L’analyse des contenus enregistrés par les six focus groupes le jour de la rencontre conjointe consacrée au thème du recrutement et de l’admission dans les écoles alternatives est présentée ci-dessous. Sur ce thème comme sur les autres abordés dans cette recherche, on a privilégié l’exposé de la variété et de la diversité des pratiques telle que rapportées par les participants. Des regroupements par sous-thèmes ont été réalisés afin de proposer une lecture ordonnée de cette riche matière en faisant apparaître des lignes de force, des tendances, des évolutions rendant compte le plus honnêtement possible de l’état d’esprit, des questionnements et des choix de la communauté des écoles alternatives au regard de la qualité inclusive de ses modalités de recrutement et d’admission.
La première section expose les généralités de l’organisation du recrutement-admission en mettant en évidence deux dimensions structurantes : une dimension géographique et une dimension historique. La deuxième section expose des stratégies mises en oeuvre pour diversifier le recrutement des écoles dans une visée inclusive. La troisième indique ce qui est fait après l’admission pour constituer et renforcer les liens d’appartenance des admis dans leur propre communauté scolaire alternative. Enfin, la conclusion tente de formuler une proposition d’évolution des pratiques dans leur temporalité qui permettrait d’ouvrir l’accès des écoles alternatives à de nouveaux publics, à être par conséquent inclusives, sans perdre ni les valeurs ni l’objectif d’implication parentale et de coéducation de ces écoles.
Il est notable à l’écoute des focus-groupes que les modalités de recrutement et d’admission décrites sont diverses selon les écoles alternatives. Deux “dimensions” semblent jouer un rôle déterminant : une dimension géographique concernant donc la localisation de l’école considérée et une dimension historique prenant en compte l’ancienneté de sa fondation et les aléas ultérieurs de son histoire.
La dimension géographique s’exprime selon la politique de la commission scolaire à laquelle l’école est rattachée ainsi que selon la densité de population du milieu où elle est située. Certaines écoles se caractérisent par leur implantation urbaine, montréalaise essentiellement, d’autres sont situées dans des villages ou bourgades rurales, d’autres encore se trouvent en secteur périurbain. Ainsi la quarantaine d’écoles alternatives actuellement en fonctionnement est loin d’être en mesure de s’offrir au choix de toutes les familles du Québec. Il n’y a guère qu’au centre de Montréal que l’offre est suffisante pour que toute famille qui en aurait connaissance et le souhaiterait puisse l’envisager. Cela va même jusqu’à faire apparaitre des situations de concurrence entre les écoles alternatives lorsqu’une nouvelle école s’ouvre, ainsi que le rapporte un participant qui envisage que le phénomène va s’amplifier : “On a perdu des familles qui attendaient cette ouverture-là pour aller plus proche. Puis ils étaient contents d’aller à l’école près de ... de leur maison là. Fais que ça va probablement changer aussi au fil des années.”
De plus, les commissions scolaires font elles aussi des choix variés qui influencent le recrutement. Deux cas de figure principaux se présentent lorsqu’il y a plusieurs écoles alternatives dans une même commission scolaire : soit cette dernière autorise un recrutement pour chaque école sur l’ensemble de son territoire, soit elle sectorise ce recrutement délimitant ainsi la zone exclusive dans laquelle chacune peut recruter. Certaines commissions scolaires déterminent que l’école alternative doit accueillir un certain pourcentage d’élèves issus du territoire de l’école.
La dimension historique se remarque par le récit possible d’une évolution des modalités de recrutement et d’admission. Les plus anciennes pratiques sont marquées par une tentative de “sélectionner” les familles et les élèves correspondants le mieux à l’autodéfinition des écoles alternatives. Des entretiens préalables avec la famille au sujet des motivations de sa demande, de son projet éducatif pour son enfant, de sa capacité d’implication, de ses valeurs éducatives, etc. sont évoqués par des participants aux focus-groupes. Il est aussi question de sélection par questionnaire écrit (1) considéré aujourd’hui comme inadéquat, stigmatisant et excluant : “Par le passé, on avait un questionnaire qu’on faisait remplir aux parents. Aux familles qui voulaient ... puis bon ce questionnaire-là était évalué. (...) Il y a du monde qui ne parle pas français dans l’école. (...) Ils faisaient faire leur questionnaire par quelqu’un d’autre. On n’évalue pas le français des parents, ce n’est pas ça l’objectif.”
Ces pratiques ont donc le plus souvent évolué - et le modèle est en général adopté par les écoles plus récentes (2) - vers une clarification de la proposition alternative, généralement sous forme de réunion d’information, portes ouvertes, “journées d’exploration”, complétant la diffusion d’informations écrites par voie de presse, de prospectus et site web. Il incombe ensuite aux familles intéressées de faire par elles-mêmes la vérification de l’adéquation entre ce qui leur est présenté et leurs propres attentes. On observe par conséquent une augmentation du nombre de candidatures qu’un simple tirage au sort vient trancher, car “ comme on a toujours trop de demandes, on n’a pas d’autres critères. On en avait cinq ou six, mais nous les avons tous enlevés parce qu’on pige de toute façon”. De plus, les procédures de vérification de l’adéquation des familles semblent de plus en plus chronophages en pure perte, car affirme un participant : “ On allait poser des affiches et tout ça. Et il y a (...) peut-être 2 ou 3 ans on s’est dit ça sert à rien. On a tout le temps 3 fois plus, quatre fois plus de demandes que de places. Nous aussi à l’école on passait chaque famille intéressée en entrevue. Donc, c’était des soirées et des soirées de bénévolat pour passer 20 personnes en entrevue pour de la place pour 1.”
