Notre recherche s’est concentrée sur l’étude de trois librairies. En explorant leur rôle social, économique et culturel, en les replaçant dans le contexte politique de la ville de Lyon, nous avons identifié les principaux facteurs qui façonnent leurs activités. Nous nous sommes notamment appuyés sur des entretiens avec les principaux concernés.
Résultats et conclusions de nos recherches
Nos recherches mettent en lumière les évolutions des librairies indépendantes dans un écosystème en constante mutation. Ces établissements, qu’il s’agisse de La Madeleine, de la Librairie Adrienne ou de Terre des Livres, comme d’autres librairies lyonnaises sur lesquelles nous n'avons pu enquêter précisément, se distinguent par une identité forte et singulière. Leurs engagements politiques se reflètent dans leur fonds, souvent tourné vers des thématiques spécifiques, comme le féminisme, l'écologie ou la littérature jeunesse. Cette spécialisation, parfois discrète, s’adapte à une clientèle en quête de conseils et d’une expérience d’achat spécifique, loin de celle des grandes surfaces et des plateformes en ligne.
Face à la concurrence du e-commerce et des grandes enseignes, les librairies indépendantes adoptent diverses stratégies. Si la dématérialisation du livre ne représente pas pour elles une menace existentielle, le livre papier ayant la préférence de leur clientèle, l'impact des pratiques commerciales des géants culturels fragilise en revanche ce secteur. En effet, contrairement aux prévisions alarmistes, le livre numérique ne représente qu'une part minoritaire des ventes de livres en France, et les clients des librairies indépendantes privilégient très majoritairement le format papier. L’acquisition massive de stocks par les grandes enseignes et leur politique de retour et de rachat des livres invendus, souvent opaques, fausse la perception des ventes réelles. Cette opacité peut inciter les maisons d’édition à privilégier les canaux à forte capacité d’absorption et de vente, au détriment des librairies indépendantes, affaiblies par ce système. Pour contrer ce phénomène, la mutualisation — dont le réseau Chez mon libraire offre un parfait exemple pour la région Auvergne-Rhône-Alpes —, la communication via les réseaux sociaux et les newsletters, deviennent des leviers essentiels pour renforcer la visibilité des librairies, offrir des services particuliers et créer une communauté engagée. Ainsi, Internet, loin d'être un facteur de déclin, est devenu un outil de survie et de développement pour les librairies indépendantes, leur permettant de toucher un public plus large et de fidéliser leur clientèle.
La spécialisation des librairies étudiées est avant tout le fruit d'une démarche personnelle et militante, ancrée dans l'histoire et les convictions de chaque libraire. Certains établissements adoptent une stratégie économique et marketing subtile, en se présentant comme des librairies généralistes plutôt que comme des librairies spécialisées. Cette image leur permet de conserver une clientèle large et diversifiée, sans décourager les lecteurs non initiés. Dans le même temps, la spécialisation de leur fonds, bel et bien effective, leur assure une clientèle de niche particulièrement fidèle. Loin d'être un frein, cette spécialisation, combinée à une offre ouverte, s’avère être un modèle économique viable, qui leur garantit à la fois un public large et un noyau de clients engagés. Le soutien des pouvoirs publics, à travers les subventions et les prêts, comme ceux du Centre National du Livre (CNL) ou de la Région Auvergne-Rhône-Alpes, demeure crucial pour mener à bien des projets spécifiques, bénéficier d'une offre culturelle riche et variée ou pour améliorer l’infrastructure des librairies. Cependant, les libraires enquêtés soulignent que ce soutien doit rester un atout ponctuel et non devenir une nécessité vitale.
Le dynamisme des librairies indépendantes se manifeste en outre par une multitude de partenariats locaux, avec des associations (des collectifs de lecteurs par exemple), des pôles de recherche universitaires, des institutions culturelles (comme des musées ou des théâtres), et des lieux d’enseignement. Ces collaborations enrichissent l’offre culturelle, favorisent la médiation et renforcent le rôle des librairies comme acteurs culturels importants à l'échelle locale. Elles leur permettent de se distinguer des grandes surfaces ou du e-commerce, dont l'engagement local est faible ou l’implantation physique inexistante. Enfin, l’organisation d'événements est devenue de plus en plus importante, tant quantitativement, par la fréquence des rencontres, que qualitativement, par la diversité des formats proposés, permettant ainsi de renforcer le lien avec la clientèle et de générer de nouvelles ventes. Ces initiatives, souvent motivées par la passion des équipes, sont autant d’occasions privilégiées de faire découvrir la librairie à de nouveaux clients et de favoriser les contacts directs entre les lecteurs et les auteurs.
Enfin, l'évolution du paysage des événements littéraires à Lyon a également un impact sur les librairies. La disparition de la Fête du Livre de Bron, perçue comme une véritable perte pour certains professionnels, ne laisse que le Quai du Polar comme festival littéraire majeur. Cette situation illustre une évolution des politiques publiques vers des événements de plus grande envergure, soulignant la nécessité pour les librairies de s’adapter en continu et de développer leurs propres initiatives pour maintenir leur visibilité et leur attractivité.