Les textes des participants


la lutte, un crâne, un mur filtre une parole, tes joues couperosés, le cou vieilli / deux yeux, les cheveux en pétard, une trace de revendication, une parole sur le mur, ta figure plane, les femmes, la parole s'élève, par-delà le mur naît l'espoir, par-delà le mur naît l'espoir




une mère venue de l'étranger avec sa fille, mains nues, nues, une mère si forte

la nuit se dépose sur ma peine / la dictature, le mari violent, jour et nuit un travail / les hlm, un étranger, les (femmes) réfugiées sont des symboles de liberté, une femme, une mère si courageuse qui se bat pour son enfant, le travail jour et nuit pour les études, une mère / le cancer, la peine, cette souffrance, réfugiée, réfugiée, artiste, artiste, elle a pris des cours d'art alors qu'elle travaillait jour et nuit, une femme exceptionnelle,

ses cheveux sont tombés, son teint était livide... / son enfant

un souffle d'elle dans ma poitrine à tout jamais sortent sortent les yeux d'un regard si intense, réfugiée, une femme, un cri, son enfant




elle susurre qu'elle a mal / un oiseau s'envole / un rictus, un rien (une broutille, une babiole), une figure de mort / une face, si belle, ma maman / tu m'aides à vivre de là-haut, tu es là à chaque pas / l'écume (de ton expression) de ta voix, tes mots me réchauffent le coeur et me donnent le courage / ton corps pourri, maigre, le cancer t'a emporté... tu m'as apporté la foi en la vie, la foi en l'art / un building, des étoiles, des étoiles, maman, maman, maman

une femme est tombée / la nuit, sous un dédale de râles, une femme est tombée, parmi les fauteuils, les chaises, une femme est tombée d'la vie, d'notre voyage à l'étranger, d'nos disputes, de son dur labeur à l'étranger dans mes mains / une femme est tombée entre deux oeuvres d'art, entre deux couleurs dans mes mains / sur mon drap de lit a glissé de mes bras par terre, a glissé dans le sommeil pour toujours / une femme est tombée, de notre union / de notre exil, ma mère elle s'en est allée ; une fosse l'a avalée, une femme est tombée, l'art, c'est ce qu'elle me donna (en premier) / une femme est tombée, une femme est tombée / une femme est tombée de sa lutte pour la survie, une femme est tombée de son amour pour moi / de sa vie à moi offerte, offerte / ville d'son exil, de son effort pour me nourrir pour me nourrir, une femme est tombée, un cancer, une femme est tombée, de son ouverture d'esprit, de ses yeux marrons, de sa grande intelligence, de l'offrande à son enfant, de son aide, de son amour pour autrui, d'son cancer, cancer, un oiseau s'envola, une femme est tombée




elle s'inquiète se dévoue se dévoue se dévoue des larmes qui m'arrachent, dans ses pas je m'érige et de ses bras droite, droite je m'érige en homme, la mère la mère / et de ses bras droite je m'érige en homme

de ses pas protecteurs de ses bras protecteurs de sa caresse tel un souffle comme un souffle serpente sur mon visage / de ses bras m'entoure, de ses nuits de travail elle m'apporte mon pain, de son travail jour et nuit elle apporte des vivres ma mère, de ses journées travail elle m'apporte le bonheur le bonheur de vivre de sa vie sans sommeil qu'elle a dévoué à sa fille / sa vie / du respect et du droit elle m'apporta la vie / malade si fragile se dévoue pour que j'ai une meilleure vie ma mère me serre me serre me serre de ma mère me serre me serre dans ses bras dans ses bras




son âme parcourt la ville / maman / son âme parcourt le monde, les villes, sa foi / la venue en France de cette femme qui a su se battre, se battre contre la dictature pour sa survie et celle de son enfant / fait ce qu’elle a pu, au-delà de ses possibilités, pour moi / s’est battue, jour et nuit dans des boulots pour étrangers / jour et nuit / sous-payés / pour sa fille, lui a enseigné l’amour de l’art, l’amour, le droit, le droit chemin / elle s’est sacrifiée pour moi, elle a travaillé pour que je fasse mes études, pour que j’aie une vie meilleure, ma mère elle s’est sacrifiée, s’est sacrifiée / extirper la dictature, aimer l’homme / Maman, maman, ton souffle parcourt mes veines / mon amour qui a donné sa vie à son enfant, mon amour, tu as été délivrée ; une vie dure, la maladie qui t’a rongée dans les dernières années de ta vie / cri, cri de révolte contre toutes les dictatures, la souffrance des femmes, contre tout ce dont tu t’es battue, battue, femme battue, pour dénoncer, une femme / maman

un coeur ; un coeur, une flamme,

on parle aux oiseaux, l’on parle aux oiseaux de l’amour de toi,

exilée,

face osseuse, front, rares cheveux épars,

écailles de poisson, yeux, yeux

elle s’effiloche / (la tête)

deuil




Ma mère a travaillé jour et nuit en France à l'AP-HP, à moitié prix, en tant qu'étrangère, sans sécurité sociale pour le travail de nuit. Plusieurs de ses collègues sont morts d'infarctus en essayant de défendre leurs droits, car le stress était insoutenable, le stress. La nuit, la plupart des gens à qui elle donnait les résultats se foutaient de son accent et lui raccrochaient au nez, elle devait téléphoner à plusieurs reprises pour donner ses résultats. C'est pour ça qu'elle est malade aujourd'hui, à la retraite, atteinte d'un cancer, alors qu'elle ne tient pas debout les docteurs ne veulent pas la recevoir sous prétexte qu'ils n'ont pas de lit disponible. Y-a-t-il des médecins de couleur ou arabes, j'en ai vu aucun.

