La curiosité

Journal de Mr Hell , le 1er novembre 17… .

Cher journal, je vais te raconter une incroyable histoire qui nous est arrivée à Mr. Jack, mon ami chirurgien, et à moi-même. Nous étions en train de prendre le thé dans mon laboratoire d'apothicaire, quand tout à coup, la clochette du hall retentit. Mr. Jack posa sa tasse de thé et disparut pour ouvrir la porte d'entrée. Il revint quelques instants plus tard avec une mystérieuse lettre dans la main. Il me donna le papier jaunâtre, plié en trois, et fermé par un cachet de cire rouge vif qui dégageait une odeur vaguement métallique, qui me rappela celle du sang… Au moment où je brisai le cachet de cire pour ouvrir le courrier, j'eus un mauvais pressentiment et un frisson me parcourut le corps. Il me sembla que je venais d'entrebâiller la porte de nos vies pour laisser passer quelque chose de mauvais, de plus puissant que nous.

Voici ce que disait la missive:

"Mrs Jane D. , Docteur ès Chimie, illustre Apothicaire, serait heureuse de compter sur votre présence pour sa conférence sur les vertus médicinales des plantes, le 31 octobre à l’heure du souper. Rendez-vous à cette adresse :

13, Allée du Mal Heur, Hameau de la Forêt Perdue, à ……………. .

Au plaisir de vous compter parmi nous."

Une clé dorée ancienne était lovée dans le creux du pli. Je la pris ; Mr Jack était aussi perplexe que moi.

Nous étions fort surpris par cette lettre, car nous ne connaissions en rien cette Mrs. Jane D. . Nous étions toutefois piqués au vif de notre curiosité et assurément intéressés par cette conférence ; donc deux jours plus tard, après nous être apprêtés (et munis chacun d’un petit pistolet au cas où), nous nous mîmes en route dès la fin de l’après-midi, de ce fait nous arriverions assurément à l’heure.

Après un trajet pénible en calèche, car le temps devenait lugubre et menaçant, et avoir traversé la forêt dont le nom laissait deviner l’inhospitalité, nous arrivâmes enfin, plus morts que vifs. Le manoir, splendide et sombre, se trouvait dans une allée de grands sapins fournis. La demeure était entourée d'une grille en métal rouillé, surmontée de pics hostiles. Nous nous approchâmes d'un grand portail du même goût qui s’ouvrit s'ouvrit lentement au son d’un lointain orchestre de clavecin, violon, violoncelle et flûte. Nous entrâmes, vivement impressionnés, dans un jardin stupéfiant, tapissé d'herbes grasses, noires et odorantes à vous faire tourner la tête. A notre droite, des arbres tendaient vers nous leurs branches comme des bras et à notre gauche des statues disparaissaient sous la masse de la végétation.

Nous sortîmes la clé de l'enveloppe que nous avions prise avec nous. Nous ouvrîmes la porte ; nous entrâmes dans un grand hall plongé dans un silence de mort. La musique avait disparu de façon inexplicable. Face à nous, à la lueur de bougies allumées, se trouvait un grand escalier double en marbre blanc. Comme il n'y avait personne, nous décidâmes de le gravir. Nous prîmes chacun un côté. Nous nous rejoignîmes en haut sur un palier commun qui donnait sur un grand couloir, et au bout duquel nous percevions une lumière assourdie.

Inquiets, nous nous y engageâmes ; nous nous trouvâmes face à une porte de sous laquelle provenait la faible lueur. De plus en plus intrigués, nous poussâmes la porte et découvrîmes un vaste laboratoire éclairé par une dizaine de candélabres. Les murs étaient placardés d'étagères remplies de cristaux colorés, énormes. Nous nous approchâmes de l'une d'elles et comprîmes que ce que nous croyions être des cristaux, à la faible lueur des bougies, était en fait des bocaux remplis de choses aussi surprenantes qu'effrayantes. Dans l'un deux, se trouvait le portrait peint d'un homme coiffé d'un haut de forme aux côtés d'une femme blonde. Une étiquette collée sur le verre indiquait : "Macérât d'huile d'olive, portrait de Georges et Jane D. , extraction du bonheur conjugal." Un autre contenant présentait un savon avec l'empreinte, très reconnaissable à sa forme compliquée, de la clé trouvée dans la lettre. "Clé du savoir, extraction de la curiosité scientifique". A côté, une longue mèche blonde attachée par un ruban rouge flottait, comme les cheveux d'une noyée. L'étiquette indiquait "Mèche de Jane D. , extraction de la lumière de ses boucles lors de sa jeunesse". Nos yeux s'arrêtèrent enfin sur deux flacons vides ainsi légendés : "Lobes du cerveau de Mr Hell, Apothicaire, extraction du savoir" et "Mains de Mr Jack, Chirurgien, extraction de son habileté".

Pris de panique, horrifiés par une telle abomination, nous poussâmes un hurlement et nous nous enfuîmes en laissant tomber la clé dorée sur le sol. Nous fîmes un demi-tour plus rapide que l'éclair et nous nous engouffrâmes dans la calèche qui nous avait amenés. Les démons de l’Enfer eux-mêmes n’auraient pu, je crois, nous rattraper.

La morale de cette histoire, s’il y en a une ? J’en verrais deux… Une, légère : ne jamais obéir aux paroles d’une inconnue, si séduisantes qu’elles soient. L’autre, c’est que la curiosité scientifique peut mener aux portes de l’incroyable, comme du sordide…

Par Léa, Alexis, Ghia Huy et Sael