Quatrième semaine

Départ de bonne heure le samedi pour le lac Sévan, on ne va pas rester à se tourner les pouces pendant tout ce temps. Avant de partir, le tenancier de l’hostel nous arrose de cognac, mais c’est un peu rude le matin, surtout avant de faire du vélo (une partie du cognac finira donc dans l’évier pendant un instant d’inattention du généreux bonhomme). Le lac est à environ 60 km de Yerevan. Détail que nous apprendrons en route, il est aussi environ 900 m plus haut ! La sortie de la ville s’effectue en pente raide, dans le trafic de véhicule crachant une fumée noire sous l’effort des moteurs et dans une forte chaleur. Pierrot vécu apparemment sa pire après-midi ce jour-ci. Mais fouettant sa « Vigoureuse » (le petit nom de sa monture), nous parvenons à nous extirper de la zone urbaine par les petites routes. Manque de bol, le vent se lève dans la soirée, et c’est la pente et le vent que nous devrons affronter avant de nous arrêter. Pierrot n’aurait pas pu aller plus loin, il est tellement fatigué qu’il n’a même pas faim et va directement se coucher, dans un creux de talus, non loin d’une grosse conduite de gaz ! Sans doute pas le meilleur lieu pour bivouaquer, mais on prend ce qu’on trouve ! Pensant passer une nuit paisible, nous ne dormirons qu’assez peu tant le vent, qui redouble de force durant la nuit, fait claquer la toile des tentes et nous passons une partie de la nuit à nous demander si les arceaux des tentes vont tenir.

Nous atteignons rapidement le lac Sevan dans la matinée et trouvons un superbe endroit pour y planter nos tentes. La soirée est belle, même si des orages grondent aux alentours. Nous nous réveillons sous le soleil, malgré des nuages qui nous inspirent quelques craintes. Le temps est chaud et nous traînons dans ce lieu agréable et au bord de l’eau, bien que celle-ci soit trop fraîche pour s’y baigner. Moins d’une heure après avoir repris la route, c’est le déluge ! Cette situation persistera pendant toute la journée. Nous reprenons de l’essence dans une station-service, où je regarde avec une certaine angoisse le pompiste remplir la bouteille en faisant bien attention au niveau, avec sa clope fumante au bec à 20 cm du goulot !

En fin d’après midi, nous décidons de nous restaurer, voyant un établissement affichant « motel sauna restaurant ». Certes la façade n’est pas des plus attirantes, mais la pluie, le vent et désormais le froid nous poussent à passer la porte. Une jeune femme, l’air étonné, nous accueille tout d’abord, et nous fait signe de passer par-derrière, curieux ! Une seconde femme, au maquillage fort chargé apparaît alors et nous lui faisons comprendre que nous souhaiterions manger quelque-chose. Les deux femmes se regardent, un peu interdites, puis nous indiquent de garer nos vélos près d’une porte d’où une très forte odeur de gasoil émane, et nous fait signe d’y entrer. Un homme est en train de peindre au pistolet une des pièces, dans un brouillard de peinture suffocant, et personne d’autre ne semble être présent. Elles nous introduisent donc dans une petite pièce à la fenêtre obstruée de vitraux opaques et garnie seulement d’une petite table avec des chaises, puis referment la porte. Elles nous tendent finalement un téléphone portable avec un chiffre. Je regarde subitement Pierrot, pris d’un doute. Nous nous sommes retrouvés sans nous en rendre compte dans un honnête bordel ! Nous déclinons poliment et décampons, tant pis pour la brochette dont rêvait particulièrement Pierrot !

