par Plutarque serait ce que M. Rashed a édité :
εὖτέ τις ἀμπλακίηισι φόνωι φίλα γυῖα μιήνηι, v.3
<θνητῶν>· ὅς κ’ ἐπίορκον ἁμαρτήσας ἐπομόσσηι, v. 4
δαίμονες οἵτε μακραίωνος λελάχασι βίοιο, v.5
Dans cette configuration, le ὅς devient des daimones (si l'on s'accorde sur la rupture possible de nombre), mais le τις ne l'est pas. Dans le De exilio, la fin du vers 3 n'est pas conservée correctement (μιήνηι est une bonne correction). L'incident de transmission concernerait aussi la disparition du v. 4. Hippolyte aurait conservé la bonne suite de vers : 4, 5, 6 (le vers 6 chez Hippolyte est toutefois à corriger sur le modèle de ce vers chez Plutarque). La lecture des vers initialement cités dans le De exilio est difficile. Il faut tenir compte de l'interprétation de Plutarque qui lit des singuliers comme étant des pluriels pour justifier "nous tous, les hommes". Voir aussi le passage brutal du singulier au pluriel dans le De vitando quand Plutarque passe du cheval aux daimones.
(2) Le De Iside de Plutarque :
Empédocle dit aussi que les démons paient leurs fautes et leurs manquements
« Car la puissance de l’éther les chasse vers la mer,
La mer les vomit sur le seuil de la terre, la terre les renvoie vers les rais
Du soleil infatigable, qui les précipite dans les tourbillons de l’éther :
Tous se les renvoient, et ils ne trouvent partout que haine »,
Avant d’être ballotés entre les divers éléments, les coupables, qui seront punis, étaient déjà des daimones. On pense alors au fr. 115.3 avec le τις qui souille ses membres de sang, qui fait figure de coupable. Puisque le τις a commis des fautes et des manquements, il est un daimôn. Cependant, là encore, la conclusion n'est pas inévitable. Le renvoi n'est pas nécessairement au τις. Il peut être à l'ὅς.
Il faut envisager que la transmission des vers cités par Plutarque a connu un incident qui a fait perdre le vers du parjure (v. 4, conservé en grande partie par Hippolyte). Le vers des daimones avant le vers des 30 000 saisons serait avéré. Ce vers pourrait être répété avec ou sans variation, plus loin dans le poème, pour introduire un référent au σφε du v. 9.
Plutarque nous montre plusieurs de ses façons de parler des daimones dans le De Iside et le De vitando.
Accordons-nous déjà sur un emploi des mots.
a = une entité transmigrante
b = un corps mortel qui peut recevoir une entité transmigrante
a est différent de b
c = une entité transmigrante plus le corps mortel qui l'héberge
c = a + b
d = un corps mortel sans entité transmigrante
Voici ce que dit Plutarque dans le De Iside (traduction Ch. Froidefond, Belles Lettres 1988) en 361 C3-D1 :
Ἐμπεδοκλῆς δὲ καὶ δίκας φησὶ διδόναι τοὺς δαίμονας ὧν <ἂν> ἐξαμάρτωσι καὶ πλημμελήσωσιν
’αἰθέριον <μὲν> γάρ σφε μένος πόντονδε διώκει,
πόντος δ' ἐς χθονὸς οὖδας ἀπέπτυσε, γαῖα δ' ἐς αὐγὰς
ἠελίου ἀκάμαντος, ὁ δ' αἰθέρος ἔμβαλε δίναις·
ἄλλος δ' ἐξ ἄλλου δέχεται, στυγέουσι δὲ πάντες’,
ἄχρι οὗ κολασθέντες οὕτω καὶ καθαρθέντες αὖθις τὴν κατὰ φύσιν χώραν καὶ τάξιν ἀπολάβωσι.
Empédocle dit aussi que les démons paient leurs fautes et leurs manquements
« Car la puissance de l’éther les chasse vers la mer,
La mer les vomit sur le seuil de la terre, la terre les renvoie vers les rais
Du soleil infatigable, qui les précipite dans les tourbillons de l’éther :
Tous se les renvoient, et ils ne trouvent partout que haine »,
cela jusqu’au moment où, ainsi châtiés et purifiés, ils retrouvent leur place et leur rang naturels
La lecture aurait le mérite d'être simple. Au début il y a les démons, ceux-ci sont repris par le pronom "les" dans la citation, et à la fin, hors de la citation, dans le pronom "ils". Le pluriel domine. Tout s'enchaîne logiquement.
Dans "les démons paient leurs fautes et leurs manquements", on comprend que les démons = c, car les fautes seraient un crime de sang et un parjure, des actes qui se font avec un corps mortel (= b).
Dans "La mer les vomit sur le seuil de la terre, la terre les renvoie vers les rais du soleil infatigable" on comprend que les démons (= les) = a.
Dans "ainsi châtiés et purifiés, ils retrouvent leur place", on comprend que les démons (= ils) = d.
Voici maintenant ce que dit Plutarque dans le De vitando aere alieno (traduction M. Cuvigny, Belles Lettres 1981) en 830 E - 831 A :
ὁ δ' ἅπαξ ἐνειληθεὶς μένει χρεώστης διὰ παντός, ἄλλον ἐξ ἄλλου μεταλαμβάνων ἀναβάτην, ὥσπερ ἵππος ἐγχαλινωθείς· ἀποφυγὴ δ' οὐκ ἔστιν ἐπὶ τὰς νομὰς
ἐκείνας καὶ τοὺς λειμῶνας, ἀλλὰ πλάζονται καθάπερ οἱ θεήλατοι καὶ οὐρανοπετεῖς ἐκεῖνοι τοῦ Ἐμπεδοκλέους δαίμονες·
αἰθέριον μὲν γάρ σφε μένος πόντονδε διώκει,
πόντος δ' ἐς χθονὸς οὖδας ἀπέπτυσε· γαῖα δ' ἐς
αὐγὰς
ἠελίου ἀκάμαντος· ὁ δ' αἰθέρος ἔμβαλε δίναις·
“ἄλλος δ' ἐξ ἄλλου δέχεται” τοκιστὴς ἢ πραγματευτὴς Κορίνθιος, εἶτα Πατρεύς, εἶτ' Ἀθηναῖος, ἄχρι ἂν ὑπὸ πάντων περικρουόμενος εἰς τόκους διαλυθῇ καὶ κατακερματισθῇ.
