En attente de préservation de longue durée.
"Par mes études sur l'art préroman et le début de l'art roman et parce que, lorsque je suis devenu assistant de Louis Grodecki
à la Sorbonne, le seul monument méridional du premier art roman (ou presque) qui comptait pour lui, comme pour Henri Focillon,
son maître, était le linteau de Saint-Genis. C'est un monument majeur de l'art médiéval, connu universellement, et votre initiative
deviendra un jalon dans nos études."
Ainsi s'exprime Xavier Barral i Altet, Professeur en Histoire de l'Art Médiéval, Université de Rennes 2 et Université Ca Foscari de Venise,
dans sa lettre d'acceptation pour présider le futur colloque de Saint-Genis à l'occasion du millénaire.
Le 24 octobre 2019, le linteau, mondialement connu de Saint-Genis-des-Fontaines (c'est rappelons-le, la sculpture romane
la plus anciennement datée), qui fait la réputation du village, sans oublier le cloître, va entrer dans l'année du millénaire de
sa création.
Il a traversé les siècles sans trop de dommages : des photographies en témoignent. La plus ancienne "datée" de 1893 et une autre de 1922
nous montrent les marbres de la façade recouverts de l'enduit protecteur. Des indices semblent montrer que celui-ci ne remonterait pas plus
loin que le XVIIIéme siècle. Il faudra confirmation.
Depuis le milieu de la dernière décade du XXéme siècle, des altérations sont constatées sur le linteau et on entrainé
les premières études de diagnostic. C'est la disparition de certaines parties sacrificielles qui donne l'alerte.
L'origine en est déterminée : le ruissellement de l'eau sur la façade ainsi qu'un problème d'acidification lié à une altération biologique,
champignons et moisissures. Ce phénomène va prendre une beaucoup plus grande ampleur après le dernier moulage de 2001
qui va avoir des conséquences catastrophiques.
Une première intervention et un premier traitement après études effectuées par le LRMH (Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques)
seront réalisés en 2007-2008 après prélèvements pour en étudier l'impact.
Le résultat montre l'arrêt de l'activité biologique donc le traitement fongicide semble efficace
Une deuxième campagne en 2018 avec d'autres prélèvements montre qu'il n'y a pas de nouveaux développements d'activités biologiques.
Ce qui est bon signe.
Cependant ces traitements n'ont qu'une durée limitée dans le temps, le ruissellement de l'eau est toujours là et les autres éléments du portail,
particulièrement les pierres tombales attribuées à l'atelier de Raymond de Bia, sont en très mauvais état.
Il convient donc de réfléchir aux moyens de restaurer et de préserver tous ces éléments car lorsque les dégradations ont commencé
leur vitesse d'évolution est extrêmement rapide.
Des solutions ont été envisagées pour mettre le linteau à l'abri, comme bien sûr remettre en place un badigeon sacrificiel compatible
(un essai a été tenté en 2008 sur le livre de la Mandorle, replacé par exemple un auvent en utilisant les 4 modillons en place
(qui peut-être en ont déjà porté un dans le passé) ou installer une bavette au dessus de la pierre ;
mais seul, dans ce cas, le linteau est protégé. Il faut mettre également à l'abri les autres marbres de la façade.
Le restaurateur de sculptures qui est intervenu lors de ces deux campagnes émet l'idée d'un porche englobant l'ensemble....
D'autres solutions existent probablement.
De tout façon il devient urgent d'en applique une.... et la meilleure possible, quelque qu'en soit le coût
sinon notre linteau aura du mal, quelques soient les aléas futurs, à fêter son deuxième. millénaire dans lequel il entrera le 24 octobre 2020.
Roger Gardez, ASVAC
Conférence de Géraldine MALLET
Samedi 1er février 2020 15 h, salle « espace de la Prade »
3 œuvres clés du Moyen Âge mondialement connues
Le plan de Saint-Gall début IX ème siécle
Les églises de Saint-Martin-du-Canigou
début XI ème siècle
Le linteau de Saint-Genis-des-Fontaines 1019-1020
leurs particularités
Réflexions sur le linteau (L'Indépendant 24/01/2020)
https://www.lindependant.fr/2020/01/24/reflexions-sur-le-linteau,8684981.php
Publié le 24/01/2020 à 21:17 / Modifié le 24/01/2020 à 21:22
Dans le cadre des manifestations commémorant
le millénaire du linteau :
CONFERENCE de PHILIPPE ESPERIQUETTE
« Observations sur quelques éléments remarquables du linteau »
Cette conférence se tiendra le lundi 20 janvier 2020
à Saint-Genis des Fontaines, salle du Foyer, a 15h.
