Les esprits forts de la scientificité ne manqueront pas d'observer que nous sommes personnellement engagé·e·s au sein de la communauté scolaire des écoles alternatives qui font l'objet de la recherche que nous avons réalisée et présentée ici, et qu'il y a de ce fait un risque de biais pour indiquer valablement dans quelle mesure les pratiques des écoles alternatives sont ou non favorablement inclusives. Inutile de le nier : nous partageons largement les valeurs en éducation revendiquées par le REPAQ (et bien d'autres habituellement classés dans les courants de l’éducation nouvelle), nous avons une expérience personnelle des pratiques pédagogiques mises en oeuvre dans les classes des écoles alternatives et nous sommes engagé·e·s dans des actions avec le REPAQ pour en soutenir la constante réflexion. Ce sont d'ailleurs les raisons pour lesquelles nous avons convenu de cette recherche avec le REPAQ. C'est précisément parce que nos convictions et nos vécus, rencontrant les 17 conditions, nous donnent à penser qu'il se vit dans ces écoles des pratiques propres à favoriser la participation et l'apprentissage des élèves les plus divers qu'il nous a paru important de tenter de vérifier cette hypothèse en la soumettant aux acteurs eux-mêmes.
A quelle véridiction (1) cette situation permet-elle de prétendre ?
Il faut d'abord souligner que nous avons sollicité l'expression d'acteurs que nous savons être "de bonne foi". Notre familiarité avec leurs rencontres régulières nous assure du sérieux avec lequel ils ont l'habitude de s'interroger avec franchise, acceptant et respectant la diversité des points de vue mais sans crainte de les approfondir par la discussion. La présence au sein des différents focus groupes de participants occupant diverses responsabilités et rôles (parents, enseignants, personnel de direction, personnel éducatif, etc. ) renforce le contrôle mutuel spontané sur la crédibilité des interventions. La programmation des thèmes montre qu'aucun sujet n'est tabou. Et pour couronner le tout, on ne pourrait raisonnablement imaginer qu'ils consacrent tant de temps et d'énergie à se rencontrer si c'était pour se raconter des fables sous un voile de pseudo-unanimité.
Ces considérations ne nous condamnent cependant pas à la naïveté puisque précisément, nous avons conscience de notre familiarité et de notre respect a priori pour les participants et que par ailleurs nous savons qu’une telle communauté risque toujours de se laisser aller à des facilités et approximations dans son expression afin de préserver son unité. Notre rôle de chercheurs-questionneurs consiste donc, avec l’assentiment de nos partenaires, à les interroger sur les implicites que nous détectons dans leurs discours habituels pour leur en demander l’explicitation. Cela conduit à exposer notre conception du questionnement.
Nous avons privilégié des questions appelant à un partage sur les pratiques plutôt que sur les déclarations de principes, car ces dernières sont le meilleur refuge pour les à-peu-près séducteurs et superficiels. Au contraire, des questions appelant à la description concrète de pratiques font apparaître les variantes - et elles sont nombreuses - dans les mises en oeuvre de principes apparemment identiques. Cette expression des variantes locales au sein de focus-groupes poussent les participants à l’explicitation devant les pairs et enrichissent ainsi la documentation recueillie. Sur la base de la narration de ces pratiques, nous avons aussi proposé des questions faisant appel à l’auto-évaluation. Partant de thèmes choisis par l'école accueillant la rencontre parce que c'est sa préoccupation du moment et par souci d’authenticité, les questions proposées aux focus-groupes appelaient les participants à explorer leur thème sous l'angle des qualités inclusives de leurs pratiques.
Ainsi, nous avons recueilli des réponses suffisamment divergentes pour convaincre que ce ne sont pas des récitations de mantras. Les problèmes soulevés au cours des discussions sont suffisamment aigus pour montrer que la question inclusive n'est pas définitivement résolue ou ignorée et qu’il existe des divergences sur l'interprétation à donner aux valeurs présumées partagées lorsqu'elles se confrontent au questionnement sur les pratiques d'éducation inclusive.