En certains endroits, les familles candidates ont peu de chance, car on reçoit par exemple jusqu’à 200 demandes pour 8 places ! “C’est triste un peu, commente un participant, parce que si on voulait aller chercher les communautés culturelles, il faudrait qu’on aille vers des organismes communautaires qui travaillent avec ces communautés-là. Mais on ne le fera pas parce que finalement on va les recruter pour les mettre sur une liste d’attente !”
On assiste donc globalement à une sorte de renversement passant d’une école qui cherche à s’informer et à prendre des assurances sur la qualité “alternative” des intentions parentales à une école qui informe avec précision les parents sur ses propres valeurs et modes de fonctionnement laissant le soin à ces derniers de décider si cela correspond à leur propre vision. Ce qu’une participante résume ainsi : “On en parle un peu autour, mais on essaye vraiment d’éviter que les gens viennent cogner en disant “que votre cour d’école est belle, j’habite en arrière de la rue, est-ce que je peux venir ici ?” (...) parce qu’on met vraiment l’emphase sur le projet éducatif et surtout sur l’implication des parents”.
Sous ces grandes lignes se dessinent cependant de nombreuses et subtiles variantes locales.
Cas particulier du secondaire : Une nuance importante doit être apportée concernant le secondaire où s’ajoutent deux paramètres. 1. Le paramètre déterminant de l’accord parents-enfant qui semble à l’adolescence une condition sine qua non de bonne insertion de l’élève dans le fonctionnement de l’école. Cet accord est, semble-t-il, systématiquement vérifié lors des entretiens. 2. L’avis du dernier enseignant de l’élève au primaire est aussi parfois recherché “à partir du moment où on a trop de doutes, on va aller voir ce que le prof du primaire en pense, (...) est-ce que le prof du primaire pense que ça pourrait servir cet enfant-là en l’accueillant ici ?”
L’admission de fratries, fait l’objet de différentes pratiques. Certaines écoles admettent systématiquement et prioritairement les frères et soeurs d’élèves déjà scolarisés à l’école, en particulier s’il s’agit de frères et soeurs plus jeunes. D’autres écoles, au contraire, refusent ce principe en particulier dans le cas où un élève est “pigé” pour une admission en maternelle et que la famille souhaite profiter de cette ouverture pour faire aussi admettre un aîné jusqu’alors scolarisé ailleurs.
Les enfants d’enseignants de l’école constituent eux aussi des cas traités variablement. Ainsi, une personne indique que “...à notre école les enfants de profs sont dans la pige au même titre qu’un autre”, tandis qu’une autre rapporte qu’une délibération du conseil d’établissement a tranché en faveur de l’admission prioritaire des enfants d’enseignants de l’école.
Parfois, le cas peu fréquent des anciens élèves devenus parents a été évoqué. Un participant indique que c’est aussi une situation prioritaire pour l’admission dans son école.
La diversité des politiques des commissions scolaires concernant la sectorisation et les conditions d’admission dans leurs écoles a déjà été notée plus haut. Certaines Commissions sont citées pour la rigueur - souvent récente - de leurs injonctions ainsi que le soulignent plusieurs participants : “il y a eu des années où est-ce qu’on recevait des élèves extraterritoriaux. Maintenant, on ne peut plus”. En revanche, d’autres Commissions montrent une certaine “souplesse” dans l’application selon ce témoignage par exemple : “on est quand même quelques-uns dans l’école qui a une entente extraterritoriale.” Ces situations sont parfois des héritages du passé en cours de résorption, car “On a encore avec nous quelques familles-là qui sont dans un contexte d’extraterritorial. Donc, ils ont une clause grand-père parce qu’ils appartiennent à une autre commission scolaire.” Enfin, certaines commissions scolaires laissent à charge aux familles extraterritoriales le transport scolaire, ce qui a sans doute pour effet de les décourager.
Il y a incontestablement chez les membres du REPAQ une prise de conscience et de l’inconfort à propos de la sélectivité des processus de recrutement et d’admission qui aboutissent systématiquement à une surreprésentation “des familles blanches et éduquées” selon l’expression d’un participant. Insistons : aucun des propos tenus lors des 8 focus-groupes ne laisse subsister de doute quant à la volonté partagée de faire des écoles alternatives des écoles inclusives, accueillantes à la diversité des élèves. Personne ne défend l’entre-soi, mais tous s’interrogent : Comment faire pour améliorer la situation tout en conservant ce qui fait l’ADN des écoles alternatives, le plus souvent résumé à deux exigences fondamentales, l’adhésion aux valeurs ET le temps à accorder à la co-éducation. Ce que résume vigoureusement un participant “En même temps, les parents on les sélectionne. On ne sélectionne pas du tout les enfants. On a un petit peu de tout, mais on les sélectionne sur leur volonté, les valeurs, leur volonté de s’impliquer. Je pense que si on ne sélectionnait pas ... bien on n’aurait pas d’école alternative là ». (souligné par nous) tandis qu’un autre rassure en affirmant :
« Notre quartier a été longtemps très blanc donc c’est difficile des ... des immigrants, mais ils arrivent tranquillement. Comme je dis maternelle, première et deuxième année ... on a asiatique, hispanique. Ça s’en vient. On n’a pas beaucoup, mais ça reflète le pourcentage …”
Les équipes des écoles alternatives ont travaillé pour trouver des réponses concrètes à ce problème de diversification du recrutement. Chaque école s’y est engagée depuis plus ou moins longtemps, plus ou moins vigoureusement et avec plus ou moins de succès. Nous allons maintenant examiner les stratégies mises en oeuvre dans les écoles alternatives et décrites par les participants à cette fin.
