Si St Domnin m'était conté...

Il faut savoir qu'au Moyen-âge, on était plus porté à faire la fête qu'aujourd'hui ! Mettant sans doute en pratique le vieil adage qui dit qu'on ne sait pas de quoi demain sera fait (et à l'époque, famine, guerres, brigands, et épidémies étaient choses courantes), rien d'étonnant donc, à ce que l'on profita des bons moments de la vie ! Toutes les occasions étaient bonnes pour se divertir, notamment les fêtes religieuses, lesquelles commençaient dans la piété et se terminaient dans le profane ; l'année étant démaillée de Saints que l'on se devait d'honorer dans la ferveur et la liesse ! Si l'on ne dérogeait pas à la messe votive, la fête, qui s'échelonnait souvent sur plusieurs jours, s'achevait généralement par des « ripailles » bien arrosées, accompagnées de chansons et de danses. Il faut bien admettre que cela entrainait fatalement certains débordements ; rixes, bagarres, parfois même meurtres, n'étaient pas rares, et fermement condamnés par l'Eglise.

Mais il n'en fut pas toujours ainsi... Avec le temps qui passait, les choses changèrent notamment sous l'influence de certains évêques de Province..

Au XVIIIème siècle, les vallées du Haut Verdon dépendaient, du point de vue écclésiastique, de l'Evêché de Senez, le plus petit de France. De 1695 à 1727, l'épiscopat fut représenté par l'Evêque Soanen. Ce prélat se targuait sans doute d'être un peu historien, car au cours de ses visites pastorales, il n'hésitait pas à se renseigner auprès des villageois sur les lieux qu'il honorait de sa présence. Ce qu'il fit, par exemple, à Allons, en 1698, à la Chapelle St Martin, à cette époque encore église paroissiale.

Mais cet ecclésiastique n'avait pas les mêmes valeurs que ses ouailles ! Lesquelles, à l'instar de leurs ancêtres du Moyen-âge, entouraient les dimanches et fêtes, notamment à Allons pour la St Domnin, de danses, d'agapes, de bravades ; religion et amusement étant encore indisociables. La jeunesse, on s'en doute, n'étant pas la dernière à se défouler !

Les « profanations des dimanches et festes » dans les communautés du Haut-Verdon scandalisa l'Evêque, qui décida d'y mettre un terme. Il supprima donc tout le côté profane des manifestations, danses (qu'il jugeait licencieuses surtout chez les jeunes filles), bravades, repas, et autres distractions fort prisées des villageois. Il alla même dans certaines communes, jusqu'à proscrire complètement les fêtes patronales, afin d'éviter de tels débordements ! Ceci au grand dam des populations locales. Lesquelles, malheureussement, seront bien obligées d'obtempérer, du moins un temps, la mort dans l'âme, ruant dans les brancards, colère rentrée.. mais n'ayant pas dit leur dernier mot....

A Allons, en 1708, il ordonne « de ne plus profaner les dimanches et fêtes par des voitures de danrées et par des joyes de débauche sous le faux nom de vot(dévotion) ni le jour de la fête de saint Domnin « par les tambours. des danses. des expositions d'animaux et autres folies».

Comme nous le verrons par la suite, il ne sera pas le seul Evêque à en venir à cette extrémité...

Mais sa sévérité est telle qu'il ne sera pas toujours écouté et que certains vont redresser la tête et vouloir remettre en place les vieilles coutumes ancestrales..

En 1718, se déroula à Allons l'affaire suivante, dont j'ai confiée la narration qui va suivre à son principal instigateur..

Je sais que j'ai fait une grosse bêtise ! D'ailleurs, mon père me l'a fait assez sentir, hier soir, après notre souper, devant la cheminée de la grande salle, en présence de Madame ma Mère, qu'il avait pourtant priée de sortir un moment auparavant, sous prétexte qu'il s'agissait là d'une conversation “entre hommes”. Mais comme elle n'ignorait pas de quoi il s'agissait, comme tout le monde d'ailleurs dans le village, elle refusa tout simplement de quitter la pièce, dans l'espoir peut-être que sa seule présence tempérerait la colère de son époux !

Et en colère, il l'était ! Après m'être fait traiter de tous les noms d'oiseaux, parmi lesquels j'ai retenu “dévoyé”, “jeune sot”, “imbécile”, ”arrogant”, et quelques autres amabilités de ce genre, j'ai eu droit à la leçon de morale, que j'attendais depuis le début.

