Au printemps 2013, le REPAQ présentait le fruit de deux années de réflexion visant à formuler un consensus des acteurs du réseau sur les conditions qui définissent une école publique alternative. Un document fut publié qui énonce et explicite 17 conditions retenues. "L’école publique alternative québécoise ses conditions pour naître et se développer Consensus entre les écoles publiques alternatives du Québec - Du 24 septembre 2009 au 10 mai 2013"
Nouvellement arrivé au Québec, j'avais été invité (JH) à cette présentation au terme de laquelle j'exprimais l'opinion qu'avec de telles conditions les écoles alternatives devaient être inclusives.
Pierre Chénier, chargé de communication du REPAQ,, me demanda quelques précisions sur la notion d'inclusion et m'informa qu'en effet, une 18ème condition avait été envisagée au sujet de ceux que le réseau avait convenu de nommer les "élèves à défis particuliers". Mais cette condition initialement prévue pour porter le numéro 4 n'avait pas abouti à une formulation faisant l'unanimité et avait dû être à regret abandonnée. Il semble que certains craignait qu'une condition spécifique sur ce thème ne soit une publicité intempestive qui entraînerait une augmentation du nombre de demande d'admission pour des "élèves à défis particuliers" aboutissant à un alourdissement de la tâche professorale sans moyens supplémentaires. Certains craignaient même qu'à terme, les écoles alternatives ne deviennent des écoles spécialisées, ce qui irait vers le renforcement d'un modèle ségrégatif.
Plus précisément, divers arguments avaient été mis en balance quant au maintien de cette condition. Parmi les arguments en faveur du maintien, se trouvaient des arguments :
moraux : présumant que les enfants sont plus heureux dans les écoles alternatives, comment renoncer à tenter d'offrir une éducation à tous les enfants qui en éprouveraient des bienfaits nonobstant leur diversité?
d'opportunité : pédagogie plus favorable à la diversité car ouverte à la différenciation grâce à la coéducation.
Parmi les arguments favorables au retrait, se trouvaient des arguments :
moraux : dans une école d'inspiration humaniste, on ne doit pas catégoriser les élèves par des cotes. Les parents doivent choisir l'EA pour ses valeurs, pas pour des services. Les services devraient être attribués sur la base de plans d'intervention élaborés en équipe en fonction de besoins repérés en situation et non sur la base d'un diagnostic.
de conséquences : il n'est pas souhaitable que des élèves arrivent en cours de scolarité dans une EA en raison d'échecs dans un parcours commencé en école régulière, il y a un risque d'épuisement et de roulement du corps professoral.
Pierre Chénier m'invita à proposer un atelier consacré au thème des élèves à défis particuliers lors des prochaines "rencontres conjointes" (RC)* du réseau afin de remobiliser sur cette question, car il y a quoi qu'il en soit dans les écoles alternatives comme dans toute autre école, des élèves dont l'écart à la norme met en difficulté les équipes.
Ce qui fut fait lors de la RC suivante où un des 8 ateliers de l'après-midi fut annoncé sur le thème "les élèves à défis particuliers". Quelle ne fut pas notre surprise d'y voir s'inscrire 35 participantes et participants ! La question était loin d'être morte ! On n'eût guère le temps d'aller au-delà d'un tour de table où chacune et chacun fut invité·e à s'exprimer brièvement sur son intérêt pour le thème. Il fût convenu de poursuivre lors des RC suivantes.
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*les "rencontres conjointes" sont 5 réunions annuelles auxquelles sont invités les différents acteurs du réseau (enseignants, parents, direction, éducateurs des services de garde, élèves du secondaire... et maintenant chercheurs) à raison d'une délégation par école. Ces RC réunissent donc environ 80 à 100 participants pour la journée. Elles sont organisées en diverses modalités : plénières, tables rondes, focus-groupes...Lors des ateliers suivants, apparurent assez vite des difficultés de vocabulaire, des dissonances dans les représentations : de qui parlait-on dans chaque école lorsqu'il était question d'"élèves à défis particuliers"? Devaient-ils être définis par des troubles dûment diagnostiqués - auquel cas, pourquoi ne pas utiliser l'expression ministérielle consacrée d'EHDAA (élèves handicapés ou en difficulté d'adaptation scolaire et sociale) ? Parlait-on d'un spectre plus étendu d'élèves éprouvant des difficultés scolaires ou comportementales ? Parlait-on de tout élève mettant l'école en difficulté ? Et comment définir les pratiques mises en oeuvre ici ou là ? etc.