Des participants interviennent dans tous les groupes de discussion pour affirmer que leur école travaille à ouvrir ses portes à la diversité par l’intermédiaire de son comité de recrutement. Ce comité regroupe la direction, des parents et des membres du personnel. ils rapportent que ces comités mettent en place différentes stratégies, plus ou moins concluantes, mais en constante évolution et donc très réactives, pour s’assurer que toutes les familles qui s’intéressent à la pédagogie alternative puissent y venir.
Selon les réalités de chacune des écoles qui ont été décrites dans la section précédente, les préoccupations peuvent concerner l’ouverture aux élèves handicapés ou en difficulté, à ceux issus de l’immigration ou qui appartiennent à différentes communautés culturelles, aux modèles familiaux et au statut socioéconomique variés. Les propos sont unanimes en ce qui concerne les élèves HDAA, l’école alternative en recevrait beaucoup et serait même victime de son succès. Cette situation l'obligeait à prendre des mesures pour freiner l'afflux d’élèves “différents” dont les familles ont perçu dans l’école alternative une école-hôpital ou une école de la dernière chance qui offre une alternative à l’école ordinaire. Quant aux élèves immigrants ou appartenant à différentes communautés culturelles, les discours sont unanimes également : on retrouve peu ces élèves dans les classes des écoles alternatives. Enfin, en ce qui concerne les modèles familiaux et les ressources dont elles disposent, des participants partagent différentes mesures prises par les écoles pour s’ouvrir à différentes réalités et accompagner lorsque le besoin se fait sentir.
Des participants partagent les mesures mises en place pour s’assurer qu’une diversité d’élèves et de familles attirée par leur école viennent s’y inscrire. L’une des stratégies les plus discutées est la publicité et les informations distribuées sur Internet (site web de l’école ou média sociaux) ou dans les organismes et commerces autour de l’école. Les parents s’occupent généralement d’afficher des informations dans leur quartier ou dans une région dans le cas des écoles qui couvrent le territoire d’une commission scolaire par exemple. Plusieurs participants ont mentionné que de la publicité/information déposée dans les CPE et garderie et dans les YMCA a permis de faire connaître avec un certain succès leur projet à des familles immigrantes.
À travers la rencontre d’information, on s’assure de donner une grande quantité d’information aux futures familles sur le quotidien dans une classe alternative pour les élèves, sur les heures de participations parentales (parfois obligatoires) qui sont attendues pour assurer le fonctionnement du modèle pédagogique et sur les services offerts par l’école. Ces informations sont données de manière délibérée dans le but d’aider les familles à faire le choix de s’engager ou pas dans cette aventure. La grande majorité des écoles faisant face à une demande beaucoup plus grande que le nombre de places disponibles choisissent d’inclure des informations sur les valeurs véhiculées dans l’école et sur les limites du modèle. Par exemple, la centration sur le développement global des enfants est expliquée aux familles pour ensuite leur dire qu’en conséquence l’école ne valorise pas particulièrement la performance scolaire. Que leur école exige un investissement bénévole de leur part et un soutien de leur enfant dans ses projets et apprentissages qui fait en sorte qu’elle est exigeante en termes d'investissement de temps et d’attention de la part des familles. Enfin, des participants relèvent qu’on y décrit les services offerts aux élèves en difficulté qui sont similaires à ceux des écoles publiques de la commission scolaire et qu’à ce titre, elles ne peuvent pas répondre à tous les besoins particuliers des élèves HDAA. Ces informations prennent la forme d’avertissements qui visent les parents qui auraient des attentes qui ne correspondraient pas au modèle ou aux réalités des écoles alternatives.
Dans la suite du processus d’admission, les participants mentionnent qu’on peut mener des entretiens en anglais pour communiquer clairement avec certaines familles. Le formulaire à remplir qui précède généralement l’entrevue a aussi été revu dans certains cas pour le rendre plus accessible et facile à comprendre des parents qui ne connaissent pas encore le jargon pédagogique des écoles alternatives. Dans une autre école, on a révisé le formulaire pour accueillir les familles monoparentales. En effet, on y demandait auparavant des informations laissant sous-entendre que l’engagement du père et de la mère était nécessaire pour être admis à l’école. Cet exemple et le fait que les écoles alternatives reposent dans leur fonctionnement sur des formes précises d’engagement des parents à l’école et à la maison laisse entendre qu’elles valorisent indirectement le modèle familial standard. En effet, du reste - et cela a été signalé - un parent seul aura probablement plus de mal à remplir son engagement d'implication dans le temps scolaire.
Les stratégies pour augmenter la diversité dans les écoles alternatives ne viennent pas nécessairement d’efforts conscients de leur part. En effet, les écoles alternatives sont des écoles publiques soumises aux règles et aux services déterminés par les commissions scolaires. De plus, des aspects culturels et des mouvements sociaux peuvent expliquer un accroissement de la diversité dans ces écoles. Les participants ont mentionné des situations qui soutiennent leurs écoles dans sa diversité quant au genre, à la présence d’immigrants et aux d’élèves HDAA. Un frein toutefois demeure la grande demande à laquelle font face la plupart des écoles alternatives et le peu de places disponibles chaque année.