Pour l’analyse du corpus recueilli sur chaque thème, nous avons procédé à trois lectures successives de chaque transcription afin d’y relever les éléments significatifs pour le questionnement du jour. Les trois chercheur·e·s ont fait chacun·e leur lecture indépendamment, en prenant des notes en commentaires de chaque document. Ce travail a été réparti entre nous afin de varier l’ordre des lecteur·e·s sur chaque texte et faire ainsi varier la lecture prépondérante, à savoir la première. L’ensemble des commentaires nous a permis de faire apparaître des sous-thèmes que nous avons ordonnés de manière à obtenir une cohérence discursive et logique dans la phase d’expression des résultats. Ensuite, nous répartissant les parties du texte à rédiger, nous avons ouvert un document partagé dans lequel sur la base d’un consensus dans l’interprétation - analyse et théorisation (Luckerhoff et Guillemette, 2012) - chacun·e a rédigé une partie. Lorsqu’une partie était considérée comme rédigée par son auteur·e, il·elle le signalait aux autres qui pouvaient alors en faire une relecture assortie de tous les commentaires souhaitables pour l’améliorer. Lorsque le consensus était atteint sur les trois parties et leurs articulations formelles, une conclusion était rédigée par l’un·e de nous, puis relue, amendée et enfin validée par les deux autres. Il ne restait plus alors qu’à copier-coller l’ensemble dans le présent site pour l’exposer aux lectures critiques de toutes celles et tous ceux qui y porteront intérêt et pourront le commenter.
Une telle démarche cherche d’abord à être utile aux participants ainsi qu’ils l’ont eux-mêmes souhaité, en les aidant à réfléchir par le “miroir kaléidoscopique” qu’elle leur tend. Ce n’est pas une unité de façade, une unité statistique, quantitative, majoritaire des pratiques que l’on cherche à montrer. Ce n’est pas un monolithe visant à indiquer “Voilà comment ça se passe dans une école alternative” sous la forme d’un archétype de ces écoles. Au contraire, c’est la vie, la diversité des pratiques, les interrogations voire les contradictions que nous avons voulu mettre en évidence parce qu’en dépit de leurs variations elles recèlent des perles de trouvailles et d’inventivité qui confirment notre hypothèse de départ selon laquelle les pédagogies mises en oeuvre dans les écoles alternatives sont de celles qui favorisent l’apprentissage et la participation d’une grande diversité d’élèves. L’éducation inclusive, à condition qu’elle soit désirée et recherchée avec honnêteté, requiert de la part des acteurs éducatifs qu’ils acceptent de vivre en permanence dans l’inconfort stimulant de la recherche de réponses, à renouveler sans cesse, afin de s’adapter à l’incessant mouvement de la vie et à la diversité des allures de vie qui surgissent en chaque enfant, en chaque élève. Personne n’a le modèle définitif et impositif de l’éducation inclusive, mais chaque pédagogue qui l’a inscrite dans ses valeurs sait avoir besoin de croiser son regard, son expérience et sa pensée avec les autres pour aller vers le but. C’est ce à quoi, nous avons modestement voulu que cette recherche contribue, au-delà de la seule communauté des écoles publiques alternatives du Québec car nous savons par notre activité de formateur·trices d’enseignant·e·s que ces pratiques sont parfois présentes ailleurs - trop peu sans doute - et que bien des enseignant·e·s qui ont à coeur de développer leurs compétences pour éduquer en mode inclusif souhaiteront s’en inspirer dans d’autres milieux.
Luckerhoff, J. et Guillemette, F. (2012). Méthodologie de la théorisation enracinée : Fondements, procédures et usages. Quebec, QC, CAN : Les Presses de l’Université du Québec.
Proulx, J. (2019). Recherches qualitatives et validités scientifiques. Recherches qualitatives, 38(1), 53.