Le jeune disparu

En fin d’après-midi, un frère et une soeur, Mathis et Charlotte, jouaient dans l’immense jardin ensoleillé de leur grand-père disparu. Ils avaient accompagné leurs parents, venus faire du tri dans la demeure ; ils s’occupaient comme ils le pouvaient dans cette propriété plus ou moins laissée à l’abandon.

Pendant qu’ils couraient, ils virent, sous une immense végétation sauvage, une grande et ancienne cabane abandonnée. Le bois des murs de cette dernière était abîmé et recouvert de lierre. La toiture était en piteux état, quelques tuiles manquaient. La porte était entr’ouverte. Par curiosité, les enfants entrèrent. Et à leur grand étonnement, ils découvrirent, les yeux écarquillés, que se tenait devant eux un ancien laboratoire, qui avait appartenu sûrement à leur grand-père, et dont il n’avait été fait mention nulle part dans les plans de la propriété.

A droite, dans la pièce ombrée, de grandes étagères menaçaient de tomber. A gauche, un vieil établi était soutenu par de hautes colonnes de livres, en guise de pieds. Sur les poutres logeaient des colonies de souris et d’araignées. Sur une petite table, au milieu de la pièce, se trouvait un vieux carnet qui, ô grande surprise, paraissait en assez bon état. Charlotte le prit, l’ouvrit à la première page et commença à le lire à voix haute :

« Journal de Georges de La Croix

13 Février 1963

Recette de savon à la potasse :

        • faire une infusion : 50 % en volume de cendre + 50 % en volume d’eau, 7 à 15 jours.

        • filtrer le mélange avec une passoire / un tamis

        • réduire le volume sur le feu à 1/5 de sa valeur

        • prendre 2 fois la quantité d’huile et la verser dans le lessi ainsi obtenu et réduit

        • mélanger pour épaississement

        • parfumer (nectar) et mettre en moule.

14 Février 1963

Aujourd’hui c’est le grand jour, je vais enfin réaliser ce fameux savon, et par conséquent, je vais arrêter un moment l’écriture de mon roman.

20 Mars 1964

Mon savon est une pure merveille. Je m’en sers autant pour moi que pour mes vêtements. Cela fait maintenant quelques jours que je l’utilise et, étrangement je me sens plus énergique au sortir de chaque usage. Je suis moins fatigué, je me sens plus jeune et propre, comme plus énergique...

22 Mars 1964

Je viens de rentrer de chez le barbier, et… j’ai constaté quelque chose de troublant, et même d’effrayant. J’étais assis face au grand miroir, et j’ai clairement vu mon reflet changer. Mon visage semblait rajeunir, ma peau se tendre, et personne ne semblait s’en rendre compte ! Troublé, je payai et je m’enfuis, pris de peur.

23 Mars 1964

Je n’ai pas fermé l’oeil de la nuit après ma découverte d’hier. Lors de la toilette d’hier au soir, le même phénomène s’est produit : j’ai rajeuni ! Mon corps a rajeuni ! Qu’est-ce qui se passe? Qui suis-je en train de devenir ? Le temps marcherait-il à rebours ? Que se passe-t-il en moi ?

27 Mars 1964

J’ai la certitude de l’horreur qui s’opère en moi. Je régresse de plus en plus, j’ai maintenant l’apparence d’une personne de seize, dix-sept ans peut-être. Je ne sors presque plus de chez moi, je ne vois plus personne, je fuis. En viendrais-je à remercier le sort d’avoir ôté la vie de mon épouse, pour qu’elle ne voie pas le malheur qui s’abat sur moi ? Ma vie n’a brusquement aucun sens, ou j’ignore vers quoi mon destin m’emmène et cela me terrifie !

30 Avril 1964

J’ai enfin trouvé la cause de ma transformation. Il s’agit du nectar, la légendaire plante des dieux, la substance de jouvence éternelle, que j’ai mise dans le savon ! Qui eût cru que c’était une vérité ? Elle m’emmène dans le néant ! Mais malheureusement il est trop tard, j’ai incorporé les effets par ma peau, je disparais peu à peu, je suis prisonnier d’un corps qui rapetisse et s’infantilise ; j’ai de plus en plus de mal à me souvenir des visages de ma famille. Je sais que je laisse, presque bambin maintenant, une jeune et belle famille derrière moi. Je souhaite à mes descendants de ne jamais expérimenter ce que j’ai fabriqué, poussés par une curiosité innocente ou pas. Vous qui peut-être avez lu ce carnet, sachez que je ne suis pas fou : la preuve en est ma disparition.

Votre pour toujours

Georges de La Croix. ».

Par Anastasia, Diane, Farouk et Lilian