En randonnée

Nous sommes en randonnée sur la côte d’Azur, près de Grasse. Il est à peu près 19 heures. Nous sommes harassés d’avoir marché depuis le matin. Notre petit groupe d’amis se trouve au pied d’une colline, au flanc de laquelle on voit une ancienne construction qui semble désaffectée. Pourquoi ne pas nous y reposer ? Encore dix minutes de marche, nous sommes au pied du bâtiment.

Notre estimation était juste, c’est très ancien. La bâtisse est grande, elle porte encore un panneau où est inscrit : « Fabrique de savon : "Le 1890" ». La porte d’entrée est en bois et en mauvais état : nous entrons facilement, avec le sentiment quand même de ne pas être trop à notre place, mais cela donne du croustillant à l’aventure. Nous explorons un peu partout en se faisant des blagues et surtout, nous cherchons un endroit propice pour camper. Il fait frisquet, certains commencent à se couvrir les épaules de leurs couvertures.

L’intérieur de la fabrique est vaste mais peu accueillant. Il faut aller chercher du matériel dans la maison et dans ses environs pour faire un feu dans la cheminée monumentale qui trône au milieu de la salle où nous nous trouvons. Jackson et Alex partent effectuer cette tâche. Une fois qu’ils sont revenus les bras chargés de branchages divers et de vieux papiers secs, le feu ne tarde pas à être allumé par le reste du groupe et nous sommes bientôt tous installés autour. Nos appétits satisfaits, enfin réchauffés, Alice, notre conteuse du soir, va glaner un livre qu’elle récupère au hasard sur un rayon d’étagère derrière nous. Elle peut donc raconter son histoire en la brodant d’inventions de son cru. Elle se lance :

« Il était une fois une carte au trésor dessinée sur le marque-page de ce livre (elle nous le montre à tous, à la lueur des flammes rouges). C’est en réalité un parcours dans la forêt. Il est tout près d’ici, son départ est à environ un kilomètre de là. Nous, les héros de l’aventure, nous convenons de l’effectuer le lendemain à l’aube.

La nuit se passe parfaitement bien. A six heures, il faut se rendre dans la forêt pour chasser le fameux trésor. Il fait très sombre encore.

Nous sommes tous très excités et anxieux. Nous arrivons devant une vaste grotte ; le parcours exige que nous y entrions. Avec nos lampes, nous parvenons à trouver un sentier pierreux. Nous nous y engageons, tout le monde est troublé, époustouflé même par la beauté des parois du conduit : elles sont remplies de couleurs ; il y a du rouge, du bleu, du jaune, du violet, un arc-en-ciel inscrit dans la pierre, mais il faut encore parcourir quelques mètres avant de terminer, croyons-nous, la progression dans ce tunnel. Devant nous, toujours dans le fond de la grotte, le boyau se divise en deux issues et il faut trouver la bonne. Nous choisissons celle de gauche, à droite des bruits étranges parviennent et une odeur particulière monte jusqu’à nous : de la moisissure sans doute, preuve que le passage est sans doute bouché. La visibilité est toujours aussi réduite.

Nous continuons dans le couloir bas. Nous arrivons peut-être au terme de notre voyage. Quel soulagement au moment où notre groupe débouche dans une salle vaste et éclairée par une lumière diffuse venue d’une fissure extérieure! Nous nous arrêtons quelques instants sur place : notre émerveillement devant une fresque moderne, courant sur les murs de roche, est immense. Cela représente l’ancienne ville de Grasse, telle qu’elle était lors de la seconde guerre mondiale. L’église et le centre-ville sont visibles très distinctement. Sur la droite de la peinture, nous voyons de vieilles maisons, des demeures élégantes. A gauche de la ville, à la campagne, nous distinguons des fermiers abattant un boeuf à la seule force de leurs bras. Il y a aussi des peintures de fleurs sur le mur, avec des silhouettes féminines au bain. Ce sont des scènes de la vie courante qui s’étalent là, tranquilles.

Soudain, nos yeux habitués à la pénombre distinguent sur le sol de menus objets ; nous nous approchons prudemment et ébahis, nous comprenons que nous sommes devant le trésor : les reliques d’un petit campement, probablement celui de maquisards de la dernière guerre : couteaux ternis, une gourde poussiéreuse, une trousse de cuir abîmée et des chiffons poudreux, peut-être les habits des résistants... Un grand sentiment de respect nous envahit comme le faisceau de nos lampes met en lumière d’autres petits récipients ; Jackson, à voix basse, indique un peu d’ocre rouge graissé au fond de l’un d’eux, dans un autre, une pâte sèche et écaillée, grise, qui fleure encore le savon de Marseille… C’est un service de toilette rudimentaire, celui d’une femme peut-être ? Nous nous taisons comme si nous nous trouvions devant un monument aux morts, un endroit religieux.

Enfin l’un de nous fait un signe de tête pour signifier le retour. Et nous renouons avec la vie moderne, la vraie, à mesure que nous revenons sur nos pas. Nous savons que cette découverte restera un secret entre nous, jusqu’à la mort. »

Alice se tait alors, et nous aussi, troublés par ce récit. Le feu s’éteint dans l’âtre, et le sommeil nous gagne…

Par Orane, Noémy, Valentin et Pierre