La roue tourne

Il est 17h30. Pierre, Arth et moi, chercheurs de fortune, nous préparons nos valises pour partir à 18h30 à l’aéroport, direction Dubaï , une des plus riches cités du monde ! Nous mettons les bagages dans la voiture pour nous rendre à Paris-Orly ; une nouvelle aventure commence.

Pendant le trajet, je passe en revue les obligations du départ : j’ai bien éteint le gaz , fermé l’eau et le reste. Arth réfléchit et me demande ce qu’on doit manger ; j’ai pris de quoi nous ravitailler et un peu d’argent. Là-bas , à l’aéroport, nous sortons les valises de notre vieille voiture , garée dans le parking. Nous allons enregistrer nos bagages et nous montons dans l’avion de 20h . A 20h30, les hôtesses de l’air passent dans les rangées, flanquées de sandwiches de toutes les couleurs et de boissons de toutes les tailles. On ne se prive pas. Mais peu après, Arth devient vert, il souffre du mal de l'air. Il se lève jusqu'aux toilettes pour soulager son estomac et revient s'asseoir près de moi, livide. Je souris (je sais, ce n'est pas bien) : "Fallait pas tant manger !" On a beau profiter de la vie, il faut savoir se tenir.

Quatre heures plus tard, Arth dort comme une brique, et nous regardons les films proposés par la compagnie. Pierre va à son tour aux WC, et à son retour, il nous montre discrètement un gros bloc de savon d'Alep, d’un superbe vert émeraude, chipé dans la réserve des sanitaires. Il a bien fait, nous avons oublié notre trousse de voyage. C’est pour la bonne cause… épargner l’odorat de nos voisins à venir.

Douze heures après notre départ de France, à terre, nous décidons d'aller faire un brin de toilette dans les sanitaires de l'aéroport de Dubaï. Pierre sort le bloc de savon vert, et nous commençons à nous débarbouiller… L’Alep émeraude passe de mains en mains, et arrivé aux miennes il m’échappe. Je me baisse pour le ramasser. Et soudain, sous le séchoir, je vois … un portefeuille par terre ! Je le prends, et, par curiosité, je l'ouvre. En voyant son contenu, il retombe de mes mains glissantes : des liasses de billets de banque à en faire craquer les coutures ! Pierre et Arth restent bouche bée devant cette magnifique trouvaille. Le portefeuille se retrouve au fond de notre sac, avec le savon bien remballé. Je sais, c’est mal.

Nous sortons des toilettes et appelons un taxi qui nous emmène dans un hôtel de luxe cinq étoiles. Un employé nous accueille et monte nos valises dans nos chambres, au troisième étage du magnifique bâtiment. Sans prendre le temps de nous installer, nous nous écroulons sur nos lits. Nous nous réveillons vers dix heures, la matinée suivante , enfin, je crois. Nos petits-déjeuners sont déjà là, sur la table, attendant que l'on se serve. Nous sommes tous morts de faim et dévorons les viennoiseries à l’européenne en cinq minutes. Après, nous allons ôter la graisse de nos doigts et nous donner une allure présentable, et Pierre ressort le fidèle savon... Magique : nous brillons de tous nos feux, notre précieux sac sur le ventre. C’est parti !

Nous sortons sous le soleil ; nous voulons faire le tour de la ville. Mais nous n'avons aucun moyen de transport, et Dubaï, c'est grand ! Nous nous passons le sac à tour de rôle, le parfum du savon sort par l’ouverture. Alors, une luxueuse voiture noire , une Limousine, passe devant nous et le conducteur nous fait signe. Jour de chance : dans ce véhicule, c’est tout un groupe de jeunesse dorée qui nous propose une visite des lieux. Tout joyeux de l'aubaine, nous montons à bord (on se tasse) et nous lions davantage connaissance avec eux. J'apprends que le chauffeur est le fils d’émir et il s’amuse à conduire la grosse voiture. Rapidement , le jeune prince nous propose de manger au palais familial après avoir fait le tour de la ville . Mais comment donc !

Dans la soirée, nous sommes accueillis par la famille princière. Le père est un homme très sympathique, encore jeune, drôle et élégant. Madame est belle, assez réservée ; à ses côté se tient une jeune fille, c'est la soeur du conducteur. Cette dernière, que je trouve particulièrement jolie avec ses yeux bleu foncé et ses cheveux bruns bien coiffés, nous emmène dans une grande salle de marbre rose pour prendre le repas. Après un véritable banquet, on nous emmène visiter le palais, et nous faisons toutes les activités imaginables : bowling, golf, cinéma privé, piscine, foot, karting... Nabil, le jeune prince, nous propose de passer la nuit dans la superbe résidence. Seulement… nous avons tous pas mal bu, et je vois bien que Pierre tourne autour de la jolie soeur du prince. Dans un souvenir imprécis de savoir-vivre, il sort sa brosse à dents et le savon pour arranger une haleine qu'un chacal aurait lui-même peiné à supporter. Au sortir de la salle de bain, il s'avance vers la jeune fille et tâche de lui prendre la main. Arth et moi éclatons de rire devant ses tentatives de séduction.

Nous décidons de rejoindre nos autres hôtes, et rapidement émerge l’idée… d’un bain nocturne dans la piscine. Vu qu'il est deux heures du matin et que nous sommes un peu ivres, sans prendre le temps d'enlever nos vêtements, tout le monde se jette à l'eau.

Au bout de quelques minutes, j'éprouve le besoin de sortir pour me mettre au sec et au chaud. Je vais me changer. Alors que je monte, la jeune princesse me double à toute vitesse, très en colère : Pierre avait voulu l'embrasser ! J'entends un "plouf"… Elle vient de balancer par une fenêtre ouverte le sac qui contient tous nos effets et nos affaires de toilette. Soudain, un cri perçant ! Ca vient de la piscine juste en dessous! Je redescends les escaliers quatre à quatre et je ressors en trombe. J'écarquille les yeux devant un magnifique et incroyable spectacle : l'eau est vert émeraude, mousseuse, comme le savon de l'avion ; à la surface flottent nos habits répandus hors du sac, celui-ci dégage une lumière verte inconnue. Et je comprends ; je me rends compte alors que toute la chance que nous avons eue jusque là vient de se dissoudre avec le savon qui a coloré magiquement cette eau aux couleurs de l'émeraude. Les habits, dans la piscine, sont trempés, mais neufs et propres grâce aux vertus de l’Alep...

Par réflexe, je tâte ma poche et me rends compte que l'argent s’est envolé. L'émir, en colère, nous ordonne de partir sur le champ, qu'il ne faut pas prendre le palais royal pour un parc d'attraction et pire encore. Pierre veut s'excuser auprès de la soeur du prince, mais ne reçoit qu'un violent coup de genou bien (mal ?) placé, ce qui le fait s'écrouler sur les marches. Je récupère au mieux les affaires dans la piscine, les remets dans le sac et un frisson me parcourt le dos au contact du tissu trempé. Nous décampons, penauds, Pierre encore plié en deux par la douleur.

Quel retour à la réalité des choses : ne nous restent que des vêtements de luxe et nos tongues du bled, enfin : de Dubaï. Nous repartons, sans argent, sans moyen de quitter cette ville sinon en stop, à la recherche de l'hôpital le plus proche pour Pierre, et surtout, notre belle fortune … liquidée.

Par Hugo, Reda et Mathieu