Ceux qui fréquentent régulièrement les locaux du Service Culturel connaissent Philippe qui aide de temps en temps
Babeth et Vanessa à l'accueil
Linteau ou antependium ?
Un questionnement relancé par Louis Boulet, acteur essentiel de la sauvegarde du patrimoine de Saint-Genis-des-Fontaines, par la communication suivante :
NOTE relative à l’indétermination sur la nature originelle du linteau de Saint-Genis-des-Fontaines (66) : linteau ou antependium.
L’ASVAC est ouverte à tous les arguments permettant de conforter l’une ou l’autre thèse, voire de lever l’indétermination. Merci de vos suggestions.
Les deux hypothèses sont plausibles. Les experts eux-mêmes en convenant, il serait pertinent de conclure – tout particulièrement au moment où est mise en débat la conservation physique du marbre fameux.
Jusqu’à aujourd’hui, aucune archive n’a dévoilé la date de réalisation (seule l’année de la commande par l’abbé Arnau est gravée dans le marbre), pas plus que le lieu de première mise en place de la pierre. On sait seulement que l’église a beaucoup souffert lors du passage des Vikings, en 858-859 : elle fut incendiée et largement détruite, plus particulièrement dans sa partie occidentale et sa toiture. Les premières réparations ont été entreprises par Gausfred 1er (935-991), duc du Roussillon, dans la deuxième partie du X° siècle.
Ces deux séquences étant antérieures à la sculpture de la pierre (1019-1020), il faut s’attacher à la période du premier quart du XII° siècle qui a connu des travaux importants dès la fin du XI° puis au début du XII°. Le 6 octobre 1127, l’église fut consacrée à nouveau en présence des évêques d’Elne et de Carcassonne, et sous l’abbatiat de Père Arnau. Cette consécration à nouveau a pu permettre aussi de redonner à l’édifice son statut d’église abbatiale – les offices ayant pu se tenir, dans l’intervalle, en l’église paroissiale Ste-Marie. [i]
Durant cette période d’un siècle (1020-1127), deux questions méritent éclaircissement :
a) en linteau, au-dessus de la porte d’entrée ? Peu vraisemblable courant XI° siècle compte tenu de l’état délabré de la façade de l’église. b) Installée dans l’église, devant l’autel ? Rien n’a permis de le vérifier par la consultation des archives, mais rien ne l’infirme non plus. En revanche, des éléments peuvent en autoriser l’hypothèse.
Premier argument.
Était-il raisonnable, dans les années 1020 et immédiatement postérieures
– et même seulement possible compte tenu de l’état de délabrement de la façade
– de mettre en place le retable tout récemment sculpté ?
Alors même que des travaux substantiels devaient remodeler profondément la façade et le corps même de l’église à la fin du XI°/début du XII° ? Ou alors, la pierre sculptée commandée en 1019-1020 aurait tété entreposée en attendant sa mise en façade pour la consécration à nouveau de l’église, en 1127.
Deuxième argument.
Un fait est de nature à fortifier l’hypothèse de l’antependium : le témoignage écrit de Louis de Bonnefoy, archéologue perpignanais, dans un compte rendu daté de 1868 et traitant spécifiquement du sujet. Lors d’un inventaire des objets sacrés contenus dans l’église, il découvre, remisé dans la chapelle ND de Montserrat (abside sud), derrière le retable de ND de Montserrat, un tableau en bois peint. Au centre, un Christ en Majesté, dans une mandorle ovoïde, et douze apôtres alignés de part et d’autre de la mandorle, mais sur deux rangs superposés, et au nombre de douze parfaitement nommés.
D’après le compte rendu de Louis de Bonnefoy, ce tableau aurait été un devant d’autel ; d’autres panneaux (ceux-ci latéraux), sont décrits par l’archéologue comme étant toujours en place, dans les années 1860, mais très détériorés. Ce tableau en bois peint pourrait avoir remplacé l’antependium de marbre transféré en façade de l’église, lors des importants travaux des XI°/XII°.
Troisième argument. Ce raisonnement est cohérent avec le fait que, au cours destravaux des XI°/XII°, la façade occidentale de l’église a été profondément remaniée :
- la porte a été réduite dans ses dimensions - signe de la perte d’influence de l’abbaye. Ce qui laisse présumer que l’actuel linteau n’y avait pas été positionné avant le début du XII°, soit un siècle après sa commande. Durant les cent années couvrant la période 1020 à 1127, n’était-il pas bienvenu d’exposer cette oeuvre à l’intérieur de l’église ? Et où mieux que devant l’autel ?
