Sixième semaine

Il est grand temps de s’occuper des visas pour l’Iran. Nous décollons donc de bonne heure (enfin, pas avec plus de 30 minutes de retard sur l’horaire prévue), car l’ambassade d’Iran ouvre ses portes à 10:00, enfin c’est ce que l’on avait lu. Située en périphérie de la ville, il faut grimper en vélo une bonne demi-heure dans le trafic pour y accéder. Tout contents, nous sommes les premiers et en avance ! Nous attendons donc l’horaire indiquée et sonnons. Un gardien nous ouvre d’un air las et nous tend immédiatement une feuille sur laquelle est indiquée que les horaires des services ont été modifiées. Dorénavant, c’est 14 h ! Pierrot refuse tout net de retourner dans le centre-ville après l’ascension de ce matin, nous allons donc lire durant 4h sur un banc, dans le jardin public jouxtant l’ambassade. Nous voici donc de retour à 14 h, en oubliant cette fois d’arriver en avance, bien qu’étant assis à 50m de là. Résultat, une dizaine de personnes nous précèdent ! Et notamment deux allemands venant chercher leurs visas, qui nous expliquent un peu la procédure. En résumé, il faut effectuer un paiement dans une banque iranienne située dans le centre-ville, mais la somme dépend de la nationalité. Ils m’assurent que la banque connaît les montants. Je laisse donc l’ami Pierrot à l’ambassade pour gérer les dossiers et repart en trombe vers le centre-ville, avec mon destrier délesté de tout ses bagages, avec l’espoir de pouvoir tout de même compléter le dossier avant la fin de l’après-midi. La banque est évidemment bondée, et il est difficile de comprendre la logique de passage. Un doute m’assaille soudain, je ne vois aucun terminal de paiement. En effet, il faut de l’argent liquide, les sanctions économiques étant à l’origine de ce petit problème. C’est parti pour trouver une autre banque afin de récupérer une somme approximative. J’arrive enfin à parvenir à un guichet qui m’explique qu’ils n’ont aucune idée du montant que l’ambassade demande ! Je n’ai plus le temps de faire un aller-retour à l’ambassade, les visas ne seront pas pour les jours prochains ! Entre temps, Pierrot a complété les dossiers, obtenu le montant de la somme à verser, que nous déposerons finalement le mercredi, pour obtenir les visas le vendredi suivant ! Hourra !

Entre-temps, notre ami Gurhard, charmant monsieur hébergé comme nous à l’hôtel Sakharov, nous fait découvrir tout un tas de mets des plus étranges, venant d’Arménie ou d’ailleurs, comme l’ail fermenté mariné, le kvass (bière de pain), diverses sauces à bases de plantes, une espèce de saucisse sèche plate noire (dont j’ai oublié le nom), des noix jeunes au sirop (avec la coquille ramollie)… Sa méthode consiste simplement à parcourir les marchés locaux à la recherche de tous ce qui paraît étrange et de tenter sa chance !

Le propriétaire de l’hostel nous apprend qu’un groupe de russes va débouler, et que la place risque de manquer. En effet, la table du petit déjeuner compte 4 chaises, et avec Pierrot cuisinant, il n’y a guère de place pour d’autres personnes, alors quand nous apprenons qu’une vingtaine de russes débarquent, nous comprenons que ça risque d’être compliqué ! Le gérant nous assure qu’en utilisant le lit pliant de notre chambre, tout le monde rentrera. Après tout l’endroit est sympa et convivial, nous y sommes très bien, on verra bien ! Les russes arrivent finalement, et après moult tractations, il n’y a finalement pas de place pour nous, nous devons partir. Le propriétaire nous négociera un logement dans un hostel voisin, mais nettement moins charmant, tant pis ! À tel point que Gurhrard décidera de rentrer plus tôt en Géorgie, dommage car notre palais se souviendra longtemps de ses trouvailles !

