Les textes des participants
Paroles d'hêtre...
Paroles d'hêtre...
L'aurore s'éveille, blafarde et hivernale,
L'aurore s'éveille, blafarde et hivernale,
Une fine gelée réfléchit du parterre
Une fine gelée réfléchit du parterre
Les lueurs mouvantes des ombres matinales
Les lueurs mouvantes des ombres matinales
La nature en repos attendait comme amère
La nature en repos attendait comme amère
Et pensive ; épouse au visage dormant
Et pensive ; épouse au visage dormant
Le baiser du soleil pour renaître au levant
Le baiser du soleil pour renaître au levant
Son éveil était lent, mon pas était rapide
Son éveil était lent, mon pas était rapide
J'arpentais en amont le sentier en bordure
J'arpentais en amont le sentier en bordure
De l'étang où son eau endormie et limpide
De l'étang où son eau endormie et limpide
Calquait au contre-jour d'étranges dentelures
Calquait au contre-jour d'étranges dentelures
Fixant sur les rives en rotonde blancheur
Fixant sur les rives en rotonde blancheur
Les roseaux vitrifiés par l'aube et sa fraîcheur.
Les roseaux vitrifiés par l'aube et sa fraîcheur.
Intrus bucolique, j'étais celui qui hume
Intrus bucolique, j'étais celui qui hume
Les senteurs du matin pour vivre cet émoi
Les senteurs du matin pour vivre cet émoi
Imprégné de l'instant d'une forêt qui fume
Imprégné de l'instant d'une forêt qui fume
En brumes étalées dans cette odeur des bois
En brumes étalées dans cette odeur des bois
Aux mousses incrustées à ces brindilles roides
Aux mousses incrustées à ces brindilles roides
Recouvrant d'un manteau les fougères froides
Recouvrant d'un manteau les fougères froides
Aux contours des sentes et zigzags des ornières
Aux contours des sentes et zigzags des ornières
Je gravissais la pente en promeneur discret
Je gravissais la pente en promeneur discret
Et vis alors au beau milieu d'une clairière
Et vis alors au beau milieu d'une clairière
Sur un tertre arrondi, occupant son sommet
Sur un tertre arrondi, occupant son sommet
Un arbre singulier, d'une espèce inconnue
Un arbre singulier, d'une espèce inconnue
Et de large cime qui caressait les nues.
Et de large cime qui caressait les nues.
Étonnant prodige ? ô nature ! Par quel lien
Étonnant prodige ? ô nature ! Par quel lien
Ou quel enchantement, cet arbre séculaire
Ou quel enchantement, cet arbre séculaire
Était de cet endroit l'indicible gardien ?
Était de cet endroit l'indicible gardien ?
J'étais médusé et ravi en témoin oculaire
J'étais médusé et ravi en témoin oculaire
D'un tel sortilège où ses branches orantes
D'un tel sortilège où ses branches orantes
Dessinaient tout là-haut des formes suppliantes
Dessinaient tout là-haut des formes suppliantes
De l' hêtre qu'il était mais un être vivant
De l' hêtre qu'il était mais un être vivant
Encerclé d'un secret, par la vie qui nous cache
Encerclé d'un secret, par la vie qui nous cache
un occulte destin que seul trace le temps :
un occulte destin que seul trace le temps :
Son pied posé au sol n'avait aucune attache
Son pied posé au sol n'avait aucune attache
Lui courbant la tête par-dessus ce tombeau ;
Lui courbant la tête par-dessus ce tombeau ;
S'était-il exilé pour souffrir de ses maux ?
S'était-il exilé pour souffrir de ses maux ?
Et rester solitaire en dénuement extrême
Et rester solitaire en dénuement extrême
Au milieu de ces bois ? Et par quel maléfice
Au milieu de ces bois ? Et par quel maléfice
Était-il maintenu en injuste carême ?
Était-il maintenu en injuste carême ?
Lui laissant compagnons d'imbuvable calice ;
Lui laissant compagnons d'imbuvable calice ;
Arbustes difformes, laids, criards, sans passion
Arbustes difformes, laids, criards, sans passion
Brisant cette harmonie sans aucune effusion
Brisant cette harmonie sans aucune effusion
Dans ces lieux de tourment, sa douleur était mienne ;
Dans ces lieux de tourment, sa douleur était mienne ;
Cruelle destinée dévorant les racines
Cruelle destinée dévorant les racines
D'un arbre vertueux aux feuilles aériennes
D'un arbre vertueux aux feuilles aériennes
Qui gémissent au vent d'une longue supplique
Qui gémissent au vent d'une longue supplique
Comme une litanie où fleurent les origines
Comme une litanie où fleurent les origines
Du souvenir ancien de ta lignée nordique
Du souvenir ancien de ta lignée nordique
Au monde verdoyant où tu étais soutien
Au monde verdoyant où tu étais soutien
D'arbres majestueux nés d'une même souche
D'arbres majestueux nés d'une même souche
Invoquant les cieux de préserver les tiens ;
Invoquant les cieux de préserver les tiens ;
Afin que parmi eux, revenant, tu te couches...
Afin que parmi eux, revenant, tu te couches...
Et qu'alors, de ta voix, tu me souffles tout bas
Et qu'alors, de ta voix, tu me souffles tout bas
"Ma tête est ici et mes racines là-bas ;
"Ma tête est ici et mes racines là-bas ;
Mes amis ne sont plus que berceaux ou cercueils
Mes amis ne sont plus que berceaux ou cercueils
De leur bois découpé en un vaste abattage
De leur bois découpé en un vaste abattage
D'où j'ai pu m'enfuir pour survivre à ce deuil
D'où j'ai pu m'enfuir pour survivre à ce deuil
Au périple incertain d'un long pèlerinage
Au périple incertain d'un long pèlerinage
Implorant leurs ramées flétries dans le marbre
Implorant leurs ramées flétries dans le marbre
De renaître à nouveau au paradis des arbres
De renaître à nouveau au paradis des arbres
Et d'y fondre mon âme avant que je m'effeuille
Et d'y fondre mon âme avant que je m'effeuille
Car vois-tu, quand notre âge est au bout du voyage
Car vois-tu, quand notre âge est au bout du voyage
Se dessine à nos yeux un tout autre visage…
Se dessine à nos yeux un tout autre visage…
Dominique DERMENGHEM
Dominique DERMENGHEM
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