La systémique a inspiré de nombreux outils et de nombreuses approches. Souvent ces déclinaisons de premier niveau se sont vu opérationnalisées en méthodologies de deuxième niveau qui malheureusement perdent le côté philosophique, approche globale, mais qui ont l'avantage de pouvoir être facilement diffusées, enseignées. C'est le cas, par exemple de l'Analyse de la Valeur qui, suite à un passage normatif "AFAV", est devenu un outil technique efficace de mise au point des cahiers des charges fonctionnels. Mais elle n'est plus du tout un outil de création, d'innovation profonde au sens de la systémique. Ce n'est ni bien, ni mal puisque complémentaire, mais il faut se souvenir qu'il y a toujours plusieurs niveaux d'application, certains restant très conceptuels et près de la philosophie systémique et d'autres plus opérationnels et déclinés en outil de terrain qui ont perdu la vue globale, holistique, de la systémique. Le mot "systémique" est donc devenue une étiquette générique qui rappelle l'origine de la méthode, elle est même remplacée par "quantique" dans certaines communications commerciales, ce qui montre bien la confusion qui peut exister.
Nous vous proposons ici de positionner les outils que nous sommes amenés à utiliser lors d'une approche systémique d'une problématique technique ou humaine, de service ou de produit.
L'analyse de la valeur (notée "AV") est une méthode née aux États-Unis juste à la fin de la seconde guerre mondiale. C'est M. Lawrence Delos Miles, ingénieur à la General Electric, qui devant résoudre un grave problème de pénurie de matériaux, mis en évidence que c'était la confusion fonction-solution qui était le verrou à faire sauter. Revenir à une modélisation fonctionnelle du système fut donc la première étape de l'intégration de la démarche systémique. Ensuite intégrer la validation de l'objectif du système, accepter l'inter-relation des flux physiques et économiques furent les étapes qui firent émerger "la méthode AV". Passant par le Japon, puis l'Europe via les filiales d'entreprises américaines, en France, c'est le cabinet de consulting "APTE" qui le premier se réapproprie et diffuse l'analyse de la valeur dès 1963. Que ce soit pour des entreprises de conception ou de service, le cabinet Apte peaufina une méthode rationnelle d'optimisation d'un produit, d'un processus ou d'un service qui s'inscrit bien dans le cadre du travail de l'ingénieur. Comme toute démarche systémique, elle nécessite un travail en groupe pluridisciplinaire et une inter-relation avec les acteurs économiques puisque le macro-système est économique pour les entreprises. Ce travail à la fois transdisciplinaire et capable de remettre en question la définition même du besoin, conduit souvent à des innovations ce qui donna ses lettres de noblesses à la méthode.
Son succès fut peu à peu repris et décliné par des organises nationaux (AFAV, AFNOR, ...) qui y ont trouvé de nombreuses applications de résolution de problèmes techniques, technologiques. A titre d'exemple voici ce qu'en dit l'AFNOR:
L'analyse de la valeur est une méthode de compétitivité, organisée et créative, visant à la satisfaction du besoin de l'utilisateur, par une démarche spécifique de conception, à la fois fonctionnelle, économique et pluridisciplinaire. La valeur d'un produit est une grandeur qui croit lorsque la satisfaction du besoin augmente et/ou que le coût du produit diminue. La valeur peut donc être considérée comme le rapport entre l'aptitude aux fonctions divisée par le coût des solutions.
Cette définition reste assez proche de l'esprit "AV APTE" bien que l'on sente trop fortement le côté industriel et le contexte économique qui n'est en réalité qu'un contexte parmi "n" où l'on peut utiliser l'AV.
J'ai personnellement été formé en 1990 à la méthode APTE tout d'abord par Christian Teixido, puis par le cabinet Apte lui-même qui nous a ensuite donné le droit de diffuser une partie de la méthode dans nos livres et dans nos enseignements universitaires.