D’abord, toutes les écoles accueillent chaque année un nombre équivalent de garçons et de filles. Cette mesure semble s’appliquer rigoureusement d’après les participants. Ensuite, dans les écoles alternatives qui partagent leurs locaux avec une autre école publique ou avec des services régionaux des commissions scolaires comme des classes d’accueil pour les élèves issus de l’immigration et des classes spécialisées pour les élèves HDAA, on constate des formes d’intégration, voire d’inclusion. On peut par exemple faciliter l’intégration des élèves issus de l’immigration à travers les cours d’arts :
“Puis ce qu’on a mis en place au niveau de l’école c’est justement un système qui permet d’inclure ces jeunes-là (de la classe d’accueil) dans notre école. On a des concentrations artistiques et même si les jeunes ne parlent pas français ils sont inclus avec les groupes dans les concentrations artistiques.”
Des efforts conscients ont été faits pour recruter ces familles une fois leur séjour en classe d'accueil terminé :
“on a demandé à la commission scolaire si c’était possible une fois que ces familles-là vont être dans notre école, puisque les parents vont avoir vécu ce que c’est, de leur donner une priorité de rester dans notre école. Ceux qui veulent, ceux qui désirent, tu sais. Puis ça a été accepté”. (...) vous seriez surpris de voir à l’admission le nombre de parents de classe d’accueil qui se sont inscrits au processus pour pouvoir fréquenter l’école”
Toutefois, l’inclusion de ces élèves peut ensuite être regrettée lorsqu’elle est perdue. En effet, les services offerts pour ces élèves sont organisés par les commissions scolaires et non par les écoles. Ces dernières doivent ainsi s’ajuster à l’arrivée ainsi qu’au départ de ces services lorsque des changements organisationnels sont vécus :
“malheureusement moi, en tout cas, c’est sûr que ça me fait un pincement au cœur, mais dans la prochaine école les classes d’accueil vont être regroupées dans une autre école. Donc, ça, je trouve ça très, très décevant parce que c’est une richesse incroyable à notre école la présence de ces jeunes-là. On a déposé un mémoire à la commission scolaire, mais ça n’a pas été retenu.”
Enfin, des participants mentionnent la collaboration entre les enseignants de classes ordinaires et de classes spécialisées qui repose sur les pratiques d’enseignement des titulaires et sur l’horaire d’enseignement : “là ils ont le même horaire. Les enseignantes aussi des classes spéciales viennent avec nous. Donc, là on a vraiment l’impression d’être une équipe.” On remarque que lorsque des écoles alternatives partagent des locaux dans un même établissement et fonctionnent à partir d’un même horaire, les titulaires peuvent amorcer des collaborations entre ces classes ordinaires, d’accueil ou spécialisées. Il s’agit d’une des stratégies déployées dans certaines écoles alternatives pour tirer profit de la diversité présente dans leur milieu.
Les participants ont identifié des pratiques pédagogiques qui favorisent l’accueil et la participation de toute la communauté éducative. En ce sens, la diversité y trouve son compte puisque différentes stratégies sont employées au quotidien pour dénouer les tensions et éliminer les obstacles rencontrés. L’analyse des propos recueillis fait émerger quatre stratégies plus ou moins conscientes ou étendues qui favorisent l’inclusion scolaire.
Les participants reviennent abondamment sur leurs observations et leurs craintes à l’égard du recrutement d’élèves en difficulté et d’élèves en difficulté de comportement : “on a beaucoup, beaucoup d’élèves en difficulté ... les comportements ... qu’est-ce qui se passe ? Dans la tête des parents, on vient comme sauver l’élève qui a besoin de se sauver. Bien à l’école alternative il va bouger.” À ces observations et à cette perception sur l’attrait des écoles alternatives pour certaines familles qui revient dans les entretiens, on trouve une ouverture à l’inclusion qui est conditionnelle à l’implication étroite des parents par les parents qui agiront en partenariat avec l’école et les enseignants. Il peut s’agir d’une limite à la diversité dans le sens que ce ne soient pas tous les parents qui peuvent assurer cette présence et ce suivi actifs, mais dans le cas des écoles alternatives on comprend qu’elles sont plutôt victimes de leur succès.
En effet, un enseignant sous-entend que le programme est plus difficile dans ces écoles que dans d’autres : “C’est d’ouvrir, mais d’ouvrir pour une famille qui veut s’investir dans l’éducation de ses enfants. C’est ça la différence. Parce qu’un enfant à défi là dans une école alternative il va être encore plus à défi que s’il était au régulier. Si le parent n’est pas présent.” La présence des parents est ici conçue comme un gage de réussite scolaire dans une école alternative : ”J’ai zéro problème avec un enfant à défi dont les parents s’impliquent.” Au coeur de cette implication parentale centrale dans la pédagogie alternative québécoise se trouve également une des clés de l’inclusion scolaire qui consiste à en partager la responsabilité entre plusieurs adultes partenaires. La présence des parents les rassure, car ils peuvent y participer, elle rassure les enseignants qui auront du soutien et elle peut également rassurer les autres parents qui interviennent bénévolement en classe (ce qui est développé dans la section suivante). Les parents qui ont des enfants à défi avant ou en cour de scolarité semblent voir dans les écoles alternatives la possibilité de s’engager activement dans la réussite de leur jeune. L’attrait des écoles alternatives pour ces familles est évident dans l’ensemble des propos recueillis. Elles réussissent souvent ce partenariat au moment où c’est encore difficile ailleurs pour un parent d’être reconnu et encouragé dans son rôle actif.