- les traces de l’ancienne ogive du tympan primitif sont encore clairement apparentes. Ce tympan portait-il des scènes sculptées de la Genèse, conformément à un usage médiéval très répandu ? Question : en était-il dépourvu dès l’origine ? Ou bien ces motifs ont-ils disparus au cours du saccage
des Vikings ? Cette remarque n’est là que pour affirmer que le linteau de la porte
primitive devait être de dimensions supérieures à celles du marbre commandé en 1020.
- la largeur du linteau sculpté (220 cm) est conforme, architecturalement, aux dimensions de la nouvelle porte, plus petite que celle d’origine ; pourtant, il ne
semble pas suffisant, seul, à pouvoir assurer sa fonction : épais seulement de onze centimètres, le linteau sculpté n’est pas de nature à supporter le tympan sans l’apport d’un maçonnage doublant le verso du linteau. Cela pourrait expliquer la déformation du tympan tout récemment constatée. Il est en quelque sorte plaqué sur un linteau de pierres maçonnées – parfaitement visibles audessus de la porte. En revanche, son épaisseur (11 cm) est totalement compatible avec la structure d’un antependium.
Quatrième argument. La porte d’une église figure le lieu symbolique et majeur de passage entre l’espace temporel et la Source unique. Cette remarque a certes convaincu, semble-t-il, des autorités romanes de première compétence (Marcel Durliat et Pierre Ponsich) pour avancer que la pierre sculptée solennisait le passage. Pour autant, avec la plus stricte humilité, j’avance que l’argument invoqué ne me semble pas déterminant puisque déconnecté de la chronologie, au cas particulier les diverses phases de construction et de reconstruction de l’église abbatiale de St-Genis-des-Fontaines.
Pour l’heure, aucun argument ne permet d’affirmer que le linteau de 1019- 1020 ait été livré rapidement et placé, dès sa sculpture achevée, au-dessus d’une porte à l’époque plus grande que l’actuelle, ouverte sur une façade endommagée, voire largement détruite. Aurait-il été entreposé pendant des décennies avant que les travaux importants des XI°/XII° ne lui réservent un emplacement d’accueil à sa dimension ? Cette dernière remarque peut valoir argument en faveur de l’antependium : les autorités d’alors auraient pu décider de profiter des travaux sur la façade pour y transférer l’antependium – comme une sorte de couronnement de la renaissance architecturale de l’église. Le panneau en bois peint (XII°), découvert par Louis de Bonnefoy en 1868, aurait été installé en remplacement de l’antependium de marbre.
Il est vraisemblable que la remise en état du tympan s’imposera dans des délais rapprochés et qu’il faudra bien, à cette occasion, déposer le linteau, au moins durant les travaux, pour en sauvegarder l’intégrité. Faudra-t-il alors le remettre en place, en façade, et prévoir les dispositions durables de sa protection en extérieur ?
- La pose d’un auvent dissimulerait en partie le marbre par l’ombre portée. Outre qu’esthétiquement, la solution n’est guère pertinente – pas plus qu’historiquement.
- La construction d’un porche, a fortiori, altèrera la visibilité et, plus encore, constituera un anachronisme architectural qui ne manquera pas de soulever des critiques passionnelles acerbes, au demeurant justifiées.
>>> Au terme de cette analyse, la thèse de l’antependium me semble réunir bien des arguments convaincants - alors qu’un flou demeure entier sur le positionnement originel de la pierre en forme de linteau. Installer le marbre en position d’antependium mettrait un terme au difficile problème de l’intégrité de la pierre repositionnée en extérieur. C’est donc, me semble-t-il, sur la base de cette hypothèse d’un retour aux sources qu’il faut appréhender l’analyse des mesures de protection du marbre.
Canet-en-Roussillon, ce 27 février 2019. Texte révisé le 8 mars 2021 : Elbé
[i] Les textes les plus anciens font état de l’existence de deux églises, abbatiale (St-Michel), et Ste-Marie, sans doute pour la fonction paroissiale. Ses fondations ont été retrouvées dans le village, côté place Ch. De Gaulle.
- quelle est la date de livraison de la pierre : aucun indice n’a été repéré jusqu’ici. Le type de sculpture plaide en faveur d’une réalisation sur quelques mois.
- quelle fut la destination de la pierre ?