Mais que s'était-il donc passé dans ma tête ? Pourquoi avais-je eu ce geste idiot ? Que m'avait-il donc pris de vouloir passer outre aux ordres de l'Evêque ? Non seulement je m'étais comporté comme un sauvage, mais de plus, j'avais entraîné à ma suite quelques gars du village, lesquels, il faut bien l'avouer, ne s'étaient pas fait prier, s'étaient rangés à mes côtés, m'avaient suivi aveuglément ; parce qu'ils estimaient que j'avais raison, parce qu'ils me faisaient confiance, parce que nous avions pratiquement grandi ensemble, et aussi parce que je suis le fils du Seigneur des lieux !

Mon père, c'est le Seigneur Elzéar de Réquiston ; le digne représentant de la plus ancienne famille seigneuriale d'Allons ; même si de nos jours, il doit partager la terre de ses ancêtres avec d'autres coseigneurs de la vallée, parmi lesquels les d'Autane et les Richery.

Il m'a dit que c'était à moi de donner l'exemple ; que nous devions nous comporter avec honneur et dignité ; qu'ils ne nous appartient pas de contrer le clergé ; pas plus que d'inciter nos gens à la révolte. Et il a rajouté qu'avec cette fâcheuse histoire, il allait être la risée de ses confrères ! Leurs rejetons m'avaient-ils suivi, eux ? Bien sûr que non ! Il ne m'était même pas venu à l'idée d'entrainer à ma suite dans cette folle équipée les dignes fils des autres seigneurs d'Allons ! J'avais porté mon choix sur des villageois que je savais intrépides, excédés par les abus de Monsieur l'Evêque Soanen, prêts à tout comme moi pour inverser le cours des choses. En bref, sur des jeunes gens solides, aimant la vie et ses plaisirs, et bien décidés à continuer ainsi ! Ils n'appréciaient pas plus que moi les interdits religieux qui planaient sur notre fête patronale depuis quelques années. Depuis toujours en effet, nous avons dignement fêté notre St Domnin, avec beaucoup de piété certes, mais aussi avec force chansons, danses, sauteries, ripailles et bravades... Et voilà que ce “bon pasteur”, sous prétexte que “nous profanions les dimanches et festes “ , nous a interdit tout cela, nous accordant seulement d'ouir la Sainte Messe, et nous intimant l'ordre d'oublier les réjouissances qui s'ensuivaient !

Et nous, la jeunesse, qu'elle soit noble ou roturière, acceptons difficilement cela !

La révolte grondait.. Il était fatal que quelque chose se passerait un jour, et ce fut moi qui déclenchais l'affaire..

Ce fut le jour même de la fête que cela se passa. Comme chaque année, nous sommes allés en famille écouter la messe votive. Et comme chaque année, nous sommes arrivés bons premiers, pour permettre à mon respectable père de prendre sa place au premier rang dans notre église St Martin, juste en face de l'autel ; en vertu du principe qu'il est le descendant de la plus ancienne famille de la vallée et qu'il a par conséquent préséance sur tous les autres !

A la fin de l'office, notre curé a fermé l'église à clef, ainsi que l'a ordonné l'Evêque, et chacun est retourné sagement chez soi pour y terminer dans le calme cette pieuse journée, toujours sur l'ordonnance de Monseigneur Soanen. Mais au repas qui a suivi, mes parents se sont mis à remuer les vieux souvenirs de la St Domnin de leur jeunesse.. Ce qui a eu le don de me mettre en colère contre les abus et l'intransigeance de notre Evêque.