(Ma mère avait un boulot de médecin sans sécu payée à moitié prix, on les appelait les gardiens de nuit.)

Comme ils ont reçu des directives pour cesser de soigner les femmes âgées seules, sous prétexte d'économie, j'ai peur qu'ils arrêtent de soigner aussi ma mère.

Ma mère a été reconnue par ses paires dans son travail, elle a effectué de nombreux congrès à l'étranger.




maman a pris les mots sur la peau de la ville qui évoquaient la vie, la liberté, la liberté de pensée / le mot est un art, le mot est pour elle une dénonciation, les mots racistes montrent l'horreur qui plane dans les bouches, le mot s'accroche à ses lèvres et chante un dernier soupir / le mot plane sur ses lèvres pour dire "je t'aime", les mots s'écrivent sur la peau de la ville comme sur la peau des morts, les mots flirtent avec la pensée et nous amènent vers le royaume des morts où ils nous donnent l'espoir de la vie, d'un salut pour les rejoindre / une dentelle noire pend sur ses omoplates trop maigres / elle susurre un chant, ces mots sur la peau d'la ville qui me donnent un espoir




sa douce voix sur le pavé d'une expo, elle m'accompagne, Maman / (le squelette jaune sur le trottoir) / réfugiée politique / une voix, la force de maman te portera, si près / (le squelette)

passe le cercueil, le sillage d'la vie, la voix d'son souffle (sur moi) / des sculptures, maman, maman

une lutte





Nous sommes arrivées en France, ma mère et moi j'avais 13 ans. Elle en avait 40. Elle avait vécu la dictature. Il a fallu qu'elle travaille jour et nuit pour subvenir à nos besoins, à nous deux et ma grand-mère. Ma grand-mère est arrivée en France grâce au regroupement familial. Ma mère faisait des gardes de nuit dans un hôpital et la journée elle travaillait à l'hôtel de ville comme bactériologiste. Elle a représenté le labo dans de nombreux congrès à l'étranger. Ca a été très fatiguant pour elle. Elle a travaillé jusqu'à sa retraite.

En parallèle, ma mère prenait de cours d'art au Centre Georges Pompidou, puis elle a travaillé la photographie et les arts plastiques. Comme tout le monde le dit, c'était une femme exceptionnelle.

En Roumanie elle fut obligée de se faire avorter, au moins 30 fois, dans des conditions dignes du Moyen-Age, les avortements étant interdits, la Roumanie selon Ceausescu devait être le plus grand pays du monde. Nous n'avions pas à manger. Ma mère ne s'est jamais inscrite au parti communiste comme 99% des roumains, par conséquent elle ne bénéficiait pas des minces avantages que pouvait lui procurer la carte du parti, au contraire, réduction de salaire et pressions psychologiques étaient son lot quotidien. Ma mère souffrait énormément du manque de liberté. Elle décida de partir, de quitter le pays et ses directeurs ont été heureux de se débarrasser d'elle, malgré le fait qu'elle travaillait très bien. Ma mère est décédée des suites d'un cancer il y a deux mois.



ma mère, tu as bossé, alors que je ne pensais qu’à la peinture, de jour comme de nuit au lieu de peindre toi aussi, au lieu de peindre toi aussi / la nuit se fit sur ton front, tes yeux ouverts, la mort t’emporta, les yeux découpés sur la figure, ton corps jeté au feu, jeté au feu / en exil elle a lutté, elle a lutté, en exil elle a lutté pour sa fille, entre deux gardes de nuit et un boulot la journée elle prenait des cours d’art contemporain à Pompidou / « j’ai travaillé comme une folle, je n’aurais pas dû, c’est ça qui m’a tuée » disait-elle avant de mourir, cette mère sacrifice, qu’un régime communiste avait estropiée / venue en France en 81 / son souffle / un corps (froid), j’allais à l’école, puis ma grand-mère arriva et ma mère débuta ses gardes de nuit en plus de son travail de jour

j’la voyais presque plus, elle était morte de fatigue, puis je ne trouvais pas de travail régulier, alors elle continua ses gardes et son travail, une fois qu’on l’a virée du labo (car on n’avait plus d’argent pour la payer), elle fit d’la photo et ces photos me restent entre mes mains, un si beau coeur, si beau coeur, des photos qui expriment le rejet, la discrimination, la pauvreté, des laissés pour compte, des gitans ; un si beau coeur, une réfugiée, une maman, des papillons, des oiseaux vers la liberté, vers la liberté



Alexandra BOUGE



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