Semaine 11

Nous en sommes maintenant à 2000 km depuis notre départ (approximativement, puisque notre compteur géorgien a rendu l’âme à la première averse), ce qui signifie qu’il est temps de changer nos chaînes ! En effet, afin de préserver d’une usure prématurée les pignons et plateaux, difficiles à trouver, nous effectuerons un changement de chaîne tous les 2000 km. L’ancienne sera conservée et replacée à 4000 km, etc. L’usure s’en trouvera donc répartie et diminuée. L’opération est une simple formalité et une chaîne toute neuve est installée pendant que l’ancienne est précieusement mise au fond d’une sacoche.

Au petit matin, le mauvais temps a disparu, ouf ! Car il s’agit maintenant de quitter le littoral pour prendre la direction de Teheran. Cette fameuse route ne s’annonce pas une partie de repos car partant d’environ 60 m (et oui, la mer Caspienne est sous le niveau moyen des océans), le col à franchir se trouve à 2600 m d’altitude. Nous diviserons donc l’effort en plusieurs jours. Mais il s’agit de faire vite, car la météo est capricieuse et, nous a-t-on dit, les orages particulièrement violents en altitude. La fenêtre météo semblant correcte, nous partons.

Les premiers kilomètres, nous empruntons l’autoroute payante qui a le mérite d’être quasi déserte, et de plus, monte de manière très progressive, ce qui en vélo est fort appréciable. Le personnel du péage, un peu surpris de nous voir arriver, nous laissent passer sans payer. En effet, la catégorie « vélo » n’existe pas. Puis l’autoroute prenant fin, comme tous ces grands travaux qui n’en finissent jamais (heureusement pour les espaces sauvages), voici sur la route historique. La circulation est immédiatement beaucoup plus dense, car nous sommes vendredi, donc à la fin du week-end, et tout le monde rentre à Téhéran. De plus, le jeudi était férié car marquant l’Arbaïn (la fin de la célébration du martyr de l’imam Hossain, commençant 40 jours avant, appelé l’Achoura), ce week-end fut l’occasion pour de nombreux habitants de Téhéran de prendre congé pendant plusieurs jours. Il en résulta une quantité de véhicule particulièrement importante. La route étant largement sous dimensionnée pour un tel flux, des embouteillages impressionnants se créèrent et nous passerons la journée à remonter des files de voitures dans des paysages somptueux de gorges étroites et de torrents encaissés, sous les encouragements chaleureux des vacanciers sur le retour, qui nous offrent même des gâteaux au passage.

Dans de telles conditions, nous dormirons le long de la route, sur une des rares petites plateformes que le torrent le long duquel nous évoluons a bien voulu préserver dans son lit. La fin de cette journée marque la moitié de l’effort que nous avons à fournir pour franchir la chaîne de montagnes, même si notre position encerclée de gigantesques falaises, dont le sommet est caché par la brume, ne nous donnent pas l’impression d’avoir beaucoup progressé. Mais nos jambes nous certifient heureusement le contraire !Le lendemain, la route devient immédiatement beaucoup plus aérienne, avec des aplombs vertigineux de plusieurs centaines de mètres, que seul un petit muret sépare de la route. On se demande même parfois comment tient celle-ci, quand on voit les nombreux renforts de tiges d’aciers enfoncés sur les bords. Mais quelle vue !


A chaque épingle à cheveux, un restaurant s’est installé, il est donc aisé de se ravitailler. A mesure que se rapproche le sommet, l’air se fait de plus en plus frais et, sous l’action du vent qui ne se calme pas, toute pause est difficile. L’effort important nous fait transpirer abondamment, et le vent nous glace avant même d’avoir pu sécher. Nous ferons donc l’ascension plus ou moins d’une traite. Arrivée au sommet, nous sommes accueillis par l’équipe locale du croissant rouge, le pendant musulman de la croix rouge, qui nous offre de quoi nous hydrater, réchauffer et reposer avant d’attaquer … le tunnel !

Et oui, un magnifique tunnel de 3km s’offre à nous, heureusement en descente. L’équipe médicale en profite pour nous donner des masques anti-poussière, et prend également la tension sanguine de Pierrot, avec un appareil dont les piles furent particulièrement difficiles à trouver, car étant au-dessus de 2000 m, celui-ci est encore sujet à ce satané « mal des montagnes ». Finalement, ce tunnel n’est qu’une simple formalité et nous bivouaquerons quelques kilomètres plus loin après être redescendus de 600 m d’altitude, et passerons la soirée autours d’un petit feu à manger du pain et du fromage local.La descente se continue doucement toute la journée suivante, tantôt dans des gorges, tantôt à flanc de falaise. Nous contournerons un lac artificiel régulant les apports d’eau vers Téhéran. Il est convenu que nous prendrons le train à Karaj, première ville d’importance sur notre route car Pierrot n’aime que modérément la conduite d’un vélo en ville. Il est vrai que Téhéran, dont l’agglomération compte environ 15 millions d’habitants et une circulation d’enfer, a de quoi intimider ! En définitive, nous rejoindrons Karaj vers 16h et cherchant la gare, le propriétaire d’un kiosque nous informe, renseignements pris, que le train de banlieue en partance pour Téhéran ne prendra pas nos vélos. Désolé Pierrot, nous allons devoir y aller à la force du mollet ! 40 km nous attendent sur autoroute surchargée (tel est l’état du monde moderne), à faire de plus à toute vitesse pour ne pas nous retrouver de nuit sur cette coronaire routière au milieu de laquelle nous ne sommes que des intrus. Chanceux, le vent nous est favorable, ainsi que la pente et en moins d’1h30, la distance est avalée ! Reste que notre situation n’est pas aisée. Nous nous retrouvons à la tombée de la nuit à Azadi Square (place de la liberté), sans logement, dans cette mégalopole. Nous avançons un peu au hasard afin de dénicher un restaurant offrant une connexion internet (source principale d’information). Après plusieurs tentatives infructueuses, nous trouverons finalement une chambre dans un hostel correct de la rue Amir Kabir, repère de toute personne à la recherche de pièces de voitures. La rue est certes très bruyante, mais finalement placée proche d’une station de métro, du bazaar de Téhéran et du palais du Golestan.