Je fus invité à proposer quelques clarifications historiques et conceptuelles : histoire de l'éducation des enfants hors normes, distinction entre Exclusion - Ségrégation - Intégration et Inclusion, Processus de Production du Handicap élaboré par le RIPPH. Il s'agissait de clarifier d'où vient l'idée d'éduquer la diversité des enfants, l'évolution des idées pédagogiques et éducatives à ce sujet afin de mieux situer nos propres attitudes et perspectives contemporaines.
C'est alors qu'une des participantes s'exclama : "Mais en fait, ce dont on devrait parler, c'est d'inclusion afin de travailler sur nos fonctionnements scolaires, notre pédagogie ! Avec "élèves à défis particuliers", on fait porter tous les problèmes sur les élèves, comme dans le modèle médical du handicap. C'est une impasse !"
En effet, on pouvait aussi remarquer que les 17 autres conditions définissaient un modèle éducatif et pédagogique pratiqué par une communauté. Or, l'expression "élèves à défis particuliers" venait centrer l'attention sur une catégorie d'enfants au risque évident de les stigmatiser, ce qui était contraire à toute la philosophie 17 autres conditions.
A partir de l'identification et de l'explicitation claire de ce qui avait causé le blocage, le REPAQ s'engagea dans une nouvelle stratégie de réflexion et de formation.
S'ensuivit une série d'ateliers dans l'esprit de l'analyse de la pratique professionnelle. A chaque rencontre, une personne qui l'avait préparé à l'avance, présentait une situation scolaire vécue comme problématique sur laquelle le groupe cherchait à envisager toutes les variations possibles du contexte qui permettraient d'améliorer la participation d'un enfant ou d'un groupe d'enfants à la vie scolaire et d'améliorer l'accessibilité des apprentissages pour le ou les intéressés. Ainsi, des enseignantes, des directions d'écoles, des parents réunissaient leurs réflexions et leurs expériences pour contribuer à l'amélioration d'une situation concrète et apprendre par là même à envisager la plus grande diversité possible d'hypothèses et de paramètres, cela bien sûr dans le plus strict respect de la confidentialité.
Grâce à Mélanie Paré, venue en parent d'élèves à une des RC, les forces de la recherche doublent !
De nouvelles propositions peuvent être faites...
A deux chercheurs, nous pouvons répondre à plus de sollicitations, imaginer d'autres développements liant réponse à la demande de réflexion-formation et recherche (collaborative par conséquent).
6 enseignantes d'une école acceptent de nous recevoir pour de l'observation en classe afin d'alimenter la réflexion de l'ensemble de leur équipe-école.
Une équipe-école nous invite à soutenir leur réflexion sur l'auto-formation assistée et ses effets sur l'accessibilité des apprentissages.
Le réseau des parents nous invite à soutenir leur réflexion sur le thème de l'inclusion pour la deuxième fois. Des focus -groupes sont organisés qui alimenteront la recherche.
Enfin, durant l'année scolaire 2017-2018, le REPAQ s'engage en totalité dans cette réflexion-formation-recherche sur le thème de l'inclusion en y consacrant ses 5 journées de "rencontres conjointes".
Chacune de ces rencontres est accueillie successivement par 5 écoles volontaires du réseau.
Pour préparer chacune de ces rencontres, Pierre, Mélanie et Jean se rendent quelques semaines avant à l'école qui recevra la RC. Nous y rencontrons quelques membres de l'équipe-école avec qui nous avons un échange à bâtons rompus sur leurs sujets de préoccupation ou d'intérêt du moment. Cela dessine un thème et une problématique que nous stabilisons par quelques échanges téléphoniques et de courriels ensuite. A partir de cela, l'équipe-école organise la matinée de travail en plénière sur le thème retenu en exposant sa vision et ses pratiques afin de les soumettre à la réaction des autres participants dans un débat aux formes organisationnelles variées.
L'après-midi, on forme des focus-groupes qui approfondissent le thème de la journée au regard de la question inclusive. Les chercheurs ont préparé pour cela une série de questions inspirées de "l'index pour l'inclusion" (Booth, T., Ainscow, M., Black-Hawkins, K., Vaughan, M. et Shaw, L. (2002). Index for inclusion. Bristol: Centre for Studies on Inclusive Education.)
Les focus-groupes sont animés par les membres de l'équipe-école qui accueille. Nous avons écrit un petit guide pour les aider dans cette tâche. (voir à la page de chaque RC)
Ainsi furent recueillies environ 60 heures d'enregistrement qui sont la matière principale des résultats de recherche que nous partageons sur ce site.