Le savon médium

Ce samedi, j'étais heureux de quitter mon travail de notaire pour flâner sur les quais de Venise. C'est alors que j'ai croisé mon meilleur ami Matteo. Nous avons décidé de marcher sur les quais. Pour nourrir la conversation, je lui racontai une aventure terrible qui m’était arrivée quelques mois plus tôt :

"Tout a commencé le jour où j ai été chargé de chercher des papiers dans l’appartement du Signor Bartolli. Il était décédé d'une cause inconnue une semaine plus tôt sans laisser aucun testament ni aucun papier administratif, ni à la mairie ni ailleurs. Sa voisine, ayant entendu des bruits métalliques s'entrechoquant suivis d'un crissement aigu venant de son appartement, était descendue. Après avoir passé la porte retrouvée défoncée, elle avait vu le Signor Bartolli gisant sur le sol, sans vie. Et me voilà moi, Francesco Massini, à devoir aller fouiller là-bas." Je repris mon souffle après cette époustouflante entrée en matière et j'enchaînai :

"J'espérais trouver le plus vite possible ce pourquoi j’étais venu. J'arrivai, j’entrai dans le salon sombre, éclairé seulement par de petites ouvertures dans le mur. Seules de minuscules créatures auraient pu s'y glisser. Dans ce salon se dressaient de grandes bibliothèques, supportant d'énormes encyclopédies. Des photos avantageuses du Signor Bartolli étaient accrochées sur le mur. Il y avait une odeur étrange, mais je peine à la décrire… Une odeur d'humidité poisseuse, un peu comme si la poussière n'avait jamais été enlevée. Sur une table collée à côté du mur, un vase était renversé et l'eau coulait par terre. Quelqu'un serait donc passé ici récemment et aurait touché aux objets? J'avançai. Le vieux parquet craquait sous mes pieds. J'entrai dans la pièce suivante. Un lit en bois sombre était disposé dans un coin. La pièce était désordonnée et des morceaux de papier à moitié déchirés jonchaient le sol; les meubles, désorganisés. Mais ce qui attira mon attention, c'était un petit objet : un carnet caché à moitié sous les draps du lit. Je m'approchai, m'en saisis et en lus la première page :

"19 Juillet 1834

Aujourd'hui, je suis rentré chez moi avec un mauvais pressentiment. Je me sentais observé. Je me sens toujours observé. Certains disent que je suis fatigué ou malade, mais c'est une conviction, ils me suivent ! Ils sont partout ! J'ai barricadé ma porte et j'ai couru me réfugier dans mon bureau. J'ai pris le carnet le plus proche et j'ai écrit ce message. Maintenant je m'adresse à celui qui est en train de le lire. Fuyez immédiatement, ne restez pas dans cet endroit maudit où ils vous tortureront et vous tueront à coup de pinceau ! Personne ne peut les vaincre ! Ils arrivent ! Fuyez ! Fuyez ! ».

En dessous du message étaient marqués, à la va-vite, deux mots : "savon médium".

Un peu troublé quand même, je reposai le carnet. J'aurais aimé suivre ces conseils, mais il me restait les papiers à trouver. Je me dirigeai vers la pièce suivante. C'était une sorte de bureau-laboratoire. Contrairement à la chambre, la pièce était en ordre. En l'explorant, je me trouvai devant une porte de bois dérobée et verrouillée. Je continuai à accomplir ma besogne. Je cherchais sur les étagères et dans le bureau, quand soudain je trouvai, en ouvrant un tiroir, un savon de couleur orangée, opaque, accompagné d'une note : "A faire fondre". Je ne sais ce qui me prit mais… Je retournai dans la pièce principale, pris une casserole, mis le savon dedans ; je rajoutai de l'eau par-dessus, et posai le tout sur le poêle que j’allumai avec du charbon prévu à côté.

Au bout de quelques minutes, le savon avait fondu. J'extirpai du liquide orange une clé en bronze. Elle devait sûrement ouvrir la porte verrouillée ! Je courus vérifier cette hypothèse. La clé ouvrait bien la porte. Derrière se tenait un escalier. Piqué par une curiosité dévorante, je laissai mon devoir de trouver les papiers et descendis l'escalier. En bas se trouvait une vaste pièce froide avec un sol en pierre, éclairée seulement par de petites chandelles. La même personne qui aurait renversé le vase les aurait-elle allumées ?

Sur le mur en face étaient accrochés un grand tableau fraîchement peint, et une multitude de petits papiers fixés à côté. Sur ce tableau était représenté, à ma grande surprise, le Signor Bartolli en train de fabriquer du savon. Il était entouré d'une foule de personnes. J'examinai de plus près les petits bouts de papiers. Sur chacun était écrit un nom barré. Je vis avec stupeur qu'il y avait celui du Signor Bartolli ! Et si toutes les personnes représentées sur le tableau étaient celles dont le nom était noté sur les papiers? Je continuai de les inspecter. Un seul nom n'était pas rayé. Je le lus. Je poussai un grand cri en voyant que c'était le mien! Et sur le tableau, ma silhouette était en train d'apparaître, esquissée par un pinceau invisible! Quel fantôme était en train de me dessiner, me condamnant à mourir ?

Je pris mes jambes à mon cou et me ruai hors de cette pièce maudite ! Mais j'avais l'impression qu'on me retenait dans ma course effrénée : j'entendais des pas, des pas derrière moi ! Je refermai la porte à clé, je laissai celle-ci dans la serrure et courus vers la sortie en renversant tout sur mon passage."

- "Et… est-ce fini ?, me demanda Matteo, inquiet.

- Oui, lui répondis-je, mais depuis cette aventure j'ai comme l'impression d'être suivi et observé, et parfois j'entends des sifflements ! Je fais des insomnies, je ne mange plus et j'ai presque l'impression de devenir fou ! La mort me guette, j'en suis sûr …".

Par Clément, Ianiss, Philippe et Elya.