Pas grave, nous pousserons jusqu’à Gavar dans l’espoir de trouver une taverne quelconque, ce qui signifie faire demi-tour sur quelques kilomètres. La grêle se met à tomber, ça cingle les avant-bras et les cuisses, il fait déjà bien sombre alors que le coucher de soleil n’est que deux heures plus tard. Certains sommets alentours blanchissent rapidement, la température dégringole, non atteignons Gavar dans ces conditions désagréables, et dire qu’on se moquait, il y a peu, de la météo en France ! Gavar nous apparaît un peu comme une ville fantôme, tant le nombre de bâtiments abandonnés est important. Établissements scolaires, immeubles d’habitation, édifices administratifs, tout est laissé à la merci des éléments, des arbrisseaux poussent entre les marches des escaliers, la rouille prospère,… Pierrot m’apprend que l’ambiance générale est digne de la série « Walking Dead », pour ceux qui connaissent ! Le centre n’est pas beaucoup plus réjouissant ! Nous achetons de quoi manger pour le soir, puis continuons sur ce qui semble être la bonne route. Après plusieurs villages traversés, la route finit dans un cimetière ! Nous devons nous rendre à l’évidence, la route indiquée sur la carte n’existe pas vraiment, ce doit être un chemin que, dans ces conditions plus qu’humides, il n’est pas question d’emprunter ! De plus, les pentes escarpées de chaque côté de la route empêchent toute possibilité de planter la tente. Lampe frontale autours de la tête, nous finirons par camper dans un autre cimetière, sur la seule surface à-peu-prêt plane que nous avons pu trouver, juste à côté du chemin utilisé par les troupeaux pour rejoindre les pâtures. Le réveil est assuré peu avant 7h par de sympathiques bovins, beuglant de trouver un obstacle inconnu sur leur chemin quotidien ! Il fait froid, et les premiers tours de roues sont difficiles, mais le soleil est de retour, et nous trouvons un bel endroit ensoleillé pour prendre le petit déjeuner. Le reste de la journée se passe sans que le ciel ne nous menace trop. La température a bien chuté, et nous prenons de bons coups de soleil, car celui-ci est toujours bien présent ! Un exercice militaire se déroule dans une prairie. Tanks, radars et lance-missiles faces à la frontière avec l’Azerbaïdjan nous rappellent que ces deux pays ont rompu toute relation diplomatique, et sont en état de guerre, même en l’absence de combats.

Les jours suivants, nous subirons les premiers assauts de l’automne, avec le vent, le froid et la pluie s’invitant le jour et surtout la nuit. Le réveil est couramment donné par la faune locale, que ce soit des campagnols fouinant dans les réserves de fruits, ou chevaux en liberté prenant peur à cause de la toile des tentes claquant au vent.

Le jour précédent la fin du tour du lac, le vent redouble en fin d’après midi. Il est tard et je propose à Pierrot de squatter une magnifique maison dont la construction s’est arrêtée en cours de route. Manque de bol, cette maison est aussi plébiscitée par les bovins locaux. Pierrot refusera donc de passer une nuit au chaud malgré la présence du confort moderne, tel que murs, toit et fenêtres. Certes, la propreté du sol était un peu négligée, mais quand même ! Nous nous retrouverons donc en tente au bord du lac. C’est à ce moment que nous apercevrons que les batteries tampons de Décathlon ont un défaut de fabrication, ce qui fait que nous dûmes faire attention à ne pas nous retrouver sans lumière durant la soirée, en utilisant celle de la lune, quasi pleine, au maximum ! Le matin, le froid est encore plus vif ! Je prie Pierrot d’éviter les multiples pauses dont il a le secret, car s’arrêter ne serait-ce que cinq minutes est une torture pour les orteils (OK, je pourrait mettre des chaussures fermées, mais c’est tricher !) et les doigts. J’explique à celui-ci que cette matinée me semble être la pire depuis que nous sommes partis. Il éclate de rire ! Apparemment, ceci n’est rien par rapport au calvaire des montées qu’il vécut les premiers jours, quand les cuisses, genoux, postérieur,… lui rendaient la vie difficile !

Après 50 km, nous finissons le tour du lac à Sévan, il est 14h. Que faire ? Bivouaquer un peu plus loin, alors que nous avons déjà fait le trajet dans l’autre sens ? Nous décidons de rentrer directement à Yerevan. Avec le vent dans le dos et la pente en notre faveur, ça devrait être faisable ! Effectivement, les plus de 60 km sont avalés en trois heures, avec des vitesses parfois impressionnantes, voire inavouables ! A ce rythme, la rentrée dans la ville se fit en toute sérénité puisque nous allons aussi rapidement que les voitures. Arrivée à notre guest house habituelle, nous retrouvons une chambre chauffée, avec cette fois-ci une fenêtre.

Petite conclusion : on profite vraiment d’un toit quand on s’est pelé l’oignon dehors durant plusieurs jours !