Les classes d’accueil et les classes d’adaptation scolaire sous le même toit que les écoles alternatives donnent un contexte permettant d’imaginer des cours en commun et des échanges dans des contextes informels pendant les récréations, au dîner ou au service de garde. Les cours en commun ont été abordés par un participant qui tenait toutefois à dire que son école “ne publicise pas ces nouvelles possibilités”. En effet, la planification de cours communs entre des titulaires de différentes classes relève des choix pédagogiques des enseignants et non d’une initiative de l’école. Puisque ces cours entre élèves qui ne se seraient pas autrement côtoyés dépendent de la capacité des enseignants à les faire émerger et à les faire fructifier, ils sont vulnérables aux contraintes qu’ils rencontrent dans leur pratique (temps, locaux, ressources matérielles, horaire des élèves, etc.). Le participant précise que c’est un moyen de voir ces élèves s’adapter progressivement à la pédagogie alternative qui facilite ensuite le choix des parents d’intégrer l’école alternative par la suite.
Toutes les écoles alternatives impliquent un certain nombre d’heures de bénévolat de la part des parents. Plusieurs écoles n’exigent cependant pas que les heures obligatoires d’engagement parental soient faites en classe le jour, ce qui permet aux familles de s’engager dans d’autres activités qui se déroulent le soir ou la fin de semaine. Une école laisse aux familles le soin de fixer son nombre d’heures de participation annuel par elles-mêmes. Une autre école dit ne pas fixer un nombre d’heures minimum de participation parentale. On indique simplement aux parents qui veulent savoir qu’une balise de 20h par année par famille est attendue. On opte plutôt pour le soutien des familles qui s’impliquent le moins afin de les comprendre et de les accompagner dans des formes d’engagement qui leur conviennent. Des participants indiquent que leur école comptabilise les heures pour faire le suivi des familles par équité envers celles qui se conforment à la norme attendue. La flexibilité semble prometteuse pour s’assurer que toutes les familles participent et aient accès à l’école alternative. Ce type d’information est toujours abordée au moment du recrutement.
Une participante mentionne que leur école s’associe aux autres écoles publiques de son quartier dans un projet avec les organismes communautaires. Cela permet à l’école d’être connue et reconnue de ses partenaires locaux qui offrent des services aux jeunes et à leurs familles. Cette école organise des soirées portes ouvertes (soirée jeux de société) où les familles du quartier sont invitées. Le but de ces soirées est de se faire connaitre et de tisser des liens entre les familles de l’école et les familles du quartier. Le recrutement est facilité lorsque la communauté et les familles connaissent mieux l’école, ses membres et leur vision de l’éducation.
Cette section a décrit comment les participants perçoivent que leurs écoles adaptent leurs stratégies de recrutement. Les écoles alternatives emploient diverses stratégies pour profiter de la diversité présente dans leur établissement ou à proximité et pour recruter et accueillir les élèves et les familles intéressées. La section suivante explique comment les participants perçoivent les efforts réalisés dans leur école pour intégrer les nouveaux élèves et les nouvelles familles.
Suite aux différentes stratégies mises en oeuvre pour le recrutement et l’admission, il ressort des discussions que des moyens sont mis en œuvre dans les écoles alternatives pour permettre l’intégration des nouveaux arrivants (élèves, parents, enseignants et autres personnels de l’école) et assurer la cohésion de l’ensemble de la communauté scolaire alternative. L’organisation de multiples activités d’accueil, la mise en place de stratégies d’adaptation pédagogique pour répondre à la diversité et l’accessibilité physique sont les principaux éléments discutés lors des rencontres.
Dans les écoles alternatives, une diversité d’activités est développée par les enseignants et l’administration en collaboration avec les parents et les élèves pour accueillir les nouveaux élèves et leurs parents au sein de leur école. Ces activités regroupent : l’organisation en comité d’accueil, des parrainages entre anciens et nouveaux parents, entre anciens et nouveaux élèves ou entre des élèves finissants (qui ont gradué) et nouveau parents (au primaire) et des jumelages d’élèves de différents niveaux scolaires. Elles ont pour objectif de permettre aux arrivants de poser des questions, d’avoir des réponses et surtout de se familiariser avec la culture de l’école dont ils font désormais partie. On retrouve des élèves ayant différents profils cognitifs qui s’entraident et aident particulièrement leurs camarades HDAA, ce qui constitue une occasion pour eux d’apprendre à vivre avec des enfants qui ont des besoins particuliers et de “s’habituer à la différence” comme le souligne une participante.
En plus, des évènements festifs ponctuent l’année scolaire telle des activités de bienvenue à la maternelle sont organisées, des pique-niques, des BBQ, des sorties et des fêtes en fin d’année pour toutes les familles. Ces évènements agissent comme des canaux de socialisation qui stimulent l’implication de tous et créent un sentiment d’appartenance. Aux dires des participants, l’accueil concerne toutes les familles et les élèves qui débutent une expérience en milieu alternatif, que ce soit au préscolaire, en transition d’une classe multiâge à une autre (par exemple: les élèves d’une classe de 1, 2 et 3e année en transition dans une classe de 4,5, et 6e année) et ceux qui arrivent en cours d’année.
Malgré ces efforts du milieu alternatif pour assurer l’intégration de tous, certaines familles n’y trouvent pas leur compte et abandonnent l’école en cours d’année. Selon l’expérience des participants, l’accueil et l’intégration d’élèves reçus pour remplacer ceux qui sont partis sont plus difficiles, surtout si le nouvel élève a des “défis”. Le manque de familiarité avec les besoins particuliers du nouvel élève en serait la raison.