Dans l'après-midi, j'ai “emprunté” discrètement un tonnelet de vin à mon père, et j'ai fait le tour du village pour “recruter” quelques drôles que je connaissais bien pour les fréquenter souvent. J'avais en tête de vouloir remettre au goût du jour les réjouissances d'autrefois et leur ai fait part de mon projet un peu fou. Chacun se rangea à ma suite, et l'on décida de concert de s'en aller danser quelque part, n'importe où, à condition bien entendu que les demoiselles du village y consentent. Mais tout d'abord, nous avons 'bravé l'interdit” ; c'est-à-dire que nous avons décidé de rouvrir l'église, car nous n'admettions pas que ce lieu saint resta clos, avant ou après la fête. Bien évidemment, nous n'avions pas la clef et nous fumes un peu embêtés devant sa porte close. Le vin de mon père commençant à faire effet, certains proposèrent de casser la porte.. Ce qui fut fait aussitôt, à l'aide de haches et de marteaux qu'on s'en alla chercher. Notre église étant un peu à l'écart du village, nous étions certains qu'on ne nous entendrait pas. C'était bien là du vandalisme, mais qui s'en souciait à ce moment-là ? Ensuite de quoi, nous nous sommes rués dans la nef, dans le but non pas de saccager ni de profaner ce saint lieu, mais de contrarier le clergé ! Le vin n'étant pas de bon conseil, comme tout un chacun le sait, nous avons construit une grande croix de bois. Sur ces entrefaites, les jeunes filles du village, alertées par le remue-ménage, se présentèrent à l'entrée de l'église pour voir ce qui s'y passait. Elles tombaient bien... Nous organisâmes alors autour de cette croix de mémorables farandoles, pleines de rires et de joie, entrainant dans notre sillage les demoiselles, qui ne demandaient pas mieux que de danser, mais donc certaines, plus sages et plus calmes, tentèrent de nous dissuader et de nous faire entendre raison. Peine perdue... cela dura une grande partie de l'après-midi, jusqu'à ce que le curé, qui revenait pour ses vêpres, nous trouva dans son église, épuisés, rompus, et ivres à la fois de vin et de caroles. (anciennes danses)

Les parents s'en vinrent récupérer leur progéniture, mon père le premier, avec un air sévère et contrarié que je ne lui connaissais pas encore.

Le scandale fut énorme, comme bien l'on pense. L'affaire arriva aux oreilles de l'Evêque, lequel exigea que chaque “coupable” d'un tel méfait soit durement puni, et ce, quel qu'il soit. Mon père le comprit très bien ; c'était moi le responsable, et à travers moi, lui qui n'avait pas su contenir les ardeurs de son jeune fils.

Au soir de sa « conversation entre hommes », conscient de mon erreur, peiné d'avoir par mon égarement mis ma famille dans l'embarras, je lui demandait pardon pour cette faute inqualifiable, lui jurant que j'étais navré de l'avoir contrarié, et prêt à tout pour y remédier. Je m'attendais à ce qu'il m'obligea à présenter des excuses publiques, ce qui aurait été pour moi une terrible épreuve, mais il se contenta d'accepter mes regrets, et de m'informer que je prendrais sur mes deniers pour réparer la porte de St Martin ; qu'il obligerait tous les « coupables » de cette pénbile affaire , moi compris, à travailler de leurs mains à cette réfection. Et que je resterai confiné dans ma chambre pendant au moins un mois, avec l'interdiction absolue de rencontrer qui que se soit. Après quoi, il m'ordonna d'aller tout de suite m'y enfermer, puis me congédia. J'embrassais tendrement Madame ma Mère, qui évita mon regard, peinée à la fois par mon attitude et par ma punition, et je passais devant mon père, qui me tenait fermement la porte ouverte comme s'il avait l'intention de me « mettre dehors ». Alors que je lui présentais mes respects avant que de sortir, je vis un léger sourire s'afficher sur ses lèvres, et il me murmura très bas : »Tu y es allé un peu fort, mais tu as bien fait ! Tes ancêtres seraient fiers de toi ! »

NOTES :L'évènement est authentique ; il se déroula en 1718 a rétabli la danse aux festes et un jour il alla avec des compagnons armés d'haches et de marteaux pour forcer la porte de l'église et ils dansèrent autour d'une croix de bois ». L'évêque supprime donc la procession à la chapelle saint Domnin « pour remédier une bonne fois à la profanation scandaleuse qui a été faite par le libertinage de la jeunesse » et menace d'interdire la chapelle si cela arrive une autre fois ». L'Eglise St Martin mentionnée est l'actuelle Chapelle St Martin, lieu-dit Rampan. Ignorant le nom du Seigneur de Réquiston de l'époque, la généalogie de cette noble famille m'a donné pour cette date de 1718 le nom de Elzéar ; c'est donc celui que j'ai choisi pour figurer dans cette « nouvelle » bâtie sur des faits réels !

Quant à la relation des évènements que j'ai attribué "au jeune sieur Réquiston" (comme disait l'Evêque), il est le fruit de mon imagination ti de et le