C'est à travers son best-seller "Le But" ("The Goal" en anglais) que Eliyahu Goldratt (1947-2011) popularise ces idées depuis 1984. Traduit dans 26 langues différentes et vendu à plus de 5 millions d'exemplaires à ce jour, le succès de ce roman "initiatique" confirme l'ampleur du mouvement et de la méthode associée. Dans cette nouvelle approche du management fondée sur l'approche systémique E. Goldratt, physicien de formation et docteur en philosophie, prend le parti d'accepter les aléas comme inséparables de la vie d'un système. Sa démarche va donc être de minimiser les impacts des aléas sur le bon fonctionnement du système, c'est-à-dire d'optimiser sa rentabilité s'il s'agit d'une entreprise.
Le méthode se nommait "OPT" (Optimized Production Timetables) à ces débuts, mais ayant cédé les droits de ce sigle à Cap Gemini Sogeti - première entreprise française de services informatiques à l'époque - la méthode se nomme maintenant "TOC" pour Theory Of Constraints (Théorie des Contraintes).
Si l'approche TOC est avant tout une approche profondément systémique, du fait d'avoir pris comme axe les aléas et leurs maîtrises, un des premiers points est d’identifier les goulets, les ressources rares, puis de les piloter par un astucieux jeux de feedbacks d’où le nom commun de "gestion par les goulets".
J'ai personnellement été formé à cette approche d'une part avec le cabinet Cap Gemini Sogeti lui-même en 1990, d'autre part avec Jean-Claude Miremont membre fondateur de TOC-France qui m'a beaucoup aidé à la rédaction du livre paru en 1992 à l'AFNOR et enfin par la vue complémentaire "VAD" (Valeur Ajoutée Directe) de Paul-Louis Brodier.
Déjà en 1980 lors de mes études à Normal-Sup, dans le cadre de LURPA (Laboratoire Universitaire de Recherche en Production Automatisée) la nécessité de formaliser des outils de décisions de résolution de problèmes complexes était avérée. En effet, l’accroissement incessant des possibilités techniques et informatiques, l’intégration de machines intelligentes dans les systèmes en tant qu’acteurs à part entière aux côtés de l’homme, incite à intégrer de l'Intelligence Artificielle dans la chaîne de décision. Cela exige d'utiliser des méthodes aptes à intégrer tous les éléments du système: l'homme et son comportement, la machine et sa logique, l'organisation et ses informations. L'approche systémique - cybernétique de 2ème ordre - est une des seule à permettre cela.
Plus particulièrement la méthode GRAI (Graphe à Resultats et Activités Inter-reliés) développée à l'Université de Bordeaux dans les années 1980, permet de se focaliser sur la partie décisionnelle (système de conduite). Ainsi en se référant à l’approche systémique des organisations (Mélèse, 1990), il est possible de décomposer le système entreprise en trois sous-systèmes: le sous-système physique, le sous-système d’information et le sous-système décisionnel. C'est dans la modélisation de ce ce dernier sous-système qu'est la force de la méthode GRAI: modéliser efficacement le système décisionnel de l'entreprise, c'est-à-dire l'organisation des processus qui génèrent les décisions.
Bien des années plus tard, tout ceci reste complétement d'actualité sous ce que l'on nomme maintenant l'analyse décisionnelle des systèmes complexes. C'est une discipline transdisciplinaire (sciences de l'ingénieur + informatique + mathématique + psychologie humaniste + ...) qui vise à fournir des méthodes et outils de pilotage des systèmes complexes. en prenant en compte le flux physique, financier, informationnel et décisionnel.
J'ai personnellement été formé à ce type d'approche dans les années 80-84. Cela a débouché sur la formalisation d'outils de décision informatisables présentés dans mon livre paru en 1992 à l'AFNOR (Critère de Bayes notamment).
Ne pas confondre l'Art du guerrier (Yang) avec l'Art de la guerre (Yin). Si le premier, multimillénaire, s'appuie sur l'énergie "Feu", ce dernier, dans l'approche de Sun Tzu, s'appuie sur l'énergie "Eau".