Les participants étaient unanimes sur l’importance de l’accueil et de l’intégration des nouveaux, mais cela demande l’implication de tous. En effet, il ressort que les éducateurs du service de garde et du dîner ont souvent du mal avec les élèves à besoins particuliers. De plus, la communication enseignants-éducateurs est souvent difficile à cause des différences dans les horaires de travail :
“[...] nous on n’a pas de service de garde, mais le service du dîner mettons on ne les voit pas les personnes du service du dîner. Quand la cloche sonne, ils sont partis. Fait qu’on s’envoie des messages par Internet. La communication se fait par Internet, mais on n’a pas beaucoup de liens […], quand on a un élève en difficulté bien il vient dans nos classes […].”
Ces échanges difficiles engendrent souvent des situations problématiques récurrentes qu’on souhaiterait pouvoir éviter en instaurant un système de communication profitable à tout le personnel pour une bonne coordination de la prise en charge de tous les élèves :
“Par exemple, l’éducatrice sur l’heure du dîner elle avait vécu une situation X. Une enseignante a récupéré un enfant qui était peut-être des fois en crise. Ils n’ont pas le temps de s’échanger l’information. Des fois, ça va avec la volonté aussi de l’éducatrice un peu plus engagée. Des fois le service de garde autant les enseignants, on a pairé des éducatrices avec des enseignantes. Parce que sur l’heure du dîner ils partagent l’espace. Le service de garde dans l’école. Donc, quand qu’ils ont une problématique ils nomment chacun leurs attentes”.
En résumé, l’accueil et l’intégration des nouvelles familles sont pris en charge autant par des parents que par des élèves et des membres du personnel. Cet aspect de la vie de l’école est perçu positivement, sauf dans le cas des élèves qui arrivent en cours de scolarité et pour ceux qui ont besoin d’un accueil et d’un suivi tout au long de la journée par la collaboration avec les éducateurs du service de garde.
Même si tous les participants sont d’accord pour utiliser les moyens nécessaires pour recevoir une plus grande diversité d’élèves et leurs parents, on souligne les difficultés à posséder l’espace, les aménagements et les infrastructures adaptées aux besoins de tous les élèves. Des entretiens de groupe, il ressort que des questions d’espace et d’accessibilité posent problème dans la grande majorité des écoles alternatives comme dans beaucoup d’écoles au Québec.
Au niveau de l’espace, des commissions scolaires demandent à certaines écoles alternatives de partager de leurs locaux avec des classes spécialisées (par exemple, celles pour des élèves qui ont un trouble du spectre de l’autisme) et des classes d’accueil pour des élèves migrants, dans le but de favoriser leur intégration. Cette situation engendre des difficultés au niveau des infrastructures: le manque d’espace pour faire vivre le projet éducatif alternatif crée souvent des conflits entre professeurs. Il y a aussi ce besoin d’espaces calmes et adaptés souvent précieux pour la lecture ou pour isoler temporairement certains élèves qui ont besoin de silence.
Sur la question de l’accessibilité physique, la situation reste la même. La problématique majeure est l’accès des élèves à mobilité réduite aux salles de classe. La plupart des écoles alternatives manquent d’équipements adaptés tels des rampes d’accès ou un ascenseur pour faciliter l’accès aux salles de classes de ces élèves. Certaines écoles demandent des réaménagements de leurs locaux notamment des toilettes pour les élèves à mobilité réduite. Les participants ont également évoqué la gestion des toilettes non genrées qui sont de plus en plus demandées dans les établissements.
Il importe de souligner qu’il existe des écoles alternatives qui possèdent déjà tout le nécessaire ou qui s’organisent pour disposer de l’équipement nécessaire à l’arrivée d’enfant avec une situation particulière dans leurs établissements.
“Bien, motricité on a aucun problème. On a même déjà eu un enfant à l’école qui était en chaise roulante. Ça a très, très, très bien fonctionné. On a une rampe pour les locaux au premier, au deuxième et un accès à la cour. Là-dessus je n’arrive pas à voir quel handicap ne pourrait pas fonctionner”.
Certains parents, pour permettre à leur progéniture de fréquenter l’école de leur choix ou l’école de quartier avec leurs camarades, mettent les moyens financiers nécessaires dans l’aménagement des locaux d’écoles pour rendre les salles de classe accessibles à ces derniers.
« On a accueilli une famille il y a quelques années dont le deuxième enfant est arrivé et il est atteint d’une dystrophie musculaire. […]. Au moment où cet enfant-là est arrivé, la commission scolaire a d’abord dit est ce que la famille est ouverte à aller dans une école qui est déjà aménagée ? Bien, cet enfant-là a une espérance de vie limitée et ses parents veulent qu’il ait une éducation où il aura du plaisir […], il faut qu’il puisse en profiter le temps qu’il est ici. Alors ils ont pris la décision de payer pour l’équipement ».
Plusieurs écoles alternatives ne peuvent accueillir des enfants à mobilité réduite à cause du manque ou de l’insuffisance d’équipements adaptés. Celles qui en possèdent sont quant à elle souvent contraintes de les accueillir, car l’équipement disponible de l’école oriente le choix d’un établissement pour un enfant à mobilité réduite sans considération pour la qualité alternative de l’école.
« Notre commission scolaire nous a très bien informés que parce que nous on a une rampe d’accès aux enfants que si un jour … dans le secteur on a un enfant en chaise roulante alternatif ou pas il va falloir qu’on se questionne parce qu’on va probablement devoir l’accueillir »
La question de l'accessibilité physique des écoles alternatives est donc un enjeu pour les participants dont l’école se voit contrainte de refuser (ou éventuellement d’accepter) des élèves à mobilité réduite. L’apport des parents est à nouveau souligné puisqu’il est possible que des parents fournissent des équipements à l’école publique alternative pour que leur enfant puisse la fréquenter. L’ouverture de l’école alternative à cette possibilité témoigne de sa flexibilité envers les contraintes liées à leur accueil.