Nos visas en poche, il ne faut pas traîner, car la saison avance et nous n’avons pas progressé comme prévu. La mort dans l’âme pour moi et le cœur léger pour Pierrot, nous décidons de prendre un taxi pour franchir une partie de l’Arménie annoncée comme éreintante par des cyclotouristes que nous avons rencontrés en Géorgie. En traînant au niveau de la gare routière de Yerevan, nous trouvons rapidement un taxi près à nous faire avancer de 250 km, jusqu’à Kapan, dernière ville d’une certaine importance avant la frontière iranienne, pour une somme acceptable. Et oui, une ligne de train a semble-t-il existé, mais celle-ci passant par une exclave de l’Azerbaïdjan, la ligne est maintenant interrompue ! Rendez vous est donc pris pour le samedi matin. La soirée se passe et débarrassés de la pression des visas, nous nous relâchons un peu (trop). Afin de m’endormir la conscience tranquille, je passe tout de même en revue toutes les étapes administratives à effectuer pour les pays suivants. Et là, me revient ce détail d’importance, qui est l’impossibilité de retirer de l’argent en Iran ! Nous allons y rester près de 2 mois et nous n’avons pas de cash ! Détail amusant, il est 23h, et il nous sera impossible de trouver euros ou dollars en dehors de Yerevan, seules devises acceptées en Iran ! Nous voici donc repartis à travers la ville dans la nuit à la recherche des supermarchés ouverts 24h/24h et ayant un bureau de change (merci à la réceptionniste d’un hôtel pour le tuyau !). Nous dévaliserons plusieurs de ceux-ci afin d’avoir assez de monnaie pour continuer notre voyage !

Le taxi nous emmène donc à travers le sud de l’Arménie, effectivement extrêmement vallonné, voir carrément montagneux. Ce trajet nous aurait pris au moins une semaine, nous épuisant au milieu des paysages rocheux.


Arrivée à Kapan, un peu austère, le paysage est bien différent, très vert, encaissé dans une vallée irriguée par un torrent de montagne. C’est cette vallée que nous devons remonter pour ensuite franchir un col à plus de 2500m d’altitude. Autant dire que cette perspective réjouit d’avance l’aristo de l’aventure, j’ai nommé Pierrot ! Un poil moins de 2km de dénivelés verticaux nous attendent sur une courte distance ! Nous campons à quelques kilomètres de Kapan, après avoir déjà bien monté ! L’humidité est sidérante, tout devient moite très rapidement, et un froid intense s’invite à la soirée, nous ne tardons pas et nous couchons avant 21 h. Le matin, je suis réveillé en sursaut par quelqu’un qui me crie quelque chose à travers la toile de tente. Je glisse une tête probablement à faire peur à travers la fermeture éclair et tombe nez-à-nez avec un homme âgé, apparemment en colère de nous voir dans ce qui pourrait être son champ. J’essaye de lui expliquer que nous partons immédiatement, le temps de ranger nos affaires ! Il s’en va en maugréant des mots que je ne comprends pas pendant que nous sortons de nos tentes, puis revient peu de temps après. Ce coup-ci pour me demander de le suivre dans une petite cabane à la cheminée fumant noir. Il voulait simplement nous inviter à venir nous réchauffer auprès de son poêle à bois. Le visage buriné des montagnards fait qu’il est parfois difficile d’y discerner leurs réelles intentions ! Après nous être réchauffés en tentant de lui expliquer le pourquoi de notre présence dans la prairie, nous retournons ranger nos affaires, en traversant le nuage de fumée noire causée par les vieilles chaussures incinérées par vieil homme.


La route serpente parmi les montagnes en conservant une pente relativement importante durant une vingtaine de kilomètres. Mais ce passage déjà éprouvant n’était que l’entrée de ce qui nous attendait. Passée la dernière ville avant le col, la pente devient franchement raide, et c’est parti pour 15km à 10 % ! « T’inquiète, Pierrot, ça va pas durer ! » lui lançais-je au début. Il m’en voudra un moment ! L’ascension nous prend une bonne partie de l’après-midi, avec un froid vif et du vent nous accompagnant. Mais le paysage en vaut le coup, car nous nous rapprochons des sommets enneigés, et c’est un véritable plaisir d’embrasser du regard les montagnes alentours.

En haut, nous ne sommes pas les premiers, Mathew, cycliste tchèque, nous a précédé ! Celui-ci s’apprêtait à repartir quand nous arrivâmes. Nous voici donc à trois pour quelques jours, nos chemins étant similaires jusqu’en Iran. La descente est un délice, la route serpentant dans un paysage automnal flamboyant, et ses feuillages aux couleurs chaudes embrasant les forêts.

La soirée s’écoule dans une atmosphère bien réchauffée (l’Iran n’est pas loin), en sirotant les dernières bières que nous auront l’occasion de boire avant longtemps, dans une prairie arrosée d’un ruisseau. Pierrot en profitera pour se tailler une béquille en bois sur le modèle de celle de Matthew. Il était temps, l’absence de béquille commençait à le rendre hargneux. La frontière iranienne est dans cette région délimitée par une rivière, donc située dans une vallée, ce qui signifie qu’une nouvelle ascension nous attend de l’autre côté de la frontière ! Nous décidons de prendre un peu de repos afin de profiter d’une journée complète en Iran, le visa n’étant que de 30 jours.