Mais une fois qu'on s'est laissé prendre, on est débiteur pour la vie et l'on sert de monture à l'un, puis à l'autre, comme un cheval une fois qu'il a reçu le mors. Plus d'évasion possible vers les beaux pâturages et les belles prairies ; on erre comme ces démons d'Empédocle précipités du ciel d'où les chasse la divinité :
En effet la puissance de l'éther les lance dans la mer ;
la mer les recrache sur le seuil de la terre ; la terre dans
les rayons du soleil inlassable, qui les rejette dans les
tourbillons de l'éther. Ils passent de l'un à l'autre,
d'un usurier ou d'un intendant de Corinthe, à ceux de Patras, puis d'Athènes, jusqu'au jour où, sous les coups qui pleuvent de partout, ils se disloquent et s'éparpillent en menus morceaux.
Cette fois-ci la lecture est loin d'être simple. Il y a un seul cheval pour désigner l'emprunteur. Mais dans l'introduction du texte grec cité, Plutarque annonce les daimones comme référent du pronom "les" (σφε) qui devrait correspondre au seul cheval.
Les créanciers attachés à chaque ville devraient correspondre aux corps mortels terrestres attachés à chaque milieu de vie. Ils sont les cavaliers. Le cheval se meut par lui-même tout comme les daimones devraient se mouvoir par eux-mêmes. Mais le cheval change de lieu sous la pression (harcèlement) des cavaliers-créanciers. Il est contraint, tout comme les daimones sont contraints par l'action des milieux élémentaires qui les rejettent.
La complication vient du passage du singulier au pluriel pour revenir au singulier. Plutarque n'a rien fait pour éviter cette complexité (mais le traducteur Cuvigny a cherché à l'esquiver par une traduction peu stricte). On pourrait croire que le cheval jeune, sans le mors, est un Bienheureux. Mais est-il encore un Bienheureux quand il quitte une ville pour une autre, et alors devient pluriel (= les daimones) ?
Heeren 1794, p. 895) change le pluriel δαίμονες en un singulier δαίμων pour éviter le passage brusque du singulier τις au pluriel δαίμονες. Mais il conserve un pluriel qu'il met entre parenthèses : ().
Lejeune, M., Les adverbes grecs en-θεν, 1939. Pour θεόθεν : p. 158 :
Au reste, Διόθεν « par la volonté de Zeus » et θεόθεν « par la volonté des dieux » peuvent même se trouver associés à des noms (— noms verbaux, il est vrai —) comme dans ce passage d’Empédocle : φυγάς θεόθεν και αλήτης (B 115.13 Diels).
Le sens de θεόθεν est celui d'un complément d'agent. Le suffixe θεν dit le point de départ. Dans θεόθεν ce n'est pas le lieu de départ qu'il faut comprendre, mais le départ de l'action. L'action est menée par un dieu ou des dieux. Dans le fr. 115, l'intérêt se porte sur l'application d'un décret. L'exil et l'errance sont voulus par des dieux qui ont décrété (fr. 115.1) ce qu'il advient d'une transgression. Le destin d'Empédocle, à travers des vies multiples, ne se fait pas au hasard, de façon aveugle, sans enchaînement logique, sans projet, sans plan. Le destin est organisé par des dieux. C'est cela qui est signifié par θεόθεν.
Ils ont traduit θεόθεν correctement (= de façon causale).
Xylander 1570 : Sic et ego nunc ipse vagor, divinitus exsul.
Clavier 1802 : je suis du nombre de ces malheureux errans et exilés par les dieux
Festugière 1967 : bannis par le vouloir de la Divinité
Van der Ben 1975 : an exile by the will of the gods and a wanderer
Ciampa 2021 : Empedocles would see himself as “exiled and fugitive because of the divine law”
Reboredo 2022 : Et moi-même, je suis maintenant l’un d’eux, errant, banni par imposition divine
Voici la première fois qu'apparaît la correction δαίμῶν vs δαίμονες (la leçon des manuscrits). On notera ensuite les virgules d'incise pour la proposition relative (au pluriel) et même les parenthèses. Cette typographie se retrouvera chez Sturz. Stein supprimera les parenthèses, et conservera les virgules.
A. H. L. Heeren, Ioannis Stobaei Eclogarum physicarum et ethicarum. Libri duo. Partis primae tomus alter, Göttingen : Vandenhoek et Ruprecht 1794, p. 895, note y.
Origène. Contra Celsus. Parisinus supplément gr. 616. – Ce manuscrit a été copié à partir du Codex Vaticanus graecus 386 (= A) dont les autres mss. du Contra Celsus dérivent.
330 verso, Empédocle l. 22-23.
μὲν, ἀλαλῆσθαι, γινομένην
Parisinus Supplément grec 464
96 v°
Hippolyte, fr. 115.4-6
n - Naples, Neapolitanus gr. 350 III E 28.
176 recto
β - Vaticanus gr. 1013
231 v°
v - Vindononensis gr. 46,
p. 27 (partie gauche, bas de page)
v - Vindononensis gr. 46,
p. 27 (partie droite, haut de page)