Au regard de la diversité des profils cognitifs des élèves dans les écoles alternatives, les acteurs qui interviennent dans leurs apprentissages coordonnent leurs différentes interventions afin de s’adapter aux besoins de chaque apprenant. Enseignants, parents, orthopédagogues, psychologues, service de garde, psychoéducateurs et direction participent à l’élaboration de plans d’interventions qui décrivent les besoins des élèves et les interventions spécifiques de chaque acteur pour le soutien de l’élève. Au secondaire particulièrement, l’élaboration de ces plans d’interventions est coordonnée par des “profs-conseils” avec la collaboration des autres acteurs.
Bien que les parents interviennent à travers la coéducation dans l’apprentissage des élèves, ils ne participent pas à la mise en œuvre des adaptations pédagogiques. Or, dans leur désir de contribuer aux apprentissages des enfants, certains parents font souvent face à des situations difficiles pouvant engendrer des frustrations par manque de connaissances pour accompagner des élèves “à défis”. Pour remédier à ces situations, des documents sont mis à leur disposition ainsi que des communications, des rencontres de classe ou de groupe, des discussions avec les enseignants, des ateliers et des formations dirigés par les enseignants sur le TDAH, le TSA, la dysphasie, sur certaines matières et des soirées de formation sont organisées au profit des parents coéducateurs. Aussi, des rencontres entre parents seuls sont organisées pour partager leur expérience, des informations à propos des élèves “à défis” sont offertes afin d’améliorer leur capacité d’action en coéducation et en conduite de groupes d’enfants. Ce sont des occasions où des parents sont invités à parler des difficultés et des besoins particuliers de leurs enfants à lorsqu’ils le veulent ou se sentent capables. Ces moments sont souvent difficiles (émotions) pour certains, mais ils sont encouragés, car cela rend service à l’enfant. Selon les participants, plus les autres parents comprennent les besoins et difficultés de l’enfant plus ils arrivent à l’accompagner dans ses apprentissages à travers la coéducation. Les enseignants sont souvent invités à ces rencontres où ils agissent comme des « conseillers pédagogiques » à travers la conduite de formation.
Au regard des difficultés que peuvent rencontrer les parents pendant la prise en charge des élèves en coéducation, les participants se sont se questionnés sur la confidentialité des informations contenues dans le dossier des jeunes. Des avis recueillis lors des focus groupes, c’est une question à double tranchant. D’une part, les uns pensent qu’il est important de partager l’information sur l’enfant afin que chaque intervenant auprès de l’enfant - comprenant les parents en coéducation - puisse connaître et prendre en compte les besoins de l’enfant. Comme le souligne cette intervenante :
« Une fois qu’on a fait des portraits des classes et qu’on a déterminé des moyens pour aider les élèves il y a un tableau synthèse qui est produit par les orthopédagogues avec chaque élève. On mesure ceux qui ont droit à un tiers de temps de plus, à l’ordinateur, à être debout. [...], il faut que cette information-là soit partagée pour qu’on puisse en tenir compte. [...] éviter qu’un élève qui est dyslexique passe entre les mailles du filet ou un élève qui a droit à un ordinateur pour faire une évaluation ne l’ait pas ou qu’on ait juste prévu l’évaluation sur papier puis qu’ils ne puissent pas l’avoir en version informatisée. On doit avoir cette information-là. Et donc [...] la direction, je trouve ça surprenant parce que la direction fait complètement fausse route si elle demande de garder l’information pour nous. Ce n’est pas ça la confidentialité des données ».
D’autre part, les autres pensent qu’il faut savoir s’en servir, car cela comporte des risques comme liés à “l’effet golem” (4):
A cette question, il est important de souligner que ce n'est pas la connaissance soi-disant prédictive des comportements qui pourraient découler d'un trouble dûment attesté par la divulgation d'un diagnostic qui est utile. La divulgation d'un diagnostic ne doit être faite que dans la mesure où il nécessite une vigilance de type médical pour un risque d'urgence (cas de l'épilepsie par exemple). Sur le plan pédagogique, c'est seulement les mesures de compensation ou d'adaptation qui ont besoin d'être partagées non seulement pour en permettre une utilisation homogène, mais aussi pour en permettre la réévaluation régulière et concertée. Ce qu'on recherche ainsi, c'est aussi la description des capacités préservées de l'enfant. Et c'est aussi ce que semblent plus disposées à faire les écoles alternatives.
Les acteurs des EA estiment généralement qu’ils ont la volonté et font tout leur possible pour que leur école soit inclusive, c’est à dire accueillante à la diversité ethnique, culturelle, sociale, fonctionnelle et cognitive des élèves. Mais ils sont nombreux à constater que tel n’est pas ce qui résulte de leurs modalités actuelles de recrutement et d’admission. Un net regret s’exprime à ce propos. Pourtant, des aménagements allant vers une clarification et une remise aux parents de la décision de postuler ou non ainsi que des actions diverses de promotion vers des populations éloignées de l’idée alternative ont été engagées depuis quelques années pour pallier ce problème qui semble entacher la “bonne volonté” d’ouverture des écoles, entrer en contradiction avec les valeurs d’accueil et de respect prônées par ailleurs. Il semble que rien n’y fasse efficacement. Cela d’autant moins que la plupart des écoles n’ont pas besoin de recruter un surplus de candidats en termes d’effectifs puisqu’elles recourent déjà largement à la pige pour départager les familles postulantes. Cette situation de fait n’encourage pas fortement la volonté morale pour la diversification exprimée par ailleurs.
