François Delecluse

François Delecluse

Avec la participation de Jeanne-Marie Conquer (violon) et Dimitri Vassilakis (piano)

Nouveaux usages des sources en musicologie : édition critique, processus créateur et réactivation du passé


Parmi les préoccupations scientifiques historiquement liées à la Société française de musicologie, l’étude des sources musicales possède une place prépondérante, donnant lieu au développement de l’histoire de la musique et de l’édition critique. L’édition critique entretient une relation peu visible de prime abord, mais cependant très forte avec la pratique musicale. À travers le référencement des sources, mais aussi les choix inévitablement subjectifs que contient une édition critique, le musicologue se confronte aux enjeux très concrets de l’interprétation, enjeux que complètent l’organologie et l’étude des pratiques musicales anciennes. Cependant, l’interrogation de l’activité compositionnelle en tant que telle est restée longtemps embryonnaire. Tandis que dans le monde anglo-saxon se développaient les sketch studies, approche des sources fortement marquée par l’analyse musicale, il a fallu attendre plus longtemps pour qu’émerge en France — à la faveur d’un rapprochement interdisciplinaire entre critique littéraire et musicologie — une véritable « critique génétique » musicale. La critique génétique permet de renouveler la représentation de la composition musicale, encore trop souvent considérée comme un don mystérieux, plutôt que comme une pratique musicale fondée sur une technique ; comme une création sui generis plutôt que comme une pratique d’imitation et de réécriture.

La critique génétique est une approche des sources musicales qui sollicite des compétences tout autant philologiques qu’analytiques. En considérant que les esquisses musicales constituent des traces de l’activité compositionnelle, la génétique s’est longtemps occupée de décrire la naissance des œuvres, véritable extension de la philologie et de l’analyse musicale, mais aussi d’une « micro-histoire » des œuvres. Aujourd’hui, les développements récents d’une archivistique numérique vont permettre de donner une portée plus grande aux travaux de génétique musicale. L’accès facilité aux sources, notamment par les politiques de numérisation massive caractéristiques des « humanités numériques », donne l’occasion aux généticiens d’envisager des corpus plus vastes. En comparant le processus créateur de différentes œuvres, il semble possible aujourd’hui de décrire avec davantage de précision les pratiques compositionnelles à l’échelle de la carrière d’un compositeur et de concevoir une génétique musicale comparée. La génétique offre non seulement la possibilité d’entrer dans le détail des techniques et des méthodes de composition, mais fournit également la possibilité de reconstituer les différentes versions d’une même œuvre. Il n’est pas rare que les compositeurs réécrivent plusieurs fois le même passage. Par exemple, Claude Debussy a composé plusieurs versions du troisième mouvement de sa Sonate pour violon et piano. Un examen détaillé des sources permet même de proposer une reconstitution des versions alternatives du Finale. La génétique croise alors l’histoire pragmatique en « réactivant » des situations passées.