Les textes des participants


Paroles d'hêtre...


L'aurore s'éveille, blafarde et hivernale,

Une fine gelée réfléchit du parterre

Les lueurs mouvantes des ombres matinales

La nature en repos attendait comme amère

Et pensive ; épouse au visage dormant

Le baiser du soleil pour renaître au levant

Son éveil était lent, mon pas était rapide

J'arpentais en amont le sentier en bordure

De l'étang où son eau endormie et limpide

Calquait au contre-jour d'étranges dentelures

Fixant sur les rives en rotonde blancheur

Les roseaux vitrifiés par l'aube et sa fraîcheur.


Intrus bucolique, j'étais celui qui hume

Les senteurs du matin pour vivre cet émoi

Imprégné de l'instant d'une forêt qui fume

En brumes étalées dans cette odeur des bois

Aux mousses incrustées à ces brindilles roides

Recouvrant d'un manteau les fougères froides

Aux contours des sentes et zigzags des ornières

Je gravissais la pente en promeneur discret

Et vis alors au beau milieu d'une clairière

Sur un tertre arrondi, occupant son sommet

Un arbre singulier, d'une espèce inconnue

Et de large cime qui caressait les nues.


Étonnant prodige ? ô nature ! Par quel lien

Ou quel enchantement, cet arbre séculaire

Était de cet endroit l'indicible gardien ?

J'étais médusé et ravi en témoin oculaire

D'un tel sortilège où ses branches orantes

Dessinaient tout là-haut des formes suppliantes

De l' hêtre qu'il était mais un être vivant

Encerclé d'un secret, par la vie qui nous cache

un occulte destin que seul trace le temps :


Son pied posé au sol n'avait aucune attache

Lui courbant la tête par-dessus ce tombeau ;

S'était-il exilé pour souffrir de ses maux ?

Et rester solitaire en dénuement extrême

Au milieu de ces bois ? Et par quel maléfice

Était-il maintenu en injuste carême ?

Lui laissant compagnons d'imbuvable calice ;

Arbustes difformes, laids, criards, sans passion

Brisant cette harmonie sans aucune effusion


Dans ces lieux de tourment, sa douleur était mienne ;

Cruelle destinée dévorant les racines

D'un arbre vertueux aux feuilles aériennes

Qui gémissent au vent d'une longue supplique

Comme une litanie où fleurent les origines

Du souvenir ancien de ta lignée nordique

Au monde verdoyant où tu étais soutien

D'arbres majestueux nés d'une même souche

Invoquant les cieux de préserver les tiens ;

Afin que parmi eux, revenant, tu te couches...


Et qu'alors, de ta voix, tu me souffles tout bas

"Ma tête est ici et mes racines là-bas ;

Mes amis ne sont plus que berceaux ou cercueils

De leur bois découpé en un vaste abattage

D'où j'ai pu m'enfuir pour survivre à ce deuil

Au périple incertain d'un long pèlerinage

Implorant leurs ramées flétries dans le marbre

De renaître à nouveau au paradis des arbres

Et d'y fondre mon âme avant que je m'effeuille

Car vois-tu, quand notre âge est au bout du voyage

Se dessine à nos yeux un tout autre visage…


Dominique DERMENGHEM



Pour télécharger ce texte au format .pdf :

Parole d'hêtre