De plus, avant d’en arriver à la phase de tirage au sort deux engagements essentiels sont systématiquement requis de la part des parents : 1. l’adhésion aux “valeurs de l’alternatif” telles que définies dans le document des 17 conditions, 2. l’engagement à s’impliquer un certain nombre d’heures dans des activités ayant lieu à l’école. Le premier engagement est moral et déclaratif, il est pris “en conscience” par les parents. Le second, au-delà des arguments incontestables de son bien-fondé, intervient comme la sanction du premier. Il lui donne de la visibilité, il le concrétise. En termes religieux, il est à l’adhésion ce que le sacrement est au credo. En termes plus séculiers, on peut le voir comme une sorte de ticket d’entrée, un prix à payer qui délimite la communauté scolaire alternative. Incidemment, on peut aussi se demander si cette dernière ne donne pas par cette exigence une prime au modèle familial standard, traditionnel, avec père pourvoyeur et mère à la maison, en contradiction avec son “libéralisme” éducatif dans la mesure où l’implication requise est plus difficile à envisager dans les situations très fréquentes de monoparentalité comme dans celles où les deux parents travaillent.
Quoi qu’il en soit, l’école alternative se distingue nettement des autres organisations scolaires qui maintiennent le plus souvent une nette séparation quasi physique entre les parents et l’école à savoir : parents cantonnés à l’extérieur de l’école pour attendre la sortie des élèves, parents convoqués ponctuellement à l’initiative des professionnels, etc.
Au-delà de l’utilité pratique explicite d’une telle exigence d’implication par laquelle les parents apportent soutien et savoir faire personnel particulier, la question se pose du sens de cette obligation qui semble faire obstacle à la volonté par ailleurs exprimée d’ouverture à la diversité. Pourquoi la communauté des écoles alternatives tient-elle contre vents et marées - c’est-à-dire contre le principe habituel de séparation entre l’éducation familiale et l’éducation scolaire, contre la difficulté persistante de maintenir cette obligation et contre le risque d’apparaître sectaire - à conserver cette pratique, cette forme obligatoire de coéducation ? Cela contribue-t-il à “familialiser” l’école et/ou à “écolifier” la famille ? Cela sert-il aux parents à s’assurer que l’école à laquelle ils confient leurs enfants est bien imprégnée des valeurs dont eux-mêmes affirment se réclamer ? Ou est-ce l’école qui tente de s’assurer ainsi d’une certaine homogénéité du milieu parental afin de se préserver d’être tirée à hue et à dia ? Sans doute rien de tout cela et poursuivre le questionnement dans cette voie conduirait à un mauvais procès d’intention. Il n’empêche, à titre d’expérience de pensée, on peut se demander ce qu’il adviendrait de la demande d’un orphelin à être scolarisé en école alternative. Priverait-on l’enfant des bienfaits de la pédagogie alternative au prétexte qu’il n’a pas de parents qui puissent s’engager à s’impliquer ?
Toujours est-il que les deux parties (professionnels et parents) organisent par ce moyen - et c’est sans doute précieux - une certaine qualité de relation, une “paix scolaire” générale, obtenue après sélection et maintenue par le consentement à la nécessité d’une coopération fréquente sur le terrain même de la classe. C’est évidemment une nette distinction d’avec les autres écoles. Mais cette paix des adultes ne suffirait pas à justifier cette pratique. C’est pour les élèves qu’elle doit être importante. Or, la littérature scientifique donne incontestablement et largement raison à ce choix parce qu’il favorise la réussite éducative et qu’il peut donc légitimement être considéré comme la raison nécessaire et suffisante de souhaiter l’implication parentale dans les écoles.
Cependant, la question pourrait être abordée sous l’angle de ce qui fait paraitre parfois problématique dans cette pratique, à savoir sa temporalité. En effet, elle est présentée le plus souvent comme un préalable, une condition à laquelle souscrire obligatoirement, alors qu’elle pourrait être avant tout présentée comme un objectif poursuivi ensemble. Or, il existe de nombreux moyens de favoriser l’implication des parents dans la vie de l’école, et de nombreuses expériences qui montrent comment y parvenir. Le temps d’intervention en classe n’est d’ailleurs qu’un de ceux-là et plusieurs écoles alternatives ont déjà diversifié les propositions d’implication favorisant la coéducation. La littérature les mentionne aussi :
la fonction parentale, qui consiste à établir un environnement propice à l'apprentissage à la maison;
la communication avec l'école en termes d’information à propos des programmes éducatifs et des progrès de l'élève;
la participation à des activités ponctuelles à l'école;
la supervision des travaux scolaires au domicile familial;
la participation à la gestion de l’école;
la collaboration avec la « communauté » dans le cadre d’un projet éducatif.
Une évolution pourrait s’envisager qui consisterait à affirmer que les écoles alternatives visent à favoriser la plus grande participation parentale et communautaire possible, à en décliner les différentes modalités de réalisation possibles et à demander simplement aux parents de souscrire à ce principe comme ils souscrivent jusqu’alors aux valeurs, c’est-à-dire, de façon déclarative. Viendrait ensuite, après l’admission, le temps de l’intégration, période durant laquelle les parents trouveraient progressivement leur place pour s’impliquer dans la co-éducation grâce aux différents dispositifs décrits ci-dessus (cf. le paragraphe : “Suite à l’admission : accessibilité, intégration, maintien de la cohésion et de l’engagement parental”)